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A. Chapelle: À l'école de la théologie. À propos d'un ouvrage récent

À propos d’un ouvrage récent*

Benoît de Baenst
A. Chapelle, À l’école de la théologie, préf. A. Massie, M.-L. Calmeyn, coll. IET 22, Bruxelles, Lessius, 2013, 15x22, 320 p., 19 €. ISBN 978-2-87299-238-6.

En 2007, dans l’avant-propos du livre posthume Anthropologie, les éditeurs annonçaient la publication d’autres cours donnés par le père Albert Chapelle à l’Institut d’études théologiques à Bruxelles. C’est maintenant chose faite. Après Anthropologie, que précédait déjà Au creux du rocher (2004), se sont succédé Ontologie (2008), Épistémologie (2008), Herméneutique (2010) et aujourd’hui À l’école de la théologie 1. « Nous avons pensé, écrivaient ces éditeurs, que la publication de quelques œuvres philosophiques importantes du théologien présenterait un intérêt intrinsèque et faciliterait l’accès à sa théologie »2. Les lecteurs ont déjà pu, grâce aux publications des cours de philosophie, mesurer l’ampleur et la force de la réflexion philosophique d’A. Chapelle. Ces œuvres donnaient les clés permettant d’entrer dans l’intelligence d’Herméneutique où le jésuite explique dans un langage dense le chemin théologique et philosophique qui fut le sien.

Nous ne pouvons aujourd’hui que remercier ceux qui ont travaillé à tenir la promesse qui s’accomplit avec la parution d’À l’école de la Théologie. Car l’ordre de publication choisi permet, non seulement d’entrer dans la profondeur de ce dernier cours, d’en reconnaître la valeur, mais encore de saisir combien la théologie chapellienne est théologale et actuelle, combien elle se reçoit du Père par son Verbe dans l’Esprit. En effet, la chronologie des publications posthumes ne doit pas conduire le lecteur à se méprendre : s’il est aussi philosophe, Albert Chapelle est d’abord théologien. Dernier dans l’ordre des publications, À l’école de la théologie permet de percevoir ce qui est à l’origine de sa pensée, sa véritable source. Ainsi, ce n’est pas un certain type de philosophie qui aurait induit la théologie que présente ce livre. C’est plutôt l’Acte de Dieu qui, en se révélant dans l’histoire, révèle l’homme à lui-même. C’est la participation de l’homme à la connaissance que Dieu a de lui-même qui donne à l’être humain de penser de manière nouvelle en philosophie. Bien sûr, la philosophie chapellienne permet de percevoir la pertinence de cette pensée théologique, mais elle n’en est pas le cœur. Le chiffre de la pensée d’Albert Chapelle est bien plutôt l’Écriture qui, lue au rythme de l’Esprit, se déploie en littera, allegoria, tropologia et anagogia. Ce chiffre lui fut donné par la médiation de l’un des déploiements de la lecture de l’Écriture dans la Tradition, à savoir les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Car la dynamique de la liberté spirituelle, telle qu’elle se présente dans les Exercices, correspond à celle du quadruple sens de l’Écriture. Le donné de l’histoire auquel la lettre permet de communier est le lieu où la vérité se donne pour être intériorisée et conduire à l’union de l’homme à Dieu.

Que le quadruple sens de l’Écriture est au cœur de la théologie, qu’il en est le véritable principe, c’est ce que montre À l’école de la théologie aussi bien dans son fond que dans sa forme. Albert Chapelle déploie sa pensée selon ce rythme. Il vaut la peine de prendre le temps d’indiquer quelques lignes de force pour en montrer la cohérence. La première partie, intitulée « La foi et la théologie », reconnaît le donné de la théologie, à savoir la foi (chap. II) d’un fidèle (chap. I), dont les sources de la théologie sont l’Écriture et la Tradition (chap. III).

La deuxième partie explique la « méthode de la théologie » en précisant tout d’abord ses principes unifiants et ensuite ceux des diverses disciplines théologiques. Le rapport entre l’Écriture et l’Esprit (section I) permet de rendre compte de l’unité de la théologie (chap. IV), de la distinction entre sens littéral et sens spirituel (chap. V) et du rapport entre les quatre sens et les disciplines théologiques (chap. VI). Il est alors possible de préciser les principes (section II) de l’exégèse (chap. VII), de la théologie dogmatique (chap. VIII), de la théologie morale (chap. IX) et de la théologie fondamentale (chap. X).

La troisième partie passe de l’explication à l’application. La vérité reconnue doit en effet être appropriée, intériorisée d’une manière concrète et conforme à cette vérité. Cette application s’incarne nécessairement en un institut de théologie précis — ici l’Institut d’études théologique à Bruxelles3 — qui doit rendre compte de ses options intellectuelles, de sa pédagogie et de ses objectifs. Cette mise en pratique reçoit de ce fait un éclairage doctrinal, institutionnel et ecclésial. Ainsi, il s’agit tout d’abord d’exposer « les positions théologiques adoptées » (p. 176) en ce qui concerne « la présence contemplative et missionnaire de la théologie au monde et à l’athéisme de ce temps, le sérieux des exigences philosophiques du christianisme, la prédication de la doctrine catholique et apostolique, la vie de l’Écriture dans la Tradition » (p. 191). La cohérence et la pertinence de ces options théologiques apparaissent particulièrement dans la différence avec d’autres prises de position rationnelles particulièrement actuelles, telles celles de Kant, Hegel, Husserl, Nietzsche, Feuerbach, Marx (chap. XI). Cela précisé, il est alors possible d’exposer les modalités théologiques et institutionnelles. L’auteur situe l’Institut en question dans son contexte théologique, définit son sens comme participation à la mission ecclésiale, rappelle les indispensables options spirituelles de ses acteurs et explique l’articulation théologique de l’enseignement. Cependant, il ne suffit pas d’esquisser un institut, il faut encore rendre compte des difficultés auxquelles il est confronté. L’entreprise théologique est un défi. Elle demande d’accepter de porter certaines tensions et de s’engager dans le combat spirituel de l’Église pour Dieu (chap. XII). Enfin, il faut encore définir les destinataires de l’institution et justifier sa visée, à savoir la formation sacerdotale du peuple de Dieu (chap. XIII).

La quatrième partie débouche sur l’espérance du fruit du travail théologique entrepris : la connaissance théologique. Deux points de vue complémentaires divisent cette partie : la distinction entre contemplation et rationalité (chap. XIV) et leur unité symbolique (chap. XV). C’est, en effet, dans la contemplation que la rationalité peut se déployer. Le fondement de la connaissance théologique se trouve dans le symbole théologique où la réalité est reconnue comme une.

Cette brève description du livre donne un premier goût de la profondeur de sa réflexion et de sa force symbolique. Beaucoup de points originaux seraient à relever. Nous en soulignons trois particulièrement marquants.

L’une des grandes richesses de cet ouvrage, si ce n’est la première, est de montrer combien, selon l’affirmation du Concile Vatican II, l’Écriture est l’âme de la théologie4. La pensée chapellienne prend au sérieux la Parole de Dieu comme Parole de Dieu. L’acte théologique consiste à recevoir de Dieu ce qu’il dit de lui-même et de l’homme. Aussi, la Parole de Dieu « ne se limite ni ne se mesure sans plus à ce que disent les auteurs inspirés » (p. 48) ou à ce que ses commentateurs peuvent en tirer. Parce qu’elle est de Dieu, elle est toujours en surcroît de l’homme et de sa parole tout en se disant à l’intérieur de celle-ci. Elle se déploie dans l’histoire au rythme de l’Esprit et des libertés qui l’accueillent et se livrent à elle, c’est-à-dire ecclésialement et eucharistiquement. Ce déploiement de la Parole de Dieu au rythme des quatre sens de l’Écriture permet, à l’heure de l’éclatement et de la fragmentation des savoirs, d’ordonner entre elles les différentes disciplines théologiques et de percevoir à nouveau l’unité, la dynamique et le but de la réflexion théologique. Ainsi, au fur et à mesure que les libertés se laissent assimiler à elle, la Parole de Dieu croît avec celui qui la lit et s’emmembre de raison.

Cet emmembrement constitue l’un des autres thèmes particulièrement intéressants de l’ouvrage, dans la mesure où « la doctrine chrétienne a des implications philosophiques » (p. 98). Pour Chapelle, il s’agit de veiller à ne pas laisser la Parole de Dieu être secrètement recouverte par des structures de savoir qui lui sont étrangères, autrement dit, à ne pas la mesurer à l’aune de la rationalité humaine (cf. p. 243). Cela demande d’affronter les interrogations de l’athéisme qui sont, selon l’auteur, « la difficulté la plus radicale dans laquelle se trouve aujourd’hui la théologie » (p. 257), « l’épreuve décisive de la mission de l’Église » (p. 180). Le jésuite opère en ce sens un discernement précieux aussi bien doctrinal que pratique. Il met en évidence les différences et les fraternités comme les tensions inhérentes à l’acte théologique. Celui-ci demande conversion, patience et persévérance aussi bien de la part des professeurs que des étudiants.

Cet affrontement conduit au troisième point. En effet, seul le Verbe créateur et rédempteur de l’homme qui intègre à lui l’être humain et ses interrogations donne au théologien d’assumer ces dernières et d’y répondre par la grâce de l’Esprit. C’est dans l’assimilation à la Parole de Dieu que se trouve la réponse à ces interrogations car c’est là que Dieu donne à l’homme de penser comme Dieu. Autrement dit, c’est dans et grâce à la contemplation où Dieu unit l’homme à lui par sa Parole dans l’Esprit que la rationalité de l’homme peut se déployer. C’est par elle que Dieu donne à l’homme d’être lui-même. En soulignant la nécessité de la contemplation, le jésuite rend compte de l’aspect proprement théologal de la théologie. Il réconcilie le discours théologique avec la vie spirituelle et l’Écriture. Il montre combien elle est le fondement nécessaire et indépassable du discours théologique.

Au terme de cette trop brève présentation, nous ne pouvons que recommander une lecture approfondie de cet ouvrage dont la richesse ne se dévoile que progressivement. Nul doute que cette théologie conduira ceux qui la travailleront à une réconciliation profonde avec notre temps marqué par l’athéisme et les mènera à la joie de l’espérance que donne la foi vécue dans la charité.

Notes de bas de page

  • * A. Chapelle, À l’école de la théologie, préf. A. Massie, M.-L. Calmeyn, coll. IET 22, Bruxelles, Lessius, 2013, 15x22, 320 p., 19 /. ISBN 978-2-87299-238-6.

  • 1 À ces publications posthumes chez Lessius s’ajoute encore la parution de plusieurs inédits dans la NRT, dans Vies Consacrées et chez Parole et Silence : « Le Péché, offense de Dieu, et l’immutabilité divine », NRT 131 (2009), p. 87-98 ; « Dieu a réussi. Méditation sur l’Immaculée Conception », VC 81 (2009), p. 5-7 ; « L’Esprit, à la lettre », NRT 135 (2013), p. 46-52 ; « La Loi, les Prophètes et les Psaumes à la lettre », NRT 135 (2013), p. 53-59 ; « Le rayon de miel », NRT 135 (2013), p. 60-62 ; « Le mystère de la souffrance », NRT 135 (2013), p. 63-66 ; A. Chapelle, J.-M. Hennaux, G. Borgonovo, La vie dans l’Esprit, Paris, Parole et Silence, 2010.

  • 2 D. Dideberg, J.-M. Hennaux, Préface, dans A. Chapelle, Anthropologie, coll. IET 18, Bruxelles, Lessius, 2007, p. 5.

  • 3 Avec bonheur, les éditeurs ont jugé opportun de mettre en annexe de larges extraits des statuts de l’Institut d’études théologiques. Ils livrent ainsi quelques déterminations concrètes de cette pensée, surtout en ce qui concerne les personnes, les objectifs et les méthodes. Ces extraits montrent la place accordée aux dynamiques de la Parole de Dieu et de la liberté.

  • 4 La table des références bibliques à la fin de l’ouvrage le montre indirectement.

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