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De l'individu à la personne, détours historiques

Baudoin Roger
Louis Dumont lie l'individualisme contemporain à l'imbrication des pouvoirs religieux et politique et analyse le développement des formes sociales qui en résultent au plan religieux, politique et économique. Suite à la désimbrication du politique et du religieux, l'Église développe dans sa doctrine sociale une critique de ces formes sociales et oppose à l'individu une conception de l'homme comme «personne» qui conditionne une conception juste de la société.

L’individualisme est devenu une référence si commune à la plupart de nos contemporains qu’il peut apparaître comme un fait indépassable. L’homme serait par essence un être autonome et les modes d’organisation de la société pensés à partir de ce postulat.

Marcel Gauchet1 explicite le processus historique de déploiement de l’individualisme à travers l’émancipation progressive de l’homme vis-à-vis du religieux. Dans son livre Le désenchantement du monde, il livre une description magistrale de cette évolution, évolution dont la nécessité semble liée au caractère essentiel de l’individualisme. Pour lui, la dynamique propre au religieux se « déplie » dans l’histoire, et l’individu apparaît comme le terme achevé de ce dépliement. Le christianisme, religion de la sortie de la religion, a conduit cette évolution à son terme : l’individualisme, qui serait comme le dernier mot de l’anthropologie.

Tout en accordant lui aussi un rôle important à l’Église dans ce processus, Louis Dumont2 se situe dans une perspective légèrement différente : il conçoit l’individualisme non comme une donnée essentielle, mais comme un fait historique dont l’émergence est liée à des configurations particulières de la société. Pour lui, l’origine de l’individualisme contemporain est associée à l’imbrication des pouvoirs politiques et religieux qui s’est opérée au milieu du haut Moyen Âge. Dans cette hypothèse, l’histoire reste ouverte à un au-delà de l’individualisme. D’où la question qui guide notre propos : si l’imbrication du politique et du religieux a été la source de l’individualisme, la désimbrication de ces deux pouvoirs ouvre-t-elle à un dépassement de l’individualisme ?

En nous situant dans la perspective historique de Louis Dumont, nous évoquerons d’abord la place de l’Église dans ce processus ; nous examinerons ensuite la position de l’Église suite à la désimbrication du politique et du religieux pour voir comment cette désimbrication aboutit à mettre en question un individualisme qui demeure pourtant la référence commune à nos sociétés.

I Aux sources de l’individualisme

Dans son dernier ouvrage Essai sur l’individualisme, Dumont s’interroge sur les origines de l’individualisme. Il convoque l’histoire dans une réflexion ample pour proposer une thèse simple : l’individualisme apparaît en réaction à une forme de société où toutes les dimensions de la vie sont prises en charge par les structures sociales, les sociétés « holistes ».

La société indienne, qui fut l’objet principal de ses travaux de sociologie, offre un premier exemple de société holiste : l’ordre social qu’elle constitue est total et englobe l’ensemble de la société dans toutes ses dimensions. Pour lui, l’individu émerge en réaction à la structure holiste de la société indienne sous la forme du « renonçant ». En éprouvant les interdépendances étroites qu’impose la société indienne, le renonçant prend conscience de son individualité et trouve une nouvelle indépendance par ce renoncement au monde, qui est une « une libération des entraves de la vie telle qu’elle est vécue dans ce monde »3.

Dumont trouve dans le stoïcisme de l’époque hellénistique un second marqueur de ce lien qu’il dégage entre société holiste et individualisme. Les cités grecques véhiculaient un sens collectif plutôt qu’un sens de l’individu : chacun se pensait comme membre d’une cité, dans le cadre d’une identité collective définie notamment par opposition aux cités voisines. L’émergence de l’empire d’Alexandre bouleversa cet ordre et plaça l’homme dans le cadre d’une nouvelle société holiste : les cités grecques sont dorénavant sous la coupe d’un pouvoir qui unifie le politique et le religieux sous une forme de royauté sacrale, et dans un empire dont les frontières géographiques débordent l’horizon de ses membres. Or le stoïcisme se développe précisément dans la période hellénistique qu’ouvre la mort d’Alexandre. Dumont voit dans ce développement l’émergence d’une conscience de l’individualité en réaction à une société unifiée et totalisante. Le stoïcien lui apparaît ainsi comme un analogue du renonçant indien, puisque, d’une certaine manière, lui aussi renonce au monde : dans son indifférence au monde, et, bien que revenant au monde en s’y adaptant, il « se définit toujours comme étranger au monde »4. Renonçant indien et stoïcien sont pour Dumont deux exemples de ce qu’il nomme « l’individu-hors-le-monde », individualisme fruit d’un mouvement d’échappement à une société holiste.

L’influence du christianisme

Le christianisme apparaît comme la matrice d’un nouvel individualisme que Dumont qualifiera, comme nous le verrons, d’individualisme-dans-le-monde.

Avant de parcourir avec lui le développement historique de cet individualisme, reconnaissons tout d’abord que le christianisme comme tel contribue à développer une conscience individuelle, une conscience du « je », là où le judaïsme soulignait davantage la conscience collective, en termes de peuple et de conscience du « nous ». Mais cette conscience du « je » en régime chrétien s’applique essentiellement à la relation avec Dieu. Nous sommes donc devant une première forme d’individualisme encore très éloignée de l’individualisme-dans-le-monde dont parlera Dumont. Par ailleurs, de par son essence, le christianisme est très éloigné de tout holisme social. D’une part, la séparation nette du politique et du religieux, une des nouveautés fondamentales du christianisme, est directement liée à la parole de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21 ; Mc 12,17 ; Lc 20,25). D’autre part, le Logos dans lequel le christianisme trouve son fondement n’est pas le Logos stoïcien, logos d’un ordre immanent au monde et qui place celui-ci sous le signe de la nécessité. Il est au contraire Verbe, expression d’une liberté transcendante et créatrice, le monde créé par ce Logos étant remis aux hommes (Gn 1,28). Ces réflexions montrent que, dans son essence, le christianisme se situe plutôt à l’opposé de toute forme de holisme, même si la dimension communautaire est centrale dans le christianisme, comme en témoigne l’eucharistie, sacrement de la communion. De même, le christianisme nourrit la conscience de la liberté singulière propre à chaque homme plutôt que l’individualisme.

Dumont ne rentre pas dans ces considérations sur l’essence du christianisme, mais il situe les racines chrétiennes de ce nouvel individualisme dans la forme précise que le christianisme prendra à une certaine période de l’histoire. En effet il montre comment, à partir du moment où le christianisme établit un lien fort avec le politique en outrepassant son principe de séparation du politique, il constitue une nouvelle société holiste et donne naissance, par réaction, à l’individualisme moderne.

II Les origines chrétiennes de l’individualisme moderne

Suivant l’hypothèse de Louis Dumont sur le lien entre holisme social et émergence de l’individualisme, retraçons les étapes de ce développement en lien avec les évolutions de l’Église.

En effet on assiste au VIIIe siècle à une transformation des rapports du politique et du religieux dont l’ampleur apparaît par contraste avec les époques antérieures.

La reconnaissance publique du christianisme par Constantin en avait fait une institution socialement reconnue. Mais, dans son rapport au religieux, Constantin se pensait tout à la fois serviteur de Dieu et responsable de l’Église, sans d’ailleurs jamais en faire complètement partie. Église et pouvoir politique se trouvaient ainsi dans un face à face, sous la commune référence à un Dieu fondant leur autorité respective. La doctrine du pape Gélase (Ve siècle) s’inscrit dans ce cadre : elle établit la distinction entre le politique et le religieux, en précisant la double dépendance qui les lie chacun dans son ordre. Le roi doit se soumettre aux ministres de l’Église dont il reçoit le salut ; le prêtre est subordonné au roi dans les affaires mondaines. La relation n’est cependant pas strictement symétrique : la supériorité affirmée de l’Église est liée au fait qu’elle s’occupe des choses divines, du salut, ce qui relativise l’importance des affaires du monde.

L’imbrication du politique et du religieux : emboîtement hiérarchique

Les sacres de Pépin le Bref puis de Charlemagne marquent un changement dans ces rapports du politique et du religieux : le pouvoir politique trouve sa consécration dans le pouvoir spirituel ; quant à l’Église, ayant adjoint le duché de Ravenne à celui de Rome, elle exerce l’autorité politique sur ce qui devient les États Pontificaux. Dumont note qu’« un changement est introduit dans la relation entre le divin et le terrestre : le divin prétend maintenant régner sur le monde par l’intermédiaire de l’Église »5. La relation entre le politique et le religieux est bouleversée, et s’engage le mouvement qui conduira à une société holiste : « À la dyarchie hiérarchique de Gélase se substitue une monarchie d’un type sans précédent, une monarchie spirituelle »6.

Il importe de bien situer la nature de ce changement. L’adjonction d’une dimension politique au pouvoir de l’Église n’est pas nécessairement l’expression d’une volonté de puissance. Ce rapprochement progressif du politique reflète de fait une perception plus nette par l’Église de l’importance de la dimension temporelle dans le salut. La différence des perspectives entre Augustin et Thomas d’Aquin en témoigne. Quand Augustin distingue la Cité de Dieu de la cité humaine, il le fait pour exalter la première au détriment de la seconde. Son intérêt pour la cité des hommes est lié à des enjeux moraux et spirituels, mais cet intérêt est limité par la primauté accordée à la cité de Dieu et par la perspective eschatologique. Quant à Thomas d’Aquin, il s’intéresse à la communauté en raison de la conscience aigue qu’il a de son importance pour l’homme, en particulier eu égard au péché et à la béatitude (ST Ia, IIae q.4, a.8) : le péché de l’homme, comme sa béatitude, impliquent la communauté, l’Église doit donc s’y intéresser. Il ouvre en cela une place au politique : si le chrétien n’est pas du monde, il est dans le monde, et la forme que prend ce monde n’est pas indifférente pour son salut. La prise de conscience de cette continuité entre le temporel et le spirituel conduit l’Église à prendre de plus en plus en compte les questions temporelles, et cela à l’intérieur des fins spirituelles qu’elle poursuit. En ce sens un rapprochement du politique était légitime pour l’Église.

Or cette évolution s’opère concrètement sous la forme du passage d’une relation de face à face à ce qu’on peut appeler un « emboîtement hiérarchique », qui se concrétise dans l’État confessionnel et par le projet d’une « société chrétienne ». L’Église tendra donc à se soumettre le pouvoir politique pour le mettre au service des valeurs supérieures7, les valeurs chrétiennes, notamment par l’alignement des lois civiles sur les préceptes évangéliques. Le politique était considéré ainsi par l’Église comme le relais en aval de son action, en vue du salut des membres de la société.

Emboîtement « en amont » et emboîtement « en aval »

Avant d’examiner les spécificités de cet individualisme, faisons deux remarques touchant à la position de l’Église et à son « emboîtement ». Tout d’abord, il semble important de distinguer deux aspects de cet emboîtement. L’emboîtement « en amont » concerne la manière dont l’Église conçoit sa relation à Dieu, à la vérité de la Révélation et au salut. On parlera d’« emboîtement amont » dans la mesure où l’Église est étroitement unie à Dieu, dépositaire de la vérité de la Révélation qui lui est confiée sans reste. L’Église peut alors être considérée comme détentrice d’une vérité objective. Cet emboîtement « en amont » justifie un emboîtement « en aval », i.e. l’association du politique et du religieux que décrit Dumont. Au nom de sa mission et de la vérité qu’elle porte (emboîtement en amont), l’Église se considère pleinement responsable du salut des hommes et donc légitimement fondée à se soumettre le politique dans ce but (emboîtement en aval).

Enfin, seconde remarque, il importe de rappeler que, si l’intérêt de l’Église pour les questions temporelles exprime une compréhension plus complète de sa mission, la forme de l’« emboîtement hiérarchique » contrevient au principe de la séparation du religieux et du politique énoncé par Jésus dans l’Évangile. Quoiqu’il en soit, cet emboîtement est un fait historique, et la rigidité, même relative, de cet emboîtement se traduira par l’émergence d’une société holiste qui contribuera au développement de l’individualisme moderne.

L’individualisme « dans-le-monde »

L’individualisme qui en résulte est qualifié par Dumont d’« individualisme-dans-le-monde », par opposition à l’« individualisme-hors-le-monde » du renonçant indien ou stoïcien. En effet, cet « individu-dans-le-monde » demeure en société ; s’il est « non social », il l’est principalement « en pensée ». Plusieurs éléments concourent à cette nouvelle forme d’individualisme. Tout d’abord, l’individu chrétien, en relation personnelle avec Dieu, n’est pas « du monde » (Jn 15,19) et tend à relativiser l’importance de la vie dans le monde par rapport à l’union à Dieu. Cette distance par rapport à un monde dans lequel il demeure lui donne une « latitude accrue dans la plupart des affaires du monde »8. Par ailleurs, comme nous l’avons rappelé, dans la visée chrétienne, le rapport de l’homme au monde n’est pas placé sous le signe de la nécessité, comme dans la cosmologie stoïcienne. La liberté créatrice a placé l’homme au-dessus de la nécessité qui régit la nature : la loi naturelle est, pour l’homme, celle de sa raison et il a toute latitude pour organiser le monde conformément à cette loi de la raison. Dès lors, le holisme de la société chrétienne pouvait donner naissance à un individualisme qui ne serait plus hors le monde, comme dans le cas de ses prédécesseurs indiens et stoïciens, mais à un individualisme-dans-le-monde.

III Les formes sociales associées à l’individualisme dans le monde

Cette nouvelle forme d’individualisme n’est pas sans effet sur les structures sociales. D’une part, cet individualisme dans le monde, vécu à l’intérieur de la société, allait en transformer les structures et les institutions. D’autre part, l’évolution des formes sociales qui s’en suivent allait nourrir en retour l’individualisme parmi ses membres. La dynamique instaurée par ce double lien ira se déployant au point que l’individualisme deviendra la référence implicite pour tous. Dumont jalonne ainsi le développement de cet individualisme moderne par les différentes formes sociales auxquelles il donne naissance. On peut à ce propos relever trois étapes dans cette évolution au plan religieux, politique et finalement économique.

Avec la Réforme, apparaît d’abord une première forme sociale de l’individualisme. Elle s’inscrit dans le domaine religieux. Le fidèle y est en relation directe avec Dieu, il devient l’interprète autorisé des Écritures, tandis que son salut relève de la seule grâce de Dieu. À l’origine de cet individualisme, les Réformateurs rejettent une conception holiste de l’Église fondée sur ses prétentions à une médiation salvifique, et que ses compromissions mondaines disqualifient. La Réforme rompt ainsi ce que nous avons appelé « emboîtement amont » entre le Christ et l’Église : alors que l’Église tendait à s’approprier le salut en s’identifiant trop étroitement au Christ, la Réforme introduit une distance entre Dieu et les institutions religieuses.

Cette conception affecte les modalités du salut, mais aussi le lien entre le temporel et le spirituel, lien auquel l’emboîtement du religieux au politique tentait de répondre. Le salut ne dépend plus des œuvres de l’homme, il tend à être renvoyé dans l’au-delà, tandis que, dans un monde qui n’a plus de lien étroit avec l’au-delà, l’action de l’homme n’est plus directement liée à son salut. S’établit ainsi une discontinuité entre le spirituel et le temporel. Paradoxalement, dans un tel contexte, le religieux, qui reste en deçà des fins spirituelles en raison de son désemboîtement « en amont », tend à un emboîtement plus strict encore avec le politique, le politique tendant à prendre le pas sur le religieux. Loin de réduire le holisme de la société chrétienne, la Réforme aboutit à l’exacerber, et par là à nourrir l’individualisme qui en résulte.

Ces évolutions ont des conséquences au plan politique : on tend à penser l’État à partir des individus qui le composent, tandis que la séparation du temporel et du spirituel conduit à fonder l’État dans le seul consentement de ses membres, indépendamment de toute référence transcendante. Depuis les réflexions de Marsile de Padoue sur l’État jusqu’à la Révolution, on peut suivre les étapes de l’élaboration d’une forme politique où l’État a son fondement dans le peuple, ensemble d’individus égaux et libres, et est affranchi de toute dépendance à l’égard du religieux. L’individualisme donne ainsi naissance à une forme politique nouvelle fondée sur un concept de représentation et affranchie du religieux.

Enfin, le libéralisme apparaît comme la troisième forme sociale correspondant de l’individualisme, cette fois dans le domaine de l’économie. Dumont montre, notamment dans Homo aequalis9, comment le libéralisme est basé sur une idéologie qui postule l’homme comme individu, et affranchit l’ordre économique des subordinations aux ordres politiques, moraux, et a fortiori religieux.

Religion réformée, État représentatif, libéralisme économique, ces trois formes sociales sont à la fois signe et facteur du développement de l’individualisme. Ils se développent en parallèle, en vertu du double lien qui unit l’homme à la société : les formes et institutions sociales sont produites par l’homme en fonction de la représentation qu’il a de lui-même, et inversement, celles-ci contribuent à leur tour à façonner la manière dont l’homme se pense.

Par sa référence au holisme, Dumont situe le fondement de ce développement dans la forme historique que prend le christianisme par son emboîtement hiérarchique au politique. En cela, il se distingue de Gauchet qui lie l’émergence de l’individualisme à l’essence du christianisme. Là où Gauchet voit l’individualisme comme le terme d’un processus nécessaire, Dumont ouvre l’histoire à un au delà de l’individualisme. Plus encore, son argumentation impose de s’interroger sur un au-delà de l’individualisme : l’individualisme, conduisant à affranchir le politique de son lien au religieux, ne détruit-il pas ce qui constituait son propre fondement ?

Pour prolonger la réflexion de Dumont, il nous faut regarder comment le désemboîtement du religieux et du politique a affecté l’Église.

IV Le détour de l’histoire

La Révolution française concrétise cet affranchissement du politique vis-à-vis de l’Église. Dans un premier temps, l’Église va s’opposer à cette évolution, marquant en cela son attachement à la forme de l’emboîtement hiérarchique, à l’État confessionnel et à la « société chrétienne ».

L’Église en posture d’opposition

En 1870, la perte des États Pontificaux place l’Église dans une situation nouvelle : sa séparation du politique est dorénavant une réalité qui s’impose à elle comme un fait. Il allait lui falloir repenser les modalités de ses relations à un monde sur lequel elle n’a plus de prises politiques directes, dépasser le schéma de l’emboîtement hiérarchique et l’idée d’une « société chrétienne » qu’elle aurait à instaurer.

Les questions politiques sont très présentes dans les premières encycliques de Léon XIII10. Le schéma de l’emboîtement hiérarchique y apparaît comme la référence sous-jacente à sa pensée. Elle conduit Léon XIII à suivre ses prédécesseurs dans une attitude d’opposition.

Celle-ci est motivée par la conception de l’homme qui prévaut et où celui-ci est affranchi de toute relation à Dieu, autonome dans l’exercice de sa raison et de sa liberté. Léon XIII dénonce comme contraires à la vision chrétienne cette conception et ses conséquences au plan politique : la liberté affranchie de tout lien à la vérité ; la société conçue comme construction humaine fondée sur le consentement de ses membres ; l’autorité de ses gouvernants découlant de la seule souveraineté du peuple et ne trouvant plus son origine en Dieu ; les lois, expression de la volonté de la majorité, indépendamment de la loi naturelle ou de la loi divine ; la séparation entre l’Église et l’État qui tend à circonscrire l’Église dans le domaine spirituel et à la soumettre à l’État.

L’Église, quant à elle, conçoit au contraire l’homme, non pas comme individu autonome, mais comme être social, en référence à Dieu, son créateur et sa fin ultime. La vérité que l’homme décèle à travers sa nature et ultimement par la révélation chrétienne est la norme de sa raison et de sa liberté11. Cette divergence anthropologique se prolonge au plan de la société : loin d’être une simple construction humaine, celle-ci a un caractère naturel qui correspond à la nature sociale de l’homme et lui est donc nécessaire pour atteindre sa perfection12. Les lois civiles ne peuvent être une construction humaine ; elles sont pour l’essentiel liées aux préceptes de la loi naturelle et c’est dans cette référence à la loi naturelle qu’elles trouvent leur force13. Plus généralement, l’autorité des gouvernants, nécessaire à l’ordre et à l’harmonie de la société, trouve son origine en Dieu14 ; elle y trouve aussi sa force15. Pour aider les hommes à atteindre leur perfection, les gouvernements doivent donc lutter contre les erreurs qui risquent de détourner les hommes16. Ils doivent aussi soutenir l’Église, la seule vraie religion17 sans laquelle il est impossible d’établir un ordre social juste et harmonieux. Ces quelques éléments illustrent le cadre de réflexion de Léon XIII : c’est celui de l’emboîtement hiérarchique entre l’Église et l’État confessionnel, visant à construire la société chrétienne. L’Église y surplombe les États, explicite les modalités d’un ordre dont elle seule a le chiffre et dont la réalisation est en partie déléguée à une sphère politique imprégnée de l’esprit chrétien.

La doctrine sociale de l’Église : un nouveau rapport à la société

La publication par Léon XIII de Rerum novarum en 1891 constitue le premier signe d’une évolution dans l’attitude de l’Église. Cette encyclique texte montre que l’Église prend finalement en compte une nouvelle forme de son rapport à la société. N’étant plus en prise directe sur la société par l’entremise du politique dans le cadre d’un emboîtement hiérarchique, elle entend exercer un magistère de la parole pour exposer les modalités d’un ordre qui correspondrait à l’Évangile, dénoncer les excès et les situations qui lui sont contraires. On y trouve les germes des prises de position à venir : la dignité de l’homme, l’antériorité de l’homme et de la famille sur l’État, les droits socio-économiques de l’homme sont au fondement de sa critique de l’ordre social.

Dans Quadragesimo anno (1931), Pie XI approfondit les réflexions de Léon XIII sur le fonctionnement de l’économie, et, confronté aux totalitarismes nazis et communistes, il revient sur la question de l’ordre politique. Dans ses encycliques Mit brennender sorge et Divini redemptoris (1937), il situe la personne humaine au sommet de l’ordre politique : l’homme a par nature une dignité et des droits qui s’imposent à la société18 ; quand à la société, elle est un moyen au service de la personne humaine19. L’affirmation de la primauté de l’homme sur la société lui apparaît le fondement nécessaire pour s’opposer aux totalitarismes politiques.

Ces réflexions sont reprises par Pie XII qui articulera les termes du désemboîtement de l’Église et de l’État. La séquence de ses Radiomessages témoigne de l’évolution progressive de sa pensée, notamment avec le Radiomessage de Noël 1942.

Dans le Radiomessage de Pentecôte 1941, Pie XII pose le problème : l’emprise excessive de l’État aux dépens des prérogatives de ses membres conduit à s’interroger sur l’extension du bien commun qui finalise l’action de l’État20. Cependant, son Radiomessage de Noël 1941 montre la persistance d’un attachement à l’imbrication Église-État. En effet Pie XII y situe la racine du mal dans l’autonomie d’un État qui s’est affranchi des « heureux rapports entre l’Église et l’État » ; il envisage comme solution le « retour au pied des autels … et à la foi » ainsi que le rétablissement de la loi morale manifestée par le Créateur ; il conclut en édictant les grands principes d’un ordre international à construire. Sa pensée s’inscrit donc toujours dans un schéma d’emboîtement hiérarchique où l’Église demeure la référence qui circonscrit le politique et lui assigne ses fins.

Le désemboîtement de l’Église – affirmation des droits de la personne

L’arrière-fond du Radiomessage de Noël 1942 est fort différent et témoigne d’une évolution profonde de la pensée de Pie XII. Reprenant les réflexions de Pie XI, il conçoit que l’État ne puisse pas être circonscrit par une Église qui le surplomberait, mais qu’il se définit en référence à la personne humaine dont le respect s’impose à lui21. Pie XII affirme ainsi les « droits fondamentaux » de la personne fondés sur sa dignité et qu’il appartient à l’État de garantir. Il réduit l’extension du « bien commun » en le définissant comme « les conditions extérieures nécessaires à l’ensemble des citoyens pour le développement de leurs qualités, de leurs fonctions, de leur vie matérielle, intellectuelle et religieuse ». Cette acception restrictive du bien commun illustre une évolution dans sa conception de l’État. Comme le fera remarquer par la suite J.C. Murray22, Pie XII développe une conception juridique de l’État, finalisée par un bien commun qui n’est pas un bien substantiel, mais qui assure les « conditions extérieures » permettant à chacun d’atteindre son bien substantiel. Il s’éloigne en cela du schéma d’emboîtement hiérarchique et de la conception éthique de l’État où celui-ci était finalisé par un bien commun substantiel, défini par l’Église, qu’il avait la charge d’accomplir pour ses membres. Dignité de l’homme, droits fondamentaux de la personne, bien commun, voilà autant de références qui montrent que l’instance qui transcende l’État pour le contenir n’est plus l’Église, mais la personne humaine.

Pour achever le mouvement de désemboîtement de l’Église, la référence première à la personne devait aussi s’étendre au plan religieux. C’est ce qui sera fait au Concile Vatican II : en précisant la manière dont l’Église se pense elle-même et dont elle pense son rapport aux hommes. L’Église opère ainsi un double désemboîtement, en amont et en aval, qui consacre l’évolution en cours et fait sortir définitivement du schéma hiérarchique.

À Vatican II, l’Église se qualifie « sacrement » (LG, 1) et « corps » dont le Christ est la tête (LG, 7). Elle reconnaît ainsi la « différence christologique » en partie occultée dans le passé : « l’Église n’est pas identique au Christ, mais elle se situe en face de lui »23. L’Église est bien l’instrument nécessaire du salut. Cependant le salut n’est pas son œuvre, mais d’abord celle du Christ. Cette distinction entre l’Église et le Christ, ou encore selon les termes du Cardinal Ratzinger, cette différence christologique, permet de prendre en compte la dimension historique dans laquelle la vérité se révèle et où le salut s’opère. Il s’agit bien en cela d’un désemboîtement « en amont », qui maintient la relation en Christ, tout en rejetant la rigidité d’une identification trop étroite qui ferait de l’Église une objectivation de la vérité.

Ce désemboîtement « en amont » est complété par un désemboîtement « en aval » dans Gaudium et Spes. L’Église se situe dans un rapport au monde qui est évoqué en terme de « dialogue mutuel » (GS, 40). L’Église « éclaire » l’humanité en révélant « à l’homme le sens de sa propre existence, c’est-à-dire sa vérité essentielle » (GS, 41), dans le cadre d’un dialogue respectueux de la « dignité de la conscience et de son libre choix » (GS, 41). Ce dialogue est ultimement fondé sur la reconnaissance de la liberté religieuse faite dans Dignitatis humanae. Les Pères abandonnent le modèle hiérarchique en mettant au premier plan la personne humaine et sa dignité24, et en affirmant le nécessaire respect de sa liberté, même dans le domaine religieux.

La liberté religieuse – primauté de la personne humaine

Les Pères reconnaissent que la liberté est intrinsèque à l’acte de foi. On ne peut donc opposer la vérité à la liberté, contraindre la liberté au nom de la vérité. Les rapports de l’Église aux hommes sont transformés en conséquence. En raison de son lien étroit au Christ, donc à la vérité, l’Église tendait à considérer la soumission des fidèles comme une garantie contre l’erreur où leur liberté pourrait les conduire. Elle reconnaît dorénavant que, par respect pour la personne humaine et sa dignité et en raison de la nature même de l’acte de foi, la liberté du fidèle doit être préservée de la contrainte, même au risque de l’erreur. En effet, la liberté est constitutive de l’acte de foi où l’homme reconnaît en sa conscience la vérité du Dieu qui se révèle.

L’affirmation du droit à la liberté religieuse bouleverse le schéma d’imbrication hiérarchique dans lequel l’Église se pensait. Étant le point de contact avec le divin, l’Église occupait le sommet d’une structure hiérarchique. Maintenant c’est la personne qui est au sommet. L’Église visait à réaliser le salut des hommes en s’adjoignant le concours de l’État. Or l’Église et l’État sont au service de la personne et concourent chacun dans son domaine à son développement et à sa perfection. Dans son rapport à l’État et aux hommes, l’Église se prévalait de l’autorité qui lui est donnée par Dieu et de la vérité qui lui était confiée. Elle fonde désormais son autorité sur la vérité dont elle est signe. L’Église diffusait la vérité en quelque sorte depuis l’intérieur d’elle-même. Dans le respect de la « différence christologique », elle fait désormais rayonner une vérité qui la dépasse et qui se révèle à travers elle dans l’histoire pour que les hommes la reconnaissent librement en conscience, et que, l’ayant reconnue, ils y adhèrent et règlent leur vie en conséquence (DH, 2).

V L’anthropologie au fondement de cette évolution

Ce rapide parcours nous a permis de retracer l’évolution de l’Église à partir de la perte des États Pontificaux, en nous appuyant sur les documents du Magistère. Il importe maintenant de dégager de ceux-ci certains éléments de cohérence qui touchent à leur fondement anthropologique.

Dignitatis humanae souligne de manière exemplaire le renversement qui met l’homme à la place centrale et qui impose de manière absolue le respect de sa conscience et de sa dignité. Cependant, cette primauté de la personne ne se limite pas au domaine religieux. Elle concerne l’ensemble des dimensions de l’ordre social, en particulier économique et politique. La référence à la primauté de la personne était déjà présente d’une manière explicite dans les réflexions de l’Église sur l’ordre politique et dans son affirmation des droits de l’homme comme norme de l’État. Elle était aussi présente de manière plus implicite dans les réflexions sur l’ordre économique, dans la mesure où c’est bien au nom de la personne humaine et du nécessaire respect de sa dignité qu’est développée la critique des excès de l’ordre économique25. D’une manière générale, c’est tout le développement de la doctrine sociale qui apparaît ici animé par un mouvement unique : celui qui met l’homme au centre et lui ordonne les institutions dans les domaines économique, politique et religieux.

Jean-Paul II le précise dans son encyclique Centisimus annus, en disant : « ce qui sert de trame et, d’une certaine manière, de guide à l’encyclique et à toute la doctrine sociale de l’Église, c’est la juste conception de la personne humaine, de sa valeur unique »26. En faisant référence à une « juste » conception de la personne humaine, Jean-Paul II introduit un élément complémentaire : ce qui permet de fonder un ordre social juste, ce n’est pas seulement d’assurer à l’homme cette place centrale dans les institutions, c’est de référer ces institutions à une « juste » conception de la personne humaine. C’est sur cette base que Jean-Paul II analyse les errements dans les domaines économique et politique comme les conséquences d’« erreurs anthropologiques »27. Au contraire, il souligne que « de la conception chrétienne de la personne résulte nécessairement une vision juste de la société »28. Il ouvre ainsi la réflexion sur les formes sociales en référence à leur fondement : la conception sous-jacente de l’homme.

Tout comme ses prédécesseurs Jean-Paul II rejette une conception individualiste de l’homme, qui n’honore pas sa dimension intrinsèquement sociale. L’Église reconnaît de façon absolue la singularité irréductible de chaque homme, mais elle ne pense pas moins cette singularité à l’intérieur d’un système de relations. D’où la référence à la « personne humaine » liée à la « nature sociale » de l’homme et qui prend en compte l’interdépendance entre l’homme et la société dans laquelle il vit (cf. Gaudium et spes, 25). Au fondement de la réflexion de l’Église et de la critique des ordres politiques et économiques qu’elle déploie dans sa doctrine sociale, il y a une conception de l’homme qui dépasse l’individualisme : une anthropologie de la « personne »29.

***

Au terme de ce parcours, nous pouvons mettre en évidence les traits saillants de l’évolution telle que nous l’avons retracée. Suivant Louis Dumont, à partir de l’imbrication de l’Église et de l’État, nous avons jalonné les étapes de l’émergence de l’individualisme en lien avec l’évolution des formes sociales aux plans religieux, politique et économique. Nous avons montré comment la réflexion critique de l’Église développée dans sa doctrine sociale mettait en cause, dans l’ordre inverse de leur émergence, les ordres économique, politique et religieux, en s’appuyant ultimement sur la place centrale de l’homme dans ces institutions. Au terme de ce développement, la conception de l’homme comme personne est ainsi apparue comme l’élément fondamental de cette doctrine sociale.

Le débat entre l’Église et la société sur les formes sociales se trouve ainsi renvoyé à son fondement ultime, celui qui touche à la conception de l’homme. Dans ce débat, l’Église propose une anthropologie de la personne qui s’appuie sur les sciences humaines et est nourrie par la Révélation : « le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (GS, 22). En articulant cette vision de l’homme dans des termes rationnels au sein d’un dialogue ouvert et respectueux avec ceux qui ne partagent pas sa foi, elle en ouvre la vérité à tous les hommes et les invite à repenser les formes sociales en conséquence : en référence à la dignité de la personne humaine, à ses droits fondamentaux et à sa liberté, notamment la liberté religieuse, pierre angulaire et sommet des droits de l’homme. Enfin, il importe de voir que ce parcours historique ne se résume pas à un retour à un schéma antérieur. Ce parcours était un détour nécessaire. L’évolution vers une anthropologie de la personne requiert en effet le passage par une anthropologie individualiste : l’homme ne peut pleinement assumer son caractère relationnel, et donc personnel, qu’après avoir d’abord pris conscience de sa singularité, et donc de son individualité. En d’autres termes, pour pouvoir se concevoir comme un « je-en-relation » il fallait d’abord qu’il se conçoive comme un « je ».

De l’individu à la personne, l’Église a parcouru ce qu’on pourrait appeler un long détour de l’histoire, pour exhiber ce qui apparaît comme un des éléments fondamentaux de la Révélation chrétienne : l’homme, créé à l’image de Dieu, est une « personne ». Si l’Église a contribué à l’émergence de l’individualisme, celui-ci n’est pas le terme de l’histoire. À la lumière de la désimbrication du politique et du religieux, l’individualisme apparaît comme un moment de l’histoire dont le dépassement ouvre à une conception plus juste de la personne humaine et à un renouvellement de la conception des formes sociales.

Notes de bas de page

  • 1 Gauchet M., Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.

  • 2 Dumont L., Essai sur l’individualisme, Paris, Seuil, Points Essais, 1983.

  • 3 Ibid., p. 38

  • 4 Ibid., p. 41.

  • 5 Dumont L., Essai … (cité supra n. 2), p. 68.

  • 6 Ibid., p. 69.

  • 7 Inversement, le politique tend à se servir du religieux : le roi sacralisé détient une légitimité incontestable. Comme le montre Dale Van Kley, l’association du politique et du religieux sera à la fois la source de l’absolutisme sacré et la cause de sa fin. Cf. Dale K. Van Kley, Les origines religieuses de la Révolution française, 1560-1791, Paris, Seuil, 2002.

  • 8 Dumont L., Essai … (cité supra n. 2), p. 51.

  • 9 Dumont L., Homo aequalis Tome 1, Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris, Gallimard, 1985.

  • 10 Inscrutabili Dei consilio publié le 21 avril 1878, soit deux mois après son élection – Quod apostolici muneris, le 28 décembre 1878, sur les erreurs des modernes – Diuturnum (1881) sur l’origine du pouvoir civil – Immortale Dei (1885) et Sapientae christianae (1890), sur les principaux devoirs des chrétiens.

  • 11 « …c’est absolument dans la loi éternelle de Dieu qu’il faut chercher la règle et la loi de la liberté, non seulement pour les individus, mais aussi pour les sociétés humaines » (Léon XIII, Libertas praestantissmum).

  • 12 « …si la nature elle-même a institué la société, ce n’a pas été pour qu’elle fût la fin dernière de l’homme, mais pour qu’il trouvât en elle et par elle des secours qui le rendissent capable d’atteindre à sa perfection » (Léon XIII, Sapientae christianae §3).

  • 13 « …les préceptes de droit naturel compris dans les lois des hommes n’ont pas seulement la valeur de la loi humaine, mais ils supposent avant tout cette autorité bien plus élevée et bien plus auguste qui découle de la loi naturelle elle-même et de la loi éternelle » ; « …la force des lois humaines consiste en ce qu’on les regarde comme une dérivation de la loi éternelle… » (Léon XIII, Libertas praestantissmum).

  • 14 « …les catholiques se séparent de ces nouveaux maîtres ; ils vont chercher en Dieu le droit de commander et le font dériver de là comme de sa source naturelle et de son nécessaire principe. » (Diuturnum). Léon XIII reprend aussi Rm 13,1 : « Il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu : et celles qui sont, ont été établies de Dieu. C’est pourquoi, qui résiste à la puissance résiste à l’ordre de Dieu » (Quod apostolici muneris).

  • 15 « …ceux qui administrent la chose publique doivent pouvoir exiger l’obéissance dans des conditions telles que le refus de soumission soit pour les sujets un péché … Dieu seul, en tant que créateur et législateur universel, possède une telle puissance ; ceux qui l’exercent ont besoin de la recevoir de lui et de l’exercer en son nom … refuser de rapporter à Dieu comme à sa source le droit de commander aux hommes, c’est vouloir ôter à la puissance publique et tout son éclat et toute sa vigueur. En la faisant dépendre de la volonté du peuple, on commet d’abord une erreur de principe, et en outre on ne donne à l’autorité qu’un fondement fragile et sans consistance. » (Léon XIII, Diuturnum). « …si ceux-ci (les sujets) sont une fois bien convaincus que l’autorité des souverains vient de Dieu, ils se sentiront obligés en justice, à accueillir docilement les ordres des princes et à leur prêter obéissance et fidélité » (Léon XIII, Immortale Dei).

  • 16 Ils peuvent cependant tolérer « certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en vue d’un mal plus grand à éviter ou d’un bien plus grand à obtenir ou à conserver » (Léon XIII, Libertas praestantissmum).

  • 17 « Les chefs d’État doivent donc tenir pour saint le nom de Dieu et mettre au nombre de leurs principaux devoirs celui de favoriser la religion, de la protéger de leur bienveillance, de la couvrir de l’autorité tutélaire des lois, et ne rien statuer ou décider qui soit contraire à son intégrité » (Léon XIII, Immortale Dei).

  • 18 « …l’homme, en tant que personne, possède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger » (Pie XI, Mit brennender sorge).

  • 19 « La société est voulue par le Créateur comme le moyen d’amener à leur plein développement les dispositions individuelles et les avantages sociaux que chacun, donnant et recevant tour à tour, doit faire valoir pour son bien et celui des autres » (Pie XI, Mit brennender sorge).

  • 20 « la charge de ce bien commun ne comporte pas un pouvoir si étendu sur les membres de la communauté qu’en vertu de ce pouvoir il soit permis à l’autorité publique d’entraver le développement de l’action individuelle … Vouloir déduire une telle extension de pouvoir du soin de procurer le bien commun serait fausser le sens même du bien commun et tomber dans l’erreur d’affirmer que la fin propre de l’homme sur la terre est la société » (Radiomessage de Pentecôte 1941 §15).

  • 21 « L’origine et le but essentiel de la vie sociale doit être la conservation, le développement et le perfectionnement de la personne humaine ». PIE XII, Documents pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, Saint Maurice (Suisse), Éd. Saint Augustin 1962, chap. 71, p. 333.

  • 22 Murray J.C., « Vers une intelligence du développement de la doctrine de l’Église sur la liberté religieuse », dans Vatican II La liberté religieuse, coll. Unam Sanctam, Paris, Cerf, 1967, p.111-147.

  • 23 Ratzinger J., Église œcuménisme et politique, Paris, Fayard, 1987, p. 29.

  • 24 La dignité de la personne humaine forme bien sûr les premiers mots de Dignitatis humanae, mais elle est aussi l’objet du premier chapitre de Gaudium et spes (GS, 12), et est mentionné dans le premier paragraphe du chapitre de Lumen gentium consacré au peuple de Dieu (LG, 9).

  • 25 Cf. Murray J.C., « Vers une intelligence du développement de la doctrine de l’Église sur la liberté religieuse », dans Vatican II La liberté religieuse – Unam Sanctam Cerf (1967), pp. 111-147.

  • 26 Jean-Paul II, Centesimus annus, 11.

  • 27 « L’erreur fondamentale du socialisme est de caractère anthropologique » (Jean-Paul II, centesimus annus §13) ; « Une démocratie authentique n’est possible que dans un État de droit et sur la base d’une conception correcte de la personne humaine » (Ibid. §46).

  • 28 Ibid. §13.

  • 29 Tout au long de son pontificat, Jean-Paul II ne cessera de se référer à la personne humaine.

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