C'est avec un très grand plaisir que l'on découvrira cette
biographie dont le sous-titre introduit fort bien aux grands axes
de la vie du personnage. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1886,
il manifeste tôt de puissants dons intellectuels, si bien qu'au
terme de ses études de théologie, il se voit confier l'enseignement
de la théologie fondamentale auprès de ses jeunes confrères. Si
cette tâche lui convient parfaitement, c'est toutefois d'une autre
manière qu'il déploiera la pleine mesure de son intelligence :
d'abord comme collaborateur puis comme directeur
des Études, de 1908 à 1919 (il continuera d'y écrire
jusqu'à la fin de sa vie), et aussi comme fondateur-directeur, en
1910, des Recherches de science religieuse, organe
nettement plus technique. Cet apostolat d'« écrivain »
fut vécu dans un climat intellectuel particulièrement difficile,
celui de la crise moderniste (sans oublier d'autres problématiques
comme l'Action Française et la Grande guerre). Grandmaison, certes
formé à l'« ancienne », mais nourri entre autres de la
pensée d'un Newman, prit à bras le corps les questions soulevées
par ceux qui entendaient faire droit aux nouvelles approches du
contenu de la foi chrétienne, en particulier par la critique
historique positive. N'écrivait-il pas déjà durant ses
études : « enseigner le dogme comme s'il n'avait pas
d'histoire est une erreur grave de méthode, une lacune considérable
dans l'enseignement… Un dogme, en effet, n'est pas un théorème
rationnellement déduit des termes considérés en eux-mêmes. C'est un
fait, enseigné par Dieu dans un langage humain, sous une forme
presque toujours imagée et particulière, parfois obscure ou
métaphorique » (p. 23). Il fut dès lors amené à rencontrer les
travaux de bien des savants du temps, à les
« critiquer », en tâchant de discerner au mieux le bon
grain de l'ivraie, et cela avec un profond respect des personnes,
adoptant un style net mais jamais agressif. Son discernement fut
par ailleurs inspiré par un authentique attachement à la personne
du Christ, caractérisé notamment par une simplicité qui émerveille
encore de nos jours (combien de générations n'ont-elles pas été
marquées par la prière : « Sainte Marie, Mère de Dieu,
gardez-moi un coeur d'enfant… » !). À quoi il faut
ajouter qu'il fut, si l'on me permet le terme, un
« féministe » : avec Madeleine Daniélou, il fut à
l'origine de l'École normale libre de la rue Oudinot, destinée à
permettre aux jeunes filles d'accomplir des études supérieures, et
de ce qui s'appelle aujourd'hui la Communauté
Saint-François-Xavier.
Toute comparaison est toujours hasardeuse. Mais en lisant cette
biographie, je n'ai pu m'empêcher de faire un parallèle avec le
dominicain Lagrange. Tous deux n'ont-ils pas été, certes par des
voies différentes, d'authentiques savants, pour qui foi et
intelligence ne sont jamais incompatibles mais bien au contraire
des collaboratrices dont chacune ne peut se passer de
l'autre ? - B. Joassart s.j.