Premier missionnaire protestant allemand en Chine, Karl Gützlaff
(1803-1851) demeure une figure controversée. D'origine modeste et
de convictions piétistes, il déploya une énergie infatigable dans
les régions côtières du sud-est de la Chine. Sans guère de liens
organiques avec les Églises et sociétés missionnaires établies, il
mit sur pied un réseau d'évangélistes chinois qui pourraient
pénétrer les vastes régions interdites aux étrangers. Polyglotte,
traducteur de la Bible, auteur de nombreuses brochures en chinois,
il fut aussi un grand propagandiste des missions de Chine dans les
milieux chrétiens d'Occident. Son optimisme impénitent et peut-être
sa mégalomanie fragilisèrent ses entreprises, l'exposèrent aux
critiques d'autres missionnaires et furent une cause de déception
pour les bienfaiteurs européens qui soutenaient son action. Le
point le plus controversé demeure ses activités professionnelles
non missionnaires: gagnant sa vie comme interprète et agent
d'intérêt commerciaux et coloniaux, Gützlaff fut plus ou moins
directement lié au trafic de l'opium et à la guerre
sino-britannique qui s'ensuivit, ce qui renforça dans l'esprit des
Chinois l'impression de collusion entre impérialisme occidental et
évangélisation.
Très documentée, la présente étude situe bien le «cas» Gützlaff
dans le contexte plus large des relations entre la Chine et
l'Occident durant le deuxième quart du 19e siècle. Un chapitre
examine les liens de certains convertis chinois avec l'insurrection
Taiping et des sociétés secrètes hétérodoxes. Sur l'un ou l'autre
point, l'A. esquisse des prolongements en direction de communautés
chrétiennes (protestantes) dans la Chine d'aujourd'hui. Sans être
représentatif des missionnaires en Chine de son époque, Gützlaff,
par son zèle enthousiaste, ses talents versatiles et ses
initiatives indépendantes, fait ressortir jusqu'à l'excès certains
traits de leur vision, mais aussi de leurs préjugés et de leurs
contradictions. L'ouvrage en propose un bilan qui se veut lucide et
équilibré. - J. Scheuer sj