Maurice Blondel (1861-1949). Sub ratione Trinitatis. Légitimation d’une épistémologie de la foi, préf. G. Woimbée

Emmanuel de Ducla
Teología - reviewer : Marie-Jeanne Coutagne

La thèse de l’abbé Emmanuel de Ducla soutenue à l’Institut Catholique de Toulouse le 24 septembre 2020 sort enfin en librairie et il faut s’en réjouir ! L’objet de ce travail est de discerner en quoi la pensée de Maurice Blondel peut contribuer à une réflexion épistémologique pertinente en théologie, dans l’exacte mesure où Blondel n’a cessé de mettre en tension philosophie et théologie provoquant de part et d’autre bien souvent incompréhension et adversité. Si la fécondité philosophique de Blondel se révèle peu à peu aujourd’hui, sa postérité théologique a, d’emblée, été considérable (de Montcheuil, de Lubac, Urs von Balthasar, Rahner…) et reconnue y compris au concile Vatican ii.

Le parti pris de l’A. consiste d’abord à prendre en compte la totalité de l’œuvre blondélienne, et non pas la seule Action de 1893, à partir de l’intention fondamentale du philosophe d’Aix. Le travail rationnel et toujours philosophique se doit d’aller au plus loin jusqu’à ce que la raison reconnaisse son insuffisance, s’ouvre à la foi, dans une relation dialogique enfin apaisée. Si aujourd’hui, encore plus qu’hier, de nombreux soupçons pèsent sur le sérieux des croyances religieuses, y compris (et peut-être surtout !) « le fait chrétien », et si celles-ci sont trop souvent comprises comme surgissant d’un sentiment qui pourrait aller jusqu’à offenser la raison, il est important de pouvoir clairement répondre à la question concernant notre prétention à la connaissance « épistémique » en matière de foi, et, dans ce domaine, Maurice Blondel peut précisément nous apporter de précieux éléments de réponse. Le travail épistémologique de l’A. ici est à souligner dans sa rigueur et sa précision mêmes.

Ce qui caractérise Blondel, c’est l’effort constant d’une vie entière passée à clarifier, au cœur de l’énigme philosophique, la question essentielle, celle de la destinée, qui va permettre dans l’analyse de l’action, de déceler la présence stimulante et vivifiante d’un profond mystère constitutif de l’être et coextensif à l’être.

La Médiation du Christ est appelée à jouer alors un rôle central, comme l’annonçait déjà la petite thèse du philosophe d’Aix sur le « Vinculum » leibnizien. Mais l’originalité du travail de l’A. vient de ce que, sans négliger ce point essentiel, il déplace notre regard et nous invite à porter notre attention surtout sur le « second Blondel », celui de la Trilogie de l’Esprit Chrétien, et enfin des Exigences philosophiques du christianisme, son dernier opus.

Si la logique de l’être peut se comprendre rationnellement, elle a une portée métaphysique évidemment et développe de manière implicite, mais aussi explicite une ontologie trinitaire (ainsi dans l’Être et les êtres) qui s’accorde sans confusion épistémologique avec les données de foi. En sorte que la pensée blondélienne est au fond autant (sinon plus !) une « philosophie de l’amour qu’une philosophie de l’action » selon l’expression d’E. Tourpe. D’où un parcours éclairant de l’affirmation philosophique à l’affirmation théologique, sans négliger l’élucidation du fameux concept de « transnaturel » élaboré par Blondel (en 1921, sans grand succès d’ailleurs) qui situe à leur place respective nature et grâce dans une articulation à la fois classique et renouvelée. La philosophie blondélienne, fondée sur une inadéquation et une inquiétude native de l’homme se découvre philosophie de l’élan spirituel tout autant que pensée – très actuelle – du Don et de l’Amour, un « charitisme » qui fait écho à ce que le premier Blondel nommait son « panchristisme ».

Avec une cohérence remarquable, l’A. montre comment le philosophe d’Aix est ainsi conduit à développer une pensée originale « sub ratione Trinitatis ». Ultimement, la vérité, toujours « symphonique », ne saurait opérer en nous que par un travail vivant, selon un processus supérieur d’accomplissement et de communion, pleinement et supérieurement réalisé en la vie même du Dieu Un et Trine.

Un travail de grande qualité, utile tant aux philosophes qu’aux théologiens, à lire avec attention et qui annonce, on l’espère, d’autres travaux blondéliens — M.-J.C.

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80