La théologie des énergies divines... humaines et cosmiques

Bertrand Souchard
Philosophie - Recenseur : Pascal Ide

Le travail universitaire de Bertrand Souchard se présente sous la forme de trois diptyques, épistémologique (conjugaison des champs du savoir ou discours des méthodes), métaphysique (l’énergie) et anthropologique. De même que L’énergie d’Aristote à Einstein articule les concepts scientifique et philosophique d’énergie, de même ce livre pense la relation entre visions théologique et philosophique de l’énergie. Double est son intention : œcuménique, donc en partie historique (montrer les convergences entre Palamas et Thomas du point de vue de l’énergéia) et doctrinale (proposer une réinterprétation de la notion d’énergie divine).

Une première partie, topique, oppose palamisme et thomisme comme acception seulement théologique de l’énergie et acception graduée de l’énergie qui se dit de l’Incréé et du créé. La détermination est d’abord scripturaire (2e partie) : les occurrences du terme grec énergéia, comme celles de sa racine, ergon, montrent que, si elle est divine, elle est aussi humaine et cosmique. Elle est ensuite philosophique (3e partie). Comparant l’énergéia chez Aristote et Plotin, elle montre que, pour le premier, l’énergie précède la puissance, alors que, pour le second, la puissance est antérieure à l’acte, le conduisant à identifier la matière au mal, le corps à un être sans énergie, la procession à une dégradation. Face à cette dérive moniste et panthéistique, la patristique inspirée par le néoplatonisme réagit en creusant la différence entre Dieu et la créature. Rappelant le principe aristotélicien selon lequel les contraires appartiennent au même genre, l’A. montre ainsi que l’on est passé de l’univocisme plotinien à l’équivocisme palamitain. La réponse réside donc dans l’analogie de la notion d’énergie qui, chez l’aristotélicien Thomas, se traduit par la triple participation de Dieu que sont l’Incarnation, la grâce et la création, respectivement analysées à partir des trois catégories du Stagirite, la substance (personne), la qualité et la relation. Il reste à la dernière partie, soucieuse de convergence, donc de dialogue œcuménique, de montrer que, si les Grecs peuvent apprendre des Latins cette conception analogique, ceux-ci retrouveront grâce à ceux-là derrière l’actus latin, qui est statique, juridique et théâtral, l’énergéia grecque, qui est dynamique, donc relationnelle, physique et éthique.

L’on retrouve l’écriture limpide, les distinctions claires jusqu’à être tranchées de l’A., ainsi que des clarifications historiques et doctrinales. Une double question peut être posée aux deux livres sur l’énergie : comment la quasi-définition de l’énergéia à partir des quatre causes (« activité interne d’une puissance, sous l’effet d’un autre, et pour une fin », p. 189) s’applique-t-elle à celui qui est Énergie pure, c’est-à-dire dénuée de toute puissance (passive), et donc peut-elle se transférer analogiquement ? En réalité, l’actus selon Thomas, ici à l’école de ce que le néoplatonisme a vu (la communication des formes), n’est-il pas autrement plus dynamique que l’énergéia aristotélicienne, car il est pensé non point à partir d’une puissance qui le reçoit, mais à partir de la diffusivité d’une source qui se donne : « Natura cuiuslibet actus est, quod seipsum communicet quantum possibile est » (De Potentia, q. 2, a. 1) ? — Pascal Ide

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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