Les quinze ou vingt dernières années ont vu se multiplier les
remises en cause de la manière dont les Occidentaux (et leurs
émules sur d'autres continents) ont abordé l'étude des autres
civilisations. Non seulement les relations des missionnaires et des
explorateurs, mais la production prétendument scientifique des
«orientalistes», occultent les civilisations qu'elles sont censées
nous faire connaître: à vrai dire, elles nous révèlent la psyché
européenne et son expérience de l'Orient bien plus qu'elles ne nous
introduisent à l'intelligence de ces autres mondes. En outre, loin
d'illustrer un idéal d'étude objective et d'impartialité
scientifique, l'entreprise orientaliste, dénoncée déjà par E.W.
Said, n'a-t-elle pas servi d'instrument à l'entreprise
coloniale?Dans le domaine du religieux en particulier, à en croire
les partisans actuels d'une indispensable «déconstruction», nous
avons assisté à la création artificielle d'une série de «-ismes»
(hindouisme, bouddhisme, shintoïsme…) qui ne correspondent guère à
la réalité du terrain. À propos du cas précis de l'Inde, cet
ouvrage collectif permet à quelques-uns des principaux
protagonistes dans ce débat «post-colonial» (D.N. Lorenzen, G.A.
Oddie, R. King, T. Fitzgerald…) d'exposer leurs critiques plus ou
moins radicales. En outre, S.N. Balagangadhara, professeur indien à
l'université de Gand, ainsi que quelques-uns de ses collaborateurs
et étudiants, faisant un pas de plus, récusent le fait même de
considérer l'hindouisme comme une «religion»: cette catégorie, en
effet, née dans le cadre du christianisme et de ses rapports avec
le judaïsme puis avec l'islam, demeurerait chargée de théologie et
serait inapplicable à l'hindouisme (ou plutôt à ce que ce dernier
terme cherchait maladroitement à désigner). Curieusement, ce
recueil de textes, bien qu'il ait pour point de départ un séminaire
organisé à New Delhi, ne fait entendre que deux voix indiennes
(celles, au demeurant, d'Indiens enseignant en Europe). Plusieurs
des contributions contiennent des critiques éclairantes ainsi que
des argumentations serrées et dignes d'intérêt. On pourra regretter
cependant qu'elles portent le plus souvent sur des questions
(certes légitimes et nécessaires) de méthode et d'épistémologie,
laissant peu de place à l'examen de données historiques et
socioculturelles concrètes: la «déconstruction» peut-elle être
salutaire et convaincante sans proposer au moins quelques ébauches
de «reconstruction»? - J. Scheuer sj