L'estetica teologica di Bernardo di Chiaravalle

P. Lia
Théologie - Recenseur : Davide Zordan
Pourquoi l'esthétique théologique représente-t-elle un domaine si peu exploré par les spécialistes de Bernard de Clairvaux? La réponse irrécusable dit que l'époque médiévale, à la différence de l'antiquité, n'a produit aucun traité d'esthétique et a même ignoré toute connexion explicite entre la théologie et l'esthétique. Bernard ne représenterait pas une exception à cet état de choses, vu qu'il n'a formulé aucune théorie ou définition du lien entre la connaissance réfléchie du mystère révélé et la beauté de son apparaitre dans le monde. Et si même l'idée d'une insensibilité bernardienne pour le beau artistique est le fruit d'une lecture abusive de son oeuvre, notamment de l'Apologie de l'abbé Guillaume, ses idées sur l'art n'en paraissent pas pour autant plus innovatrices. Soit. Pourtant c'est un fait qu'il est impossible de rester indifférent devant la beauté sobre d'une abbaye cistercienne, comme c'est un fait que les recherches sur l'architecture, la musique et les manuscrits des origines cisterciennes se multiplient hors de l'espace théologique, et que celles-ci reconnaissent aisément, du point de vue qui est le leur, les influences de la riche sensibilité et de la personnalité unique de Bernard. N'y a-t-il pas là des indices notables pour le théologien? Pierluigi Lia en est plus que convaincu. Il pense même que «la théologie de Bernard est nécessairement une esthétique» (p. XIV) et se propose explicitement de vivifier le domaine des études bernardiennes à partir d'une telle affirmation, opportunément justifiée. La tâche n'est pas mince et se doit d'être confiée à un ouvrage dense, élégant, méthodologiquement rigoureux et parfois peu accessible aux non spécialistes.
Nous ne pouvons pas dire dans quelle mesure l'originalité de l'approche peut satisfaire les expert de la pensée bernardienne. Ceux-ci auront peut-être du mal à suivre l'A. lorsqu'il saisit les influences claires et nettes du premier abbé de Clairvaux dans des oeuvres et réalisations qui émanent de l'ordre cistercien dans son ensemble. Sans rentrer dans un tel débat, qui a beaucoup d'intérêt mais n'est pas de notre compétence, relevons ce que l'ouvrage peut offrir à tous ceux qui se soucient de l'esthétique théologique.
Lia met en exergue dès les premières pages un principe décisif de l'esthétique de Bernard: la connaissance de Dieu n'est pas à proprement parler le fait de l'esprit, mais des sens spirituels, et c'est pourquoi elle est une expérience. L'incarnation du Verbe est la source et l'attestation d'une telle expérience. En elle, tous les sens donnés à l'homme pour recevoir le monde lui sont rendus « sensibles » à la venue du Verbe dans le monde. Il s'ensuit que l'itinéraire de la ratio humaine vers Dieu n'a rien de cérébral, mais suit plutôt les voies de la sagesse (sapientia): d'une saveur, d'un goût de plus en plus accentué au fur et à mesure que, dans la progression des degrés de la connaissance, celle-ci s'éloigne de l'immédiateté des sens. C'est que «l'affinement de la sensibilité croyante ne renie pas sa dette envers les sens» (p. 94), mais s'en sert jusque dans l'articulation de son discours théologique.
La première partie de l'ouvrage a pour objet la « vision de Bernard » (entendant par là non pas une construction théologique, mais la perception d'un monde ordonné par la révélation divine qui se donne à voir dans/par la splendeur du Verbe), telle qu'elle se déploie dans ses écrits. Ceux-ci témoignent d'une sollicitude pour la beauté formelle qui est elle-même expression d'une vision du monde où la forme et le contenu sont indissociables. La deuxième partie s'ouvre aux formes diverses de réalisation de cette vision de Bernard, dans la musique et l'architecture cisterciennes surtout. C'est la partie la plus délicate, pour l'impossibilité de définir avec précision les contours de son objet, mais aussi la plus originale. Elle exprime au mieux la préoccupation de l'A., qui est d'ordre esthétique. Tant qu'il travaille sur les textes, en effet, le théologien est toujours « chez lui » et n'a aucun mal à interpréter ces productions selon les ressources de la raison conceptuelle. C'est un tout autre cas lorsqu'il se confronte à un « style » achevé, à une réalisation accomplie de la forme chrétienne, véhiculée, en l'occurrence, par une riche tradition monastique, et qui se transmet par la qualité littéraire des écrits divers, par des choix artistiques déterminés, des configurations architecturales et musicales. Il importe alors d'entendre ce style, cette forme, comme un témoignage qui confirme et authentifie les textes de référence qui donne à ceux-ci une résonnance affective et concrète.
Le livre de Lia montre bien qu'une approche esthétique de la grande tradition théologique doit être à la fois très rigoureuse et de grand souffle. Ce faisant, cette approche est peut-être la seule à nous restituer cette intégralité de la forme chrétienne qui se dérobe aux investigations trop spécialisées. - D. Zordan

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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