L’énergie d’Aristote à Einstein. Un éternel recommencement

Bertrand Souchard
Philosophie - Recenseur : Pascal Ide

Bien qu’il ait été publié après l’ouvrage sur La théologie des énergies divines…, humaines et cosmiques (recension plus bas), ce livre doit être lu avant, car son objet qu’est l’énergie, même s’il est identique, n’est abordé que sous la double formalité, philosophique et scientifique, ainsi que le suggère le titre. Bertrand Souchard, ancien maître de conférences à l’Université catholique de Lyon et responsable de la chaire Science et Religion, cherche à penser philosophiquement ce concept éminemment polysémique et fuyant qu’est l’énergie. Pour cela, il procède avant tout à une longue enquête historique en cinq temps. Le premier, antique, s’attache au sens, philosophique, à la fois physique et métaphysique, que lui accorde l’inventeur de la notion d’énergéia, Aristote. Sautant au-dessus du Moyen Âge, il passe à l’époque moderne qui, avec le mécanisme de Descartes, évacue l’énergie pour la remplacer par le jeu des particules et des forces, que mesure la quantité de mouvement. Mais, avec Leibniz et Newton, émerge la notion de force active, autrement dit réintègre la res qu’est l’énergie, mais sans le mot. Dans un quatrième temps, le terme lui-même réapparaît, mais en science, précisément dans cette partie de la chimie qu’est la thermodynamique, pour nommer la conservation et la transformation du mouvement (mécanique) et de la chaleur. Enfin, le concept d’énergie s’étend à toute la physique par la double révolution physique introduite à l’orée du siècle dernier, la théorie de la relativité (restreinte et générale) et la physique quantique.

Il reste à l’A., dans un long épilogue qui est en réalité une détermination, de réinterpréter philosophiquement cette notion d’énergie. Il lui donne ainsi de réintégrer le champ philosophique qu’elle a déserté depuis que les sciences s’en sont emparées. Et le retour est double, puisque l’herméneutique de l’A. fait appel au Stagirite, à qui il a consacré une thèse de philosophie. D’un mot, l’énergéia se caractérise par quatre notes : conformément à son étymologie, elle est une activité interne ; elle suppose une dunamis (potentialité), ce que signale la distinction célèbre introduite par le physicien écossais William Rankine entre énergie actuelle (ou cinétique) et énergie potentielle ; elle existe par un autre, puisque l’énergie est corrélée à l’interaction entre particules ; elle s’exerce en vue d’une fin qui porte l’autre nom de l’acte, l’entéléchie (p. 197-198). Mais cette relecture philosophique est limitée à la physique. L’A. étend son interprétation de l’énergie à la biologie, à l’anthropologie, à l’éthique et même à la théologie, à partir de deux autres notions aristotéliciennes, la génésis (ou génération) et l’analogie (p. 209). D’où le sous-titre : Un éternel recommencement.

L’on saluera cette relecture informée qui offre un historique bienvenu des avatars d’une notion si polysémique qu’Henri Poincaré estimait qu’on devait l’utiliser adjointe à un qualificatif la déterminant (mécanique, thermique, etc.). L’on saluera aussi cette tentative suggestive et audacieuse de réinterprétation de l’énergie qui ne sombre ni dans le monisme scientiste ni dans le philosophisme. Et l’on réservera nos questions à la prochaine recension.— Pascal Ide

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