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Comment faire évoluer les procédures décisionnelles en Église

d’une manière authentiquement synodale ?

Alphonse Borras

La question de départ de cette étude reprend en substance la question posée en des termes similaires par l’Instrumentum laboris de juin 2023 rédigé en vue de l’Assemblée synodale d’octobre 2023. Curieusement le Rapport de synthèse de celle-ci n’y a pas apporté de réponse explicite. Pourtant sur le terrain, cette question est au cœur des préoccupations, sinon des difficultés qui tourmentent des pasteurs en même temps qu’elle reflète les attentes, sinon les revendications de fidèles exaspérés par la fonction consultative des Conseils d’Église. L’A. met en avant une compréhension symbolique et pneumatologique du corps ecclésial pour montrer le caractère problématique du « seulement consultatif », tantum consultivum. Les procédures décisionnelles doivent en effet articuler l’autorité pastorale et la communauté ecclésiale qui lui est confiée, la liberté de la première ne pouvant jamais faire fi de la synodalité intrinsèque de la seconde. L’exégèse du canon 127 § 2,2° peut cependant ouvrir des perspectives d’évolution ecclésiologiquement plus cohérentes en assumant la distinction entre l’élaboration et la prise de décision, entre le decision-making et le decision-taking.

Comment faire évoluer les procédures décisionnelles en Église d’une manière authentiquement synodale ? Telle est la question de départ de cette étude qui reprend en substance la question posée en des termes similaires par l’Instrumentum laboris (désormais IL) de la XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques en vue de sa première session, en octobre 2023[1]. En réalité, l’énoncé de la question dans sa version française était celui-ci : « Comment pouvons-nous faire évoluer les pratiques de discernement et les processus de prise de décision d’une manière authentiquement synodale, en renforçant le rôle moteur de l’Esprit ? ». Si on le compare à la version italienne de l’IL qui, sans être pour autant la version authentique, n’en demeure pas moins dans le processus synodal actuel la version de référence, on lit ceci : « In che modo possiamo far evolvere in maniera autenticamente sinodale le pratiche di discernimento e i processi decisionali, valorizzando il protagonismo dello Spirito ? ». On sait que le pontificat actuel préfère souvent le registre des sciences sociales à celui du droit : pour ma part, j’estime que, pour la question qui nous occupe, il est préférable de s’exprimer sur le registre juridique et de parler de « procédures » – et pas seulement de processus, bien que ce terme connote leur aspect dynamique – tout en conservant l’adjectif « décisionnel » alors que l’on pourrait les qualifier de « délibératives » au sens large du terme, c’est-à-dire qui aboutissent à une (prise de) décision[2].

Dans la version italienne de l’IL, l’expression « processus décisionnels » n’apparaît qu’une seule fois, mais on la trouve à plusieurs reprises dans les fiches de travail qui, sous le mode de questions majeures, ont constitué le support pour la préparation de la session d’octobre 2023. C’est également sur la base de ces fiches que se sont déroulés les travaux de l’assemblée. En conformité avec la méthodologie mise en place, en particulier pour le travail en tablées (anciennement circuli minores), les participants (membres, invités et délégués fraternels, mais non les experts) ont échangé entre eux selon les deux temps de la « conversation dans l’Esprit », d’abord en partageant leurs expériences et ensuite en laissant résonner leurs différents points de vue. Chaque étape de leur partage aboutissait à une reprise débouchant sur les convergences et divergences entre eux, les questions qu’ils estimaient devoir être approfondies et les pas à accomplir.

La question mérite d’être prise en compte même si, très curieusement, le Rapport de Synthèse (désormais RS) de la session d’octobre 2023 n’y apporte pas de réponse explicite[3]. Beaucoup de pasteurs, en particulier des curés, se trouvent confrontés aux revendications de bon nombre de fidèles en vue de plus de démocratie de l’Église ou, dans la pire des hypothèses, aux critiques légitimes du cléricalisme dans la vie et la gouvernance de l’Église. Ils ont indéniablement du mal à rendre compte de la fonction « seulement consultative » des Conseils d’Église qui heurte non seulement l’éthos démocratique qu’ils partagent avec leurs concitoyens, mais aussi, sinon surtout, l’ecclésiologie participative fondée sur l’égale dignité de tous les baptisés. Si le RS d’octobre 2023 ne répond pas explicitement à la question du « comment faire évoluer la délibération en Église dans une perspective synodale », il comporte néanmoins suffisamment d’éléments qui fondent autant qu’ils déterminent la participation effective à la vie des communautés ecclésiales et au déploiement de leur mission dans leur environnement respectif.

Les pages qui suivent entendent repartir de certains éléments d’une ecclésiologie participative et inclusive contenus dans le RS (I). Dans la foulée de Vatican II, celui-ci entend en effet encourager les lieux institutionnels de participation à la vie et à la mission du peuple de Dieu (II). Une compréhension symbolique et pneumatologique du corps ecclésial ne peut manquer de montrer le caractère problématique du « seulement consultatif » (III). Les procédures décisionnelles en Église articulent l’autorité pastorale et la communauté ecclésiale qui lui est confiée, la liberté de la première ne pouvant jamais faire fi de la synodalité intrinsèque de la seconde (IV). L’exégèse du canon 127 § 2, 2° ouvre cependant des perspectives d’évolution ecclésiologiquement plus cohérentes en assumant la distinction entre l’élaboration et la prise des décisions, entre le decision-making et le decision-taking (V).

I L’arrière-fond d’une ecclésiologie participative et inclusive

Dans les fiches de travail de l’IL pour préparer la session d’octobre 2023, puis au cours de celle-ci, pour engager les échanges entre les participants, on peut lire que « les processus décisionnels présupposent la participation de tous » (IL, B.2.5). Il est heureux que cette affirmation de principe soit faite alors qu’une fiche antérieure l’avait déjà induite en situant leur implication dans le contexte de leur responsabilité « puisque nos [leurs] décisions et actions à différents niveaux affectent tous les membres du corps du Christ » (IL, B.1.4). La participation de tous était ainsi justifiée par la commune appartenance au corps ecclésial du Christ.

Au terme de sa démarche basée sur l’IL, l’Assemblée synodale d’octobre 2023 a approuvé formellement le RS. Celui-ci reprend avec une grande fidélité les résultats de ses travaux en même temps qu’il laisse transparaître une ecclésiologie participative et inclusive déjà induite dès le Document préparatoire (désormais DP) de septembre 2021, au seuil de l’ouverture officielle du processus synodal.

Dans cette perspective, le premier chapitre du RS, intitulé « La synodalité : expérience et compréhension », part de la considération de la synodalité comprise comme « la marche des chrétiens avec le Christ et vers le Royaume, avec l’ensemble de l’humanité ; orientée vers la mission, elle implique de se réunir en assemblée aux différents niveaux de la vie ecclésiale, de s’écouter les uns les autres, de dialoguer, de procéder à un discernement communautaire, de rechercher le consensus comme expression de la présence du Christ dans l’Esprit, et de prendre des décisions dans le cadre d’une coresponsabilité différenciée » (RS 1h).

Cette description de la synodalité appelle d’emblée de ma part deux observations. La première est l’indication par l’Assemblée synodale du but final de cette « marche des chrétiens », qui « implique de se réunir ensemble en assemblée », à savoir celui de « prendre des décisions dans le cadre d’une coresponsabilité différenciée » (ibid.). L’expression « prendre des décisions » correspond exactement à l’anglais decision-taking que la version italienne (qui seule fait foi)[4] rend par un substantif « l’assunzione di una decisione ». Le texte italien parle donc bel et bien ici de prise de décision alors que son usage de l’expression (au pluriel de) « processi decisionali » traduira la plupart du temps l’expression decision-making. Ces questions terminologiques ne sont pas sans intérêt car elles nous suggèrent déjà le binôme qui fera bientôt l’objet de notre réflexion, à savoir decision-making et decision-taking.

Une deuxième remarque s’impose, tout aussi importante pour notre propos. Le RS dit que, moyennant l’écoute, le dialogue, le discernement communautaire et la recherche d’un consensus, la prise de décision s’opère « dans la cadre d’une coresponsabilité différenciée ». Le concept de « coresponsabilité » a progressivement fait son apparition dans des documents magistériels, en l’occurrence à partir de l’exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici (désormais ChL)[5]. Jean-Paul II se proposait de « susciter et (d’)alimenter une prise de conscience plus nette du don et de la responsabilité que tous les fidèles ont dans la communion et la mission de l’Église » (ChL 2 in fine). « En vertu de cette dignité baptismale commune », écrivait Jean-Paul II, « le fidèle laïc est co-responsable avec tous les ministres ordonnés et avec les religieux et les religieuses de la mission de l’Église » (ChL 15a, cf. 21a in fine). Depuis lors, ce concept a fait florès par sa portée galvanisante mettant en exergue la participation de tous les fidèles en vertu du baptême. À juste titre, cependant, son usage pouvait laisser perplexe dès lors qu’il ne faisait pas droit à la diversité des charismes et des fonctions et induisait une égalité stricte de responsabilité entre les baptisés. Comme l’a souligné jadis Gilles Routhier, ce terme contient « des promesses qu’on ne peut pas tenir dans les faits[6] ».

Fort heureusement, le RS, dans son premier chapitre, caractérise la coresponsabilité comme étant « différenciée » (RS 1h, dans la version italienne, la seule qui fasse foi, mais aussi dans les traductions française et espagnole). En revanche, la traduction anglaise de ce passage s’exprime comme suit : « each taking decisions in accordance with their responsibilities », chacun prenant des décisions en accord avec ses responsabilités. Mais, comme les versions susmentionnées, la version anglaise utilise néanmoins l’adjectif « différencié » à la fin du RS : elle parle de « differentiated co-responsability » (cf. 20e).

Dans un regard d’ensemble sur le RS, on peut dégager les traits majeurs de cette coresponsabilité[7]. Dans le RS, elle est pareillement et en premier lieu celle de tous les fidèles (cf. RS 10c) et elle découle du baptême en vue de la « mission commune d’évangéliser » (RS 1a in fine). Je dirais dès lors qu’elle induit une participation inclusive. Il n’est ainsi pas étonnant que, par le biais de l’initiation chrétienne, l’Assemblée d’octobre la considère comme la conséquence de celle-ci, tous les fidèles partageant une égale dignité mais dans une diversité de charismes, de vocations et de ministères (cf. RS 8a ; ce qui justifie d’en rendre compte, 12j), et cela à tous les niveaux de l’Église (cf. RS 8b et 9b). Elle est de ce fait orientée vers la mission de tous (RS 8k ; 18a.b). La coresponsabilité ne met pas en concurrence les hommes et les femmes (RS 8b) puisqu’ils sont tous des disciples impliqués dans la mission (RS 9g).

La coresponsabilité est ensuite considérée comme un « style », car les ministres ordonnés sont également appelés à la vivre (RS 11d). C’est aussi une modalité du gouvernement ecclésial (RS 12b ; cf. entre les évêques et la curie 13d), qui est aussi partiellement déterminée par le couple « ordre-juridiction » (RS 12g). Mais il faut souligner qu’il s’agit d’une caractéristique des organes diocésains (RS 12k). Son exercice requiert une « compétence spécifique » qui renvoie de ce fait à la formation du peuple de Dieu et dans le peuple de Dieu (RS 14e ; faisant l’objet de la coresponsabilité dans la formation, RS 14c). Ce sont par conséquent tous ces traits qui caractérisent la coresponsabilité « différenciée » mise en avant par l’Assemblée synodale d’octobre 2023 (RS 20e). C’est sur ce soubassement qu’il faut envisager l’évolution des procédures décisionnelles et les mettre en œuvre d’une manière authentiquement synodale (RS 11h ; cf. IL fiche B 3.2, c’est moi qui souligne ; et les conséquences déjà évoquées pour la formation cf. IL 59).

L’égalité foncière de tous les fidèles en vertu du baptême comporte nécessairement une différenciation entre eux en raison même de la diversité et de la complémentarité des charismes au sein du peuple de Dieu, corps ecclésial du Christ habité par l’Esprit de sainteté. Pour ma part, dans mon approche doctrinale de la synodalité, tant du point théologique que canonique, j’ai toujours établi une équivalence de sens entre la coresponsabilité baptismale de tous les fidèles (en tant qu’« Église de sujets ») et la synodalité ecclésiale, celle-ci déterminant de la sorte une qualité constitutive du peuple de Dieu (comme « Église-sujet »)[8]. Autrement dit, affirmer la coresponsabilité différenciée de tous équivaut à reconnaître la synodalité de la communauté ecclésiale quelle que soit la figure de celle-ci.

On doit se féliciter que l’Assemblée d’octobre 2023 ait ainsi promu la coresponsabilité différenciée de tous qui, à l’instar de la synodalité ecclésiale, impose de « ne pas marcher seul » (cf. Evangelii gaudium, désormais EG, 33 in fine) en même temps que, comme celle-ci, elle requiert – cette fois-ci en termes positifs – un style de partenariat entre tous les fidèles, pasteurs et autres ministres y compris, autant qu’un style d’exercice de l’autorité pastorale.

Qu’il me soit permis de paraphraser les propos du pape François quand il affirmait en 2015 la synodalité comme une « dimension constitutive de l’Église » et évoquait ses conséquences pour la compréhension du ministère[9]. Dans la foulée, je dirais volontiers que, à l’instar de la synodalité, la coresponsabilité différenciée « nous offre le cadre le plus ajusté pour comprendre le ministère hiérarchique lui-même ».

On ne peut en effet comprendre le ministère en dehors ni au-dessus de la communauté ecclésiale, mais en son sein et à son service. Les ministres ordonnés, en particulier les pasteurs, évêques et prêtres, ne peuvent faire abstraction de la commune dignité baptismale qu’ils partagent avec tous les fidèles ; ils ne peuvent pas non plus nier qu’ils n’ont pas tous les charismes. C’est dans le cadre de la diversité charismatique du corps ecclésial du Christ que s’inscrit leur ministère de présidence. Comme le rappelaient les Pères conciliaires de Vatican II, ils n’assument pas

à eux seuls tout le poids de la mission salvifique de l’Église dans le monde, leur tâche magnifique consistant à comprendre leur mission de pasteurs à l’égard des fidèles et à reconnaître les services et les charismes propres à ceux-ci, de telle sorte que tout le monde à sa façon et dans l’unité apporte son concours à l’œuvre commune » (LG 30, lat. ut cuncti suo modo ad commune opus unanimiter cooperentur).

À l’instar de ce qu’affirmait en 2018 la Commission théologique internationale à propos de la synodalité du peuple de Dieu, la coresponsabilité différenciée se traduit institutionnellement « dans ses différents niveaux et dans la distinction de ses divers ministères et rôles, dans sa vie et dans sa mission » (70b)[10]. Elle se réalise dans les « structures » (ou institutions) ecclésiales (diocésaines, paroissiales, etc.) et dans des « processus » (ou procédures ; ibid.) au service du discernement ecclésial. Or, celui-ci est focalisé sur sa mission évangélisatrice. L’Église est en effet tendue par tout son être vers la mission : elle « s’efforce [lat. contendit] de porter l’annonce de l’Évangile à tous les êtres humains » (AG 1a), puisque « l’activité missionnaire est le paradigme de toute tâche de l’Église » (EG 15 ; citant Jean-Paul II, encyclique Redemptoris Missio 34, 40 et 86). Ce discernement en vue de la mission exige d’être conjointement « à l’écoute de Dieu, au point d’entendre avec lui le cri du peuple ; [et] à l’écoute du peuple, au point de respirer en lui la volonté à laquelle Dieu nous appelle[11] ». Par ce discernement communautaire pour savoir ce que l’Esprit « dit aux Eglises » (Ap 2,7), il revient à l’autorité ecclésiale d’indiquer à la communauté « quelle est la direction à suivre » (cf. CTI 70b).

II Les lieux institutionnels de la participation en Église

Le discernement communautaire en vue de la mission s’opère dans des processus décisionnels qui requièrent des lieux institutionnels où s’exprime la coresponsabilité différenciée de tous. Il s’agit des « Conseils d’Église » dans leur diversité – par exemple au niveau diocésain Conseil pastoral, Conseil presbytéral, Conseil épiscopal, etc. – que l’on a tendance aujourd’hui à appeler des « organismes participatifs » sous l’influence d’un langage des sciences sociales. L’IL de juin 2023 parlait d’« organes de décision » (dans les fiches B.2.5.e et B.3.3.b) et le RS les qualifie d’« organes de coresponsabilité » (RS 12k) ou, mieux encore, d’« organes de participation et de gouvernance » (RS 12c). Ces organes sont ceux des Églises locales et ils existent aussi sur le plan de leur regroupement régional ou continental. Dans le domaine de la vie associative en Église, les Instituts de Vie consacrée, les Sociétés de vie apostolique, les Associations de fidèles sont dotés d’organes de participation et de gouvernance. Aussi bien dans ces communautés associatives que dans les communautés hiérarchiques sur les plans diocésain, régional, continental et universel, les instances participatives reflètent chacune à leur façon et en fonction de leur identité propre la synodalité intrinsèque de la communauté ecclésiale dont elles émanent.

Pour mon propos, plutôt centré sur la réalité diocésaine et la vie paroissiale, force est de constater le minimalisme de leurs « organes participatifs » qui, en principe, devraient associer les fidèles concernés à la mission de leur communauté respective et à sa gouvernance : ce minimalisme, clairement mis à jour lors de la consultation planétaire en 2021-2022, a été exprimé dans le DEC d’octobre 2022[12] autant que dans l’IL de juin 2023. Il faut même dire que, dans bien des lieux, même s’ils existent formellement, ces organismes sont souvent réduits à un fonctionnement minimal.

Mais ce minimalisme peut aussi en partie s’expliquer sous l’effet d’un double facteur : d’une part, les organes participatifs sur le plan diocésain ou paroissial n’ont pas de « pouvoir délibératif » à strictement parler, au sens où les décisions ne sont pas prises à égalité de voix ; d’autre part, il s’ensuit que ces organes sont « seulement consultatifs » : c’est le fameux tantum consultivum assorti dans le Code de 1983 au Synode diocésain (c. 466), au Conseil pastoral diocésain (c. 514 § 1), au Conseil presbytéral (c. 500 § 2) ou encore au Conseil pastoral de paroisse (c. 536).

Dans le droit de l’Église catholique, le suffrage délibératif demeure la prérogative des évêques au niveau des groupements d’Églises ou au niveau de l’Église universelle[13], sauf dans les Instituts de vie consacrée, les Sociétés de vie apostolique et les associations de fidèles[14]. Dans le droit universel du Code de 1983 (pour les catholiques de rite latin), outre le canon 127 qui traite du consentement nécessaire au supérieur pour accomplir un acte ou ceux qui traitent de l’élection à un office ou à une fonction (cf. c. 164-179), le suffrage délibératif se limite sur le plan diocésain au consentement du collège des consulteurs (c. 272, 485, 500 § 2, 1018 § 1,2, 1277, 1292 § 1-4), l’approbation de ceux qui en ont le droit en matière principalement patrimoniale (c. 174, 1222 § 2, 1277, 1292 § 1-4, 1524 § 2). Autrement dit, les processus décisionnels des Églises locales diocésaines ne reposent donc pas sur la nécessité d’un consentement individuel ou collectif pour trancher une question ou prendre une décision.

Les processus décisionnels se déploient donc principalement dans des Conseils « seulement consultatifs » ; c’est du reste exclusivement le cas dans la réalité diocésaine et la vie paroissiale. Les fidèles n’y ont pas voix délibérative. Le « tantum consultivum » va à l’encontre des sensibilités démocratiques actuelles. Les aspirations légitimes de nombreux fidèles à participer plus et mieux courent toujours le risque d’être... déçues[15] ! D’où un décalage entre les exigences de la modernité et les pratiques ecclésiales concernant la participation des fidèles à leur rôle évangélisateur et les décisions nécessaires à cet effet.

Au début de son pontificat, le pape François n’avait donc pas tort quand il affirmait que la responsabilité ecclésiale des laïcs « n’a pas trouvé d’espace d’expression et d’action dans leurs Églises particulières, à cause d’un cléricalisme excessif qui les maintient en marge des décisions » (EG 102). Cela ne doit pas seulement être mis sur le compte d’un cléricalisme individuel. Cela relève tout autant d’un fonctionnement institutionnel qui semble bel et bien contredire l’ecclésiologie participative et inclusive théoriquement professée et la coresponsabilité différenciée des fidèles dans la mission évangélisatrice du peuple de Dieu.

Si tous les fidèles contribuent à la « communion dynamique, ouverte et missionnaire » dont les pasteurs sont responsables (cf. EG 31), comment articuler leur contribution avec l’autorité des pasteurs ? Il revient à ceux-ci – évêques et prêtres – de promouvoir la communion missionnaire selon une triple posture : tantôt devant pour montrer le chemin, tantôt au milieu de son peuple avec sa proximité miséricordieuse, tantôt derrière lui (cf. ibid.). Cette troisième posture mérite d’être soulignée non seulement « pour aider ceux qui sont laissés en arrière », mais aussi « parce que le troupeau lui-même a le flair pour les nouveaux chemins » (ibid.). Il revient donc aux pasteurs d’être à l’écoute de « tous » (ibid.). Dans le corps ecclésial du Christ habité par son Esprit de sainteté, celui-ci ne limite pas ses dons aux pasteurs mais il les prodigue à tous les fidèles.

III Le caractère problématique du « seulement consultatif »

Le peuple de Dieu doit être écouté parce que l’Esprit y est présent et agissant. Les Conseils d’Église requièrent donc que les fidèles y soient écoutés et pris au sérieux, individuellement et collectivement. Mais il s’agit tout autant de solliciter le conseil ou l’avis des fidèles (en tant qu’« Église de sujets ») autant que « l’odeur du troupeau » qui atteste son sens de la foi (en tant qu’ « Église-sujet », cf. LG 12a). Les processus décisionnels nécessitent non seulement d’écouter la communauté ecclésiale, mais aussi de demander formellement un avis ou un conseil aux fidèles concernés. Or, du point de vue des pasteurs, demander un avis est un acte exigeant. Ils ne peuvent plus faire comme s’ils n’avaient pas entendu. Ils sont en quelque sorte plus « obligés » d’écouter, c’est-à-dire plus liés par leur avis ou leur conseil qu’ils s’étaient proposés d’entendre. Demander un conseil engage la personne qui le fait.

À ce stade, on mesure la pertinence de la question posée dans l’IL en vue de la session d’octobre 2023 : « Dans quels cas un évêque pourrait-il se sentir obligé de prendre une décision qui diffère de l’avis réfléchi offert par les organes consultatifs ? Quel serait le fondement d’une telle obligation ? » (IL B.2.5 suggestion 4). Autrement dit, dans quels cas l’évêque est-il obligé de suivre un avis divergent ? Cela induit que l’attitude « normale » serait de ne pas prendre une décision qui diffère des avis recueillis. L’IL se fait ainsi écho, par ce biais, de l’aspiration légitime des fidèles à participer aux décisions qui concerne la vie et la mission de leurs communautés respectives. Cette question s’applique mutatis mutandis au curé, en l’occurrence dans le Conseil pastoral de paroisse (c. 536), et même à tous les pasteurs dans l’Église ainsi qu’aux autres supérieurs dans la vie consacrée et modérateurs des associations de fidèles.

La question posée par l’IL (B.2.5 suggestion 4) ne semble pas avoir été travaillée comme telle par les membres du Synode : elle est restée hors de portée de leurs échanges, malgré les éléments de clarification dans des documents procurés par les « experts » – ce qui n’est pas surprenant, vu leur relative marginalisation lors de la session d’octobre 2023[16]. Même si elle n’a pas reçu de réponse formelle ou formalisée, la question du poids de l’avis des fidèles ou de la communauté dans les processus décisionnels a cependant suscité une accentuation de la coresponsabilité de tous, en particulier dans le chapitre 18 du RS consacré aux « organismes de participations ».

Dans ce même chapitre, outre la proposition de rendre obligatoire, les Conseils pastoraux (RS 18h), on trouve parmi les questions à traiter celle de « développer la participation aux différents Conseils » et en particulier celle de « comment rapprocher les aspects consultatifs et délibératifs de la synodalité » (RS 18g). Le pluriel des adjectifs surprend. Une fois de plus, on gagne à se reporter à l’original italien du RS, qui s’exprime en ces termes : « come possiamo intrecciare l’aspetto consultivo e quello deliberativo della sinodalità? » Le verbe intrecciare signifie « entrelacer », « enchevêtrer » ; il dit bien en l’occurrence ce qu’il s’agit de penser et de mettre en œuvre : je dirais qu’il s’agit de nouer ensemble ou, mieux encore, d’articuler le « consultatif » et le « délibératif ». Les Pères et Mères synodaux suggèrent ainsi qu’on ne peut se satisfaire du simplement consultatif (prendre l’avis, sans plus, alors que cela oblige !) ni du simplement délibératif (au sens strict, c’est-à-dire décider à voix égales). On notera de plus qu’en énonçant cette question « en vue de l’originalité évangélique de la communion ecclésiale » (ibid.), les Pères et Mères synodaux semblent avoir pressenti la difficulté inhérente à la plupart des processus décisionnels dans l’Église catholique, à savoir qu’ils sont « seulement consultatifs » et qu’il importe de ce fait de tenir compte du caractère sui generis du peuple de Dieu, corps du Christ habité par son Esprit.

Sur l’arrière-fond d’une ecclésiologie participative et inclusive, on mesure en effet l’insuffisance du binôme « consultation-délibération » qui sous-tend la législation canonique en matière d’organismes participatifs. « Articuler les aspects consultatif et délibératif », cela encourage à trouver une conceptualité canonique théologiquement conséquente avec la vocation et la mission de l’Église autant qu’avec la coresponsabilité différenciée des fidèles. La coresponsabilité est appelée à s’exprimer dans les instances participatives dès lors qu’ils sont sollicités à prendre part aux décisions qui affectent la vie de l’Église et sa mission.

Il y a déjà trente-cinq ans, le cardinal Francesco Coccopalmerio, alors professeur, s’exprimait en termes très clairs lorsque, à propos du Conseil pastoral paroissial, il affirmait que l’expression « votum tantum consultivum » était inappropriée si elle était comprise dans le sens du droit civil[17]. Elle s’écarte en effet d’une compréhension pneumatologique du corps ecclésial autant que du rôle de l’autorité pastorale en son sein et à son service, sa « tâche magnifique consistant (...) à reconnaître les services et les charismes propres » aux fidèles (cf. LG 30). Car s’en tenir « seulement » au processus consultatif disqualifie leur égalité foncière. Mais, par ailleurs, si l’on se limite au seul aspect délibératif, on efface la fonction du ministère apostolique. Comment sortir de la vision binaire induite par le binôme « consultatif-délibératif » ?

Pour sortir de l’impasse, je commence par me référer à une circulaire de la Congrégation du Clergé du 11 avril 1970, Presbyteri sacra ordinatione. Elle offre un premier jalon pour sortir de l’impasse grâce à une description du caractère consultatif du Conseil presbytéral. Celle-ci mérite d’être citée parce qu’elle peut s’appliquer par analogie à d’autres cas, le synode diocésain et les Conseils pastoraux. Elle dit : « [Le Conseil presbytéral] est dit consultatif parce qu’il n’a pas de voix délibérative ». Autrement dit, le consultatif n’est pas le délibératif dans le sens d’une délibération à égalité de voix. Et la Congrégation de conclure : « Il [le Conseil presbytéral] ne peut donc pas prendre de décisions qui lient l’évêque, à moins que le droit de l’Église universelle ou l’évêque, dans des cas spécifiques, ne lui accorde un vote délibératif ». Ce qui doit être sauvegardé, c’est la liberté pastorale de l’évêque en vertu de son ministère apostolique. Voilà donc un deuxième jalon, celui de l’autorité pastorale dont on doit tenir compte par sa fonction de garant de la communion ecclésiale et de l’apostolicité de sa foi.

Le même document romain de 1970 décrit le Conseil presbytéral comme un « organe consultatif de nature spéciale », en apportant deux précisions : elles sont décisives pour notre propos. D’une part, les délibérations ont lieu en union avec l’évêque et jamais sans lui, par un travail commun (cf. 9c). C’est le troisième jalon, celui de la coopération de tous. D’autre part, la décision appartient à l’évêque, qui en est personnellement responsable au titre de son ministère (cf. 9d). En d’autres termes, la délibération dans l’Église se fait avec l’aide de tous, jamais sans l’autorité pastorale qui décide certes personnellement, mais en vertu de son ordination et de sa charge. C’est ainsi le quatrième jalon : si tous ont été associés dans une « coresponsabilité différenciée », la décision finale revient à l’autorité pastorale qui en prend la responsabilité ultime de l’inscrire dans la communion de l’Église et de la marquer du sceau de l’apostolicité de la foi.

IV Autorité pastorale, large majorité et prise de décision

Techniquement parlant, les processus décisionnels en Église – ou la délibération dans l’Église – se déploient selon ce que nous avons évoqué : l’écoute et l’avis demandé qualifient la consultation qui oblige d’une certaine façon l’autorité concernée dès lors qu’elle ne peut plus faire comme si elle n’avait pas sollicité les fidèles ou la communauté. L’Assemblée synodale d’octobre 2023 a beaucoup insisté sur l’importance et l’incidence de l’écoute dans la vie de la communauté ecclésiale et pour sa mission : le substantif revient 37 fois, le verbe 25 ; et un chapitre entier est consacré à cette attitude, à savoir le chapitre seizième, « Pour une Église qui écoute et accompagne » (RS 16). Voyons ce que peut nous apprendre la législation canonique en vigueur pour voir « comment articuler les aspects consultatif et délibératif[18] ».

L’écoute est impérative de la part des supérieurs ou de l’autorité compétente. Mais celui qui consulte ou accepte l’avis d’un individu ou d’une communauté ne peut plus se comporter comme s’il n’avait pas sollicité leur avis. Le Code établit les conditions de validité de la consultation individuelle et collective. Lorsqu’un supérieur a besoin de l’avis d’un groupe de personnes ou d’un collège, il doit le convoquer et le consulter selon le droit (c. 127 § 1 et c. 166 ; cf. c. 166-173 et les statuts de l’organisme en question)[19].

Tant dans une consultation collective (c. 127 § 1) que dans une consultation individuelle (§ 2), le Code prévoit que « bien qu’il n’ait aucune obligation de se rallier à leurs avis même concordants, le Supérieur ne s’en écartera pas sans une raison prévalente dont l’appréciation lui appartient, surtout si ces avis sont concordants » (c. 127 § 2, 2 ; cf. CIC 1917 c. 105). Deux leçons de grande importance peuvent être tirées de cette norme. D’une part, le supérieur consultant reste libre ; d’autre part, il ne s’écartera pas de l’avis sans une raison convaincante (lat. sine praevalenti ratione). Cela rejoint ce qui a été dégagé il y a un instant de la circulaire de 1970. En principe, le supérieur suivra les avis concordants des personnes qu’il a consultées, à savoir la majorité. Il n’est pas légalement obligé de le faire, mais généralement il le fera. S’il s’obstine à ne pas suivre les avis concordants, sa crédibilité sera sérieusement entamée car il prendra sa décision en s’isolant du groupe ou des individus dont il est responsable et qui sont d’une manière ou d’une autre liés à lui, et lui à eux.

À la vérité, l’ignorance de beaucoup en matière canonique et plus encore des préjugés anti-juridiques font que les principes fondamentaux de la consultation énoncés dans le canon 127 ne sont pas connus et donc pas pratiqués. Il serait dès lors souhaitable qu’ils soient énoncés de iure condendo, c’est-à-dire dans la révision du Code, de manière plus adéquate, en tenant compte non pas de l’aspect collégial au sens strict, mais de l’aspect corporatif des Conseils dans l’Église, ce qui implique leur caractère organique et inclut la relation symbolique (au sens de tenir ensemble, mieux encore « pas [les uns] sans [les autres] ») entre les membres et leur supérieur.

En ce sens, l’Instruction In Constitutione apostolica de 1997 sur les synodes diocésains rappelle que les membres du synode n’y sont pas « externes » puisqu’ils en font partie et « collaborent activement à l’élaboration de ses déclarations et de ses décrets » (I, 2a)[20]. Rappelons ici le verbe « élaborer » ! L’Instruction précise ensuite – pour rappel Presbiteri sacra ordinatione le disait déjà – que « l’évêque reste libre de la suite à donner à l’issue des votes, même s’il fait en sorte de suivre l’avis communément partagé par les membres synodaux, à moins qu’y fasse obstacle une cause grave qu’il lui appartient d’évaluer coram Domino » (IV, 5b ; ce qui est en italique suggère que l’Instruction voulait souligner la liberté de l’évêque !).

De même, le Directoire Apostolorum Successores de 2004 sur la charge pastorale des évêques[21] souligne le caractère organique de la communion ecclésiale et des organes participatifs (165) et, au sens du canon 127 § 2.2, prescrit que l’évêque ne doit pas s’écarter des opinions ou des votes exprimés par une large majorité « à moins de graves motifs à caractère doctrinal, disciplinaire ou liturgique » (171a). Autrement dit, les fidèles dont les pasteurs sollicitent l’avis élaborent donc avec eux les décisions concernant la vie, le gouvernement, le témoignage et la mission de la communauté. Il s’ensuit que les pasteurs ne gouvernent pas, ni n’accompagnent le peuple de Dieu sans les fidèles qu’ils sont appelés à consulter dans les « organismes de participation » prévus par le Code ou, le cas échéant, dans d’« autres formes (institutionnelles) de dialogue » (cf. EG 31), selon ce que requiert le gouvernement pastoral de leur communauté.

À cet égard, les sciences sociales nous offrent une distinction très utile pour honorer la dimension pneumatologique de la coresponsabilité baptismale de tous, chacun selon ses charismes propres, sans préjudice du ministère de présidence des pasteurs. Dans la prise de décision comme processus, l’accent est tout d’abord mis sur l’élaboration : c’est la distinction anglo-saxonne entre decision-making et decision-taking.

Tous les fidèles sont impliqués dans l’élaboration de la décision, ce qui suppose l’examen de la situation, l’écoute des personnes concernées et de la Parole de Dieu pour accueillir ce que l’Esprit dit à l’Église en ce lieu. En plus de ces éléments, l’élaboration commune en requiert d’autres tels que l’attention particulière aux personnes qui vivent cette situation ou qui en souffrent, l’engagement de chacun pour le bien de tous et l’intérêt général, la liberté spirituelle de chacun par rapport à ses propres positions, la prise en compte du Magistère de l’Église, la volonté de procéder de manière inclusive sans préjuger des opinions divergentes, la sérénité pour aborder avec respect les conflits ou les oppositions, le désir de créer le maximum de convergences dans les résolutions proposées, la patience pour se donner le temps du discernement, etc. N’est-ce pas tous ces éléments qui permettent de qualifier la dynamique du peuple de Dieu de synodale ?

L’expérience de ce discernement en Église est un apprentissage proprement ecclésiogénétique[22]. Elle ne se fait pas seulement dans l’Église, mais elle « fait l’Église » dans la mesure où, ensemble, dans la diversité des vocations, des charismes et des ministères, les baptisés écoutent la Parole de Dieu dans le miroir de la réalité, en tenant compte des signes des temps en vue de s’engager dans l’histoire sous l’action de l’Esprit Saint, concrètement dans leur milieu pour qu’y (sur)vienne le Royaume de Dieu (langage des synoptiques), pour qu’on y reçoive la plénitude de vie (langage johannique) ou la grâce du salut (langage paulinien).

Ce processus d’élaboration collective est un processus qui se déroule dans le temps, il a donc sa propre temporalité et implique divers facteurs, tant objectifs que subjectifs : la décision finale est en effet l’objectif du processus, où il ne s’agit pas en premier lieu de parvenir à un accord majoritaire, mais de vérifier le degré d’accord entre les parties intéressées. C’est la garantie que la décision sera acceptée, mûrie par le discernement de la volonté de Dieu avec l’aide de tous les intéressés[23]. Les perspectives ainsi développées devront trouver leur traduction technique de iure condendo, c’est-à-dire dans la révision du Code, mais aussi – pourquoi pas ? – dès à présent les moduler dans le droit particulier d’un diocèse ou d’une Conférence épiscopale.

Conclusion : Semper in ecclesia, numquam alii sine aliis

La décision est donc un processus véritablement ecclésial qui requiert l’engagement et l’aide de tous les fidèles concernés et de leurs pasteurs qui, à leur tour, découvrent et expérimentent qu’ils n’ont pas à décider seuls ou isolément, mais « en leur peuple », in consilio, c’est-à-dire synodalement – ou plutôt « en synode », ce qui équivaut à dire « en Église », in ecclesia[24]. Dans cette perspective, nous retrouvons ainsi le fil rouge de la grande tradition des premiers siècles attestée par les Pères de l’Église selon laquelle les pasteurs ne décidaient pas sans l’avis, des fidèles, leurs frères et sœurs avec qui ils tenaient conseil.

De nos jours, en tant que lieux institutionnels du discernement communautaire, les organismes de participation porteront dignement ce nom en associant les fidèles aux côtés de leurs pasteurs pour élaborer ensemble les décisions relatives à la vie et à la mission de la communauté en ce lieu avec le « rêve missionnaire d’arriver à tous » (cf. EG 31).

Les procédures décisionnelles n’évolueront de manière authentiquement synodale qu’en dépassant le minimalisme du « seulement consultatif » dès lors que l’on prendra au sérieux l’avis concordant inspiré par l’Esprit de sainteté. Il appartiendra aux pasteurs de prendre les décisions et dès lors de les inscrire dans la communion avec toute l’Église. Dans cette perspective, « prendre la décision » est une façon de maintenir la communauté dans la communion ecclésiale en même temps que les fidèles eux-mêmes, pasteurs et autres ministres inclus, sont maintenus dans la communion sur la base de leur coresponsabilité différenciée dans la mission commune. Bref, il s’agit de cheminer autant que de décider « toujours en Église, jamais les uns sans les autres ».

 

[1]. XVIe Assemblée générale ordinaire du synode des évêques, Pour une Église synodale : communion, participation, mission. Instrumentum laboris par la première séance d’octobre 2023, 20 juin 2023. Cf. <https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2023/06/20/0456/01015.html>.

 

[2]. Je renvoie ici à mon étude A. BORRAS, « Délibérer en Église : communion ecclésiale et fidélité évangélique », NRT 132 (2010), p. 177-196.

 

[3]. <https://Église.catholique.fr/synode-des-eveques-2024-sur-la-synodalite/546279-rapport-de-synthese-une-Église-synodale-en-mission/> ; on se reportera au texte italien qui est la référence pour les autres traductions : <https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2023/10/28/0751/01653.html>

 

[4]. Les rédacteurs du RS chargés à cet effet par le Secrétariat général du Synode (désormais SGS) ne sont pas parvenus à offrir à l’assemblée synodale d’octobre une version authentique en anglais alors qu’au départ c’était bien leur intention. Autrement dit, en rigueur de termes, seul fait foi le texte italien. On se souviendra que, précédemment, pour éviter les écueils d’une traduction successive d’une seule et unique version initiale, on parvint à rédiger conjointement en italien et en anglais le Document de travail pour l’étape continentale (désormais DEC), Élargis l’espace de ta tente, daté du 22 octobre 2022. Cette prouesse rédactionnelle résultait du dépouillement par une trentaine de personnes de la consultation à l’échelle planétaire et de leur contribution collective à la rédaction italienne et anglaise. Les documents du SGS et a fortiori du processus synodal en cours ne sont certes pas des documents magistériels. Il n’empêche que leur interprétation, en particulier sur des points sensibles, peut être problématique vu l’absence de traduction authentique au moins en anglais (c’est-à-dire avec la caution et la garantie de l’auteur, en l’occurrence l’assemblée synodale qui approuve les textes soumis par les rédacteurs).

 

[5]. Cf. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale sur la vocation et la mission des fidèles laïcs dans l’Église et dans le monde Christifideles laici, 30 déc. 1988. Cf. A. BORRAS, « La coresponsabilité : enjeux théologiques et institutionnels », dans O. Bobineau et J. Guyon, La coresponsabilité dans l’Église, utopie ou réalisme ?, coll. Religion et Politique, Paris, DDB, 2010, p. 69-89.

 

[6]. G. ROUTHIER, Le défi de la communion. Une relecture de Vatican II, Montréal - Paris, Médiaspaul, 1994, p. 189.

 

[7]. Dans l’IL, le concept de coresponsabilité apparaissait déjà fréquemment (19 occurrences), et l’adjectif encore plus (44 fois). La coresponsabilité est celle de tous les membres du peuple de Dieu (IL 20), dans la mission de l’Église (IL 21, B.2.1 suggestion 6 ; B.2.2 [4 fois] ; B.3.3 a.c) et dans les processus de décision (IL, B.2.3, suggestion 3e [2 fois]) ; c’est un esprit (IL 42 ; B.1.4 in fine), mais se retrouve dans le mode de gouvernance de l’évêque (B.2.5, cf. question de discernement) et caractérise une Église missionnaire « entièrement ministérielle » (B.2.2 suggestions 1.4 et 5) et dans la relation entre les ministères (B.2.4). Le concept est lié à la transparence dans la vie et la mission de l’Église (B.3.3, suggestion 1).

 

[8]. Cf. A. BORRAS, «La synodalité du Peuple de Dieu», Prêtres diocésains 1337-1138 (mars-avril 1996), p. 263-280 ; « La coresponsabilité » (cité n. 5), p. 69-89 ; « Trois expressions de la synodalité depuis Vatican II », ETL 94 (2014), p. 643-666 ; « La synodalité ecclésiale : diversité de lieux et interactions mutuelles », RSR 107 (2019), p. 275-299.

 

[9]. Pape FRANÇOIS, Discours à l’occasion de la commémoration du 50e anniversaire de la création du Synode des évêques, 17 oct. 2015, <https://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2015/october/documents/papa-francesco_20151017_50-anniversario-sinodo.html>.

 

[10]. Les événements synodaux présupposent un habitus, un « style » et leur formalisation institutionnelle ; ils ne sont rien d’autre que la mise en œuvre concrète des institutions synodales aux niveaux local, régional et universel, impliquant le peuple de Dieu et ses pasteurs (CTI, La synodalité dans la vie et la mission de l’Église, 2 mars 2018, 70c).

 

[11]. CTI 114, citant le pape FRANÇOIS dans son Discours du 17 oct. 2015 (voir n. 9).

 

[12]. Secrétariat général du Synode, « Élargis l’espace de ta tente » (Is 54,2). Document de travail pour l’étape continentale, 78-80 ; <https://www.synod.va/content/dam/synod/common/phases/continental-stage/dcs/Documento-Tappa-Continentale-FR.pdf>.

 

[13]. Les évêques ont le suffrage délibératif dans les conciles particuliers et les Conférences épiscopales, mais dans celles-ci les décisions qu’ils approuvent doivent se fonder sur une majorité qualifiée et sont soumises à la recognitio du Siège apostolique (c. 445 et 455 § 2). Enfin, au niveau de l’Église universelle, les évêques d’un concile œcuménique ont voix délibérative, mais les décrets conciliaires doivent être approuvés par le Pape en union avec les pères conciliaires, confirmés et approuvés par lui (cf. c. 341 § 1) ; en dehors d’un concile, les décrets du collège des évêques ont besoin de cette confirmation pontificale et de la promulgation (cf. c. 341 § 2). Quant au Synode des Évêques, il n’a de pouvoir délibératif que par concession du Pape (cf. c. 343 ; Const. ap. Episcopalis communio 3c, art. 18 § 2).

 

[14]. Songeons en particulier au consentement du Conseil qui entoure ou assiste le supérieur ou le modérateur dans la vie consacrée (c. 638 § 3, 647, 665 § 1, 684 § 1, 686 § 1 et 3, 688 § 2, 690, 703, 726 § 2, 743, 744 § 1, 745, 1018 § 1,2). Dans les instituts de vie consacrée (c. 573-720) ainsi que dans les sociétés de vie apostolique (c. 731-755), et dans les associations de fidèles, privées et publiques (c. 298-339), l’assentiment des membres est généralement requis pour les principales questions de la vie et du gouvernement de ces instituts, conformément à leurs propres statuts et constitutions.

 

[15]. Cf. ce passage du DEC, fruit du dépouillement de la consultation planétaire en 2022, en est bien un indice : « De nombreux rapports [des Conférences épiscopales] montrent la nécessité que ces organes ne soient pas simplement consultatifs, mais des lieux où les décisions sont prises sur la base de processus de discernement communautaire et non du principe de majorité tel qu’utilisé dans les régimes démocratiques » (78).

 

[16]. Cf. C. THEOBALD, « La première session de la XVIe assemblée générale ordinaire du Synode des évêques. Point d’étape sur un chantier ouvert », RSR 112 (2024), p. 15-31.

 

[17]. F. COCCOPALMERIO, De paroecia, Rome, ed. Pontificia Università Gregoriana, 1991, 172-174. Voir aussi son étude : « La “consultività” del Consiglio pastorale parrocchiale e del Consiglio per gli affari economici della parrocchia », Quaderni di Diritto ecclesiale 1 (1988), p. 60-65.

 

[18]. Bon nombre des réflexions qui suivent ont déjà été exposées dans d’autres de mes écrits, notamment très récemment A. BORRAS, « La sinodalità come elaborazione congiunta delle decisioni », dans V. Di Pilato (éd.), Sinodalità e partecipazione. Il soggetto ecclesiale della missione, Roma, Città Nuova, 2023, p. 49-63, en particulier p. 57-63.

 

[19]. Dans ce cas, pour que l’acte de consultation soit valide, le supérieur doit solliciter l’avis de tous (c. 127 § 1). En d’autres termes, il ne peut procéder de manière éclectique ou sélective ; c’est le groupe ou le collège en tant que tel qu’il doit solliciter. Lorsque, pour accomplir un acte, le supérieur doit demander l’avis d’individus, l’acte n’est pas valide s’il ne les entend pas (c. 127 § 2).

 

[20]. L’Instruction rappelle que le synode diocésain n’est pas un collège doté d’une capacité de décision, c’est-à-dire d’un vote délibératif : ses votes ne sont pas destinés à atteindre un accord majoritaire contraignant, mais à vérifier le degré d’accord des membres du synode sur les propositions faites. Comme Presbiteri sacra ordinatione de 1970, l’Instruction explique le caractère « consultatif » par la liberté de l’évêque diocésain d’accepter ou non les opinions exprimées.

 

[21]. <http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cbishops/documents/rc_con_cbishops_doc_20040222_apostolorum-successores_sp.html>. Le même 171 a ajouté à cet égard : « S’il en était besoin, l’évêque devra tout de suite montrer clairement que l’on ne peut jamais opposer le Synode à l’évêque en raison d’une prétendue représentation du peuple de Dieu ». Ceci est parfaitement compréhensible dans une perspective symbolique de la relation entre fidèles et pasteurs.

 

[22]. Cf. M. RONDET, « Le discernement dans la vie de l’Église », Christus 179 (1998), p. 275-283, ici p. 280-283, sur les discernements que doit opérer la communauté comme telle, dans sa vie institutionnelle. L’auteur distingue le discernement des signes des temps, l’écoute de la foi des fidèles, l’attention aux prophètes, l’acceptation de la légitimité et de la diversité dans la reconnaissance d’un même Esprit au milieu de nos différences.

 

[23]. Puisque le Code ne le prévoit pas encore, le droit particulier d’une Église locale devrait prévoir que, dans ses Conseils pastoraux, à l’écoute de tous, la communauté concernée et son pasteur élaborent la décision qu’il reviendra à ce dernier de prendre. L’établir déjà dans le droit particulier serait un premier rempart contre les dérives individualistes et autoritaires. Une assemblée « mixte » comme la Conférence ecclésiale amazonienne pourrait traduire dans son fonctionnement cette articulation entre les évêques et les autres membres, non évêques pour le traitement conjoint, coniunctim, des questions qui doivent conduire à une décision : tout le processus d’élaboration inclut chacun avec une voix égale, et sur la base d’un avis concordant les évêques prennent la décision appropriée et en assumant la responsabilité de la mettre en œuvre, c’est-à-dire de l’insérer dans la communion ecclésiale. Cf. A. BORRAS, « La Conférence ecclésiale pour l’Amazonie, une institution synodale inédite », ETL 97 (2021), 223-292.

 

[24]. Église et synode sont synonymes, comme l’a commenté Jean Chrysostome (Gr. ekklêsía synódou estìn ónôma, Exp. In Psalm, 149, 1 ; cf. PG 55, col. 493). Voir l’étude de S. PIÉ I NINOT, La sinodalitat eclesial. Ekklèsía suvódou estìn honoma (St Joan Crisòstom). Lliçó inaugural del curs acadèmic 1993-1994, Barcelone, éd. Facultat de Teologia de Catalunya, 1993 ; et son traité, Eclesiología. La sacramentalidad de la comunidad cristiana, coll. Lux mundi 86, Salamanque, Sígueme, 2007, p. 565-566.

 

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