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Jésus, Maître intérieur. Chronique de christologie en hommage au P. Renwart

Chronique de christologie en hommage au P. Renwart

Léon Renwart s.j.

Proche des nonante ans, le P. Léon Renwart (1913-2004) préparait encore pour les lecteurs de la NRT une de ces « chroniques de christologie » dont il avait le secret, et qui honoraient la revue. C’eût été sa vingt-et-unième. Il avait débuté sa collaboration en 1949 par un article — premier d’une série de trente — intitulé « Insémination artificielle et documents pontificaux ». C’est par centaines qu’il fournit comptes rendus et notes bibliographiques. De l’allemand au portugais, de l’italien à l’espagnol et à l’anglais, presque tout sujet lui donnait l’occasion de porter un regard aigu, rappelant qu’on ne peut faire fi de la Tradition, et que pourtant il convient d’aller de l’avant. Lui qui fut longtemps professeur au théologat jésuite d’Eegenhoven-Leuven, était également un collaborateur assidu de Vie consacrée1.

Le 22 septembre dernier, il a quitté notre forme de vie pour communier — telle était son espérance la plus foncière — avec son Maître bien-aimé. Des ébauches de comptes rendus ont été retrouvées dans les documents qu’il a laissés. Nous livrons ici trois d’entre elles, quasi achevées, y adjoignant quelques recensions d’autres auteurs qui veulent ainsi lui rendre hommage. L’ensemble fait apparaître combien le P. Renwart avait l’art de mettre en perspective les livres qu’il lisait afin de faire profiter le plus grand nombre des intuitions qu’il y décelait. Qu’il en soit remercié !

Behr J., The Formation of Christian Theology. I. The Way to Nicea, Crestwood (NY), St Vladimir’s Seminary Press, 2001, 23x15, XII-261 p., $ 16.95. ISBN 0-88141-224-4

Professeur de patristique au Séminaire de Théologie Orthodoxe S. Vladimir, John Behr présente une étude sur la formation de la théologie chrétienne et consacre le premier volume de celle-ci à la « route vers Nicée ». La première étape s’intitule « L’Évangile de Jésus-Christ » et répond à la question que celui-ci posa à ses disciples : « Qui dites-vous que je suis ? ». Dès les débuts, les réponses furent diverses, même à l’intérieur de la communauté. Elles se portèrent d’abord sur la Tradition et le « canon », au sens premier de règle selon laquelle se discernera la figure de celui « qui est mort et ressuscité selon les Écritures (la Loi, les Psaumes et les Prophètes) », critère qui servira à déterminer dans la suite les écrits admis comme canoniques dans le Nouveau Testament. Alors que Marcion distinguait le dieu de l’ancienne alliance et le Dieu bon de la nouvelle, et que ceux que l’on groupa ensuite sous le nom de gnostiques faisaient état de révélations secrètes confiées aux seuls élus, la Grande Église s’efforçait de mieux connaître le Christ des Écritures et de le suivre.

La seconde étape, consacrée au développement de la doctrine et de la vie chrétienne au IIe siècle, s’intéresse surtout à la question du salut. Deux convictions fondamentales se dégagent : Dieu est le seul qui puisse sauver l’homme, mais il ne peut le faire qu’en étant lui-même un être humain. Trois auteurs caractérisent cette époque, qui s’ouvre déjà aux échanges avec les non-chrétiens : Ignace d’Antioche, Justin le Martyr et Irénée de Lyon.

La troisième étape se centre sur le problème-clé : comment le Verbe, fils éternel du Père, peut-il être dit vraiment Dieu sans que l’on tombe dans le dithéisme ? Trois noms marquent cette époque : Hippolyte et les débats à Rome, Origène (longuement présenté et défendu contre les accusations d’hérésie) et Paul de Samosate, dont il est difficile de retrouver la vraie pensée. On arrive ainsi à la fin du IIIe siècle et l’on voit s’expliciter le problème auquel Nicée donnera une première réponse. Mais on prend aussi conscience de la difficulté pour la foi vécue de trouver et, au besoin, de créer les mots capables de signifier le mystère et de répondre à la question adressée par Jésus aux Apôtres.

Dans la recherche minutieuse et très érudite de Behr, on appréciera surtout son art d’insérer chaque auteur et chaque école dans le contexte de l’époque et du lieu où ils se situent et de respecter la pensée propre de chacun, sans anticiper sur l’évolution ultérieure des débats. — †L. Renwart, S.J.

Pannenbergw., Esquisse d’une christologie, tr. A. Liefooghe, nouv. éd., coll. Cogitatio fidei 62, Paris, Cerf, 1999, 22x14, 532 p., 290 FF. ISBN 2-204-06014-3

Comme le signalait le compte rendu de la première édition (NRT 95 [1973] 108), ce théologien protestant s’efforce, dans une large ouverture œcuménique, de dégager l’importance du Christ et la place qu’y joue son lien privilégié avec Dieu, mais il bute sur la difficulté, qui lui paraît insurmontable, d’admettre deux natures dans l’unique Jésus-Christ. Le maintien de cette vue dans la nouvelle édition nous amène à nous poser la question : la difficulté perçue par l’A. ne proviendrait-elle pas de la manière dont il se représente, avec plusieurs autres sans doute, l’existence des deux natures du Christ comme celle de deux « choses » distinctes ?

Or ce sont des aptitudes distinctes du seul et unique Jésus, divinement conscient d’être lui-même, c’est-à-dire à la fois Dieu et homme, et humainement conscient aussi d’être lui-même, c’est-à-dire et Dieu et homme. Cette double aptitude cognitive n’est que la traduction au niveau de la conscience, du mystère qu’il est ontologiquement, à savoir un seul et le même, vrai Dieu et homme semblable à nous. — †L. Renwart, S.J.

Tilliette X., Jésus romantique, coll. Jésus et Jésus-Christ 85, Paris, Desclée, 2002, 23x15, 349 p., 23 €. ISBN 2-7189-0970-6

Chaque époque a répondu à sa façon à la question de Jésus : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ». Pour situer les romantiques, Xavier Tilliette fait appel à dix thèmes développés par les auteurs de cette époque et les répartit en deux séries. Dans l’une, avec « Dieu en clair-obscur », on assiste d’abord à la redécouverte d’un Christ humain et divin sur les ruines de la Révolution (Klopstock et Schleiermacher). Chez eux, c’est encore un événement intérieur. Ensuite, avec Hölderlin et Novalis, l’image du Christ romantique entre dans le domaine public une fois pour toutes, leçon que retiendront Schelling et Hegel.

Dans le domaine français, de Chateaubriand à Vigny, toute l’inquiétude du siècle se traduit dans sa référence au Christ, vu tantôt comme exemplaire et surhumain, tantôt comme paré des prestiges de la divinité (Lamartine), tantôt comme douloureux (Hugo), tantôt comme objet d’un appel pathétique (Husserl) ou d’une résignation farouche (Vigny).

Viendra ensuite une éclipse du Christ, laquelle débouchera sur l’interrogation de plus en plus angoissée : « Le christianisme disparu, que va-t-il advenir ? ». Dans les cinq derniers chapitres, on assiste à l’approfondissement de la question, de Renan à Dostoïevski, puis chez leurs épigones et dans une sorte de diaspora, où elle se diversifiera et se nuancera sans jamais parvenir à l’espoir d’une réponse claire et définitive.

Sans doute, et nous rejoignons ainsi la conclusion de l’auteur, l’apport durable du romantisme aura-t-il été de nous rappeler que Jésus-Christ, vrai Dieu, est aussi un homme en tout semblable à nous, hormis le péché, et que sa vie terrestre nous intéresse donc aussi jusque dans ses détails. — †L. Renwart, S.J.

* * *

Alexandre J., Le Christ de Tertullien, coll. Jésus et Jésus-Christ 88, Paris, Desclée, 2004, 23x15, 297 p., 27 €. ISBN 2-7189-0977-4

Tertullien (vers 160-220) est le premier théologien latin, le plus grand après Augustin par l’ampleur, l’originalité et la force de sa théologie. Carthaginois, païen converti vers 180, passionné pour la vérité, il passera sa vie à défendre la réalité incarnée du Christ qui nous sauve parce qu’il est la seconde Personne de la Trinité. Mais sa pensée nous est parfois difficile à saisir parce que basée sur la philosophie stoïcienne attachée à l’unité du réel et de la vérité et donc à la continuité entre toutes choses, à savoir entre le Créateur, le monde et le Christ, entre loi et Évangile, entre création et salut, etc. L’Incarnation est une re-création de l’homme à l’image du Créateur. Seul le Christ créateur permet de connaître l’homme et il le sauve parce qu’il est plus homme que l’homme. Tertullien soutient l’absolue vérité de la chair du Christ. Dieu s’est fait homme pour que l’homme rejoigne Dieu. La résurrection de la chair est l’œuvre finale du Christ et presque sa raison d’être.

Tertullien écrit le premier traité sur la Trinité contre le monarchisme de Praxéas, et il a explicité les deux natures du Christ réunies sans confusion en une Personne unique, doctrine reprise par les conciles de Nicée-Constantinople et de Chalcédoine. La philosophie stoïcienne lui permet de voir la Trinité comme relations entre Personnes divines égales et éternelles en écartant tout modalisme ou subordinationisme. L’union des Personnes constitue l’unicité divine. Le Christ, lui, est unifié dans une personne individuelle singulière. L’unité sans confusion des deux natures du Christ est au fondement de l’être du Christ. C’est dans sa foi profonde que Tertullien a pu mieux éclairer sa compréhension de la Révélation.

J. Alexandre a écrit un bel ouvrage pour mieux faire connaître la pensée de Tertullien. Il regrette qu’on ait trop peu étudié cette théologie capitale des débuts du christianisme, mais pourquoi ne pas parler explicitement d’une des causes probables de cette lacune, à savoir, le passage de Tertullien à l’hérésie montaniste en 213, ce qui a durci sa morale, et en créant sa propre Église qui durera 200 ans. Or, dès 204, on sent dans son œuvre l’influence du montanisme qui rejetait l’Église hiérarchique et le sacerdoce pour ne dépendre que du Saint-Esprit. Ceci n’a probablement pas influencé sa christologie, mais a jeté un certain doute sur l’orthodoxie de sa pensée et découragé pas mal de théologiens. — B.C.

Zuccaro C., Cristologia e morale. Storia, interpretazione, prospettive, coll. Trattati di etica teologica, Bologna, EDB, 2003, 21x14, 188 p., 17 €. ISBN 88-10-50542-5

Comment le Christ peut-il servir de fondement à la théologie morale ? Le concile a fait progresser cette question, mais sans l’approfondir. La première partie de l’exposé est historique depuis le N.T. jusqu’à Jean-Paul II ; puis Zuccaro se demande comment la morale peut se fonder sur la personne du Christ. Sa méthode part de l’expérience morale commune et l’enrichit par la réflexion théologique pour découvrir une dimension normative objective et universelle qui soit fondée sur le mystère du Christ et justifiable au plan de la raison éthique. L’A. insiste sur la transformation intérieure que le Christ opère dans les structures de la moralité du croyant à partir de la suite et de l’imitation du Christ. Le croyant ne perd cependant rien de sa liberté morale, car « l’âme de la décision morale du chrétien est la charité du Christ », que le croyant a expérimentée pour lui-même et qui est devenue en lui source de décision morale dans la ligne du Christ. Par sa grâce, Jésus devient nourriture et force qui maintiennent la conscience chrétienne capable de s’orienter dans la voie de l’amour.

C’est en Jésus, vrai Dieu et vrai homme, que se trouvent en premier lieu les implications réciproques entre christologie et anthropologie ; ceci permet d’éviter tout extrinsécisme entre les deux domaines ; en outre cela se répercute sur le chrétien et le rend solidaire de tous les hommes. Il resterait, dit l’A., à approfondir la piste trinitaire en théologie morale, puisque, dans le Christ, l’homme a été créé à l’image de la Trinité. Ce point éviterait l’intimisme individualiste et nous ouvrirait davantage au dialogue et à la relation interpersonnelle.

C. Zuccaro est professeur de théologie morale dans plusieurs Universités romaines. Son livre, trop brièvement condensé ici, est riche d’expérience et de points de vue intéressants. — B. Clarot, S.J.

Binni W. – Boschi G.L., Cristologia primitiva. Dalla teofania del Sinài all’Io Sono giovanneo, coll. Studi biblici 46, Bologna, EDB, 2004, 21x14, 248 p., 18 €. ISBN 88-10-40747-4

Deux auteurs italiens, le premier formé aux É.U. et en Israël, professeur de théologie biblique à l’Angelicum de Rome et collaborateur de la Rivista biblica, le second, dominicain, docteur de l’Angelicum et de l’École biblique de Jérusalem, professeur et président du Studium théologique de Bologne, auteur de plusieurs livres sur la Bible, se mettent ensemble à la recherche de la « christologie primitive » sous-jacente au quatrième évangile.

L’étude est du plus haut intérêt, car elle se base sur l’insistance de l’évangile johannique à attribuer à Jésus le « Je suis » de la tradition du Sinaï (comme M. Trimaille le relève déjà de la christologie de Marc). L’originalité de l’essai consiste dans le fait de suivre à la trace les développements de cette tradition à travers les sources juives, permettant ainsi de prendre la mesure d’une christologie de la première communauté chrétienne interprétée par l’évangéliste.

Le travail est conduit méthodiquement. Il s’agit d’abord d’un examen détaillé des passages de l’Exode (chap. 19 à 24) sur la théophanie du Sinaï, avec une conclusion fort éclairante sur la théologie du texte. Une étude de la structure interne de ce texte permet alors aux A. de relire l’Alliance sinaïtique d’une manière neuve — « christonomique » ou selon la Torah messianique — à partir du personnage mystérieux de « l’Ange de l’Éternel » qui sert de médiateur entre la présence de Dieu et Moïse avec le peuple, dont le rôle est souligné par les commentateurs juifs. Ils en arrivent ainsi à mettre l’accent sur la centralité du Nom divin, exprimé par le tétragramme sacré auquel correspond le Kurios grec et de dégager la portée de l’acte de foi dans ce Nom divin. Une quatrième étape est consacrée à la « christologie primitive » élaborée par Jean, de type sapientiel sans doute, et qui devient caractéristique de la communauté (ou de l’école) johannique. Dès lors qu’on met en évidence ce « Je suis » du Jésus présenté par Jean, il s’impose de refaire le chemin en sens inverse, et de suivre les traces de cette affirmation divine dans la tradition juive. Nos A. montrent ensuite que le verset de Jn 1,51 est en rapport étroit avec le signe de Cana et celui du temple ; ils affirment aussi qu’il faudrait encore approfondir la relation entre le Dieu de la révélation sinaïtique et celui que Jésus nomme son Père (cf. Jn 5 et 8).

Cette étude est fort suggestive et elle invite les chercheurs à examiner en profondeur les déclarations « Je suis » du Christ concernant sa personne en saint Jean : le cheminement de la tradition juive permet de mieux se rendre compte des soubassements de la christologie johannique. Nous remercions les A. de nous mettre aussi au travail dans le prolongement de leur découverte. — J. Radermakers, S.J.

Quesnel M., Jésus, l’homme et le Fils de Dieu, Paris, Flammarion, 2004, 22x14, 231 p., 19 €. ISBN 2-08-210336-6

Point n’est besoin de présenter M. Quesnel, auteur, entre autres, de La Bible et sa culture (DDB, 2000), La Bible et son histoire (Nathan, 1991), La vie quotidienne aux temps bibliques (Bayard, 2001). Nous avons recensé plusieurs de ses ouvrages, notamment sur les évangiles (Matthieu, DDB, 1991 ; Marc, Seuil, 1985). Il aime replacer la Bible et les écrits du Nouveau Testament dans leur contexte historique et leur culture (cf. NRT 108 [1986] 428 ; 113 [1991] 882 ; 117 [1995] 895 ; 121 [1999] 651).

Ici, il s’attache à la personne de Jésus. Son avant-propos nous renseigne sur sa visée : comment connaître et comprendre Jésus Christ aujourd’hui, et de quelle manière notre foi en lui s’est-elle modifiée au long des années ? Ayant écrit un petit volume sur Jésus Christ en 1994, l’A. nous en offre ici une refonte totale, eu égard aux modifications apportées par la connaissance historique, l’approfondissement théologique et les progrès de l’histoire des religions réalisés au cours de ces dernières années. Ce livre est destiné « à tout lecteur que Jésus intéresse, chrétien ou non » (p. 11), car aucun homme cultivé ne peut aujourd’hui ignorer Jésus Christ.

Deux parties divisent l’ouvrage. La première concerne « Jésus et son histoire ». L’A. y fait l’inventaire des sources chrétiennes de sa vie, essentiellement littéraires, avec mention d’écrits juifs et musulmans. Il nous conduit ensuite dans le domaine délicat de l’interprétation et de la critique historique avant d’esquisser le portrait « d’un Galiléen du Ier siècle » et « du prédicateur remarqué dont nous parlent les évangiles » sur l’identité duquel on s’interroge : prophète, sage, thaumaturge, messie ? Sa mort par décision politique vient brusquement couper une existence prometteuse. Naît alors « la réflexion sur Jésus vivant » et se répand la foi au Christ ressuscité, à partir de laquelle va se développer la christologie. Tel est l’objet de la seconde partie, qui montre comment la tradition liturgique et spirituelle de l’Église introduira peu à peu le peuple chrétien et chaque croyant en particulier dans une connaissance intime vivifiante et joyeuse du Fils de Dieu.

Le livre se termine par un chapitre sous forme de témoignage : « comment vivre de Jésus au XXIe siècle ? ». La foi et la prière font découvrir au croyant d’aujourd’hui les visages actuels de Jésus : Parole et image de Dieu – Sauveur du monde – Premier-né d’une multitude de frères – Chef de l’Église. La conclusion, originale et suggestive, parle de la liberté évangélique qui se manifeste particulièrement dans le genre littéraire de la « parabole ». De précieuses annexes achèvent de renseigner le lecteur sur des points importants touchant la connaissance de Jésus et la foi de l’Église.

Ce livre, composé pour le grand public, touche les questions que l’on pose aujourd’hui sur la personne de Jésus, d’où son intérêt majeur qui le rend pratiquement incontournable. Merci à l’A., et aussi à l’éditeur qui a pris soin de le rendre lisible et attrayant. Notons aussi la couverture originale, conçue par Virginie Berthemet. — J. Radermakers, S.J.

Trimaille M., La christologie de saint Marc, coll. Jésus et Jésus-Christ 82, Paris, Desclée, 2001, 23x15, V-243 p., 23 €. ISBN 2-7189-0959-5

Dans l’excellente collection Jésus et Jésus-Christ, dirigée par Mgr Joseph Doré, évêque de Strasbourg, après une « christologie de saint Matthieu » signée par M. Quesnel (cf. NRT 113 [1991] 882), paraît une « christologie de saint Marc ». Prêtre des missions étrangères, l’A. a été professeur d’Écriture sainte à Saigon avant d’enseigner le N.T. à l’Institut catholique de Paris. Actuellement, il publie notamment sur saint Paul et il organise des sessions bibliques.

De son enseignement, il a gardé la clarté d’exposition et la précision du développement, avec le souci de la lettre de l’Écriture. Dans ce volume, il suit l’évangile de Marc dans le droit fil de la narration, sans s’attarder à l’histoire de la rédaction du texte. Une bonne introduction présente un plan du deuxième évangile et pose quelques jalons d’ordre littéraire et culturel. Un premier chapitre prend le point de vue sur Jésus des personnages qui l’entourent ; c’est la « christologie des gens ». L’A. passe ensuite à la « christologie des adversaires de Jésus » ; après les avoir identifiés, il note ce qui cause leur opposition au Maître, puis il examine l’attitude de Pilate et des autorités romaines, mais aussi celle des démoniaques et des possédés (avec un excursus sur « les consignes aux démons »). Le troisième chap. s’intitule « la christologie des proches de Jésus » : le Baptiste, les disciples, leur conception du Messie. Une comparaison éclairante avec Matthieu montre que Marc voit en eux des apprentis-croyants à la foi fragile. Les autres personnages que Jésus rencontre apparaissent furtivement, mais leur foi est souvent plus franche et plus décidée. Enfin l’A. décrypte « la christologie des acteurs de la révélation » : comment se fait entendre la voix de Dieu à travers la présentation du Christ ?

S’ouvre une seconde partie sur « la christologie du rédacteur de Marc » : « l’exposé le plus rigoureux possible de ce que, dans la trame narrative de Marc, Jésus révèle de lui-même, soit par ses actes, soit par ses paroles » (p. 145). Avec un talent plein de finesse, l’A. montre comment le rédacteur évangélique laisse la figure de Jésus se révéler au lecteur comme elle se donnait à ses contemporains : un homme sans peur, ferme, paisible, mystérieux, un peu distant. Il souligne la pédagogie de Jésus « Messie et Fils de Dieu », suivant le titre de l’évangile, et il en explique le sens, de même que d’autres appellations : nouvel Adam, Époux, Prophète, Enseignant. Il revient alors au cœur de la christologie de Marc : « Fils de l’Homme et Fils de Dieu », avant de souligner la manière dont l’évangéliste montre Jésus victorieux du mal à travers sa passion et sa mort et s’appropriant le « Je suis » de la révélation à Moïse. Ainsi « Marc fait tenir ensemble et le monothéisme de la tradition vétéro-testamentaire et la nouveauté bouleversante de la foi chrétienne en Jésus-Christ Fils de Dieu » (p. 234).

Écrit dans un style simple et accessible à un large public, ce livre nous aidera à relire avec intelligence le deuxième évangile en notant la manière dont Jésus y dévoile peu à peu son identité, laissant apparaître un éclat de sa divinité à travers son parler et son agir. Nous y découvrons une christologie en genèse où s’offrent déjà les traits essentiels de sa personnalité unique ; nous pouvons ainsi évaluer la justesse et la profondeur de notre foi en lui, messager du Royaume et Sauveur des hommes. L’A. prend modèle sur Marc pour nous présenter Jésus de manière suggestive et séduisante, dessinant peu à peu les traits de son visage intérieur. À nous d’y faire écho. — J. Radermakers, S.J.

Rousse Lacordaire J., Jésus dans la tradition maçonnique. Rituels et symbolisme du Christ dans la franc-maçonnerie française, coll. Jésus et Jésus-Christ 87, Paris, Desclée, 2003, 23x15, 250 p., 23 €. ISBN 2-7189-0974-9

La franc-maçonnerie est née et a grandi en milieu chrétien : le visage du Christ Jésus apparaît dans les lieux cruciaux de la ritualité maçonnique (Hiran le Temple, la légende de Rose croix). Les relations entre maçonnerie et christianisme sont traitées avec une précision bien documentée. À partir de l’imaginaire maçonnique, on relève les idées vécues jadis et toujours actuelles.

L’A. nous donne les sources et les cheminements des rites et des symboles maçonniques du Christ, les variations des interprétations, du XVIIIe siècle à nos jours, la proximité surprenante des maçons avec les chrétiens et leur rupture radicale : si les maçons prônent une religion naturelle et universelle, et un engagement très généreux dans ce sens, ils se limitent trop au pur humanisme, rejetant les structures, oubliant la sacramentalité en la ramenant à des rites symboliques vidés de leur consistance.

Tout est fait dans ce livre pour aider le lecteur : commentaires, citations de maçons importants, glossaire et bibliographie. L’A. se focalise sur la maçonnerie française, mais elle est à l’origine d’une bonne part des symboles et des rituels aujourd’hui communs à l’ensemble des maçonneries, et l’on constate que les rites sont plus éloquents et profonds que les discours officiels, que les traités souvent plus sceptiques ou même sectaires. Ce livre est à conseiller aux théologiens et aux historiens s’intéressant aux idées actuelles. — †G. Navez, S.J.

Duquoc Chr., L’unique Christ. La symphonie différée, coll. Théologies, Paris, Cerf, 2002, 24x15, 262 p., 23 €. ISBN 2-204-06971-X ; L’unico Cristo. La sinfonia differita, coll. Gdt 298, Brescia, Queriniana, 2003, 20x13, 305 p., 24 €. ISBN 88-399-0798-X

Le P. Duquoc, dont on connaît depuis de longues années le souci de clarification et d’actualisation théologiques, constate en introduisant ce nouvel ouvrage qu’il se situe dans une autre perspective que la christologie qu’il a publiée, en deux tomes successifs, en 1968 (cf. NRT 90 [1968] 976-981) et 1972 (cf. NRT 94 [1972] 975-976) : « Les défis pris alors en compte proviennent soit de la lecture historico-critique de la Bible, soit de la déconstruction philosophique dont les répercussions amenèrent les théologies à des théories paradoxales, telle celle de la “mort de Dieu” ». Aujourd’hui, estime l’A., « c’est le caractère central du Christ, expression première de la foi en son unicité révélatrice et salvatrice », qui est remis en question « par les pluralités religieuses, le déchirement judéo-chrétien et les cassures internes ».

L’A. s’emploie à relever ce défi en abordant successivement trois interpellations contemporaines de la christologie : 1. La césure première et radicale entre Israël et les disciples de Jésus, qui « affecte le mouvement de l’implication de Dieu dans l’histoire » ; 2. la brisure entre Israël et l’Église, symbole d’une autre division : celle de la multiplicité des religions ; 3. le fait que la culture contemporaine, influencée par la vulgarisation des connaissances scientifiques concernant l’évolution du cosmos, s’accorde mal à la conviction que le Christ-Seigneur unifie les devenirs historique et cosmique. Une quatrième partie s’efforce enfin de « synthétiser les recherches précédentes en focalisant la question autour de l’activité de l’Esprit et de l’articulation entre la singularité du Nazaréen et l’universalité du Christ ».

Si l’Alliance dont se réclament à la fois le judaïsme et l’Église mérite, selon l’A., d’être « revisitée » en vue de dissiper certains malentendus, ou, de la part des chrétiens, de désavouer toute prétention substitutive, c’est la constatation d’un véritable pluralisme religieux qui pose aujourd’hui à la théologie la question la plus radicale. « On n’ose plus prétendre que le christianisme est la seule vraie religion, et que sa tâche est d’unifier ecclésialement le monde dans la reconnaissance du Dieu de Jésus-Christ. Aussi s’efforce-t-on, depuis la clôture de Vatican II, d’articuler positivement le mouvement chrétien à la dynamique multiple des religions ».

Tout en prenant quelque distance par rapport à certaines propositions récentes en ce sens (K. Rahner ; J. Dupuis ; Cl. Geffré), dont le défaut, estime-t-il, consiste à supposer « que les religions, malgré leurs différences notoires, convergent vers un point unique », l’A. intitule la deuxième partie de son ouvrage : « Les religions en fragments », et en précise ainsi la portée : « Chaque fragment, il est vrai, suggère une unité potentielle, mais leur ensemble, n’ayant aucun horizon commun, ne s’impose pas comme unité : peut-être demeure-t-il en attente d’une unité pour l’instant indiscernable » (p. 122) — ce qu’illustre bien, ajouterions-nous, cet ensemble diversifié de contours et de couleurs qui orne la première page de la couverture du livre en français. D’où la question : « En quel sens faut-il entendre l’universalité du Christ dans le cadre de la fragmentation religieuse ? »

On ne peut répondre adéquatement à cette question, estime l’A., qu’en prenant conscience, à partir d’une relecture des Évangiles, « du caractère à la fois critique, modeste et radical de la prédication de Jésus ». Critique : « Jésus se tient à distance du désir ou des attentes de ses auditeurs ». Les signes qu’il accomplit « illuminent le présent de la gloire que chacun juge future, notamment dans les miracles — la Transfiguration en présente un remarquable symbole —, mais leurs fulgurations ne s’inscrivent pas dans la durée », ce qui déçoit son entourage. Modeste : « Jésus annonce certes l’accomplissement du temps et la présence du Règne. Mais au lieu de donner à rêver des conséquences sociales, politiques et même individuelles de ce dévoilement, il requiert un retournement du cœur et déclare heureux ceux qui s’accordent à son annonce par le paradoxe de leur situation ou leur choix différent des souhaits majoritaires » — tel est bien le paradoxe particulièrement abrupt des Béatitudes ! (Mt 5,1-13).

Non moins caractéristique est la réponse de Jésus à la requête de Philippe : « Montre-nous le Père, et cela nous suffit », ce qui signifie en clair : « Dévoile ce qui est le plus essentiellement divin ! ». Alors que Philippe avoue ne rien avoir décelé de la richesse annoncée du divin dans le quotidien, Jésus ne lui donne d’autre réponse que l’affirmation de la présence de Dieu : « Celui qui m’a vu, a vu le Père » (Jn 14,9). « Philippe pensait que la manifestation du divin exigeait un éclat digne de sa grandeur. Jésus redresse son attente : il le détourne de sa curiosité » (p. 91).

Radical : « dans l’affirmation de l’accomplissement du temps et de la présence du Règne, Jésus opte pour une position abrupte : le Règne se dérobe à celui qui ne s’y accorde pas dès maintenant… La radicalité requise de la vision du divin dans le plus simple de la présence travaille à rendre encore plus invisible le Règne annoncé, tant ce dévoilement rompt avec le souhait majoritaire » (p. 90-92). Voilà qui invite, observe l’A., à une interprétation nuancée de « l’effort contemporain, avalisé par la Constitution conciliaire Gaudium et Spes, pour reconnaître à la foi la capacité, sinon de transformer, du moins de peser sur l’espace public pour l’ajuster à un idéal de non-violence et de justice ». Mais, selon lui, un discernement analogue s’applique également au souci contemporain de dialogue avec les religions non chrétiennes.

En ce domaine, estime-t-il, « le théologien chrétien peut accepter que le fragment demeure fragment (…) ; il peut renoncer, sans trahir ses convictions, à une réalité unificatrice conceptuellement désignable ». C’est précisément, en effet ce défaut d’horizon commun qui « permet d’écouter sans la solliciter l’annonce première de Jésus confirmée par l’expérience pascale » (p. 124). Cette interprétation se heurte toutefois, reconnaît l’A., à « une difficulté majeure : le rôle de l’énonciateur, Jésus. On le dit révélateur et médiateur. Son identité ne relativise-t-elle pas son annonce ? »

« Jésus, répond l’A., n’occupe pas la position de l’origine. Parler du caractère central de Jésus ressuscité et confessé Christ conduit à oublier que, dans sa prédication, il a incité à se tourner vers un autre, celui qu’il désignait comme présent en usant de la métaphore du Règne. La singularité de cette situation : témoigner de ce qui se donne, sans être à l’origine du don, n’est pas abolie par la Résurrection. « “Le Christ est à Dieu” (1 Co 3,23) ; il n’est pas le terme du mouvement » (p. 128). « Sa médiation de prophète ou son rôle de Christ sur le fondement de la Résurrection ne lui assigne jamais une place centrale : il convertit pour autant qu’il s’efface devant une autre Figure à laquelle il rend grâce (Mt 11,25-28) ».

Jésus en effet prévient ses disciples, selon Jn 16,13, que lorsqu’ils seront privés de sa présence visible, l’Esprit les conduira à une vérité jusqu’à présent insoupçonnée (…) L’Esprit conforte cette attitude. Il est l’Esprit de la Promesse (Ep 1,13), il en est l’acompte dans le temps intermédiaire (…) il n’éteint pas la mèche qui fume encore (Mt 12,20), il laisse à chaque fragment le temps nécessaire à sa maturation, il n’a pas la passion de la totalité ou de l’unité qui écraserait les capacités naissantes ou dévaluerait les légitimités acquises. Dans ce mouvement lent et tolérant s’insère la division. Selon l’hypothèse avancée, elle affecte notre monde, elle en partage l’ambiguïté, mais elle ne s’identifie pas au mal, elle est positive comme garantie contre la réalisation trop enfiévrée de la Promesse » (p. 216).

Et de conclure : « Il est sans doute exaltant de parler d’un Christ cosmique, et il est beau de prétendre unifier sous sa domination la marche indéfinie du cosmos et le devenir inachevé de l’histoire. L’idée est esthétique, mais les formes d’articulation entre le mouvement cosmique et le devenir historique nous sont étrangères. Aucune théorie théologique ne peut sérieusement les unifier » (p. 253). On l’aura compris : cet ouvrage, « exploration d’un domaine peu analysé jusqu’à présent » invite à poursuivre la réflexion et le dialogue, ainsi que le précise modestement l’A. en exprimant « l’espoir qu’il ne soit pas une investigation vaine ». — P. Lebeau, S.J.

Marchadour A., Les personnages dans l’évangile de Jean. Miroir pour une christologie narrative, coll. Lire la Bible 139, Paris, Cerf, 2004, 22x14, 231 p., 21 €. ISBN 2-204-07546-9

Constater que les évangiles sont tous construits autour de Jésus relève de l’évidence, mais n’autorise cependant pas à conclure qu’ils sont de simples « biographies ». La visée théologique de ces écrits, leur enracinement dans une tradition communautaire, leur usage cultuel et leur fonction kérygmatique contribuent à forger ce genre littéraire unique qu’il est permis de qualifier de « christologie narrative ». La prise en compte assez récente de cette dimension narrative et de tout ce qui en découle passe nécessairement, à un moment ou à un autre, par l’étude des personnages (characterization). Pour le quatrième évangile, dont le projet exprimé est de conduire le lecteur à la foi au Christ (Jn 20,31), une voie royale s’impose : s’attacher au seul héros du récit (Jésus) et voir comment l’intrigue se déployant en lien avec celui-ci permet d’établir une « carte d’identité » ou — pour le dire en termes plus théologiques — conduit à l’élaboration d’une christologie spécifiquement johannique. Mais un autre chemin existe : on peut aussi s’intéresser aux nombreux personnages secondaires (seconds rôles ou simples figurants) qui, d’une manière ou d’une autre, tout au long du récit, vont rencontrer et, partant, vont devoir se situer face au protagoniste central.

C’est cette seconde voie qu’a choisie A. Marchadour dans un ouvrage à la fois simple et stimulant qui présente, tour à tour et sans faire de distinction entre acteur anonyme et acteur nommé, Jean-Baptiste, Marie, Pierre, Nicodème, la Samaritaine, l’aveuglené, Lazare et ses sœurs, Marie de Magdala, Thomas, Pilate, les Juifs et le disciple bien-aimé. Cette approche n’est pas seulement légitime ; elle est indispensable dans la mesure où l’intrigue de révélation du récit total fait dépendre la connaissance de Jésus de l’accueil plus ou moins franc réservé par ces seconds rôles au mystère de sa personne.

Certes le lecteur est informé depuis le début, par le prologue et son concentré de titulatures, que Jésus est Logos, Fils de Dieu, Messie, roi d’Israël…, mais il doit encore apprendre la manière dont ce Jésus réalise et accomplit, de façon personnelle et unique, le programme rattaché à ces titres et aux modèles anciens qu’ils véhiculent, que ceux-ci soient empruntés à l’univers biblique ou à d’autres sphères culturelles. En ce sens, chaque acteur, par la position qu’il adopte et par le regard qu’il pose sur la figure centrale du récit, apporte au lecteur, positivement ou en creux, un élément forcément partiel mais non moins décisif pour comprendre ce qu’est la véritable foi et à qui il la doit. Chacun, qu’il le veuille ou non, reflète comme dans un miroir (d’où le soustitre du livre) une parcelle de la lumière qui irradie de la présence du Christ.

La construction des personnages secondaires et leur (non-) reconnaissance participent ainsi et sont inséparables de la personnification du Christ lui-même. En faisant défiler devant nous la plupart de ces seconds rôles, le livre de Marchadour illustre à merveille cette idée forte : seul le jeu des miroirs donnera au lecteur de percevoir l’éclat kaléidoscopique de celui qui se présente comme la lumière du monde. On peut toutefois regretter qu’en choisissant le plan fixe sur chacun des personnages pris séparément, cette galerie de portraits occulte quelque peu la dynamique du macro-récit, renforce les stéréotypes et en vienne à ignorer un fait fondamental : la liberté du lecteur de s’identifier à tel ou tel se joue aussi dans la manière très subtile que le narrateur a de croiser le destin de ses personnages, parfois même sans qu’ils ne se rencontrent. — D. Luciani.

Freeman L., Jésus le maître intérieur, préf. Dalaï-Lama, tr. D. Lablanche, coll. Spiritualités, Paris, Albin Michel, 2002, 23x15, 349 p., 22.50 €. ISBN 2-226-13287-2. ; Gesù il Maestro interiore, pres. S. card. Piovanelli, tr. C. Gaini Rebora, coll. Itinerari, Bologna, EDB, 2004, 21x14, 336 p., 23.30 €. ISBN 88-10-51023-2

Disons-le d’emblée, le livre de L. Freeman nous emmène vers le profond, le plus profond. Il nous invite à le suivre dans l’évocation de sa relation à Jésus Christ, le « maître intérieur », éducateur d’une manière de vivre selon une heureuse nouvelle — la nouveauté de l’amour inconditionnel d’un Père de qui il reçoit une expérience-Abba unique, celle d’un vivre ensemble entre frères où de la grâce puisse aider à sortir du donnant-donnant et faire du neuf —, et que nous nous attablions pour communier à la Parole qu’il est, la savourer et la laisser refaire nos forces.

L.F., responsable de la Communauté mondiale des méditants chrétiens (WCCM), entreprend ici un dialogue avec les différentes traditions de conviction et de prière, évoque saint Paul, Simone Weil et Julienne de Norwich, pour cueillir auprès d’eux des fleurs de silence et de méditation. Ce n’est pas un hasard si le Dalaï Lama lui fait l’amitié d’une préface. L’éminente icône d’une non-violence rayonnante — et d’un refus radical d’imposer ses convictions à quiconque — apprécie dans le christianisme « le sens de la communauté et de la responsabilité sociale » (p. 12). L’enjeu d’un « suivre Jésus », comme d’une réponse à son « pour toi, qui suis-je ? », est de forger une réponse personnelle. De la ciseler ou mieux, de la laisser advenir d’un cœur devenu « simple », rendu simple par la pratique du silence et de la méditation.

La question est là, à nous parvenue avec l’écho de tentatives séculaires de donner « la » réponse. Si cette dernière est simple, elle n’est pour autant pas facile à trouver. En effet, si nous décidons d’écouter et de répondre à l’appel de Jésus, toute notre manière de vivre, de penser, de ressentir, sera transformée de fond en comble. L’enjeu n’est pas ici, on s’en doute, de promouvoir « son » Jésus, celui qui habite — quoi qu’il en veuille — l’imaginaire de chacun, mais d’accueillir celui qui « se tient à la porte et qui frappe ». Jamais il ne s’imposera, ni ne forcera la porte du cœur et de la conscience. C’est de ce lieu privilégié — la chambre haute — que peut surgir, comme une source, la réponse intime que nous seuls pouvons formuler. Et cela se réalise essentiellement en renonçant à toute emprise affective ou mentale ; une réponse cordiale, en passant, transforme insensiblement et convertit actions, paroles et pensées.

À la suite de John Main, qui l’initia à la méditation selon une tradition que Jean Cassien lui-même avait héritée des Pères du désert d’Égypte, L.F. ne propose pas un lexique de mots nouveaux pour soutenir la prière. Il déploie sous nos yeux une grammaire tellement ancienne, et cependant radicalement neuve. Il s’agit de répéter sans se lasser le mot sur lequel se clôt (s’ouvre ?) le Livre : Maranatha, viens Seigneur !, et de laisser à ce point cette parole se dire que même dans la distraction, jusque dans le sommeil, elle irradie le cœur et se parle plus profond que les mots, creuse le sillon d’un silence où se reçoit un oui à la joie d’aimer et de se laisser aimer.

C’est au cœur de ce cœur qu’une communion fondamentale se célèbre. Les fruits que le méditant en cueillera seront joie, paix, bienveillance pour les êtres (cf. Ga 5). Oui, il est bien question de tendre vers une disponibilité, à l’Autre et aux autres. Le plus beau cadeau qu’on puisse offrir à autrui — c’est d’une manière encore plus prégnante le lot de qui désire devenir disciple du Christ — est de devenir soi-même, de connaître qui on est, de se présenter tel que l’on est, d’advenir à son être propre. La réponse au « pour vous, qui suis-je ? » ne se conquiert pas par la force d’une conviction ou l’intensité d’une prière ; elle se reçoit de plus grand, se laisse surgir de plus intime à soi que soi-même. Cheminant sur cette Voie, le disciple peut s’offrir en espace de communion, comme une oasis de silence ; il peut faire cadeau de qui il devient au contact de l’Évangile.

L’A. ne se propose pas de nous décrire « qui est » ce Jésus. Il nous entraîne dans sa conviction que nous ne saurons répondre à cette demande qu’en nous laissant purifier par une écoute longue et profonde. Libérés de nos images — pour ce faire, il convient de briser les miroirs qui empêchent de le regarder Lui —, laissant s’en aller la prétention à avoir compris, mais pas du désir incessant de L’accueillir et de Le reconnaître, nous pourrons devenir témoins. Non pas hérauts d’une profession de foi qui convainque par une cohérence intellectuelle, mais plutôt signes que la nouveauté de l’Évangile peut être pour chaque être, joyeuse nouvelle. Oui, Maranatha, viens Seigneur, fais-nous la grâce de pouvoir te prier ! — Ét. Rousseau.

Notes de bas de page

  • 1 Devenu récemment Vies consacrées.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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