Comment les croisades sont-elles racontées aujourd'hui? Est-il
possible d'écrire l'histoire des croisades? Entre ces deux
questions se déroule ce brillant petit ouvrage, qui correspond
parfaitement à son titre: les croisades, qui furent une trentaine
(bien plus les huit «canoniques»), n'ont pas interrompu les
fructueux échanges commerciaux avec l'Orient, ni les pèlerinages,
et leurs conséquences n'ont provoqué, ni en Occident, ni en Orient,
de bouleversement significatif… Après une telle entrée en matière,
l'auteur situe l'état du monde en guerre, durant ces deux cents ans
qui virent se succéder quarante-quatre papes ou antipapes; il
décrit les groupes qui s'opposent (discrets comme les juifs,
divisés comme les musulmans ou les chrétiens), et les fortes têtes
qui cherchent au combat la plus belle des morts, trahissent et
frappent cruellement les vaincus (dans tous les camps); il
s'intéresse à la place tenue par les femmes (leur faux pouvoir) et
la famille (les successions, les mariages): «on se bat pour une
terre, une ville, non pour éliminer une religion car la tolérance
est indispensable à la survie de chacun et à la prospérité
commerciale» (88). Il souligne le rôle économique des puissants
châteaux forts, destinés à accueillir dans un futur que personne ne
connaît de véritables bourgades avec marchés et artisans (c'est
ainsi que la chute d'Acre scelle le sort des croisades, bien plus
que celle de Jérusalem, 111). Bref, pour écrire cette histoire, il
faudrait quitter le parti pris français (qui veut notamment y voir
le prélude à la grande colonisation missionnaire du XIXe siècle) et
adopter le point de vue de Venise, ou des Génois, ou des Arabes
(comme A. Maalouf), mais aussi, faire une histoire économique, une
épopée religieuse, un récit des séismes, épidémies, tempêtes qui
furent fondamentaux, y voir un tournant de l'art militaire…Mais les
croisades ont alimenté tant de légendes vivantes, celle des
Assassins, de l'Ordre des Templiers ou de l'Hôpital qu'il est
difficile, jusqu'à aujourd'hui, de rendre raison d'un échec: c'est
le propre désintérêt des Latins qui l'explique, plus que la
puissance de leurs ennemis - «l'échec des Croisés (était)
inéluctable, mais il n'apporte aucune leçon pour l'avenir» (157).
Une courte bibliographie achève de montrer, textes d'époque à
l'appui, qu'il est temps de revenir aux sources de ce temps. - N.
Hausman scm