La chiave migliore per interpretare il processo sinodale avviato nel 2021 e concluso nel 2024 potrebbe essere quella di un apprendimento che coinvolge tutta la Chiesa cattolica. L’articolazione delle diverse fasi del sinodo lo dimostra. Essa permette di cogliere importanti cambiamenti nell’equilibrio tra teologia del battesimo e teologia dei ministeri, nonché nella concezione della cattolicità ecclesiale. La vera dimensione teologica di questo apprendimento diventa percepibile quando lo si colloca nel lungo processo di recezione del Concilio Vaticano ii. È in questa luce che devono essere valutate le possibili conseguenze del sinodo.
Ouvert par le pape François le 9 octobre 2021 et clos le 27 octobre 2024, le synode « pour une Église synodale » a dérouté les observateurs et le grand public, pour deux raisons principales. D’abord, sa longueur inhabituelle a rendu le processus peu lisible pour le grand public, alors même qu’il constituait une garantie du mûrissement progressif d’un discernement ecclésial. Ensuite, les sentiments suscités ont été variés et souvent opposés. L’annonce du synode a donné à certains catholiques l’espoir de changements rapides, dans un contexte marqué par la révélation d’innombrables violences et abus sexuels perpétrés dans l’Église catholique, et après la Lettre au peuple de Dieu écrite par le pape François en 2018. D’autres, au contraire, ont craint que le synode ne serve de prétexte à de profondes transformations qu’ils redoutaient. Les uns et les autres se sont rejoints pour décrier la dernière année du processus, une fois qu’il était devenu clair qu’aucune réforme d’ampleur ne serait au programme de l’assemblée conclusive.
Nous défendrons ici une conviction différente : si le synode a montré combien des réformes structurelles s’avéraient difficiles à mener dans l’Église catholique, il est avant tout à comprendre comme un apprentissage ecclésial1. Ce processus complexe (i) doit s’apprécier à la lumière de deux évolutions ecclésiologiques qui relèvent d’un changement de culture plutôt que d’une réforme à proprement parler (ii). La portée proprement théologique apparaît alors, lorsqu’on resitue cet apprentissage dans la réception du concile Vatican ii (iii), qui se poursuit encore (iv).
I Rappel du processus
La longueur inhabituelle du synode avait pour but le mûrissement progressif du discernement dans l’Église catholique2. Pour cela, les différentes étapes, ponctuées par des documents successifs jusqu’au Document final3, ont varié les échelles.
1) Le processus synodal s’est ouvert par une vaste consultation qui, si elle n’a pas réussi à inclure l’intégralité du peuple de Dieu4, demeure néanmoins la plus vaste de l’Église catholique à ce jour. Ce travail a été synthétisé au niveau des diocèses puis des conférences épiscopales, avant que commence un va-et-vient entre des assemblées et des étapes d’approfondissement.
2) Un document de travail pour l’étape continentale, rédigé fin 2022, a nourri le travail de sept assemblées continentales5 au printemps 2023. Cela constituait une modalité nouvelle de travail dans les synodes récents. Certains continents, comme l’Amérique du Sud ou l’Afrique, avaient développé de longue date des modalités de travail à l’échelle continentale. D’autres vivaient pour la première fois des assemblées de ce type, comme en Europe. Précisons qu’il s’agissait d’« assemblées ecclésiales », c’est-à-dire que les membres étaient en grande partie des évêques, et en minorité d’autres baptisés.
3) Les textes élaborés par ces assemblées continentales ont permis l’écriture d’un nouveau document de travail (instrumentum laboris), qui a fourni la matière d’une première assemblée romaine à l’automne 2023. Le statut ecclésial de ces assemblées tenues à Rome en octobre 2023 puis octobre 2024 est singulier : elles constituent les deux sessions de la xvie assemblée générale ordinaire du synode des évêques mais certains des membres, comme pour les assemblées continentales, n’étaient pas évêques ; ces deux sessions du « synode des évêques » s’inséraient au cœur d’un « synode » qui, lui, durait trois ans – comme en témoignait l’ouverture solennelle du « synode » par le pape à Rome dès le 9 octobre 2021, et non au début de l’assemblée d’octobre 2023.
4) Le document de synthèse élaboré par l’assemblée romaine d’octobre 2023 a fourni une liste des consensus, des difficultés et des questions ouvertes par le processus synodal. Dès lors, le chemin s’ouvrait vers l’assemblée de 2024 pour réfléchir à la manière de vivre la mission de façon synodale dans l’Église catholique. Les diocèses et conférences épiscopales ont été de nouveau sollicités, pour faire connaître de bonnes pratiques synodales. C’est à ce moment que le pape François a fait un choix déterminant : il a soustrait au travail du synode la plupart des sujets complexes, en créant pour les examiner dix groupes de travail thématiques, qui associaient les dicastères romains compétents à des experts extérieurs. Ce qui semble avoir déterminé la nature des sujets confiés à ces groupes de travail est soit leur aspect conflictuel (par exemple sur les questions morales clivantes ou sur les ministères), soit leur aspect technique (par exemple sur la mission des nonces apostoliques ou sur les manières d’entendre les voix des pauvres dans l’Église). Un certain désintérêt médiatique a suivi rapidement cette décision du pape, de sorte que l’assemblée conclusive a suscité peu d’attention.
5) Pour clore ce processus, il revenait à l’assemblée d’octobre 2024 d’élaborer une définition partagée de la « synodalité » telle qu’elle est vécue dans l’Église catholique, et d’en tirer des conséquences sur la gouvernance de l’Église en répondant à la question : Comment être une Église synodale en mission ? Le document final (désormais DF) avait vocation à recueillir l’ensemble de l’apprentissage vécu pendant le synode et à l’expliciter, tout en identifiant des conversions vécues et à vivre. Il a été immédiatement approuvé par le pape François – nous y reviendrons –, ce qui lui confère un statut magistériel d’un type nouveau.
II Un double apprentissage ecclésiologique
Venons-en maintenant au contenu de l’apprentissage qu’a constitué ce long processus synodal.
1. Le rapport entre baptême et ministères
La question des ministères a été, pour beaucoup de catholiques, la « porte d’entrée » du synode. En écho à la Lettre au peuple de Dieu adressée par le pape François en 2018, les synthèses venues du monde entier regrettaient le cléricalisme persistant dans l’Église catholique. Beaucoup espéraient des évolutions dans les ministères ordonnés (comme l’ordination de femmes au diaconat) ou laïcs (via l’implication plus grande des laïcs dans la gouvernance des diocèses). Finalement, plus qu’à des changements dans l’architecture des ministères, c’est à un rééquilibrage entre baptême et ministères qu’aboutit le synode.
Le discernement synodal a bénéficié de l’insistance du pape François6 sur le sensus fidei, cette intuition de la foi qui donne à tout baptisé de détecter ce qui s’accorde à sa foi ou ce qui la contredit7. Le document final du synode relie la dignité baptismale, dont il affirme que rien n’est plus élevé, la participation du peuple de Dieu à la fonction prophétique du Christ et l’exercice du sensus fidei, « une certaine connaturalité avec les réalités divines » (DF 22). Les citations bibliques et conciliaires qui appuient cette conviction renvoient toutes au don de l’Esprit Saint (DF 21-22), répandu sur tous les chrétiens – et non seulement les catholiques (DF 23). En d’autres termes, la modalité première d’exercice du discernement dans l’Église n’est pas la voix magistérielle mais l’ouverture au consensus unanime qu’opère le sensus fidei des fidèles (DF 22, 81). Cette tension vers l’unanimité ne doit pas empêcher la prise en compte de l’expression contextuelle du sensus fidei : nous y viendrons plus loin à propos de la catholicité de l’Église. Quoi qu’il en soit, il revient aux évêques et au pape de vérifier et d’authentifier cet exercice du sensus fidei, ce qui rappelle la nécessité de leur ministère tout en le plaçant en position seconde.
Cette attention privilégiée à la dignité baptismale conduit à déployer une théologie des charismes : « Dans la communauté chrétienne, tous les baptisés sont riches de dons à partager, chacun selon sa vocation et son état de vie » (DF 57). Les charismes désignent ici, en leur sens le plus classique, les dons faits à des disciples du Christ pour le bien des autres, et pour servir la mission de la communauté ecclésiale. Ce don varié des charismes à tous les baptisés justifie leur coresponsabilité dans la mission (DF 63, 66).
Ce double accent sur le sensus fidei et les charismes conduit à formuler une nouvelle articulation entre les baptisés et les pasteurs dans les discernements ecclésiaux. Si la « compétence décisionnelle » des évêques et du pape est dite « inaliénable », le document final affirme qu’elle n’est pas « inconditionnelle » puisqu’elle doit tenir compte de la consultation des fidèles, sans pouvoir faire fi de ce qui ressort de cette consultation (DF 92). Pour cette raison, le document final appelle à sortir de l’opposition entre consultation des baptisés et libre décision des ministres ordonnés, de sorte qu’aucun processus ne soit « uniquement consultatif » (tantum consultativum, DF 92). Une meilleure articulation entre consultation et décision doit garantir, en amont de la décision, que le discernement du peuple de Dieu soit réellement entendu et, en aval, que le pasteur rende compte de ses choix devant les fidèles (DF 91-93).
On le voit : la théologie du baptême et celle des ministères ne sont pas substantiellement modifiées. Ce qui l’est, en revanche, c’est l’équilibre entre les deux : la dignité baptismale est davantage valorisée.
C’est ce même rééquilibrage qui permet de comprendre comment la place des femmes dans la gouvernance de l’Église catholique a été traitée dans le document final. Cette question qui, malgré la diversité des contextes locaux, a émergé dans presque toutes les consultations, n’a pu être traitée sans conflits. Le document final essaie d’aller au bout de la logique baptismale : c’est au nom de l’égale dignité baptismale que les femmes peuvent participer à la gouvernance de l’Église ; au nom de cette théologie du baptême, une telle participation s’avère logiquement nécessaire (DF 60). Comme la structure du texte le montre, cette dynamique baptismale rejaillit ensuite sur la question de l’ordination diaconale : il est déclaré que la réflexion sur l’accès des femmes au diaconat demeure ouverte (DF 60). Cette déclaration diffère donc des réponses récentes données par le pape à des médias dans son contenu, mais également dans son statut : elle a, contrairement à ces dernières, une valeur magistérielle.
2. La catholicité de l’Église
D’une haute importance œcuménique8, la catholicité de l’Église désigne ici la manière dont s’articulent en elle unité et pluralité (DF 37). Les deux assemblées d’octobre 2023 puis octobre 2024 ont confronté l’Église catholique, non seulement à sa mondialisation – acquise depuis plusieurs décennies et accélérée par l’élection d’un pape argentin –, mais surtout à la question de son unité au regard d’une telle diversification.
Il vaut la peine de préciser le contexte récent de la question. La christologie et la théologie trinitaire avaient provoqué des conflits majeurs parmi les chrétiens des premiers siècles, tandis que les rudes débats au moment de la Réforme tournaient autour de la grâce et du salut. Ce sont maintenant les questions éthiques qui divisent les catholiques de courants différents et, parfois, de continents différents. Cette réalité est apparue à l’occasion de la déclaration Fiducia supplicans sur la bénédiction des couples dits « en situation irrégulière » et des couples homosexuels, parue entre les deux assemblées romaines9. Au moment où diverses Églises chrétiennes se déchirent sur les questions de genre, comment veiller à l’unité de l’Église catholique ? Surtout, comment harmoniser la perception de la portée théologique de ces questions, lorsque certains estiment qu’elles touchent à la révélation divine, tandis que d’autres y reconnaissent des appréciations historiquement et culturellement déterminées ?
Si la tradition catholique a souvent accentué l’autorité pontificale comme élément essentiel d’unification, le synode a pris un autre chemin. Le document final comprend l’unité de l’Église comme une « harmonie » qui diffère de l’uniformité (DF 26, 34-42, 88). Celle-ci, dans l’histoire de l’Église catholique, a été parfois visée à travers une règle canonique commune et par l’obéissance au pontife romain. Le synode a donc choisi la voie de l’inculturation : il s’agit de faire confiance à l’imprégnation des diverses cultures par l’Évangile, de sorte que chaque Église locale, nourrie de la culture dans laquelle elle est située, a son propre regard à faire valoir sur l’Évangile proclamé par toutes les Églises10 (DF 17, 39-42, 56). À la suite du pape François, le synode parle même d’une « décentralisation salutaire11 », corrélée à une « inculturation efficace de la foi » (DF 129).
Un aspect de cette inculturation est la revalorisation de la « compétence doctrinale » des conférences épiscopales. Reconnue par Jean-Paul ii12 mais souvent oubliée, elle est remise à l’honneur dans le document final du synode. Elle désigne la possibilité, pour les évêques d’un pays ou d’une région, d’exercer ensemble leur fonction d’enseignement d’une façon accordée à la culture dans laquelle ils sont immergés (DF 125, 134). Cela signifie aussi que l’épiscopat d’une Église locale pourra – et même devra – formuler l’heureuse annonce évangélique en tirant profit du meilleur de la culture dans laquelle est enracinée l’Église dont il a la charge : on retrouve ici un approfondissement logique de Gaudium et spes 44. L’unité est dès lors à comprendre comme symphonie de voix différentes, culturellement situées (DF 42, 130) – dont le synode, c’est important, est déjà une réalisation effective13.
La catholicité de l’Église est donc devenue un chantier de réflexion majeur au fil du synode. Une métaphore rend bien compte de cela : celle de l’échange de dons, présente à de nombreuses reprises dans le document final. Chaque Église locale, en vertu de l’inculturation de l’Évangile dans son contexte propre, est alors porteuse de dons spécifiques qu’elle est appelée à communiquer aux autres Églises locales et, par le biais du ministère de communion exercé par l’évêque de Rome, à l’Église entière (DF 37, 120-123). L’inculturation ne se fait donc pas seulement au profit de chaque Église locale qui annonce l’Évangile de façon appropriée : ce que chacune découvre du retentissement de l’Évangile au sein de la culture dans laquelle elle est immergée s’avère bon et prometteur pour les autres Églises locales.
Cet échange des dons est développé à différentes échelles dans le document final : son « exemple paradigmatique » désigne la relation, au sein de l’Église catholique, entre l’Église latine largement majoritaire, et les diverses Églises orientales catholiques, héritières d’autres traditions liturgiques et canoniques (DF 120). C’est encore le cas entre Églises chrétiennes (DF 122), appelées à échanger entre elles des dons selon une perspective manifestement inspirée par l’œcuménisme de la réception14. Cet échange œcuménique fut déjà vécu lors des deux assemblées romaines, auxquelles des « délégués fraternels » venus d’autres Églises ont participé. On notera l’évolution du vocabulaire, puisqu’au concile Vatican ii, on parlait d’« observateurs » : à travers la présence de ces « délégués fraternels », leur faculté de participer à l’intégralité des travaux, jusqu’à l’amendement du document final – à l’exception du vote d’approbation –, l’Église catholique reconnaît qu’elle a besoin des autres Églises pour travailler à sa propre réforme interne. Enfin, l’échange de dons caractérise aussi le dialogue interreligieux, où il conditionne la possibilité d’un chemin de justice et de paix (DF 123).
III Une expérience d’apprentissage
Après avoir évalué ces inflexions, il est possible de comprendre le synode, non pas tant à partir des documents qu’il a produits, que selon le processus lui-même. Celui-ci peut être interprété comme un apprentissage pour l’Église catholique, qui demandera du temps pour porter tous ses fruits. Si nous parlons d’apprentissage, c’est parce que le synode n’a pas d’abord cherché à transformer tel ou tel aspect de la vie de l’Église catholique : il a plutôt visé la « synodalisation15 » de l’Église entière16. Cela passait par l’apprentissage de l’échange des dons entre Églises locales, mais aussi par l’écoute des voix marginales dans l’Église17. Cet apprentissage de la synodalité était manifesté par le titre : contrairement à ce qui en a souvent été dit, le titre officiel n’était pas un synode « sur » la synodalité mais un synode « pour » une Église synodale. Il ne s’agissait pas tant de traiter de la synodalité – ce qui reviendrait avant tout aux théologiens – que de discerner comment l’Église catholique peut reconnaître en actes qu’elle est constitutivement synodale.
L’apprentissage s’est manifesté dans le progrès du discernement. Ce dernier a tenu à la diversité des participants aux assemblées continentales puis romaines, dans lesquelles une minorité de membres n’étaient pas évêques. Il a progressé dans une nouvelle articulation entre consultation et décision, mise en œuvre à travers les phases successives du synode.
3. Un apprentissage pour la hiérarchie catholique
Dans cet apprentissage, la « participation » est devenue un critère fondamental pour la crédibilité de l’Église18. Un des critères de vérification du discernement devient ainsi la participation réelle des baptisés, au titre de leur sensus fidei. Nous avons déjà évoqué la manière dont la prise de décision peut montrer comment elle tient compte de cette participation. Le document final insiste aussi pour que les pasteurs de l’Église catholique « rendent compte » au peuple de Dieu de leur emploi des biens ecclésiaux comme de leurs choix pastoraux ; il s’agit là de l’apprentissage d’une « culture » véritablement nouvelle (DF 102).
L’apprentissage le plus visible tient à l’exercice de la mission du pape pendant le processus synodal. Il lui revenait de convoquer le synode, ce qui inclut la prérogative d’en fixer l’ordre du jour – d’où l’inflexion qu’il a opérée en créant dix groupes de travail début 2024. Mais c’est surtout la manière dont il a conclu le synode, qui est digne d’intérêt. Le pape François a renoncé, contrairement à l’usage, à publier un texte personnel qui s’ajouterait à celui de l’assemblée synodale. Il a donc « approuvé » et « ordonné la publication » du document. À ces deux verbes dont la valeur juridique est bien connue dans le droit ecclésial, François a cependant fait correspondre deux autres verbes, sur lesquels il est bon de s’arrêter : il « reconnaît » la valeur du processus synodal, et « confie » ou « restitue » à l’Église tout entière ce discernement qui a mûri19 :
Le pape authentifie le discernement commun, ce qui correspond aux prérogatives des évêques et du pape aux termes de la constitution conciliaire Dei Verbum 8-10 qui inscrit « la charge d’interpréter de façon authentique la Parole de Dieu » – revenant aux évêques et au pape – au sein de la vie de foi du peuple de Dieu et de son discernement.
Puis, en tant qu’évêque de Rome, François remet à l’ensemble des Églises locales le discernement effectué, pour que le chemin se poursuive à travers le lent travail de réception. Voilà qui situe la place du pasteur par rapport au discernement commun, au sein d’une Église davantage synodale. L’autorité pastorale ne s’exerce pas hors d’un discernement ecclésial, mais s’inscrit à l’intérieur de celui-ci, afin de l’authentifier20, et d’en confier le résultat au peuple de Dieu. La liberté du pasteur, qui reste sauve, signale son rôle de vérifier la fidélité du discernement à la foi apostolique, et la communion avec toutes les Églises, une double dimension que les évêques incarnent dans leur Église locale. Nul doute qu’en procédant ainsi, le pape a voulu montrer aux évêques ce qui était possible dans chacun de leurs diocèses.
4. Une étape décisive de la réception conciliaire
L’enjeu théologique fondamental d’un tel apprentissage, c’est la réception du concile Vatican ii (1962-1965). Sur le plan ecclésiologique, le synode constitue une étape majeure dans ce travail de réception21. Outre un exercice de l’autorité pastorale qui correspond aux intuitions de Dei Verbum et un rapport à la culture qui hérite de Gaudium et spes – deux éléments déjà signalés ci-dessus –, le document final permet d’approfondir le sens de deux paragraphes-clés de la constitution Lumen gentium : les numéros 12 et 1322. Ces passages correspondent précisément aux deux inflexions repérables à la fin du synode, détaillées plus haut.
Lumen gentium 12 articule l’exercice du sensus fidei et les multiples charismes, deux types de dons faits par l’Esprit Saint à tous les baptisés. Le sensus fidei conduit les fidèles à l’unité – c’est même un critère de son authentification –, tandis que les charismes sont un principe de diversification interne à la communauté ecclésiale. Il s’agit donc de faire confiance aux dons de tous les baptisés, sans miser d’abord sur leur ordonnancement par les pasteurs. Le rôle de régulation par ceux-ci ne disparaît pas : il est justement prévu par Lumen gentium 12. Il y a apprentissage dans la mesure où c’est bien ainsi que le processus synodal a cherché à articuler l’exercice du sensus fidei des fidèles et le discernement des pasteurs.
Quant au numéro 13 de Lumen gentium, il évoque la catholicité de l’Église, qui implique l’assomption des diverses cultures, et l’échange des dons entre Églises locales. En d’autres termes, ce n’est pas l’élément juridique – reliant les diocèses au pontife romain – qui s’avère premier, mais une dynamique de communion dans laquelle les Églises sont reliées les unes aux autres tout en étant enracinées dans leur propre culture. Si un pas nouveau dans la réception est devenu possible, c’est grâce au développement, après le concile, d’une véritable théologie de l’inculturation23.
L’accent mis sur les numéros 12 et 13 de Lumen Gentium permet au processus de réception d’avancer dans la résolution des tensions internes à cette constitution, qui pèsent sur l’ecclésiologie post-conciliaire. Il en va ainsi de la relation entre sacerdoce commun des fidèles et sacerdoce ministériel, évoquée en Lumen gentium 10. La constitution affirme que ces deux modes du sacerdoce sont ordonnés l’un à l’autre, mais le sens de cette affirmation est difficile à établir : on comprend mal comment le sacerdoce baptismal serait ordonné au sacerdoce ministériel, alors que l’inverse est clair. Il faut une théologie qui tienne compte de la richesse « polyédrique » de l’Esprit Saint24 pour éviter de demeurer cantonnés dans cette dialectique25. On retrouve ici la dynamique de l’apprentissage : si l’unité se comprend comme une harmonie et non une uniformité, le sensus fidei et l’exercice harmonieux des charismes y sont nécessaires. Cela suppose que les ministères soient exercés, non à partir d’une dynamique qui leur est propre et serait autonome par rapport à ce qui anime la communauté chrétienne, mais au service des dons que l’Esprit Saint dépose en celle-ci, et en veillant à ce que ces dons concourent à l’unité. La réception progresse ainsi vers une meilleure articulation des chapitres iii et iv de Lumen gentium, sur la hiérarchie et le laïcat, dont la structure en partie commune26 n’évite pas des difficultés de mise en relation.
Une autre tension interne à Lumen gentium et au processus de sa réception est retravaillée par le processus synodal ; elle concerne particulièrement Lumen gentium 23, qui essaie d’articuler l’appartenance de tous les évêques au collège épiscopal, avec la mission propre à chaque évêque, normalement appelé à présider une Église locale : la collaboration des évêques au gouvernement de l’Église entière est juxtaposée à leur ministère dans une Église locale, plutôt que corrélée avec elle27. Or c’est bien pour le service d’une Église diocésaine qu’un évêque est, en principe, ordonné. Dès lors, lorsque les évêques participent au gouvernement de l’Église entière, il importe qu’ils le fassent en tant que représentants de leur Église locale. Précisément, le processus synodal a demandé aux évêques de se situer par rapport au discernement effectué dans leur Église diocésaine, ensuite dans le ressort de leur conférence épiscopale, puis encore dans leur continent. C’est pourquoi la participation des évêques au discernement dans les assemblées synodales à Rome requiert qu’ils portent la voix de leur Église locale, et non seulement qu’ils collaborent à un discernement selon des principes abstraits. L’enjeu œcuménique de cette question est grand28 : on perçoit mieux comment l’épiscopat est au service de l’échange des dons entre Églises, ce qui fait entendre un autre accent que lorsqu’on parle seulement d’unité de l’Église.
En avançant dans la résolution des tensions internes aux textes conciliaires, le synode a expérimenté une affirmation-clé du pape François : « La synodalité, comme dimension constitutive de l’Église, nous offre le cadre d’interprétation le plus adapté pour comprendre le ministère hiérarchique lui-même29. » Paradoxalement, c’est sans doute le progrès dans la compréhension de Lumen gentium 13 (la catholicité comme échange de dons culturellement situés) qui permet de mieux interpréter Lumen gentium 23 : l’exercice de la collégialité épiscopale, non dans la recherche de l’uniformité, mais en comptant sur le fait que chaque évêque rend présente l’Église qu’il préside en portant sa voix. Le geste du pape François, qui a authentifié le discernement d’une assemblée majoritairement composée d’évêques, parachève une articulation entre primauté pontificale et collégialité épiscopale au sein de la synodalité ecclésiale. Voilà qui poursuit le rééquilibrage entre la figure du pape et celle du collège des évêques entrepris en Lumen gentium – notamment au numéro 23 qui traite de la participation des évêques au gouvernement de l’Église entière.
5. Le statut de la doctrine
Comme Christoph Theobald l’a montré, cette manière de discerner pose la question du statut conféré à la « doctrine30 » : elle s’éloigne de l’idée qu’un discernement pastoral ne concernerait pas la « doctrine » mais ne ferait que l’appliquer. C’est la lecture comparée de Dei Verbum, Lumen gentium et Gaudium et spes qui peut rendre compte de la manière dont le concile Vatican ii a réalisé un geste pastoral qui resitue la doctrine dans le discernement.
Le travail synodal s’est fait selon une conception de la doctrine où celle-ci sert de régulation aux discernements pastoraux, mais n’est pas d’abord reçue comme une liste d’impossibilités. Cela demande de prendre au sérieux le fait que la doctrine est reçue de façon diverse selon les personnes et les Églises locales. Dès lors, dans un dialogue impliquant toutes les Églises, la doctrine autorise le discernement de « nouveaux possibles31 ».
Une Église qui, au nom de sa foi, ne renonce pas à ce discernement des « signes des temps » devient une Église qui apprend à entendre ce que l’Esprit lui dit. Elle découvre en même temps qu’elle doit « ajuster » l’annonce de l’Évangile à ce qu’elle perçoit du travail de l’Esprit dans les destinataires de l’annonce et « ajuster » sa propre forme ecclésiale à cette mission32.
Cela constitue, au niveau de la théologie fondamentale, une prise au sérieux du geste ecclésial et théologique réalisé par le concile Vatican ii, et qui conditionne l’ensemble des autres progrès dans la réception de Lumen gentium.
IV Comment l’apprentissage peut-il continuer ?
L’apprentissage ecclésial qui s’est joué dans ce synode est appelé à se poursuivre. C’est d’abord vrai à Rome. Parmi les tâches principales laissées par François à Léon xiv on trouve l’achèvement de certains travaux engagés au cours du synode : les modifications du droit canonique prévues par le document final, en particulier l’obligation de synodes diocésains périodiques pour que chaque évêque discerne avec le peuple de Dieu et rende compte aux baptisés de l’exercice de sa mission (DF 108), ou les conclusions les dix groupes de travail auxquels le pape François a confié divers sujets spécifiques.
La suite dépend étroitement, aussi, des Églises locales. Le processus de réception lancé par le Saint-Siège jusqu’en 202833 – dont il reviendra, aussi, à Léon xiv de se saisir – invite les conférences épiscopales à avancer dans la synodalité : c’est dans ces instances que se joue une grande part du devenir de la « synodalisation » de l’Église catholique. Ce processus confirme la pertinence d’assemblées ecclésiales continentales : c’est une manière de reconnaître en « chaque grand territoire socioculturel » – dont parlait déjà le décret Ad gentes 22 – un contexte probant de discernement.
Plus largement, la suite du processus synodal implique l’ensemble des catholiques, en particulier sur un point cardinal affirmé par le document final : l’Église synodale peut être une « prophétie sociale » (DF 48, 153), dans la mesure où elle inclut ceux que le monde oublie ou écrase. Que l’Église vive d’une fraternité incluant les exclus de ce monde, qu’elle écoute les voix oubliées, voilà qui dépend de tous et relève bien de la prophétie. Ce qui est en jeu dans la synodalité, c’est ici le visage de chaque communauté ecclésiale : un critère de vérification de la synodalité effective, c’est la présence de ceux qui sont les derniers, non seulement dans l’Église, mais avant tout dans notre monde.
Il demeure alors une question majeure. Le synode peut être compris comme un instrument de réforme de l’Église catholique34. Or, le document final a privilégié le vocabulaire de la conversion : il nomme volontiers des conversions vécues et d’autres à vivre. Il se présente en quelque sorte comme une invitation, faite à toutes les Églises, de vivre les mêmes conversions qu’ont connues les participants aux assemblées romaines. Cependant, conversion et réforme ne sont pas synonymes : selon le théologien Christian Duquoc35, la première désigne une démarche personnelle, la seconde une transformation institutionnelle36. Comment les catholiques prendront-ils au sérieux la dimension systémique de la synodalité, comment percevront-ils que la réforme conditionne la mission de l’Église en ce monde ? La question demeure ouverte. C’est elle, avant tout, qui déterminera l’impact de ce synode – donc, en bonne partie, la poursuite de la réception du concile Vatican ii.
1. Pour la notion d’apprentissage, voir H. Legrand, « La synodalité est d’ordre pratique : un plaidoyer pour les apprentissages », Lumen Vitae 77 (2022), p. 227-236. C. Theobald, « La première session de la xvie assemblée générale ordinaire du Synode des évêques. Point d’étape sur un chantier ouvert », RSR 112 (2024), p. 15-31, parle d’un « pragmatisme éclairé » qui éclaire « l’apprentissage d’une manière de procéder (Id., Un nouveau concile qui ne dit pas son nom ?, Paris, Salvator, 2023, p. 61-125). Nous avons déjà proposé d’appliquer cette notion à l’un des sujets clivants apparus pendant le processus synodal : F. Odinet, « Hommes et femmes dans la réflexion synodale », dans O. Flichy, C. Picard et A. Thomasset (dir.), Hommes et femmes en Église : du nouveau ?, Paris, Facultés Loyola Paris, 2024, p. 23-33.
2. Ce constat a déjà été explicité dans M. Baujard et F. Odinet, « Sur quelles réformes le synode peut-il déboucher ? », Études 4312 (2024), p. 67-78.
3. Tous les documents synodaux sont disponibles, en différentes langues, sur le site web du Synode des évêques (www.synod.va).
4. Y. Raison du Cleuziou, « French Catholics and Synodality: Spiritual Sensibilities and the Will to Participate or Abstain », Journal of Moral Theology 13, Special Issue 2 (2024), p. 58-82.
5. Afrique ; Afrique du Nord, Moyen Orient, Églises orientales ; Amérique du Nord ; Amérique du Sud ; Asie ; Europe ; Océanie.
6. François, exhortation apostolique post-synodale Evangelii gaudium 119, en 2013 ; Discours pour la commémoration du cinquantième anniversaire de l’institution du synode des évêques, 2015.
7. Voir Commission théologique internationale, Le sensus fidei dans la vie de l’Église, 2014.
8. Groupe des Dombes, « De toutes les nations… » Pour la catholicité des Églises, Paris, Cerf, 2023.
9. Voir A. Thomasset, « Lecture de Fiducia supplicans », Études 4315 (2024), p. 67-77.
10. Je me permets de renvoyer à F. Odinet, « Synodalité et inculturation », NRT 144 (2022), p. 232-246.
11. L’expression vient de François, Evangelii gaudium (cité n. 6) 16. Le terme « décentralisation », qui est d’origine politique plus qu’ecclésiologique, s’y trouve entre guillemets.
12. Jean-Paul ii, Motu proprio Apostolos suos, 1998, § 21-23.
13. François, Discours inaugural de la xvie assemblée générale du synode des évêques, 2 oct. 2024.
14. Voir P.D. Murray, « Introduction à l’œcuménisme réceptif (Receptive Ecumenism) », Lumen Vitae 77 (2022), p. 371-384.
15. R. Luciani, « Del Sínodo sobre sinodalidad a la sinodalización de toda la Iglesia. Hacia una reconfiguración eclesial a la luz de la sinodalidad », Medellín 183 (2022), p. 81-117.
16. C’était déjà un objectif affiché par le pape François dès l’ouverture du synode : « s’orienter non pas occasionnellement mais structurellement vers une Église synodale » (discours du 9 oct. 2021).
17. Voir F. Odinet (dir.), Les derniers seront les premiers. La parole des pauvres au cœur de la synodalité, Paris, Emmanuel, 2022.
18. Cf. C. Theobald, « Linéaments d’une pneumatologie comme instance régulatrice d’une doctrine trinitaire », RSR 113 (2025), p. 111-133, ici p. 120.
19. « Note d’accompagnement du Saint-Père François », DF, p. 5-6.
20. Voir l’important article d’A. Borras, « Délibérer en Église : communion ecclésiale et fidélité évangélique », NRT 132 (2010), p. 177-196.
21. Sur la définition de la réception, voir Y.-M. Congar, « La réception comme réalité ecclésiologique », RSR 56 (1972), p. 369-403.
22. Rafael Luciani a déjà remarqué la nouvelle étape dans la réception de Lumen gentium 12 et 23 à l’occasion du pontificat de François, et spécialement du synode : je m’inspire de sa thèse tout en mettant davantage en valeur le numéro 13. Voir R. Luciani, « El corazón de la recepción actual de la eclesiología del Pueblo de Dios », Medellín 185 (2022), p. 565-596, ici p. 575s. ; voir aussi R. Luciani, « Del Sínodo sobre sinodalidad... » (cité n. 15), p. 91-93.
23. P. Chanson, « Inculturation, acculturation, contextualisation. Éclairage anthropo-théologique », Spiritus 250 (2023), p. 25-36 ; F. Odinet, « Synodalité et inculturation » (cité n. 10).
24. François, Evangelii gaudium (cité n. 6), § 236.
25. Cette piste est ouverte par C. Theobald, Un nouveau concile qui ne dit pas son nom ? (cité n. 1), p. 34-52.
26. M. Pinet, La notion de munus au concile Vatican ii et après. Pour une fondation théologique du pouvoir dans l’Église, Città del Vaticano, Lateran University Press, 2021, en rend compte à partir des munera, p. 292-298.
27. Elle a été relevée par H. Legrand, « Les évêques, les Églises locales et l’Église entière », Revue des sciences philosophiques et théologiques 85 (2001), p. 461-509.
28. Voir A. Miltos, Collégialité et synodalité. Vers une compréhension commune entre catholiques et orthodoxes, Paris, Cerf, 2019, p. 160-176.
29. François, Discours pour la commémoration du cinquantième anniversaire de l’institution du synode des évêques, 17 oct. 2015.
30. C. Theobald, Un nouveau concile qui ne dit pas son nom ? (cité n. 1), p. 162-174.
31. Ibid., p. 171.
32. Ibid., p. 165.
33. Card. M. Grech, Lettre sur le processus d’accompagnement de la phase de mise en œuvre du Synode, 15 mars 2025.
34. Le Document préparatoire (2021), § 6, évoque ainsi le lien entre synodalité et réforme continue de l’Église.
35. C. Duquoc, « Je crois en l’Église ». Précarité institutionnelle et Règne de Dieu, Paris, Cerf, 1999, p. 29-31.
36. Les deux sont d’ailleurs subtilement articulées dans le Document de travail pour l’étape continentale, § 98.