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Cet article présente une étude critique du document de la Commission théologique internationale, intitulé « L’espérance du salut pour les enfants qui meurent sans baptême ». Il en montre les richesses et les lacunes. Il appelle surtout une intervention nouvelle du Magistère de l’Église, déclarant l’incompatibilité de la théorie des limbes avec l’ensemble des données de la Révélation.

Nous voudrions, dans les pages qui suivent, revenir sur un texte qui, nous semble-t-il, n’a pas retenu toute l’attention qu’il mérite. Il s’agit du document intitulé « L’espérance du salut pour les enfants qui meurent sans baptême » (ES), rédigé par la Commission théologique internationale (CTI) et publié le 19 avril 2007 par la Congrégation pour la doctrine de la foi1.

Ce document est extrêmement utile et riche. Il offre ample matière à réflexions. Il représente même, à notre sens, un moment important de la conscience ecclésiale. Toutefois, il est par nature provisoire et présente un certain nombre de faiblesses et de difficultés.

Notre but n’est pas de rendre compte de l’intégralité de ce long texte, mais de rencontrer quelques-unes des questions qu’il pose et surtout d’appeler le complément magistériel qu’il fait nécessairement attendre.

L’apport essentiel du document est d’avoir démontré qu’« il existe des raisons théologiques et liturgiques d’espérer que les enfants qui meurent sans baptême puissent être sauvés et conduits à la béatitude éternelle » (ES Préambule).

I Hiérarchie des vérités

Dès sa première phrase, la CTI affirme qu’elle « a étudié la question du sort des enfants non baptisés en gardant à l’esprit le principe de la “hiérarchie des vérités” ». Elle cite le Décret de Vatican II, Unitatis redintegratio : « Il y a un ordre ou une “hiérarchie” des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec les fondements de la foi chrétienne » (UR 11 ; ES 42).

En vertu de cette référence, elle déclare :

Dans sa réflexion sur le salut des enfants qui meurent sans baptême, l’Église respecte la hiérarchie des vérités et commence par réaffirmer clairement la primauté du Christ et de sa grâce, qui l’emporte sur Adam et le péché.

(ES 7)

Plus loin :

Dans le contexte de la discussion sur le sort des enfants qui meurent sans baptême, le mystère de la volonté salvifique universelle de Dieu est un principe fondamental et central.

(ES 43)

Plus haut déjà :

Le point de départ de l’étude du sort de ces enfants [morts sans baptême] doit être la volonté salvifique universelle de Dieu.

(ES 41)

En reconnaissant au point de départ de la question la volonté salvifique universelle de Dieu, la CTI enregistre — et opère pour sa part — un rééquilibrage :

L’histoire de la théologie et de l’enseignement du Magistère montre (…) un développement quant à la manière de comprendre la volonté salvifique universelle de Dieu. La tradition théologique du passé (l’Antiquité, le Moyen-Âge, le début des temps modernes), en particulier la tradition augustinienne, présente souvent ce qui, par rapport aux développements théologiques modernes, apparaît comme une conception “restrictive” de l’universalité de la volonté salvifique de Dieu. Dans la recherche théologique, la perception de la volonté salvifique divine comme “quantitativement” universelle est relativement récente. Au niveau du Magistère, cette perception plus large s’est affirmée peu à peu.

(ES 33)

Le rééquilibrage concerne évidemment en premier lieu l’interprétation de l’Écriture. L’histoire montre que la réflexion théologique et pastorale a été portée à donner plus de poids au verset johannique « nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3,5)2 qu’aux versets exprimant la volonté salvifique universelle de Dieu (la CTI cite par exemple Gn 3,15 ; 22,18 ; 1 Tm 2,3-6 ; Mt 18,14 ; sur toute cette question voir ES 9,44-48, 61-65).

« Il semble y avoir une tension », dans les données bibliques, entre « la volonté salvifique universelle de Dieu d’une part, et la nécessité du baptême sacramentel d’autre part » (ES 10). Il nous est rappelé à ce sujet que : « La nécessité du baptême sacramentel est une nécessité de second ordre par rapport à la nécessité absolue de l’acte sauveur de Dieu par Jésus-Christ en vue du salut final de tout le genre humain » (ES 10).

II Historia quaestionis. Histoire et herméneutique de la doctrine catholique (ES 8-41)

Tel est le titre du premier chapitre du document. La CTI ne se contente donc pas de rappeler tous les moments importants (positions des théologiens, déclarations du Magistère, etc.) de l’histoire de la doctrine catholique concernant le sort des enfants morts sans baptême. Elle cherche en outre à en donner une interprétation précise en fonction des données de l’époque étudiée. Ces précisions sont en général très éclairantes.

Ce n’est évidemment pas ici le lieu de résumer cette histoire plus que millénaire. Nous ferons seulement quelques remarques :

1) L’exposé de la position de saint Thomas (particulièrement en ES 23), qui admettait l’existence des limbes, nous a semblé assez superficiel, du fait que cette position n’a pas été confrontée à la doctrine thomasienne importante du « désir naturel de voir Dieu »3.

2) La CTI écrit : « Dans la tradition de l’Église, l’affirmation selon laquelle les enfants qui meurent sans baptême sont privés de la vision béatifique a été longtemps une “doctrine commune” » (ES 34). « Longtemps », c’est-à-dire une quinzaine de siècles. « Doctrine commune » selon les catégories habituelles des « notes théologiques »4.

3) « Dans la phase préparatoire de Vatican II, il y eut de la part de certains le désir que le Concile affirme la doctrine commune que les enfants non baptisés ne peuvent atteindre la vision béatifique, et qu’ainsi la question soit dirimée. La Commission préparatoire centrale, qui était au fait de nombre d’arguments avancés contre la doctrine traditionnelle et du besoin de proposer une solution qui convint mieux au développement du sensus fidelium, s’opposa à cette tendance. Parce que l’on jugea que la réflexion théologique sur cette question n’avait pas atteint une maturité suffisante, la question ne fut pas mise à l’ordre du jour du Concile » (ES 28).

C’est donc à Vatican II que, pour la première fois après tant de siècles, l’existence des limbes fut dans l’Église mise en question.

4) La théorie des limbes « élaborée par les théologiens à partir du Moyen-Âge, n’a jamais pris rang parmi les définitions dogmatiques du Magistère, même si, jusqu’au Concile Vatican II, ce même Magistère a parfois mentionné cette théorie dans son enseignement » (ES Préambule ; cf. aussi ES 26). Plus loin il est dit : « Le Magistère de l’Église a spécifiquement, et peut-être providentiellement, choisi de ne pas définir, à des moments clefs dans l’histoire de la doctrine, que ces enfants [morts sans baptême] sont privés de la vision béatifique » (ES 70).

III La nécessité du baptême. L’espérance

Dans son deuxième chapitre, le document de la CTI expose les « principes théologiques » qui doivent éclairer la question posée : la volonté salvifique universelle de Dieu, l’universalité du péché et le besoin universel de salut, la nécessité de l’Église, la nécessité du baptême sacramentel, l’espérance et la prière pour le salut de tous. Nous en retiendrons deux points :

1) « Tout en regardant le baptême sacramentel comme nécessaire dans la mesure où il est la voie ordinaire établie par Jésus-Christ pour se configurer les hommes, l’Église n’a jamais enseigné la “nécessité absolue” du baptême sacramentel pour le salut ; il y a d’autres voies par lesquelles la configuration au Christ peut se réaliser » (ES 66). Le document parle en particulier du baptême de désir et du baptême de sang (ES 66 et 67 ; voir déjà 29).

2) « Les chrétiens (…) désirent avec ardeur que tous les êtres humains, y compris les petits enfants non baptisés, puissent prendre part à la gloire de Dieu et vivre avec le Christ (…). Cette espérance chrétienne est une “espérance contre toute espérance” (Rm 4,18), qui va bien au-delà de toute forme d’espoir humain » (ES 68).

Il est donc clair que l’espérance qu’autorise ES au sujet des enfants non baptisés est une espérance authentiquement chrétienne, une espérance théologale, — nous reviendrons sur ce point important — et non une forme d’espoir humain.

S’il en est ainsi, on s’étonne qu’elle soit qualifiée d’« espérance contre toute espérance » (expression expliquée dans la phrase suivante par les mots : « contre toute assurance humaine et contre toute probabilité »). Le motif de l’espérance théologale étant la bonté et la miséricorde de Dieu, sa volonté salvifique universelle, il s’agirait plutôt, nous semble-t-il, d’une « espérance selon toute espérance », — selon l’« espérance » de Dieu qui veut le salut de tous5. Le document ne va pas jusqu’au bout du renversement de perspective qu’il désire promouvoir6.

IV Gaudium et spes 22

Le document de la CTI se réfère tout au long de son texte au moins une dizaine de fois aux paragraphes de Gaudium et spes 22. Le passage le plus important nous semble être celui-ci :

Le Concile Vatican II enseigne que Dieu ne refuse pas « les secours nécessaires à leur salut » à ceux qui, sans qu’il y ait faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance explicite de Dieu, mais qui, avec l’aide de la grâce, « travaillent à avoir une vie droite ». Dieu illumine tous les hommes « pour que, finalement, ils aient la vie » (Cf. Lumen gentium 16). Le Concile enseigne encore que la grâce « agit invisiblement dans les cœurs de tous les hommes de bonne volonté » (GS 22). Ces paroles s’appliquent directement à ceux qui, ayant l’âge de raison, prennent des décisions responsables ; mais il est difficile de nier qu’elles peuvent aussi être appliquées à ceux qui n’ont pas atteint l’âge de raison. Les paroles suivantes, en particulier, semblent avoir une portée réellement universelle : « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine [cumque vocatio hominis ultima revera una sit, scilicet divina], nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (GS 22) (ES 81).

Vient ensuite une citation de saint Thomas : « “Dieu n’a pas lié sa puissance aux sacrements au point de ne pouvoir sans eux conférer l’effet sacramentel”7. Dieu peut donc donner la grâce du baptême sans que le sacrement soit conféré (…) » (ES 82).

V Le Christ, Adam originel

Le thème du Christ, Adam véritable, tient une place importante dans le document de la CTI. Il apparaît — nous l’avons déjà vu — dès le paragraphe 7 : « Dans sa réflexion sur le salut des enfants qui meurent sans baptême, l’Église respecte la hiérarchie des vérités et commence par réaffirmer clairement la primauté du Christ et de sa grâce, qui l’emporte sur Adam et le péché » (ES 7).

Au paragraphe 91, le document conclut une méditation sur Rm 5 et 1 Co 15, par ces mots : « L’Écriture enseigne certes notre solidarité de péché en Adam, mais elle l’enseigne comme le revers de l’enseignement de notre solidarité de salut dans le Christ. “La doctrine du péché originel est pour ainsi dire le revers de la bonne Nouvelle que Jésus est le sauveur de tous les hommes, que tous ont besoin du salut et que le salut est offert à tous grâce au Christ”8. Beaucoup de conceptions traditionnelles du péché et du salut (ainsi que des limbes) ont davantage mis l’accent sur la solidarité avec Adam que sur la solidarité avec le Christ (…) » (ES 91).

Plus loin : « Nous voulons insister : la solidarité de l’humanité avec le Christ (ou, plus précisément, la solidarité du Christ avec toute l’humanité) doit l’emporter sur la solidarité des hommes avec Adam. La question du sort des enfants qui meurent sans être baptisés doit être traitée dans cette lumière » (ibid.).

Si la solidarité de l’humanité avec le Christ est plus profonde que sa solidarité avec Adam, cela signifie qu’il y a une différence de niveau entre l’appartenance de tous les hommes à Adam et leur appartenance au Christ Sauveur. « Créés dans le Christ » et « pour le Christ qui est avant toute chose » (Col 1,16-17)9, leur vocation à être « fils dans le fils » est, du point de vue du dessein de Dieu qui s’effectue dans l’histoire, plus originaire que leur participation au péché d’Adam. L’« ordre » issu du péché d’Adam est second par rapport à l’ordre issu de la prédestination éternelle de Dieu — ordre rendu effectif dans l’histoire par la mort et la résurrection du Christ pour tous les hommes.

Si Dieu a créé le monde et l’homme en prévoyant bien que l’homme pécherait, c’est qu’Il avait décidé que le fils s’incarnerait pour le sauver et que se réaliserait ainsi son dessein de le diviniser et de le conduire à la béatitude en Lui. Le péché serait manifesté comme incapable d’empêcher que le dessein de Dieu ne s’accomplisse.

Le péché originel est originel en premier lieu parce qu’il s’oppose à quelque chose de plus originel que lui : l’amour de Dieu prédestinant les hommes à la vie éternelle auprès de Lui.

La volonté salvifique universelle de Dieu ne concerne pas un salut quelconque ; elle est une volonté bien définie : faire de tous les hommes des fils et les mener à la vision bienheureuse de Lui-même.

Il y a donc dans tous les êtres humains quelque chose de plus originel que le péché originel : c’est leur ordination à la grâce et au salut que le Christ leur a mérité sur la croix10. Leur inclusion dans le Christ est plus profonde que leur inclusion en Adam. Et de même que leur inclusion en Adam a en eux un effet intrinsèque : état de péché, concupiscence, mortalité, souffrance, on est obligé de penser que leur inclusion dans le Christ, leur ordination à la grâce et au salut, imprime également en eux, antérieurement même à leur acte de foi, une marque intrinsèque ; elle implique une inscription dans leur être même : un désir de la grâce, un désir de la justification, un désir de la béatitude qui leur est destinée11. S’il en était autrement, que signifierait encore leur « création dans le Christ » ? Il faut donc dire que tous les hommes appartiennent en droit et en fait au Christ Sauveur avant d’appartenir à Adam. Appartenance qu’il ne faut pas entendre en un sens purement juridique ou forensique, mais en un sens qu’on doit bien appeler ontologique, c’est-à-dire affectant leur être en son dynamisme le plus profond12.

On est ainsi amené à penser qu’en ce qui concerne le sort des enfants non baptisés, ce n’est pas le péché originel qui a le dernier mot, mais qu’en vertu du salut que le Christ leur a mérité, Dieu leur offre de les libérer de leur lien au péché originel et d’avoir ainsi accès à la vision béatifique à laquelle ils aspirent de tout leur être.

C’est pratiquement à cette conclusion, nous semble-t-il, que la CTI conduit.

Le fait que, dans le sacrement de baptême, Dieu enlève l’obstacle (le péché originel originé) à la vision béatifique est le signe, non seulement qu’Il peut le faire également pour les non baptisés, mais qu’Il le fait. Et Il le fait parce qu’Il l’a fait à travers la mort et la résurrection du Christ. Il l’a fait pour tous. Il incombe seulement à tous d’accueillir, par un acte de liberté, cette rémission du péché originel, ce pardon, cet accès à l’union et à la vision de Dieu.

Il le fait, disons-nous, pour les non baptisés. Et comment le fait-il ? Mais comme dans le baptême, en unissant le non baptisé au mystère pascal de son fils (cf. GS 22).

En vérité, les théologiens que nous sommes réfléchissent souvent à rebours de la logique chrétienne de l’élection (les baptisés sont choisis, élus par Dieu). Ceux qui sont visiblement élus dans le baptême sont le signe de l’élection invisible des non baptisés13. Du fait que le baptême est nécessaire au salut, nous doutons du salut des non baptisés. C’est que nous n’avons pas compris de quel type de nécessité il s’agit. Nous l’avons ravalé à un type de nécessité presque utilitaire, alors qu’il s’agit d’une nécessité beaucoup plus profonde.

Lorsqu’un baptême sacramentel est célébré, son efficacité et sa portée ne se limitent pas seulement au baptisé, à la communauté qui l’entoure, à toute l’Église. Il a une signification pour l’humanité tout entière. Il est un signe, un symbole (au sens le plus fort du mot) de ce que Dieu veut faire pour tous.

Selon la même logique mutilée dont nous venons de parler, nous craignons que l’ouverture pour des raisons de foi au salut des non baptisés ne conduise à une « atténuation de la nécessité du baptême ou à une justification pour retarder l’administration du sacrement » (ES 103). En réalité, c’est le contraire qui est vrai. Cette ouverture pour des raisons de foi ne fait que renforcer la nécessité du baptême, au sens symbolique dont nous venons de parler.

VI Oubli de la médiation mariale

ES n’a consacré à la Vierge Marie que quelques lignes14.

Dans la Somme théologique, saint Thomas se demande : « Était-il nécessaire d’annoncer à la bienheureuse Vierge son enfantement ? » Une des raisons qu’il avance est celle-ci : par l’annonciation, « il se manifestait qu’un mariage spirituel était contracté entre le fils de Dieu et la nature humaine. Voilà pourquoi l’annonciation a demandé le consentement de la Vierge, au nom de la nature humaine tout entière (per annuntiationem expectabatur consensus Virginis loco totius naturae humanae) »15.

Karl barth, dans sa Dogmatique, résume avec exactitude la « mariologie catholique » : « En résumé, l’intention de la doctrine mariale est claire : Marie reçoit la grâce en lieu et place de toute l’humanité (loco totius humanitatis) »16.

La Vierge Marie a dit oui au salut apporté par le Christ au nom de tous les êtres humains et ce oui — qu’ils le sachent ou non — ne leur reste pas extérieur, il affecte leur être profond. Non seulement, aussi longtemps qu’il n’est pas renié par un acte libre, il existe au nom de chacune et de chacun devant Dieu, mais il laisse en chacune et chacun une trace. Tous les hommes participent au péché originel, mais ils participent aussi au « oui originel » de Marie. La causalité mariale, comme la causalité christique, est plus profonde que la causalité adamique. Marie est vraiment la mère de tous. Elle a dit oui en leur nom et elle les a introduits dans l’ordre du salut.

Cette vérité mariale est à considérer dans la question du salut des enfants morts sans baptême.

Rappelons à ce propos quelques textes importants de Lumen gentium : Marie est « Mère du Christ et mère des hommes, spécialement des fidèles » (LG 54) ; « Le Père des miséricordes a voulu que l’acceptation de la mère prédestinée précédât l’incarnation, afin que par-là, de même qu’une femme avait contribué à donner la mort, de même une femme contribuât à donner la vie. Et cela vaut d’une manière extraordinaire pour la Mère de Jésus, qui a donné au monde la Vie même qui renouvelle tout. (…) C’est à juste titre que les Saints Pères estiment que Marie ne fut pas un instrument uniquement passif dans les mains de Dieu, mais qu’elle coopéra au salut de l’homme avec une foi et une obéissance libres. En fait, comme le dit saint Irénée “en obéissant, elle est devenue cause du salut pour elle-même et pour tout le genre humain” » (LG 56 ; nous soulignons).

En tant que « figure de l’Église » (LG 63, 65, 68), Marie personnifie — c’est-à-dire a exercé et exerce — « la médiation maternelle de l’Église » (ES 29), — cette médiation dont la CTI enseigne avec raison la nécessité pour le salut de tous (ES 57-60).

H.-U. von Balthasar a distingué dans le mystère de l’Église son aspect hiérarchique et son aspect marial. Les membres de la CTI sont manifestement plus sensibles à l’aspect hiérarchique (le prêtre est le ministre ordinaire du baptême sacramentel), ce qui les a conduits à ignorer pratiquement l’aspect marial de la question qu’ils traitent.

La médiation de Marie est un des éléments importants de la sacramentalité de l’Église.

VII Le consentement libre, nécessaire à la béatitude

Le document de la CTI bute à plusieurs reprises sur le problème suivant.

Le petit enfant n’est pratiquement pas capable de fournir l’acte personnel entièrement libre et responsable qui constituerait une substitution au baptême sacramentel ; un tel acte entièrement libre et responsable s’enracine dans un jugement de la raison et ne peut être accompli avant que la personne ait atteint un usage suffisant ou approprié de la raison (aetas discretionis : « l’âge de discrétion »).

(ES 29)

Les êtres humains ont reçu le bienfait de la liberté, et une libre acceptation du Christ est le moyen ordinaire du salut ; nous ne sommes pas sauvés sans que nous l’acceptions, et certainement pas contre notre volonté. Tous les adultes prennent une décision, explicite ou implicite, vis-à-vis du Christ qui s’est uni à eux (cf. GS 22). Certains théologiens modernes considèrent que l’option pour ou contre le Christ est impliquée dans tous les choix. Cependant, c’est précisément l’absence de libre arbitre et de choix responsable chez les enfants qui nous mène à nous demander qu’elle est leur position vis-à-vis du Christ s’ils meurent sans baptême.

(ES 93)

(Le) salut objectif doit être subjectivement approprié (…), d’ordinaire par l’exercice personnel du libre arbitre en faveur de la grâce chez les adultes, avec ou sans le baptême sacramentel, ou chez les enfants par la réception du baptême sacramentel. La situation des enfants non baptisés pose problème, précisément à cause de l’absence présumée du libre arbitre chez eux.

(ES 88 ; cf. aussi 25,94)

D’une part, donc, la CTI pose la nécessité d’une appropriation par un acte libre de la grâce du salut et d’autre part, elle semble penser qu’en cas de mort d’un enfant baptisé, une telle coopération de la liberté ne serait pas nécessaire : le sacrement suffirait à faire entrer, automatiquement, dans la béatitude éternelle : « L’enfant qui meurt avec le baptême est sauvé par la grâce du Christ et par l’intercession de l’Église, même sans sa coopération » (ES 7 ; cf. aussi 83 et 88 ; nous soulignons).

N’y a-t-il pas là une contradiction ?

La CTI cite — nous l’avons déjà évoqué — une dizaine de fois GS 22 où il est dit que « l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » ; elle reconnaît que ces paroles « semblent avoir une portée réellement universelle » et pourraient donc concerner le sort des enfants morts sans baptême (ES 81).

Nous pensons qu’une telle « association au mystère pascal » ne peut avoir lieu qu’à travers un acte libre (de quelque manière qu’on l’explique) et qu’un bonheur automatique, imposé, non choisi, non fait sien par un acte de la liberté, n’est pas un vrai bonheur. La béatitude est de l’ordre de l’amour. Elle implique donc un consentement libre.

Cela vaut pour tous les êtres humains, enfants ou adultes et donc aussi pour tous ceux, baptisés ou non, qui meurent sans avoir atteint l’âge de raison.

De ce point de vue on est étonné que le document de la CTI, qui fait référence dans ses notes à de nombreux théologiens modernes et qui évoque des positions aussi hasardeuses que celle qui envisage la possibilité d’un acte libre dans le sein maternel (ES 94, n. 127), ne fasse aucune allusion aux théologiens qui ont mis en lumière la possibilité d’un acte libre au moment de la mort : É. Mersch17, R. Troisfontaines18, f.-x Durrwell19, par exemple.

Le mystère de la mort est un des éléments-clés du problème étudié ; malheureusement, le document de la CTI ne le médite guère20. En ce qui concerne l’appropriation libre subjective de la béatitude par les êtres humains morts avant l’âge de raison, baptisés ou non, il reste dans l’aporie.

Nous croyons personnellement qu’au moment de leur mort, le Dieu d’amour, la Sainte Trinité, offre aux enfants non baptisés de pouvoir consentir librement au salut qui leur a été mérité par le Christ et qu’il leur donne de pouvoir faire leur le oui à ce salut qui a été prononcé en leur nom par la Mère de Dieu, Mère de tous les hommes21.

VIII Critique de la théorie des limbes

Il faut être reconnaissant à la CTI de nous avoir offert une critique vigoureuse de la théorie des limbes. Dès le début de ES, nous sommes prévenus :

L’idée des limbes, que l’Église a utilisée pendant des siècles pour désigner le sort des enfants qui meurent sans baptême, n’a pas de fondement clair dans la Révélation, même si elle a longtemps été utilisée dans l’enseignement théologique traditionnel. De plus, penser que les enfants qui meurent sans baptême sont privés de la vision béatifique, ce qui a été depuis si longtemps considéré comme la doctrine commune de l’Église, suscite de nombreux problèmes pastoraux, à un point tel que beaucoup de pasteurs d’âmes ont réclamé une réflexion plus approfondie sur les voies du salut.

(ES 3)

Plus loin, il nous est dit :

Les Écritures mettent toute l’humanité sans exception en relation avec le Christ. Une faiblesse majeure de la conception traditionnelle des limbes est le fait qu’il n’est pas clair de savoir si les âmes qui y sont ont une relation quelconque au Christ ; le caractère christocentrique de la théorie semble déficient. Dans certaines conceptions, les âmes des limbes semblent posséder un bonheur naturel qui appartient à un ordre différent de l’ordre surnaturel, dans lequel les hommes effectuent un choix pour ou contre le Christ.

(ES 90)

Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé ! Tel est le vigoureux enseignement de l’Écriture. or l’idée des limbes semble restreindre cette surabondance. (…) beaucoup de conceptions traditionnelles du péché et du salut (ainsi que des limbes) ont davantage mis l’accent sur la solidarité avec Adam que sur la solidarité avec le Christ.

(ES 91)

Même si un ordre purement naturel est concevable, de fait, aucune existence humaine ne se déroule dans un tel ordre. L’ordre réel est surnaturel.

(ES 95)

Finalement, les théologiens de la CTI affirment :

Nous considérons une telle solution [les limbes] comme problématique et nous désirons indiquer que d’autres approches sont possibles, fondées sur l’espérance d’une grâce rédemptrice accordée aux enfants qui meurent sans baptême et qui leur ouvre la voie du ciel. Nous pensons que, dans le développement de la doctrine, la solution des limbes peut être dépassée à la lumière d’une plus grande espérance théologique.

(ES 95)

Après de telles déclarations et après la lecture de l’ensemble du document, on s’attendrait à ce que la CTI conclue à l’incompatibilité de la théorie des limbes avec l’ensemble des données de la Révélation. Malheureusement, ce n’est pas le cas. La Commission n’a pas osé aller jusqu’au bout de sa pensée. À deux reprises, elle maintient que la théorie des limbes « demeure une hypothèse théologique possible » (ES Préambule), « demeure une opinion théologique possible » (ES 41)22.

IX Certitude de l’espérance

Le document de la CTI conclut en ces termes : « Notre conclusion est que les multiples facteurs que nous avons examinés ci-dessus donnent des fondements théologiques et liturgiques sérieux pour espérer que les enfants qui meurent sans baptême seront sauvés et jouiront de la vision béatifique » (ES 102).

Ces « fondements théologiques et liturgiques » relèvent de la connaissance de foi et comportent, — à des degrés divers, il est vrai — la certitude propre à cette connaissance. on s’interroge donc sur le sens exact de la phrase qui suit immédiatement celle que nous venons de citer : « Nous soulignons que ce sont des raisons d’espérer dans la prière, plutôt que des fondements d’une connaissance certaine » (ES 102). Pourquoi cette restriction23 ? Pourquoi cette opposition entre prière et théologie, entre espérance et foi ?

Cette restriction nous oblige de nouveau à nous poser des questions sur la nature de l’espérance qu’ES entend promouvoir. Nous l’avons vu, cette espérance ne se veut pas simple espoir humain, mais « espérance [vraiment] chrétienne » (ES 9), espérance théologale.

Saint Thomas — qui, par ailleurs, nous enseigne que l’on peut espérer pour autrui24 — affirme que la certitude de l’espérance est une participation de la certitude de foi25.

Le p. Michel Labourdette, commentant le Docteur angélique, écrit :

ce qui est particulier [à la certitude de l’espérance] c’est que précisément le sujet humain, de qui seul peut venir l’échec, n’entre absolument pas dans le motif propre de l’espérance. Ce n’est pas sur soi qu’on compte pour obtenir la béatitude ; c’est uniquement sur Dieu et cela ne peut pas tromper. (…) Ce n’est donc pas seulement au titre de la certitude de foi qui est à sa racine comme certitude intellectuelle spéculative que l’espérance est absolument certaine : c’est bien en elle-même, comme tendance, en cette certitude participée qui la caractérise en propre et qui se tire de son motif. C’est dans l’espérance même qu’elle se trouve. (…) Ce qui reste « conditionnel », c’est la certitude intellectuelle de notre salut ; mais ce n’est pas elle qui est à la source de l’espérance et elle ne caractérise pas sa tendance, sa sécurité26.

La « connaissance certaine » par rapport à laquelle la CTI prend ses distances serait-elle la certitude propre à l’espérance si bien mise en lumière par le p. Labourdette ? Nous ne le croyons pas, mais l’ambiguïté de la phrase que nous examinons pourrait le laisser penser et ainsi grever d’incertitude l’espérance que par ailleurs ES a voulu fonder.

Peut-être la CTI a-t-elle voulu rappeler discrètement l’affirmation bien connue du Concile de Trente : « Que personne (…) ne se promette rien de sûr [en ce qui concerne le salut] avec une certitude absolue, bien que tous doivent placer et faire reposer dans le secours de Dieu la plus ferme espérance » (DS 1541) ? ou bien, laisser entendre que, seul, le baptême sacramentel procure avec certitude aux êtres humains qui meurent sans avoir atteint l’âge de raison la béatitude éternelle ?

Nous pensons que la CTI a amplement fondé au plan de la foi l’espérance dont elle parle, mais elle a fragilisé sa position de deux manières : 1) en distinguant in fine d’une manière ambiguë « raisons d’espérer » et « fondements d’une connaissance certaine » rendant ainsi incertaine l’espérance dont il est parlé ; 2) en refusant de déclarer nettement que la théorie des limbes est théologiquement impossible27.

C’est un des leitmotive de ES que de citer 1 P 3,15-16 sur la nécessité pour les chrétiens d’être toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en eux (cf. ES 1, 9, 41, 68, 78), mais le document s’interdit de pouvoir le faire jusqu’au bout en ce qui concerne le salut des enfants non baptisés, pour les deux motifs que nous venons d’indiquer.

Un des auteurs du document que nous étudions, le p. Gilles Emery28, dans un article de Nova et Vetera 29, l’interprète à la lumière d’une Instruction de la Doctrine de la foi datant de 1980, Pastoralis actio 30. De celle-ci, le p. Emery cite à deux reprises31 le n. 13 : « Ainsi, par sa doctrine et sa pratique, l’Église a montré qu’elle ne connaît pas d’autre voie, hormis le baptême, pour procurer avec certitude aux petits enfants l’entrée dans la béatitude éternelle »32. Il commente :

(…) cette affirmation centrale concerne la connaissance que l’Église a reçue de la Révélation divine. (…) [Elle] souligne la certitude d’une telle connaissance ; l’Instruction Pastoralis actio n’exclut pas que Dieu puisse sauver les petits enfants (parvuli) par d’autres moyens, mais de tels moyens n’ont pas été portés à la connaissance de l’Église avec la certitude qui caractérise proprement la connaissance de foi33.

Nous retrouvons là les concepts (connaissance, certitude, révélation) du n. 102 de ES. Personnellement, nous pensons qu’ES a démontré qu’il existe, aux yeux de l’Église, d’autres voies que le baptême sacramentel pour procurer avec certitude aux petits enfants l’entrée dans la béatitude éternelle34. Le n. 13 de Pastoralis actio nous paraît très contestable et l’interprétation de ES par le p. Emery trop restrictive, à cause de son exclusivisme (seul, le baptême sacramentel procure avec certitude le salut des petits enfants ; cf. plus haut notre n. 13).

Ce n. 102 de ES justifie son « apophatisme » (cf. ES 14,41) de la manière suivante : « Il y a beaucoup de choses qui, tout simplement, ne nous ont pas été révélées (Jn 16,12) »35. Désirerait-on une révélation explicite de Dieu au sujet du sort des enfants morts sans baptême ? Ici encore l’histoire de la théologie mariale est éclairante : l’exemple des dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption nous montre clairement qu’avec l’aide de l’Esprit-Saint (Jn 14,26), l’Église peut parvenir à des certitudes de foi au sujet de vérités qui ne nous ont été révélées que d’une manière implicite.

Revenons encore un instant sur la restriction posée par ES 102 : « Nous soulignons que ce sont des raisons d’espérer dans la prière, plutôt que des fondements d’une connaissance certaine ». En d’autres termes, nous ne pouvons pas avoir, au plan de la foi et de la théologie, de « connaissance certaine » quant au salut des enfants morts sans baptême.

On est tenté, à première vue, de donner raison à la CTI. La théologie qui déclarerait que les enfants morts sans baptême vont au ciel ne commettrait-elle pas une erreur symétrique de celle qui, pendant quinze siècles, les a envoyés soit en enfer, soit aux limbes ? La théologie ne doit-elle pas se taire sur ces sujets et respecter le mystère de l’alliance ultime de chaque liberté humaine avec la liberté divine ?

Et pourtant ! La théologie et, actuellement, la liturgie de l’Église36, n’hésitent pas à affirmer avec certitude la présence dans la gloire du Dieu Trinité des enfants qui ont été baptisés ; l’Église croit au salut des saints Innocents et Jean-Paul II affirme que les enfants avortés sont auprès du Seigneur37

Ce que Dieu fait dans le sacrement de baptême (associer les baptisés au mystère pascal du Christ et ainsi les libérer du péché originel) est le signe 38 de ce qu’il veut faire pour les enfants non baptisés et puisqu’il « peut donner la grâce du baptême sans que le sacrement du baptême soit conféré » (ES 82), il le fait39. Au moment de leur mort, les enfants non baptisés ne sont retenus par aucun péché personnel pour acquiescer au salut qui leur est offert.

Par conséquent, l’Église peut non seulement croire en leur salut, mais elle le doit40.

L’espérance du salut des enfants qui meurent sans avoir été baptisés est donc fondée au plan de la foi41.

On nous objectera que si le salut des enfants morts sans baptême est objet de « connaissance certaine », il n’est plus objet d’espérance. Nous répondons : l’espérance de leur salut ne consiste pas seulement à être sûrs qu’ils sont sauvés, mais à espérer qu’un jour nous les retrouverons auprès de Dieu.

Résumons-nous.

Nous savons avec certitude qu’il existe d’autres voies que le baptême sacramentel pour être associé au mystère pascal du Christ. Et nous croyons que ces voies, non seulement peuvent procurer le salut, mais qu’elles le procurent effectivement.

Affirmer que, seul, le baptême sacramentel procure avec certitude le salut aux enfants, c’est rendre incertain le salut qui leur est procuré par d’autres voies ; c’est, par le fait même, rendre incertaine l’espérance du salut des enfants non baptisés.

Nous pensons que, sur ce point comme sur d’autres, le document de la CTI n’échappe pas à certaines contradictions.

À notre avis, ce document a montré qu’il y a des raisons théologiques d’affirmer le salut des enfants non baptisés non seulement comme possible, mais comme réel.

Nous ne prétendons évidemment pas connaître les intentions de ES mieux que ses rédacteurs mais nous pensons que, de la somme de données fournies par ce document, il est permis de déduire des conclusions plus ouvertes que celles qui nous sont livrées en son numéro 102.

X Et maintenant ?

Le document de la CTI est un document magistériel puisqu’après l’avoir approuvé lui-même, le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal William Levada, l’a soumis à l’approbation du pape Benoît XVI, qui l’a accordée le 19 janvier 2007 et en a ordonné la publication.

De son côté, après avoir retracé et interprété toute l’histoire de la doctrine concernant le sort des enfants morts sans baptême, la CTI a conclu sa critique de la théorie des limbes par ces mots : « Nous pensons que, dans le développement de la doctrine, la solution des limbes peut être dépassée à la lumière d’une plus grande espérance théologique » (ES 95). Cette conclusion représente un moment important de la pensée de l’Église sur le sujet, mais elle dit aussi clairement qu’un « dépassement » doit encore intervenir. Il s’agit maintenant que, par un acte décisif du Magistère, la théorie des limbes soit déclarée théologiquement impossible comme incohérente avec l’ensemble des données de la Révélation42.

Il suffirait que le Magistère reconnaisse officiellement que tel est l’aboutissement du sensus fidelium et de la recherche théologique actuelle qui en rend compte, en accord avec ce qu’a affirmé le dernier Concile : « cumque vocatio hominis ultima revera una sit, scilicet divina : puisque la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine » (GS 22,5).

C’est une histoire douloureuse et peu glorieuse pour l’Église que celle de la doctrine concernant le sort des enfants morts sans baptême. Un des mérites de ES est de l’avoir bien fait sentir et comprendre. Cette doctrine a causé pendant quinze siècles d’innombrables souffrances. Qu’on se souvienne seulement qu’« avant Vatican II, il n’existait pas dans l’Église latine de rite des funérailles pour les enfants morts sans baptême et [qu’] ils étaient enterrés en terre non consacrée » (ES 100).

Le Magistère de l’Église a un devoir de réparation par rapport à ces souffrances. Il ne pourra l’honorer qu’en déclarant publiquement l’impossibilité théologique de la théorie en question.

Faut-il encore parler des limbes ? demandions-nous en commençant. Espérons que bientôt on n’en parlera plus que comme d’un mauvais souvenir. Mais puisqu’on en a parlé dans l’Église durant tant de siècles, il faut que l’Église, encore une fois, en parle…

Notes de bas de page

  • 1 Doc. cath. 2387 (7 oct. 2007), p. 852-879.

  • 2 Ce verset a été généralement compris comme visant le sacrement du baptême. Aujourd’hui certains exégètes nuancent ou mettent en question cette interprétation. Cf. la note 94 de ES. Jn 3,5 a été souvent utilisé d’une manière que nous qualifierions aujourd’hui de « fondamentaliste », isolément, sans référence à l’ensemble de l’Écriture.

  • 3 L’expression « désir naturel de voir Dieu » ne se rencontre pas une seule fois dans le document. Nous nous sommes étonné du silence complet réservé au père de Lubac et à sa théologie dans ES : cf. J.-M. Hennaux, « Note relative au document de la Commission théologique internationale sur la question des limbes », Bulletin de l’Association Internationale Cardinal Henri de Lubac, t. XI, 2009, p. 27-30. « De par la volonté de Dieu, je n’ai pas aujourd’hui d’autre fin réelle, c’est-à-dire réellement assignée à ma nature et offerte sous quelques espèces que ce soit, à mon adhésion libre, que de “voir Dieu” » (H. de Lubac, Le mystère du surnaturel, coll. Théologie 64, Aubier, Paris, 1965, p. 81). Sur toute cette question, on pourra se reporter à M. Sales, L’être humain et la connaissance naturelle qu’il a de Dieu dans la pensée du P. Henri de Lubac, Parole et Silence, Paris, 2003, p. 39-57.

  • 4 La CTI n’hésite pas à parler de « tradition de l’Église » ou de « doctrine traditionnelle » à propos d’affirmations qui ont été « longtemps » tenues et qui se sont révélées erronées par la suite. Il nous semble que cet usage banal, non théologique, des mots « tradition » et « traditionnel » est regrettable, surtout dans un texte de nature théologique qui engage la réflexion en la situant par rapport à cette « tradition ».

  • 5 Répondant à la volonté salvifique universelle de Dieu, l’espérance n’est-elle pas de soi universelle ? « L’espérance porte sur le salut de tous les hommes — et c’est seulement dans la mesure où je suis englobé en eux qu’elle porte sur moi » (J. Daniélou, Essai sur le mystère de l’histoire, Paris, Seuil, 1953, p. 340).

  • 6 Dans ce deuxième chapitre du document se trouve une note déconcertante : la note 98. Elle concerne un des passages les plus émouvants de l’Encyclique Evangelium vitae. Le pape Jean-Paul II s’y adresse aux femmes qui ont recouru à l’avortement et il leur dit : « Vous vous rendrez compte que rien n’est perdu et vous pourrez aussi demander pardon à votre enfant qui vit désormais dans le Seigneur. » La CTI fait remarquer que ce paragraphe 99 de l’Encyclique a été modifié dans l’editio typica d’Evangelium vitae. La phrase que nous venons de citer a été supprimée et remplacée par celle-ci : « Vous pouvez confier avec espérance votre enfant à ce même Père et à sa miséricorde. » Nous avouons avoir trouvé quelque peu surprenant le fait que la foi spontanée du pape Jean-Paul II dans le salut auprès de Dieu des enfants avortés ait été censurée par les théologiens de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, suivis par ceux de la CTI.

  • 7 Summa Theologiae III, q. 64, a. 7, corpus.

  • 8 Catéchisme de l’Église Catholique 389. Ce paragraphe du CEC est également cité en ES 56.

  • 9 Le document de la CTI prend en compte notre « création dans le Christ » surtout dans les paragraphes 41 et 92.

  • 10 ES 30 parle de « l’ordination de tous les êtres humains au Christ et à la Rédemption qu’il nous a acquise » (cf. aussi ES 60).

  • 11 Si tel est le cas, il y a en tout être humain, un désir des effets du baptême, désir proche du « baptême de désir »…

  • 12 Selon la Constitution Gaudium et spes, « la dignité humaine se trouve dans la vocation de l’homme à communier avec Dieu » ; elle spécifie que « l’invitation que Dieu adresse à l’homme de dialoguer avec lui commence avec sa venue au monde » (GS 19, cité par ES 31). Le baptême n’est pas seulement « rémission du péché originel » (Concile de Trente) ; il est aussi célébration de la « création dans le Christ », c’est-à-dire de l’appartenance au Christ Sauveur, plus originelle que l’appartenance à l’Adam pécheur. Le péché originel est originel d’abord en ce sens qu’il s’oppose à un Amour plus originel que lui. on peut voir à ce propos le beau livre du p. J.-M. Maldamé, Le péché originel. Foi chrétienne, mythe et métaphysique, coll. Cogitatio fidei 262, Paris, Cerf, 2008.

  • 13 L’élection d’Israël est signe de l’élection des nations païennes ; elle est inclusive, non exclusive. ES parle de la relation de Dieu à Israël comme d’un « amour préférentiel » ayant une « portée universelle » (ES 43-44). Réduire l’élection d’Israël à une « préférence » n’est pas sans conséquence pour la compréhension du rapport singulier/universel.

  • 14 En voici le texte : « Nous pouvons peut-être comparer ce cas [le salut des enfants morts sans baptême] au don immérité que Dieu fit à Marie dans son Immaculée Conception, par lequel il a simplement agi en lui accordant par avance la grâce du salut dans le Christ » (ES 87). Marie a été préservée du péché originel, les enfants doivent en être libérés. Le dogme de l’Immaculée Conception nous fait mieux comprendre que la causalité du péché d’Adam ne s’exerce qu’en dépendance et en soumission à une causalité plus puissante et plus profonde, celle de la grâce rédemptrice du Christ. En préservant Marie du péché originel et, croit-on habituellement, de la concupiscence, le Christ Sauveur manifeste sa seigneurie, sa maîtrise, sur la diffusion du péché originel et sur ses conséquences, sur tout le dynamisme de péché présent dans l’histoire humaine depuis Adam. Il ne permet au péché d’Adam de se communiquer que pour en être vainqueur et pour en tirer un plus grand bien. On pourrait expliciter Rm 5,15 de la manière suivante : « il n’en va pas de la diffusion du don de la grâce comme de la diffusion de la faute ». La diffusion de la grâce s’effectue avec une puissance tellement plus grande (cf. ES 7, 54, 91, 93) ! On est donc conduit à croire — nous l’avons déjà dit —, en ce qui concerne le sort des enfants morts sans baptême, que le péché originel n’a pas pour eux le dernier mot, mais que Dieu leur offre d’avoir accès à la grâce qui leur a été méritée par le Christ et de pouvoir connaître ainsi l’exaucement du désir le plus profond qui les constitue, leur création dans le Christ et pour le Christ.

  • 15 Summa Theologiae III, q. 30, a. 1, corpus. Voir la note très éclairante du p. J.-P. Torrell dans Thomas dAquin, Somme Théologique, t. 4, Paris, Cerf, 1986, p. 231.

  • 16 K. Barth, Dogmatique, vol. I, t. II, 1, par. 15, Genève, Labor et fides, 1954, p. 134.

  • 17 É. Mersch, La théologie du Corps mystique, Paris, DDb, 1944, t. I, p. 313322.

  • 18 R. Troisfontaines, « Je ne meurs pas… », Paris, éd. Universitaires, 1960, p. 128-142.

  • 19 F.-X. Durrwell, Le Christ, l’homme et la mort, Paris, Médiaspaul, 1991 : « Jésus ne serait pas mort pour tous, si du moins dans leur mort, il n’était pas offert à tous, afin qu’ils puissent s’unir à lui dans sa mort salvifique » (p. 26-27) ; voir aussi p. 16-19, 27, 44-45.

  • 20 Il en reste à la position la plus classique : la mort met un terme à la possibilité de poser un acte libre.

  • 21 « L’âme humaine unit en elle deux images originelles : l’image du fils de Dieu et celle de la Mère de Dieu » (Mère Marie Skobtsov, Le sacrement du frère, coll. Le Sel de la terre, Paris, Cerf, 1994, p. 103).

  • 22 Remarquons les termes utilisés : « hypothèse », « opinion ».

  • 23 Car il s’agit bien d’une restriction. Le rejet de la certitude ne concerne pas les « fondements théologiques et liturgiques » dont on vient de parler, ni les « raisons d’espérer » (nous soulignons), mais bien l’espérance qui en résulte. A celle-ci on retire, on dénie, la qualité de « connaissance certaine ».

  • 24 Summa Theologiae, II-II, q. 17, a. 3, corpus. Il vaut la peine de citer ce texte : « Si l’on présuppose une union d’amour avec autrui, alors on peut désirer et espérer un bien pour autrui comme pour soi-même. En ce sens, on peut espérer pour autrui la béatitude éternelle, en tant qu’on lui est uni par l’amour. Et de même que c’est l’unique vertu de charité qui nous fait aimer Dieu, nous même et le prochain, de même aussi c’est par une seule vertu d’espérance qu’on espère pour soi-même et pour autrui. »

  • 25 Summa Theologiae, II-II, q. 18, a. 4, corpus.

  • 26 M. Labourdette, L’Espérance, « Grand cours » de théologie morale, t. 9, bibliothèque de la Revue thomiste, Parole et Silence, Paris, 2012, p. 85-86.

  • 27 Pour pouvoir espérer avec certitude le salut des enfants morts sans baptême, il faut croire que Dieu ne veut pas pour eux d’autre fin que la vision béatifique. Ce qui est d’ailleurs la position de ES…

  • 28 Cf. ES Note préliminaire, où sont donnés les noms des membres de la sous-commission spécialement chargée de la rédaction du document.

  • 29 G. Emery, « Le baptême des petits enfants », Nova et Vetera 87 (2012), p. 7-23.

  • 30 « Instructio Pastoralis actio de baptismo parvulorum », Acta Apostolicae Sedis 72 (1980), p. 1137-1156 ; « Instruction sur le baptême des petits enfants », La Doc. cath. 1797 (1980), p. 1107-1113. Cette Instruction est citée explicitement par ES 5 et, implicitement, par ES 29.

  • 31 G. Emery, « Le baptême des petits enfants » (cité supra n. 29), p. 8 et 23.

  • 32 Cette phrase du n. 13 de Pastoralis actio se retrouve presque mot pour mot en ES 29, dans un paragraphe qui concerne le décret pour les Jacobites porté par le Concile de florence en 1442. Elle se présente comme une explication du décret.

  • 33 G. Emery, « Le baptême des petits enfants » (cité supra n. 29), p. 8.

  • 34 « L’Église n’a jamais enseigné la “nécessité absolue” du baptême sacramentel pour le salut ; il y a d’autres voies par lesquelles la configuration au Christ peut se réaliser » (ES 66).

  • 35 ES 79 disait déjà : « Il faut clairement reconnaître que l’Église n’a pas une connaissance certaine au sujet du salut des enfants non baptisés qui meurent. Elle connaît et célèbre la gloire des saints innocents, mais le sort général des enfants qui meurent sans baptême ne nous a pas été révélé, et l’Église n’enseigne et ne juge qu’en ce qui concerne ce qui a été révélé. » Ne faut-il pas distinguer entre, d’une part, ce que le document de la CTI affirme ici ou là et ce que, d’autre part, il démontre implicitement par nombre d’autres réflexions et de données ?

  • 36 « Nous croyons que ce petit enfant a déjà pris place dans ton royaume » (Rituale Romanum, Ordo Exsequiarum, Editio typica, Typis polyglottis Vaticanis, 1969, Oratio 223, pro parvulo defuncto : « ut cum hoc parvulo N., quem in regno tuo iam credimus commorari… » Cette oraison est citée par le p. Emery dans l’article que nous avons mentionné. Le père commente : « Soulignons que c’est sa foi (credimus) que l’Église professe ici » (G. Emery, « Le baptême des petits enfants » [cité supra n. 29], p. 20).

  • 37 Cf. plus haut n. 6.

  • 38 Cf. ce que nous disons plus haut en fin de notre paragraphe V.

  • 39 ES se rapproche de la logique mise en œuvre par nous au n. 87 : « Il est (…) possible que Dieu agisse simplement en accordant le don du salut aux enfants non baptisés, par analogie avec le don du salut accordé sacramentellement aux enfants baptisés » (nous soulignons).

  • 40 Dès son n. 1, ES parle de « l’espérance que les chrétiens peuvent avoir quant au salut des enfants qui meurent sans baptême » (ES 1 ; nous soulignons). Il eût mieux valu écrire : « …doivent avoir… ». Le document désire, au plan pastoral, apporter une consolation aux parents chrétiens dont un enfant est mort sans avoir été baptisé. Dire à ces parents : « Votre enfant peut être sauvé » ne leur apportera pas la paix. À notre sens, on peut leur dire en toute vérité : « Votre enfant est dans la joie auprès de Dieu ».

  • 41 Une « assurance morale » comme celle dont parle ES 2 ne suffit pas.

  • 42 Beaucoup de lecteurs trop rapides ont cru que c’était chose faite par la publication de ES. Nous l’avons constaté dans de nombreuses conversations. Nous avons pu lire dans le journal Le Monde du 25 sept. 2012, p. 22, que « l’Église catholique supprima officiellement [les limbes] (par l’intermédiaire de Benoît XVI) le 20 avr. 2007. »

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