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L'Amour comme Énergie chez Teilhard de Chardin. « L'Éternel féminin »

L’éternel féminin

Bosco Lu
L'Association des amis de P. Teilhard de Chardin (1881-1855) célèbre le cinquantième anniversaire de sa mort en organisant une dizaine de colloques étalés sur une période de cinq ans (2001-2005), en divers lieux où Teilhard a vécu et travaillé. Cet article reprend une communication présentée lors du cinquième colloque, tenu à Pékin en octobre 2003. En 1993, on publia les Letters of Teilhard de Chardin and Lucile Swan, qui révéla au public leur expérience amoureuse. Guidé par L'Éternel féminin (1968) du cardinal Henri de Lubac et Spirit of Fire (1996) de Ursula King, l'A. relut Teilhard et tenta de découvrir le secret de son énergie. Il aboutit ainsi à la conclusion que Teilhard proposait une version virginale de l'amour. Celle-ci lui révéla la présence d'un «feu nouveau» dans le cosmos, qui aidera puissamment à la convergence de l'univers dans le point Oméga.

La plupart des gens connaissent le Teilhard scientifique ainsi que le prêtre, mais peu savent qu’il fut également un grand amoureux. Comme scientifique, il se rendit célèbre par sa théorie de l’Évolution. Comme prêtre et jésuite, il s’offrit lui-même à Dieu sans réserve. Il entra dans la Compagnie de Jésus en 1899, fut ordonné prêtre en 1911 et prononça ses derniers vœux en 1918. En dépit des épreuves qu’il dut traverser durant sa vie tumultueuse, il ne remit jamais en cause sa vocation originelle. Il demeura toute sa vie un prêtre et un scientifique.

Ayant grandi au milieu des paysages d’Auvergne, le jeune homme acquit une sorte de sentiment mystique de la nature. L’univers se présentait à Teilhard comme une réalité vivante, dynamique et personnelle. Plus tard, il répéta souvent que l’univers possède un esprit, un cœur et un visage1. Ce visage deviendra finalement pour lui celui du Christ2.

Inspiré par l’Éternel féminin représenté par la Béatrice de Dante, Teilhard a développé sa propre théologie d’un principe unitif. Béatrice est interprétée par lui comme étant la Vierge Marie. Plus tard, cette Beauté se concrétisera en plusieurs femmes. Parmi elles, nous nous devons de mentionner Mme Lucile Swan, l’amie « très spéciale » de Teilhard. Ils se rencontrèrent pour la première fois à Pékin en 1929. Leur « lune de miel » dans la cité interdite durera douze ans. Teilhard déployait en grande partie son pouvoir créatif grâce aux conversations échangées avec Lucile. En fait, c’est durant cette période qu’il termina son chef-d’œuvre Le phénomène humain3. Quand Teilhard partait en voyage, il avait l’habitude d’écrire à Lucile. Leur correspondance commencée en 1932 s’échelonne sur vingt-trois années ; elle sera publiée en 19934. À travers ce livre, nous pouvons deviner la vie intérieure de l’un et de l’autre.

Notre article s’appuie principalement sur les Letters et Spirit of Fire. La troisième source est L’Éternel féminin du cardinal Henri de Lubac5. Notre recherche portera sur « l’amour comme énergie » chez Teilhard de Chardin. Personne ne contestera que l’amour est une énergie. Mais qu’est-ce que cela signifie dans l’esprit de Teilhard ? Jésuite, prêtre et scientifique de premier plan, comment peut-il intégrer l’amour de Dieu et l’amour d’une femme ? Que signifie le terme même d’énergie ? Comment a-t-il tiré profit de cette expérience amoureuse ? Que peut-on apprendre de cette expérience ? Cette conviction de la possibilité d’un amour chaste peut-il devenir une possibilité universalisable pour tout homme ? Toutes ces questions méritent d’être explorées afin de comprendre Teilhard.

I L’Amour comme cœur de la matière

Dans les musées, les visiteurs ne peuvent manquer de voir ces peintures qu’on appelle natures mortes. Ce peut être une pomme, un verre, une pierre. Ces objets sont apparemment sans vie.

Teilhard voit la Matière différemment. Pénétrant l’écorce de la nature morte, il perçoit les mouvements incessants d’attraction mutuelle des atomes et des molécules : « Tout, dans l’Univers, se fait par union et fécondation, — par rassemblement des éléments qui se cherchent, et se fondent deux à deux, et renaissent dans une troisième chose »6. Il n’hésite pas à appeler ce principe amour : « Ma foi la plus chère est que quelque chose d’aimant constitue la nature la plus profonde de l’univers en expansion » (Letters p. 4). L’évolution de l’univers peut être décrite adéquatement comme « l’Évolution de l’Amour »7.

Dans les termes de Gabriel Marcel, on pourrait dire que pour Teilhard l’univers n’est pas un Il mais un Tu8. C’est un Tu qui se soucie de moi et s’engage avec moi dans un dialogue. Nous trouvons dans son Hymne à la matière : « Je te bénis, Matière, et je te salue, non pas telle que te décrivent, réduite ou défigurée, les pontifes de la science et les prédicateurs de la vertu, — un ramassis, disent-ils, de forces brutales ou de bas appétits, mais telle que tu m’apparais aujourd’hui, dans ta totalité et ta vérité »9. Il continue :

Je te salue, Milieu Divin, chargé de Puissance Créatrice, Océan agité par l’Esprit, Argile pétrie et animée par le Verbe incarné…

Il faut, si nous voulons t’avoir, que nous te sublimions dans la douleur après t’avoir voluptueusement saisie dans nos bras.

Tu règnes, Matière, dans les hauteurs sereines où s’imaginent t’éviter les Saints, — Chair si transparente et si mobile que nous ne te distinguons plus d’un esprit.

Enlève-moi là-haut, Matière, par l’effort, la séparation et la mort, — enlève-moi là où il sera possible, enfin d’embrasser chastement l’Univers10.

Esprit et Matière, quelle est l’énergie capable de m’élever ? Sont-ce les énergies de la Nature ? Nous trouvons ici le délicat problème du dualisme. Henri de Lubac soutient que Teilhard a rejeté le dualisme (cf. Lubac p. 46). Ursula King donne un verdict très bref sur cette question : « Matière et Esprit sont deux aspects d’une seule et unique réalité. L’Esprit émerge lentement de la Matière. Il prend le pas finalement sur le physique et le chimique, et c’est ultimement dans l’Esprit, le hautement complexe, que réside toute la cohérence. L’unité du monde fut expérimentée par Teilhard comme le sentiment de la présence de Dieu partout. Le monde réfléchit la vie divine. Ainsi, pouvait-il parler d’Évolution Sacrée » (Spirit of Fire p. 38).

Notre article n’a pas pour but de discuter de la structure interne de la réalité comme monisme ou dualisme selon Teilhard ; aussi n’entrerons-nous pas plus avant dans ce débat. Cependant, son expérience de Dieu comme présent dans le monde matériel fut si forte, qu’on peut se demander s’il ne peut pas être qualifié de panthéiste. Teilhard a bien rejeté le terme de panthéisme dans sa signification commune11. Il avait sa propre expérience spirituelle qui le rendait capable de sentir Dieu présent et à l’œuvre partout. Il s’agit là d’une mystique naturelle, héritée des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola pour lequel Dieu peut se trouver en toute chose (cf. Spirit of Fire p. 56). Ainsi pour Teilhard la montée spirituelle était une communion avec Dieu à travers la Terre-Mère. Il s’agit là d’une mystique « pan-Christique »12. La foi dans le Seigneur ressuscité l’a conduit à la notion de Christ cosmique13, rempli d’amour-énergie pour renouveler le cosmos.

De plus, Teilhard comme prêtre ne pouvait toujours trouver lors de ses fréquents déplacements pain, vin ou autel pour dire la messe. Il découvrit une nouvelle façon de célébrer. « Puisque, une fois encore, Seigneur, non plus dans les forêts de l’Aisne, mais dans les steppes d’Asie, je n’ai ni pain, ni vin, ni autel, je m’élèverai par-dessus les symboles jusqu’à la pure majesté du Réel, et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde »14. Il continue :

Le soleil vient d’illuminer, là-bas, la frange extrême du premier Orient. Une fois de plus, sous la nappe mouvante de ses feux, la surface vivante de la Terre s’éveille, frémit, et recommence son effrayant labeur. Je placerai sur ma patène, ô mon Dieu, la moisson attendue de ce nouvel effort. Je verserai dans mon calice la sève de tous les fruits qui seront aujourd’hui broyés.

Mon calice et ma patène, ce sont les profondeurs d’une âme largement ouverte à toutes les forces qui, dans un instant, vont s’élever de tous les points du Globe et converger vers l’Esprit15.

Ici le Prêtre Éternel, le Seigneur ressuscité, consacre et transforme par l’intermédiaire de ses prêtres l’ensemble de la Matière en Son Corps divin, répandant Son amour partout, sur chaque atome. À travers Lui, nous comprenons comment Teilhard peut affirmer que la Matière n’est pas une réalité morte ; elle est au contraire bien vivante, remplie d’énergie et de vie. Si la Matière a un cœur, c’est parce que Dieu a un Cœur qui est un océan d’amour. Son cœur vibre dans la Matière. Le prêtre est la personne qui a le privilège d’actualiser la consécration universelle.

La messe sur le monde ouvre le panorama d’un horizon immense sur le sommet des montagnes de l’Est, sur lesquelles Teilhard prononça au nom du Christ la prière de consécration universelle : tout le monde matériel comme le pain est son corps-à-venir. Qui, dans l’histoire du christianisme, a pu avoir une vision mystique aussi large du Milieu Divin ? Seul celui qui est entré dans le cœur intime de la Sainte Trinité peut apercevoir ainsi la nature sacrée de la Matière. Voyons qui fut le guide de Teilhard dans sa quête mystique.

II L’Éternel féminin

La divine comédie de Dante et L’Éternel féminin (Das Ewig-Weibliche) de Goethe dans la seconde partie de Faust ont inspiré Teilhard à découvrir l’Éternel féminin16. Mgr Yves Patenôtre, évêque de Saint-Claude, écrit en introduction à l’édition 1998 de L’Éternel féminin de Teilhard : « En le lisant, je pensais à la fresque de la création d’Adam réalisée par Michel-Ange à la Chapelle Sixtine. Toute proche du Dieu Créateur, il y a une femme. Jeune et belle. Qui est-elle ? J’aime à penser que c’est la Sagesse ou la féminité de l’Esprit créateur »17. Qui est cette jeune femme qui a non seulement enchanté Dante, mais aussi Michel-Ange, Goethe, Teilhard et de nombreux auteurs. Dante l’appela Béatrice ; Teilhard change son nom en Béatrix18. Thomas King écrit dans la préface des Letters :

En mars 1918 Teilhard écrivit un essai, L’Éternel féminin, dédié à Béatrice, la femme dont le regard inspira Dante à voyager de l’Enfer au Purgatoire, vers le Paradis. Cela nous redit l’appel spirituel du Féminin. Dans cet essai, Teilhard explique que « quand l’homme aime une femme, il s’imagine d’abord que son amour va seulement à quelqu’un comme lui, qu’il enveloppe de son pouvoir et qu’il s’associe librement ». Mais très vite il est étonné par la violence des forces déployées en lui et il « tremble de comprendre » qu’il ne peut être uni avec le féminin sans « devenir esclave d’un travail de création universelle ». Ainsi le Féminin est perçu comme une force qui appelle l’homme à sortir de soi pour entrer dans la Vie.

L’Évangile recommanda la virginité, mais cela ne signifiait point que le Féminin devait perdre son pouvoir. La Virginité n’avait pas à exiler l’amour du cœur de l’homme : « au contraire, son devoir est de rester fondamentalement un homme ». Le Féminin s’idéalise comme « Vierge Marie ». Elle inspire maintenant à l’esprit de s’élever par-delà le monde pour s’unir à Dieu.

(Letters p. 295)

D’après Henri de Lubac, la raison pour laquelle Teilhard changea Béatrice en Béatrix est qu’il voulait transformer l’idéal virginal présent chez Dante en une Vierge chrétienne bien concrète, Marie (cf. Lubac p. 169). La première, vaguement identifiée, enveloppée d’un voile comme un symbole, ne peut révéler le mystère du Féminin dans son essence la plus pure. Elle reste une idée platonique du Beau. Notre-Dame, au contraire, comme mère du Verbe Incarné, est une personne bien réelle. « Lorsque Dante eut pénétré dans le Paradis, saint Bernard vint l’inviter à regarder le visage de Marie, car ‘il est le visage le plus semblable au Christ’ et ‘son éclat peut seul te disposer à voir le Christ’ » (Lubac p. 214, citant le Paradisio au chant 32). Si cette interprétation est correcte, la représentation du féminin chez Teilhard est évidente. C’est à travers la Vierge Marie qu’il a réfléchi sa propre vocation et la manière par laquelle il devait vivre sa vie dans le célibat consacré.

En 1918, Teilhard fit le pas définitif dans la vie religieuse en prononçant ses vœux solennels de pauvreté, de chasteté et d’obéissance dans la Compagnie de Jésus. Il avait été ordonné prêtre huit ans plus tôt. Les vœux furent pour lui la confirmation ultime, comme un sceau imprimé sur toute sa personnalité. La cérémonie eut lieu le 16 mai 1918. Deux mois auparavant, après une longue période de réflexion et de prière19, il avait composé L’Éternel féminin (du 19 au 25 mars 1918). Pourquoi le Féminin l’impressionna-t-il si vivement qu’il ne put s’empêcher d’y penser avant de prononcer son vœu de chasteté ?

Quelles furent les premières expériences amoureuses de Teilhard ? Sa mère et ses deux sœurs doivent être tout d’abord mentionnées. La mère de Teilhard instilla en lui, le quatrième de ses onze enfants, un profond amour des mystiques chrétiens et une dévotion à vie envers le Sacré-Cœur de Jésus20. Ironie de l’histoire, elle était descendante à la sixième génération de la sœur de Voltaire. En 1936, quand Teilhard reçut en Chine la nouvelle de la mort de sa mère, il écrivit : « Chère et sainte maman [à qui] je dois le meilleur de mon âme »21. Il appréciait aussi grandement ses deux sœurs. Marguerite-Marie fut alitée toute sa vie ; c’est d’elle que Teilhard apprit la « divinisation des passivités » (Spirit of Fire p. 162) ; il écrivit pour elle un livre sur le sens de la souffrance. Marguerite-Marie mourut six mois après sa mère. L’autre sœur, Françoise, entra chez les Petites Sœurs des Pauvres et vint en Chine comme missionnaire, travaillant à Shanghai jusqu’à sa mort précoce en 1911. La sainteté de sa vie gagna l’admiration de son frère Pierre.

Teilhard entra dans la Compagnie de Jésus âgé de 18 ans, sans avoir connu préalablement, semble-t-il, d’aventure romantique. C’est seulement après sa longue formation qui prit fin en 1911 par son ordination, alors qu’il avait déjà la trentaine et faisait à Paris des études spécialisées en paléontologie, qu’il connut sa première expérience amoureuse. Cet épisode allait influencer sa vision du Féminin.

Marguerite Teillard-Chambon, cousine éloignée de Pierre, de six mois son aînée22, grandit également à Clermont-Ferrand. Leurs maisons étaient distantes de quelques kilomètres. Enfants, ils ont certainement partagé beaucoup d’expériences. Par la suite, Marguerite vécut à Paris, présenta l’agrégation en philosophie puis enseigna dans une école renommée. Leur rencontre alors, après une longue séparation, devint une étape importante dans l’éducation sentimentale de Teilhard. Dans tous les sens du terme, ce fut une véritable rencontre d’amour entre le jeune prêtre et sa cousine. Ursula King, avec la délicatesse d’une femme, décrit ainsi l’histoire :

Teilhard ne découvrit le plein pouvoir de « l’idéal féminin » et de « sa beauté inaltérable » qu’en retrouvant sa cousine Marguerite comme femme adulte, cultivée, à l’esprit fin, pleine de charme et très aimable, dotée d’une foi et d’une dévotion profondes. Se rencontrant à la veille de la guerre, ils tombèrent amoureux l’un de l’autre. Elle devint la première à l’entendre développer ses idées, sa première lectrice aussi, tout comme sa première critique. Il y avait entre eux une collaboration spirituelle et intellectuelle, mais Marguerite fut aussi la première femme à l’aimer comme homme, et c’est à travers elle qu’il se trouva lui-même pleinement.

Ce fut là une expérience puissante, un feu nouveau et différent, qui lui donna extase et joie, mais n’était pas sans difficultés ni dangers. Comme il le raconta, il était inévitable qu’il se trouvât un jour « face à face avec le féminin ». La seule chose étrange est que cela ne lui arriva que dans la trentaine, lors de ses études à Paris. Son sens cosmique et humain émergait alors plus pleinement, mais ses aspirations spirituelles manquaient encore de chaleur humaine. La découverte de son amour pour Marguerite et la réponse aimante de celle-ci allaient tout changer. C’était justement l’énergie dont il avait besoin pour que ses idées « fermentent et s’organisent pleinement ».

(Spirit of Fire p. 74)

Passage remarquable ! Marguerite permit à son cousin de s’élever à la vision de la beauté de l’Éternel Féminin dans lequel s’illumina la vérité. Nous pouvons imaginer combien Teilhard fut comblé de joie. Il écrivit plus tard : « Et, sous le regard qui m’avait touché, la coque où sommeillait mon cœur a éclaté. Avec l’amour large et pur, une énergie nouvelle a pénétré en moi (ou est sortie de moi, je ne sais) qui m’a fait éprouver que j’étais aussi vaste et aussi riche que l’Univers »23.

Décembre 1914 : Teilhard est enrôlé. Du front, il écrit à Marguerite de nombreuses lettres, publiées ultérieurement dans Genèse d’une pensée24. Pendant la guerre, la violence extérieure ne pouvait tarir sa richesse intérieure, nourrie du doux souvenir de l’amour. D’innombrables idées lui vinrent à l’esprit comme torrents, et se traduisirent en d’abondants écrits25, contenant en germes déjà toutes ses idées postérieures (cf. Spirit of Fire p. 66).

Nous pouvons dire que ce fut Marguerite qui amena Teilhard à contempler la Beauté inaltérable et céleste26. Il comprit que le célibat n’excluait pas une certaine intimité avec l’autre sexe. Dans son éloge de l’Éternel féminin, il fait dire à la Femme : « Celui qui entend l’appel de Jésus, n’a pas à rejeter l’amour hors de son cœur. Il doit, bien au contraire, rester essentiellement humain. Il a donc encore besoin de moi pour sensibiliser ses puissances, et éveiller son âme à la passion du divin »27.

Dans un de ses derniers livres, Le cœur de la matière, Teilhard dit que personne, même dévoué à la cause de Dieu, ne peut trouver un chemin vers « la maturité et la plénitude spirituelles en dehors de quelque influence ‘sentimentale’ qui vienne, chez lui, sensibiliser l’intelligence, et exciter, au moins initialement, les puissances d’aimer. Pas plus que de lumière, d’oxygène ou de vitamines, l’homme — aucun homme — ne peut (d’une évidence chaque jour plus criante) se passer du Féminin »28. À ce moment, il ne s’agissait pas de la pythie Diotime de Mantinée qui enseignait Socrate, mais de Notre-Dame, la nouvelle Béatrice, qui apprenait à Teilhard un nouveau chemin de l’Eros : l’amour chaste, ou la virginité.

III La Virginité, comme un feu nouveau

Une année et demie après son incorporation dans l’armée, Teilhard écrivit un article intitulé Virginité. Deux ans plus tard, c’était L’Éternel féminin. Pendant ces trois années et demie, il s’attacha à ce sujet, préparant son engagement définitif dans le célibat religieux consacré. Il trouva en Béatrice une attirance pour la pureté virginale :

Dieu, je l’ai attiré vers moi, bien avant vous…

Bien avant que l’Homme eût mesuré l’étendue de mon pouvoir, et divinisé le sens de mon attrait, le Seigneur m’avait déjà conçue tout entière dans sa Sagesse et j’avais gagné son Cœur.

Pensez-vous que sans ma Pureté pour le séduire, il fût jamais descendu, chair, au milieu de sa Création ?

L’amour seul est capable de mouvoir l’être.

Dieu donc, pour pouvoir sortir de soi, devait au préalable, jeter devant ses pas un chemin de désir, répandre en avant de Lui un parfum de beauté.

C’est alors qu’Il m’a fait surgir, vapeur lumineuse, sur l’abîme — entre la Terre et Lui, — pour venir en moi habiter parmi vous.

Comprenez-vous maintenant le secret de votre émotion quand je m’approche ?…

La tendre compassion, le charme de la sainteté, qui émanent de la Femme — si naturellement que vous n’allez les chercher qu’auprès d’elle, et, pourtant si mystérieusement que vous ne pouvez pas dire où est leur source —, c’est la présence de Dieu qui se fait sentir, et qui vous rend tout brûlants.

Placée entre Dieu et la Terre comme une région d’attraction commune, je les fais venir l’Un à l’autre, passionnément29.

Marie nous révèle que ce qui attire chez elle, c’est sa pureté. La pureté est un miroir qui réfléchit la beauté intérieure de Dieu. Les Essais de Teilhard disent combien l’homme éprouve des émotions fortes, le sentiment d’être aimé, quand Marie se rend proche ; c’est une vraie consolation. Mais pour celui qui a été appelé au célibat, il s’agit là d’une expérience commune. Teilhard, fidèle à son choix fondamental, ne se permettrait jamais de suivre des impulsions charnelles contraires à son vœu de chasteté. Aussi, toutes ses amitiés féminines furent-elles marquées par cette décision. Après Marguerite, il entra dans une relation profonde avec Léontine Zanta, Ida Treat, Lucile Swan, Rhoda de Terra, Claude Rivière, Jeanne Mortier et d’autres, mais Teilhard ne dévia jamais de son but : tout amour envers une femme est pour Dieu et avec Dieu, et ultimement devrait converger en Dieu. Son amour pour chaque femme fut une relation « à trois termes : l’homme, la femme et Dieu »30. Cette forme triangulaire de l’amour ou ‘amour-à-trois’31 fut le principe de l’amour chez Teilhard non seulement pour lui-même et pour les religieux, mais aussi pour toute l’humanité : « Bientôt il ne restera plus que Dieu pour vous dans un Univers entièrement virginisé. En moi c’est Dieu qui vous attend ! »32. Henri de Lubac commente :

C’est le rêve d’une sublimation collective de l’amour humain, d’‘un Univers entièrement virginisé’. Rêve fondé sur la possibilité d’une certaine ‘transparence de la matière par rapport à l’Esprit’. Rêve d’une dissociation devenue totale entre ‘l’essence du Féminin’, qui demeure, et ‘le sexuel’, qui passe, à moins qu’on ne veuille parler d’un sexuel entièrement ‘sublimé’, ou d’un ‘usage spirituel des sexes’ passé à la limite extrême à partir de laquelle le rapport entre l’homme et la femme se mue en ‘amitié paisible’ encore que pouvant être, dans l’acception du vocabulaire teilhardien, ‘passionnée’33.

Le rêve d’un monde dans lequel ultimement ne vivraient que des personnes vierges et où l’amour chaste prévaudrait, semble être pure utopie. H. de Lubac en était conscient : « Par le moyen d’un langage progressif qui reste discutable, c’est l’évocation de la ‘Vision béatifique’, terme définitif où ‘l’idéal féminin’, fruit de la révélation, nous conduit »34. Pour Teilhard, même si ce but ne peut être atteint en ce monde par chacun, il doit rester un idéal pour tous. À partir de l’effort et des résultats obtenus par quelques élus, nous pouvons comprendre la vraie valeur de la sexualité. Le sexe en soi n’est pas digne de l’amour humain. La sexualité isolée dissipe la « plus merveilleuse puissance » de la terre35. Elle peut créer un court-circuit qui neutralise l’énergie humaine36. La force incontrôlée de la sexualité nous jette dans la boue37. De ce qui précède nous comprenons que Teilhard ne voit rien de positif dans la sexualité seule. Son appréciation positive de l’amitié féminine est basée seulement sur l’aspect spirituel et prend pour but la convergence en Dieu. Il proclame prophétiquement que dans la virginité réside la plus grande énergie de la création divine. En la découvrant, le monde brûle d’un nouveau feu. « Quelque jour, après l’éther, les vents, les marées, la gravitation, nous capterons, pour Dieu, les énergies de l’amour. — Et alors, une deuxième fois dans l’histoire du Monde, l’Homme aura trouvé le Feu »38.

Ce feu n’est pas un feu naturel, mais il irradie du Cœur de Jésus. Le feu qui brûla Pascal trois siècles auparavant39, brûle maintenant en Teilhard, son compatriote, avec une intensité similaire.

Le Christ. Son Cœur. Un Feu : capable de tout pénétrer ; et qui, peu à peu, se répandrait partout…

Comme si d’avoir rapproché et mis en contact les deux pôles tangible et intangible, externe et interne, du Monde qui nous emporte avait tout enflammé, et tout déchaîné…

Et que, par Diaphanie et Incendie à la fois, jaillisse votre universelle présence.

Ô Christ toujours plus grand !40

Sa vocation et sa mission étaient de « propager le feu que vous m’avez communiqué »41. « Celui qui aura le feu, c’est celui qui enflammera la Terre » (Letters p. 244).

Notre deuxième section, avec Béatrice, concernait l’Éternel Féminin ; nous avons montré combien Marie en est le modèle. À travers la figure de Notre-Dame, à la suite de Teilhard, nous avons tenté de trouver la loi d’attraction de la Vierge. Virginité fut sa réponse. Et elle devint la règle de conduite de Teilhard avec les femmes. Durant toute sa vie, il n’abandonna jamais son engagement religieux. Dieu eut toujours la préséance, comme le dit saint François d’Assise : « Deus meus omnia ! » (Mon Dieu et mon tout !). Attaché à sa conception d’un amour-à-trois, il n’échangerait jamais Dieu pour une femme ; à jamais, il est prêtre du Christ embrassant l’univers entier.

Voyons maintenant quelle merveilleuse amitié a uni Teilhard et Lucile Swan, et le prix qu’il a payé pour maintenir cette relation. Cela valait-il la peine pour Teilhard, de vivre cette expérience qui lui procura beaucoup de joie et d’énergie, mais également beaucoup de larmes et de peine ?

IV Amour en agonie

Si Teilhard n’avait pas rencontré Lucile Swan, il aurait mené tranquillement sa vie, savourant la joie de croiser des hommes et des femmes au fil du temps. Cependant, l’apparition de cette Américaine renversa ses principes de l’amour-à-trois. Lucile était sculptrice, divorcée, arrivée récemment de l’Iowa à Pékin. Elle rencontra Teilhard chez le docteur Grabau, géologue américain, à l’automne 1929. Les réunions d’amis venant du monde entier dans ce salon culturel favorisaient cordialité et amitié. Teilhard avait 48 ans, Lucile42 en avait neuf de moins. Les deux s’entendirent très bien et devinrent bons amis43. Voisins, ils se rencontrèrent souvent. Teilhard était invité pour le thé de cinq heures dans sa maison. Le thé de l’après-midi devint une habitude indispensable lorsqu’ils étaient à Pékin. Parfois Teilhard venait avec son confrère jésuite Pierre Leroy. En 1932, Lucile fit le premier buste de Teilhard. Dans son studio, quand Teilhard posait comme modèle, ils continuaient leurs longues conversations.

À l’automne de cette année, Teilhard partit pour la France et s’absenta six mois. Du bateau, il écrivit sa première lettre à Lucile (30 août 1932). L’année suivante il s’en fut aux États-Unis et les lettres devinrent plus fréquentes, à intervalle de 6, 7 ou 13 jours (cf. Letters p. 3-5). Au cours de ce voyage, Teilhard rendit visite aux parents de Lucile à Chicago, où il fut reçu cordialement. Il découvrit une photo de Lucile quinze ans plus jeune. L’année suivante, quand Lucile partit à Shanghai pour une exposition, Teilhard lui écrivit à des intervalles plus rapprochés de 3, 4, 5, 6, 8, 10 jours44. Ils avaient un grand besoin de communiquer l’un avec l’autre et leur intimité se développa.

La publication récente de ces lettres constitue un précieux document pour comprendre Teilhard. La correspondance de 1932 à 1955 reflète sa vie personnelle ; elle contient beaucoup de lettres de lui, mais peu de Lucile, parce qu’il semble que Teilhard ne les gardait pas. En revanche, Lucile attachait beaucoup de prix à chacune, les classant et les donnant à sa nièce en 1965 avant sa mort pour qu’elles soient publiées un jour45. Heureusement Lucile garda aussi nombre de ses lettres qu’elle n’envoya pas, ainsi que son journal, donnés à sa nièce également. À partir de ces documents, nous pouvons retracer l’histoire et l’état d’esprit réel de Lucile, peut-être inconnu de Teilhard lui-même.

The Letters of Teilhard de Chardin and Lucile Swan furent publiées en 1993. Le texte contient environ 300 pages. À la septième page, on trouve une lettre de Teilhard de retour de son voyage aux États-Unis (14 novembre 1933). C’était la première fois que Teilhard expliquait son idée de l’amour à Lucile. Il semble qu’ils aient eu deux conceptions très différentes de l’amour, pour lesquelles ils eurent à payer le prix fort.

Quatre années auparavant, en 1929, Teilhard et Lucile s’étaient rencontrés pour la première fois ; ils se sentirent irrésistiblement attirés l’un vers l’autre. Le potentiel affectif de Teilhard s’était épanoui une première fois avec sa cousine Marguerite, dix-sept ans auparavant. Il avait par la suite rencontré d’autres femmes comme Léontine Zanta en 1918 ; celle-ci obtint un doctorat en philosophie et devint professeur de Marguerite ; de dix ans son aînée, elle entretint avec Teilhard une correspondance entre 1923 et 1938. Il connut aussi Ida Treat, communiste américaine rencontrée autour de 1925, à Paris, plus tard mariée à un Français, et Rhoda de Terra, romancière américaine, rencontrée en 1935. Mais Lucile était différente de toutes les autres femmes.

Lucile ‘la lumière’ alluma un feu de grande intensité qui brûla durant toutes les années de maturité de Teilhard. Sa famille, ses amis et ses futurs admirateurs ne devaient connaître la puissance de cet amour mutuel, leur intimité et leur engagement, leur séparation, leur déception et leur souffrance, que bien des années après leur mort, quand la publication de leurs lettres brisa le silence maintenu si longtemps sur la nature de leur relation.

(Spirit of Fire p. 82)

Au début de leur rencontre, Teilhard ne prévit pas quels seraient la forme et le degré que leur amitié allait prendre46. Il pensa peut-être que Lucile serait comme une de ses précédentes relations féminines avec laquelle il pourrait appliquer son principe de l’amour-à-trois. En fait leur amitié alla bien plus loin qu’une simple amitié. Ils ne partageaient pas seulement les mêmes idées, mais aussi leur vie jusque dans les moindres détails. Le mystique Teilhard cherchait Dieu dans sa rencontre avec Lucile47. À travers le stimulus de Lucile, il semblait chercher à connaître Dieu plus profondément, à faire connaître au monde son nouveau visage, et avant tout à découvrir le Feu, la source de toutes les énergies48.

En 1950, quand Teilhard eut 69 ans, il écrivit Le cœur de la matière, son autobiographie, qui se conclut par « Le Féminin » : « rien ne s’est développé en moi que sous un regard et sous une influence de femme ». Il y rend un « hommage général, quasi-odorant, montant du tréfonds de mon être, vers celles dont la chaleur et le charme ont passé, goutte à goutte, dans le sang de mes idées les plus chères »49. Il envoya une copie du livre à Lucile en disant que « ces pages sont un effort pour exprimer l’évolution interne que vous avez profondément influencée »50. « Depuis près de vingt ans, vous m’avez toujours aidé à monter vers un Dieu toujours plus lumineux et plus chaud » (Letters p. 262, 10 août 1950).

Mais reportons-nous au début de leur rencontre, quand tous deux vivaient à Pékin. Ils avaient alors l’habitude de se retrouver pour le thé de cinq heures chaque après-midi dans la maison de Lucile. « Lucile était capable de questionner et de mettre au défi ses idées comme personne d’autre avant elle ne l’avait fait… Elle fournit à Teilhard bien plus qu’un simple partenariat. Elle discutait, lisait, traduisait ses essais, les tapait, les imprimait, les envoyait à ses nombreux amis, partageait ses promenades et ses conversations, et lui offrait dans sa maison un lieu d’intimité et de chaleur » (Spirit of Fire p. 153).

Ils parlaient du fruit de leurs discussions comme des « œufs » (eggs)51. Nous possédons les « œufs » de leur effort commun : Comment je crois ; Christianisme et évolution ; Esquisse d’un univers personnel ; La route de l’Ouest. Vers une mystique nouvelle ; La signification et la valeur constructive de la souffrance ; Évolution de la chasteté ; Le phénomène spirituel ; L’énergie humaine ; La mystique de la science. Par dessus tout, l’opus magnum : Le phénomène humain, écrit durant les années 1938-1940. Le 18 juin 1940, Teilhard apporta à Lucile le manuscrit complet. Il reconnut que ce fut son œuvre à elle aussi, « nouveau produit de notre union spirituelle » (Letters p. 63).

Pendant la première guerre mondiale, Marguerite avait lu ses essais et donné ses avis. Maintenant Lucile prenait sa place et devenait la collaboratrice indispensable. Il semble que par nature Teilhard n’était pas un ermite ou un écrivain solitaire. Toutes ses réussites avaient besoin d’une présence, chaude et aimante, sans laquelle il ne pouvait pas bien penser ni produire rien d’original52.

Cependant Lucile n’était pas seulement le bon compagnon de travail de Teilhard, elle devint une part de sa personnalité. Ils devinrent moralement unis. Citons pour illustrer : « Serais-je complet, Lucile, sans vous ? » (Letters p. 45, 25 août 1935), « Vous êtes devenue une part de ma vie la plus profonde » (Letters p. 60, 17 juillet 1936). L’itinéraire mystique de Teilhard s’est trouvé facilité par l’aide d’une femme qui l’accompagnait, Lucile.

L’artiste Lucile n’était pas théologienne. C’était une femme qui avait besoin d’amour et osait aimer. Quand elle sentait quelque chose de réel, comme ici dans sa relation à Teilhard, elle s’y jetait à fond. En fait, vu la différence de milieux et d’intérêts, Lucile avait peu de points communs avec Teilhard et elle ne comprit pas vraiment ce qu’il mûrissait, mais elle l’appréciait, désireuse de l’aider à exprimer les idées qui pourraient servir l’humanité à l’avenir.

Le problème était que Lucile était née dans une famille chrétienne non-catholique et que plus tard elle abandonna la pratique religieuse. Sa relation avec Dieu était assez vague. Elle ne pouvait pas réellement comprendre les valeurs chrétiennes, sans même parler de la règle du célibat des prêtres, ainsi que beaucoup d’idées majeures de Teilhard sur le Christ cosmique, l’Éternel féminin et le type d’amour-à-trois.

Son agonie commença quand ils développèrent une relation amoureuse plus profonde. Alors que Teilhard rêvait d’un chemin de virginité ou d’amour-à-trois qui aboutirait à une convergence, Lucile pensait juste à une expérience romantique ordinaire. En Teilhard, elle trouva l’homme de ses rêves53. Petit à petit, elle devint de plus en plus amoureuse. Sa nature féminine s’éveillait. Elle cherchait plus qu’une simple amitié. « L’amitié est sans aucun doute la plus haute forme de l’amour — et aussi très difficile. Mes instincts de femme sont si forts. Apprendre à contrôler cet amour est si difficile » (Letters p. 28, Journal). Elle nota dans son journal en un soupir de désespoir : « Vous êtes devenu plus important dans ma vie quotidienne. Oui. La vie, physique, vous en réel, vous tout entier. Je vous veux si fort… Je ne peux pas vous avoir » (Letters p. 17, Journal). Au-delà de ses sentiments, Lucile voyait une contradiction entre les théories évolutionnistes de Teilhard et sa pratique de la chasteté.

Vous admettez la nécessité de passer avec et à travers la matière pour arriver aux idées, abstraites ou bien divines, mais vous niez l’utilisation de la matière (humaine) pour atteindre ces idées. Vous direz que vous niez seulement une partie de l’amour humain, mais je pense que vous éludez la question, car le physique n’est pas seulement une part très importante, mais est essentielle pour la race54.

Nous voyons là la finesse de raisonnement de Lucile. Toutes ces confessions privées ont révélé combien leur amour avait grandi. Ordinairement, il serait parfaitement normal pour un tel couple de penser au mariage. Teilhard comme prêtre et désireux de rester fidèle à ses vœux, n’était plus libre55. Lucile, divorcée, sans lien matrimonial, désirait naturellement se marier. La conception de l’amour-à-trois de Teilhard ne semble s’appliquer qu’à des personnes qui, consacrées ou croyantes, visent l’une et l’autre l’unum necessarium56. Pour Lucile, « la seule chose nécessaire » était Teilhard et son union totale avec lui. À un tel degré d’amour, une séparation temporaire même de quelques heures pouvait causer une souffrance insupportable. Elle écrivit dans son journal ce qu’elle entendait par ‘le physique’ :

J’ai parlé du ‘physique’. S’il vous plaît, n’allez pas croire que je vise seulement le sexe, même si cela est très fort. Cela créerait un lien entre nous qui ajouterait une solidité que rien d’autre ne peut offrir, je crois. Cependant, il ne s’agit que d’une part seulement. Je veux être avec vous, aussi bien quand vous êtes en forme que malade. Voir de jolies choses avec vous et marcher dans la campagne. En d’autres mots, je veux être à vos côtés tout le temps, rire, jouer et prier avec vous. Ne réalisez-vous pas que c’est une grande part de la vie, et que cela est juste et normal, et donné par Dieu. Mais je ne peux pas. Ne puis pas (en français dans le texte).

(Letters p. 20, 27 juillet 1934)

Fortement frustrée, elle écrivit, dans son journal bien sûr :

Vous refusez de rejeter vos enseignements cléricaux et de regarder honnêtement les faits. Vous avez fait face à toutes sortes d’idées qui vous sont arrivées du côté de votre science. Mais je continue à penser que vous avez refusé de faire face à cette idée-là, parce que votre vie vous a permis de vous y soustraire.

(Letters p. 34)

Quand Lucile sut que Teilhard était en grande difficulté avec son Église et qu’une rupture définitive avec son Ordre était possible, elle « avait inconsciemment compté là-dessus, observe Ursula King, mais cela ne se produisit pas »57. Le mouvement inconscient, mentionné par King, pourrait être associé au désir d’une union parfaite avec Teilhard, s’il décidait de quitter la Compagnie de Jésus.

Henri de Lubac, un des confrères les plus proches de Teilhard, avec toute sa compassion, admettait l’énorme difficulté impliquée dans un tel amour spirituel : « De telles dispositions, assurant la ‘sublimation’ de l’amour en ‘plénitude’, ne sont guère communes, et ne dépendent pas uniquement du bon vouloir. C’est pourquoi son cas, tel qu’il l’expose, nous paraît avoir quelque chose d’exceptionnel » (Lubac p. 94). Cas difficile et exceptionnel, Teilhard ne pouvait compter sur l’expérience de prédécesseurs. Il avait à tracer son chemin par lui-même. Il pria fort Notre-Dame pour qu’Elle le dirige58. Il pratiqua l’ascèse, l’austérité et la mortification, lutta contre l’égoïsme. Il persévéra jusqu’à la mort dans son vœu de chasteté59.

Parmi tous les faits évoqués ici, on ne peut négliger une phrase d’Ursula King analysant L’évolution de la chasteté : « Laissé à son propre jugement, Teilhard n’était pas du tout au clair ‘sur ce qui n’est pas permis’ »60. Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que cela se réfère aux limites de l’expression physique d’un amour virginal ? Peut-être s’agit-il là d’un point de perplexité pour beaucoup d’âmes qui sont engagées dans la même tâche spirituelle. Qui pourra répondre ?

V L’heureuse fin d’un amour racheté

La section précédente a décrit le parcours amoureux de Teilhard et Lucile dans sa phase pékinoise (1929-1941). Ces deux amants, de la simple rencontre à l’amitié profonde, ont presque partagé leur vie. Teilhard ne garda pas les lettres de Lucile, alors que cette dernière non seulement conserva celles de Teilhard, mais aussi les confia à sa nièce dans leur entièreté, spécialement celles qui ne furent pas envoyées ainsi que son journal, afin qu’elles soient publiées. Le lecteur des Letters observe, dès le début de la correspondance, les traces d’un conflit entre eux. Lucile confiait ses ennuis à son journal intime. Comment dès lors Teilhard pouvait-il la comprendre entièrement ? Leurs lettres seraient une série de monologues. Teilhard ne connaissait pas les deux versants de la réflexion. Il écrivait directement ce qu’il pensait.

La première missive de Lucile dans les Letters est datée du 31 mars 1937. Le contenu et la manière dont elle écrit celles-ci diffèrent beaucoup de ce qu’elle s’écrit à elle-même. Lucile avait probablement deux personnalités, diurne et nocturne. Les lettres écrites à Teilhard sont l’aspect diurne, rationnel et positif, alors que son journal privé captait la Lucile de la Nuit, remplie de questions et de doutes, surtout négative. Les correspondances navigaient dans deux bateaux différents. La théorie de Béatrix chez Teilhard ne semble pas avoir atteint l’esprit de Lucile. Peut-être avait-elle par rapport à la théorie de Teilhard un accord notionnel, mais pas vraiment un accord réel (selon la distinction du cardinal Newman). Teilhard ne réussit pas à convertir Lucile61. Les jours et les nuits se succédèrent chez Lucile sans jamais pouvoir s’harmoniser. Parfois elle pensait positivement, mais ces moments étaient éphémères. La nuit était tapie dans l’ombre, prompte à réapparaître à tout instant.

Une année après la fin de la seconde guerre mondiale, Teilhard retourna en Europe. De Paris, il fit plusieurs voyages à New-York et en Afrique du Sud. En décembre 1951, il émigra aux États-Unis et s’y fixa définitivement. Pendant cette période de dix ans, c’est Rhoda de Terra qui demeura constamment aux côtés de Teilhard, soit à Paris, soit à New-York ou bien lors de ses deux voyages en Afrique du Sud. Cette présence rapprochée auprès de Teilhard causa chez Lucile une crise épouvantable.

Muni de son principe de l’Éternel féminin, c’est toujours de manière chaste que Teilhard entrait en relation avec les femmes. En principe, ce genre de relation n’aurait pas empêché Teilhard d’avoir plusieurs amies intimes en même temps, car comme l’explique Yves Raguin, « il faut aussi cette séparation, cette absence de lien charnel, pour que deviennent possibles des amitiés profondes, très profondes avec plus d’une personne. C’est une des grandes découvertes du célibat que de pouvoir aimer, aimer vraiment plusieurs personnes d’un amour égal, mais qui a la saveur unique de chacune d’entre elles. Un amour qui s’exprime dans une relation charnelle ne peut avoir cette liberté, car toute relation de ce genre se fait exclusive »62.

Teilhard aima sa cousine Marguerite, Ida Treat et bien d’autres femmes. Mais aucune d’elles ne peut être comparée à Lucile. L’amour mutuel de Teilhard et Lucile apporta à celle-ci une immense tristesse, car elle ne pouvait se marier avec lui. Lucile n’hésitait pas à vitupérer contre Teilhard : « Vous me comparez avec Ida. Je peux simplement dire que si Ida avait eu les mêmes sentiments, c’eût été impossible pour elle de se marier » (Letters p. 228). Maintenant, après plusieurs années de séparation (1941-1948), alors qu’ils avaient la chance de longues retrouvailles à New-York (mars 1948), elle n’était pas seule, car Rhoda était là également, et les deux étaient impatientes de voir leur ami bien-aimé. Ayant lu de nombreuses références à Rhoda dans les lettres de Teilhard63, Lucile ne cacha jamais son amertume envers elle. Elle avait dit à Teilhard qu’elle souhaitait ne jamais rencontrer Rhoda (Letters p. 197, 292). Et voici maintenant que toutes deux devaient se faire face en attendant l’arrivée de Teilhard. Quelle déveine ! Raccourcissant sa visite à New-York, Teilhard revint en juin à Paris. Pierre Leroy, son meilleur ami de Pékin64, l’accueillit à l’aéroport, et fut surpris de trouver son vieil ami aigri et déprimé65.

Mais qui est donc cette Rhoda de Terra ? Teilhard avait rencontré en Birmanie un couple de scientifiques, Helmut et Rhoda de Terra, durant une expédition en 1935. Deux ans plus tard, il rendit visite au couple à Philadelphie et passa un très agréable week-end dans leur villa de banlieue. Malheureusement, le couple se sépara l’année suivante66. Teilhard entretint une correspondance régulière avec Rhoda67. De retour en Europe en 1946, il rencontra Rhoda à Paris, l’aidant à trouver des matériaux pour l’écriture d’un roman. Progressivement, elle devint son infirmière-secrétaire après la crise cardiaque de Teilhard en 1947. En 1951 et 1953 elle accompagna Teilhard en Afrique du Sud : « gardant un œil sur sa santé, elle organisait ses rendez-vous, le déposait et le reprenait aux lieux convenus, prenant en charge les besognes ennuyeuses »68.

Quand Teilhard déménagea pour de bon aux États-Unis en décembre 1951, il était très faible mais toujours très engagé dans la recherche académique. Lucile vint de temps en temps de Washington D.C. à New-York pour le voir. Teilhard lui demanda de réduire ses visites, de lui écrire et de lui téléphoner moins souvent, parce qu’il était trop faible69. En même temps, Rhoda était constamment à ses côtés, supplantant complètement Lucile, semble-t-il. Lucile demanda :

Pensez-vous que nous pourrions avoir un jour une conversation calme à propos de « nous ». Nous nous rencontrons et agissons comme si rien n’avait jamais existé entre nous. Jusqu’au moment de se séparer, quelque remarques fortuites sont dites, et le temps devient si court, et la pression si grande. Les choses dites sont trop fortes ou pas explicites, et il n’y a jamais le temps de comprendre. Alors nous nous quittons avec ce sentiment de frustration et de malaise. Vous devez le ressentir aussi.

Est-ce une situation impossible ? Vous avez été la plus forte influence dans ma vie pendant près de vingt ans et une influence très profonde… Je sais que nous désirons sincèrement nous aider l’un l’autre, mais est-ce possible ? Et comment ? C’est vous qui m’avez mis dans le rôle de la mère, mais quand je vous ai dit des choses qui me paraissaient vous diminuer, j’ai senti que je n’avais pas le droit de les dire. En fait, je suis si incertaine de ma position par rapport à vous que cela me rend doublement difficile la tâche d’agir avec sagesse.

Je sais que vous n’aimez pas analyser les situations, mais ne pensez-vous pas que nous serions plus heureux si vous faisiez face à celle-ci quand vous êtes en forme et calme ? Si vous ne voulez pas me parler, pouvez-vous écrire ?

La période de Noël rend chacun plus seul et plus sentimental… Je ne me sens pas très heureuse avec le cours actuel des choses… Puis-je être moi-même ?

(Letters p. 286-287, 20 déc. 1953)

Cela fait de la peine de lire cette lettre, et de voir comment leur amour a évolué. Teilhard était pleinement conscient de la peine causée aux personnes qu’il avait aimées. Thomas King écrit : « À Paris, en juillet 1954, Teilhard relut à nouveau la fin du Cœur de la matière. Il commença à pleurer “à la mémoire de toutes les ‘Béatrices’ pleines de reproches qu’il avait blessées involontairement”. L’une d’entre elles était Lucile » (cf. « Épilogue », Letters p. 197). Cette confession, Teilhard la fit lors de son dernier voyage à Paris (juin-août 1954). Elle a le ton du témoignage. Juste avant la seconde attaque cardiaque de Teilhard, Lucile lui écrivit une lettre enjouée :

Je veux vous assurer que par-dessus tout je désire pour vous que vous trouviez la paix, le calme et la liberté. Mon amour pour vous sera toujours quelque chose de spécial ; mais croyez-moi, il n’est ni exigeant ni possessif.

Il serait faux de dire que j’aime Rhoda, mais je suis heureuse qu’elle ait trouvé son Dieu et sincèrement je lui souhaite le meilleur. Je sais que je peux toujours compter sur vous, comme vous savez que vous pouvez toujours compter sur moi. Je suis toujours là si vous aviez besoin de moi ou que vous me vouliez.

Je prie Dieu de vous bénir et de vous donner la paix, le calme et le bonheur tels qu’Il me les a donnés en abondance.

Vôtre,

Lucile70.

La lettre respirait un air de réconciliation. Quelques jours plus tard, Teilhard fit une chute en rue à New-York, durant une promenade. À l’hôpital, il réclama Lucile. Elle vint immédiatement et le rassura de son amour. Plus tard, il revint à la résidence jésuite d’où il écrivit une lettre pour la remercier : « Convergeons, vous et moi, courageusement et joyeusement, vers le nouveau visage de Dieu qui nous attire l’un et l’autre » (Letters p. 292). Lucile avoua : « Cela me rend très triste si je suis en partie la cause de votre malaise. Cela ne doit pas se passer ainsi. Vous savez que j’ai trouvé la paix et c’est la chose que je désire pour vous plus que tout — la paix réelle de la présence de Dieu »71. Dans la dernière lettre de Teilhard à Lucile (30 mars 1955), il dit : « J’ai vraiment besoin de votre présence, de votre influence dans ma vie… Nous sommes toujours ici l’un pour l’autre. Téléphonez-moi n’importe quand, quand il vous plaira ». La collection de leurs lettres se clôture ici dans la paix d’un amour racheté.

Le soir du dimanche de Pâques 1955, le 10 avril, Teilhard mourut72 alors qu’il parlait à des hôtes dans la maison de Rhoda de Terra à New-York. Lucile écrivit : « Cela rend les liens plus forts qu’une amitié ordinaire… Le privilège de connaître et d’avoir l’amitié de ce grand homme continue d’être la plus importante et la plus belle part de ma vie »73.

Conclusion

Pour Teilhard, l’« Amour comme énergie » n’était pas une formule, une théorie ou une conviction, mais bien une expérience vivante et existentielle. Sa foi en Dieu, l’unum necessarium, sa dévotion à Notre-Dame, l’Éternel féminin concret, son engagement envers la Matière, remplie de présence divine, et ses amours féminines, tout l’inspirait à découvrir le Centre d’Énergie. Dieu, en tant que source ultime de tous les êtres et cause première de toutes les causalités, ne dispense pas des causalités secondes. Pour Teilhard, une des causalités secondes, furent les présences féminines à ses côtés. Sa créativité intellectuelle avait besoin d’affection pour pouvoir mûrir. Son expérience d’amour avec Marguerite ouvrit une source de nouvelles idées qui débouchèrent sur des articles importants pendant la guerre, parmi lesquels l’impérissable Éternel féminin.

D’après cette théorie, les personnes chastes ont, elles aussi, la possibilité de vivre une expérience amoureuse avec Dieu et avec l’autre sexe. L’amour-à-trois, profond et chaste, s’inscrit là. Pour Teilhard, un amour chaste ou virginal libérera de la Matière un Feu nouveau. C’est une nouvelle sorte d’énergie. L’amour virginal est un stade supérieur de l’amour humain. Après Marguerite, il rencontra d’autres femmes. Elles furent les femmes dont « la chaleur et le charme ont passé, goutte à goutte, dans le sang de mes idées les plus chères »74.

Les lecteurs de Teilhard conviendront tous que l’amour humain est un potentiel de grand dynamisme, mais ne comprendont pas nécessairement, ou ne seront pas d’accord, avec son amour-à-trois. Lucile, qui ne partageait pas totalement la foi catholique (cf. Letters p. 286-287, 20 déc. 1953), fut obligée dans sa relation avec Teilhard de s’adapter à la foi de ce dernier et de se conformer à sa manière d’aimer. L’évolution de leur amitié était prédestinée à être tragique. Ce n’était pas juste pour Lucile. Ils ont commencé une relation innocente sans savoir combien la qualité de leur relation différerait. Teilhard, désireux de rester fidèle à son vœu de chasteté, ne se permettait pas de céder aux demandes de Lucile de vivre avec elle une union physique. Cela ne se produisit pas, comme nous le savons par la nièce de Lucile. Toute cette histoire aurait été plus simple s’ils avaient eu tous les deux la même conviction religieuse et la même spiritualité de consécration. Peu importe, le Feu nouveau requiert un prix extrêmement élevé.

La rivale de Lucile n’était pas Rhoda, mais Dieu lui-même. Qui peut lutter avec Dieu et vaincre ? Lucile était destinée à perdre. Dans les dix dernières années, Teilhard était dans la présence permanente de Dieu, du Christ, de l’unité de l’univers, de l’espoir en l’humanité. La période des relations amoureuses intenses était finie pour lui. Mais l’expérience restait. Aussi l’énergie déployée à partir de ses amours continua à rendre Teilhard infatigable jusqu’au dernier souffle. L’amour-à-trois est le secret de l’énergie. L’énergie ne devient une source infinie de richesses que quand elle découle de l’Infini.

Notes de bas de page

  • * Conférence en français et chinois donnée lors d’un colloque Teilhard de Chardin, à Pékin en octobre 2003, sur le thème « Science et progrès humain. Vers un esprit de la terre et une mondialisation maîtrisée ». Le P. Bosco Lu, jésuite chinois, la donna en présence de certains membres de la famille du P. Teilhard, parmi lesquels le P. Olivier Teilhard de Chardin, prêtre du diocèse de Paris. Les Actes du Colloque seront publiés prochainement par la maison Aubin, à Saint-Étienne. La traduction de Th. Meynard, S.J., membre de l’Institut Ricci de Taipei, a été revue par la rédaction.Voir les trois ouvrages recensés dans ce numéro, aux p. 170, 312 et 334 ; cf. aussi p. 291 et 313.

  • 1 Cf. Teilhard de Chardin P., « Le milieu mystique » (13 août 1917), dans Écrits du temps de la guerre (1916-1919), Paris, Grasset, 1965, p. 133-167 [le nom du Père Pierre Teilhard de Chardin sera le plus souvent abrégé dans les notes sous la forme TCh].

  • 2 « Le Christique » est le nom du dernier essai de Teilhard (mars 55), dans Le cœur de la matière, Paris, Seuil, 1976, p. 94-117.

  • 3 « Le 18 juin 1940, il apporta le manuscrit complet. Il était très heureux d’avoir fini », dans King Ursula, Spirit of Fire : the Life and Vision of Teilhard de Chardin, Maryknoll, N.Y., Orbis Books, 1996, p. 174 [cité désormais dans le texte Spirit of Fire].

  • 4 The Letters of Teilhard de Chardin and Lucile Swan, éd. Th.M. King, S.J. & Mary Wood Gilbert, Washington D.C., Georgetown Univ. Press, 1993 [cité désormais dans le texte Letters].

  • 5 de Lubac H., S.J., L’Éternel féminin, Paris, Aubier-Montaigne, 1968 [cité désormais dans le texte Lubac].

  • 6 TCh, « L’Éternel féminin » (25 mars 1918), dans Écrits du temps… (cité supra, n. 1), p. 253.

  • 7 TCh, « L’esprit de la terre » (mars 1931), dans L’énergie humaine, Paris, Seuil, 1962, p. 41 ; cf. Lubac p. 63s. : l’amour-énergie est décrit comme une « Énergie étrange », « la plus universelle, la plus formidable, la plus mystérieuse » de toutes les énergies, une « force sauvage », une « réserve sacrée », « l’énergie propre de la Cosmogenèse », etc.

  • 8 Cf. Marcel G., Journal métaphysique, Paris, Gallimard, 1927, p. 138, 145, 292-3, 306.

  • 9 TCh, « La puissance spirituelle de la matière » (août 1919), dans Hymne de l’univers, Paris, Seuil, 1961, p. 72-73.

  • 10 Ibid., p. 73-74.

  • 11 Cf. TCh, « Le milieu mystique » (cité supra, n. 1), p. 141.

  • 12 TCh, Le cœur de la matière (cité supra, n. 2), p. 59.

  • 13 « Celui qui est descendu, est aussi celui qui est monté plus haut que tous les cieux afin de remplir l’univers » (Ep 4,10).

  • 14 TCh, « La messe sur le monde » (1923), dans Hymne de l’univers (cité supra, n. 9), p. 17.

  • 15 Ibid.

  • 16 Cf. Lubac p. 53. Il fait référence ici à Béatrice, la jeune beauté florentine de la Divine comédie.

  • 17 Patenôtre Y., intr. à Teilhard de Chardin P., L’Éternel féminin, Troyes, Fates, 1998, p. 10. Ceci rappelle le premier paragraphe de L’Éternel féminin de Teilhard, paraphrasant la Sagesse en Pr 8,22 : « Je suis apparue dès l’origine du Monde. Dès avant les siècles, je suis sortie des mains de Dieu, — ébauche destinée à s’embellir à travers les temps, coopératrice de son œuvre », dans TCh, Écrits du temps… (cité supra, n. 1), p. 253.

  • 18 Cf. ibid., p. 249, dédicace de « L’Éternel féminin ». Cf. aussi Lubac p. 20, 55.

  • 19 Dès le 1er mai et le 2 septembre 1916, Teilhard avait prévu d’écrire quelque chose sur la chasteté devant une Vierge Voilée. Cf. Lubac p. 21. Il sentit qu’il était poussé à écrire cet essai « comme sous l’attraction de la Vierge Marie » (ibid.).

  • 20 Cf. TCh, Le cœur de la matière (cité supra, n. 2), p. 51s. ; cf. Spirit of Fire, p. 4.

  • 21 TCh, Lettres de voyage (1923-1955), éd. Cl. Aragonnès, Paris, Grasset, 1956, p. 200.

  • 22 Cf. Spirit of Fire, p. 77 ; cf. TCh, Genèse d’une pensée. Lettres (1914-1919), intr. Cl. Aragonnès, prés. A. Teillard-Chambon et M-H. Begouen, Paris, Grasset, 1961, p. 17s. Le nom de cette cousine, Teillard, est orthographié différemment de celui du P. Teilhard.

  • 23 TCh, « Le milieu mystique » (cité supra, n. 1), p. 138.

  • 24 Cf. supra, n. 22.

  • 25 Tels que La vie cosmique, La virginité, Le milieu mystique, L’union créatrice, L’Éternel féminin, Mon univers, La grande monade, Le prêtre, Forma Christi, etc.

  • 26 Cf. TCh, « L’Éternel féminin » (cité supra, n. 6), p. 260.

  • 27 Ibid., p. 259.

  • 28 TCh, « Le féminin », clausule à l’essai Le cœur de la matière (cité supra, n. 2), p. 72.

  • 29 TCh, « L’Éternel féminin » (cité supra, n. 6), p. 261.

  • 30 Cf. TCh, « Esquisse d’un univers personnel [A Personalistic Universe] » (mai 1936), dans L’énergie humaine (cité supra, n. 7), p. 95. « Dans leur rapprochement, deux ‘aimants’ s’échappent lentement l’un à l’autre… Un seul milieu rapproche : Dieu » (note de Teilhard le 1er mai 1920, citée en Lubac p. 69).

  • 31 « Conception ‘trine’ de l’amour parfait », dans Letters p. 19. Concernant « l’amour à deux ou l’amour à trois », cf. ibid., p. xvii.

  • 32 TCh, « L’Éternel féminin » (cité supra, n. 6), p. 260.

  • 33 Lubac p. 165 ; cf. les lettres au Père A. Valensin, du 10 janvier 1926 et du 11 novembre 1934, dans TCh, Lettres intimes à Auguste Valensin, Bruno de Solages, Henri de Lubac, André Ravier, 1919-1955, intr. H. de Lubac, Paris, Aubier-Montaigne, 1974, p. 131s. et 297s. Cependant, l’amitié entre Teilhard et Lucile Swan n’a pas du tout été paisible, comme nous le verrons plus loin.

  • 34 Lubac p. 167s. Jésus avait prédit qu’il n’y aurait pas de relations maritales lors de la Parousie (cf. Mt 22,30).

  • 35 Cf. TCh, « L’esprit de la terre » (cité supra, n. 7), p. 42.

  • 36 Cf. TCh, « L’évolution de la chasteté » (février 1934), dans Les directions de l’avenir, Paris, Seuil, 1973, p. 88 ; cf. Letters p. 8, 295.

  • 37 Cf. TCh, « L’évolution de la chasteté » (cité supra, n. 36), p. 90 ; cf. Lubac p. 22.

  • 38 Ibid., p. 92.

  • 39 Quand Pascal mourut en 1654, un écrit fut trouvé sur lui, cousu dans la doublure de son manteau et où il laissait un témoignage de son expérience spirituelle : « Feu. — Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de Jésus-Christ » (Pascal Bl., Pensées, éd. L. Brunschvicg, Paris, Garnier, 1958, p. 71).

  • 40 TCh, Le cœur de la matière (cité supra, n. 2), p. 58, 67, 70. La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus fut instillé dès son plus jeune âge par sa mère. La Compagnie de Jésus avait reçu pour mission de répandre la dévotion au Sacré-Cœur. Paray-le-Monial, ville de pèlerinage pour cette dévotion, et où Jésus est apparu à sainte Marguerite-Marie, n’est pas loin de Clermont-Ferrand. Cela explique pourquoi Teilhard avait une sœur et une cousine portant le prénom de Marguerite.

  • 41 TCh, « Le prêtre » (1918), dans Écrits de la guerre… (cité supra, n. 1), p. 297.

  • 42 La nièce de Lucile, Mary Wood Gilbert, co-éditrice des Letters, cite dans sa préface son ami John Paton Davies : « Lucile avait les traits fins, était forte de poitrine et des hanches ; probablement âgée de 35 ans, elle était aimée de tous ceux qui la connaissaient, car elle rayonnait une impression de chaleur et d’honnêteté » (Letters p. xviii). Le même Davies rencontra Teilhard chez Lucile et le décrit ainsi : « Le Père Teilhard était un prêtre svelte et patricien. Non pas un patricien de marbre romain ou de porcelaine vitreuse, mais un aristocrate au visage abrupt, âprement coulé dans le bronze, ce que Lucile était précisément en train de faire… Noble construction d’angles et de rides inégales avec une bouche sensible, la face du Père Teilhard illuminait ce qu’il disait. Et quand il restait silencieux, elle exprimait encore ses humeurs, parfois lentement, le plus souvent par éclairs. Il ne se retirait pas de ceux qui l’entouraient. Il irradiait vers eux une attitude grave, joyeuse et questionnante. Et toujours avec une délicate attention pour autrui, sans souci de lui-même » (Letters p. xviii-xix).

  • 43 Cf. Letters p. 9-14. Avec les mots de Lucile : « Pour la première fois depuis des années, je me sentis à nouveau jeune et pleine d’espoir » (Letters p. xx).

  • 44 S’il y avait eu la possibilité de l’internet comme aujourd’hui, on peut penser que Teilhard n’aurait pas manqué de lui envoyer un message chaque jour.

  • 45 Lucile dit à sa nièce : « Fais comme il te semble convenable, mais je veux que mon expérience soit connue » (cf « Prologue », Letters p. xvii).

  • 46 « Nous pourrions être un peu comme une étoile l’un pour l’autre… Une étoile conduisant au meilleur de l’Inconnu, en face de nous » (Letters p. 8).

  • 47 « Quand nous nous sommes quittés, vous avez remarqué que je paraissais quelque peu impersonnel. C’est probablement vrai. La raison en est, je pense, que lorsque je vous regarde, je recherche en vous quelque chose qui est plus profond que vous-même, et qui est cependant votre véritable nature » (Letters p. 10).

  • 48 « Je rêve d’aller vers Dieu sous la pression des esprits les plus forts et les plus sauvages du monde » (Letters p. 7). « De plus en plus, je compte sur vous pour m’animer, me diriger en avant. La vie doit être et sera pour nous deux comme une découverte continuelle — de nous-mêmes, et du vrai visage de Dieu qui est le lien le plus profond entre nous » (Letters p. 118). « Convergeons ensemble, vous et moi, courageusement et joyeusement, vers le nouveau visage de Dieu qui nous appelle l’un et l’autre. — Car pour cette formidable tâche de la découverte, j’ai besoin de vous, — et je ferai aussi toujours mon possible pour vous aider » (Letters p. 292).

  • 49 TCh, « Le féminin » (cité supra, n. 28), p. 72.

  • 50 Cité par Thomas King, « Épilogue », Letters p. 295.

  • 51 Letters p. 201. « Notre œuvre », Letters p. 267. « Ce qui est né entre nous va vivre pour toujours », ibid., p. 9.

  • 52 Cf. Letters p. 148. Gabriel Marcel après la mort de sa femme Jacqueline perdit le talent d’improviser des compositions musicales. La présence d’une personne aimante est une nécessité absolue pour beaucoup de génies créateurs. Cf. Entretiens Paul Ricœur-Gabriel Marcel, Paris, Aubier-Montaigne, 1968, p. 86s.

  • 53 « C’est l’homme dont j’ai rêvé toute ma vie, excepté que Dieu a fait cette plaisanterie de le faire prêtre » (Journal du 14 octobre 1934), dans Letters p. 23. « J’ai eu le meilleur en ce monde » (ibid., p. 29). « Je vous aime chaque minute de chaque jour et cet amour fait de moi une femme meilleure et, je l’espère, plus épurée » (ibid., p. 18, Journal).

  • 54 Letters p. 34 (Journal). Dans les années 30, la contraception n’était pas courante et les gens avaient l’habitude de lier l’union physique et la reproduction. Dans l’amour vrai, cependant, il est parfaitement normal pour un couple marié d’attendre des enfants. Pour Lucile, désirer avoir des enfants de Teilhard constituait l’achèvement de son amour. Teilhard avait sa propre vue sur ce genre de fécondité : « La fécondité spirituelle accompagnant la fécondité matérielle de plus en plus étroitement — et ultimement devenant l’unique justification de l’union. L’union pour avoir un enfant — mais pourquoi pas l’union pour un travail, l’union pour une idée ?… N’est-ce pas justement cette utilisation spirituelle de la chair que les hommes de génie, les hommes qui ont été vraiment créateurs, ont instinctivement trouvée et adoptée, sans demander leur approbation aux moralistes ? ». Cf. « L’évolution de la chasteté » (cité supra, n. 36). Ce paragraphe est cité aussi dans Spirit of Fire, p. 152.

  • 55 « Je ne m’appartiens pas à moi-même, — et par conséquent je ne peux pas me donner entièrement et exclusivement à qui que ce soit » (Letters p. 126).

  • 56 Letters p. 163 : « la seule chose nécessaire ». Pour Teilhard, l’unum necessarium est Dieu, mais pour Lucile il ne fait pas de doute que c’était Teilhard en personne.

  • 57 Spirit of Fire, p. 149. Lucile écrivit dans son journal : « Peut-être quelque chose arrivera-t-il si seulement ils le mettaient dehors ! » (Letters p. 21).

  • 58 « Que Notre Dame m’empêche de dérailler en un sujet qui touche également deux de ses éminentes prérogatives (être Vierge et Mère) », cité par Lubac p. 95.

  • 59 La nièce de Lucile demanda une fois à cette dernière « si elle avait jamais eu de confirmation physique. Elle répondit : ‘Jamais’ » (cf. « Prologue », Letters p. xvii).

  • 60 Spirit of Fire, p. 152. L’affection a besoin de s’exprimer. Écoutons Lucile : « Je veux mettre mes bras autour de vous et vous réconforter. Je ne peux pas supporter de vous voir souffrir… vous pleureriez sur mon épaule… Je peux vous donner un amour maternel et la compréhension… » (Letters p. 228). Le Père Yves Raguin donnait des directives minimales pour l’expression physique : « Un regard plein de convoitise sera déjà impur. Un serrement de main pourra exprimer un désir de possession de la part de l’homme, ou d’abandon de la part de la femme, et manifester l’impureté du cœur. Un baiser donné pour éveiller en soi ou dans l’autre un plaisir charnel non permis sera ‘impur’. Mais le regard, le serrement de main, le baiser peuvent être les signes d’une amitié très pure » : Raguin Y., S.J., « Chasteté et amitié », dans La vie des communautés religieuses 35, 9 (1977) 261. La permission semble trop restrictive.

  • 61 Dix ans après leur rencontre, Lucile accompagna Teilhard de Vancouver à Pékin sur le bateau SS Empress (août-septembre 1939). Ils y demeurèrent ensemble durant trois semaines. De retour, Lucile écrit une lettre non envoyée dans laquelle elle laisse échapper ses frustrations, en accord avec ce qu’elle pensait huit ans auparavant. De cette confession, nous voyons que la théorie de l’amour-à-trois de Teilhard n’impressionna pas du tout Lucile. Elle écrit : « Qu’est-ce qui cause ce sentiment de dépression et d’impatience, comme hier ? La racine de tout est que vous vivez vraiment à un niveau différent, plus élevé que la plupart d’entre nous — et je vous ai toujours considéré comme un homme normal, — supérieur, oui, mais néanmoins avec les mêmes besoins que tout autre homme. Et maintenant je pense que cela n’est pas vrai. — J’ai pensé qu’il y avait une certaine indifférence et froideur en vous auxquelles je remédierais en vous donnant un amour profond et chaud. Mais je me demande si vous le désirez, si vous le comprenez. Vous aimez, certes, mais à un autre niveau… Je ne peux pas en rester à votre niveau et je vous demande des choses que vous ne voulez pas donner, parce que vous ne les comprenez pas vraiment — et cela produit un déséquilibre qui est laid. Et c’est alors que ça arrive, et alors je me sens comme en enfer. Votre Dieu semble si froid, si lointain… Vous êtes coincé à chaque tournant par votre Ordre… Je sais que vous avez besoin de moi, — mais comment ? Que puis-je faire ? Et quand je deviens si malheureusement humaine [so damned human], est-ce vraiment si laid ? Je vous apprécie et je crois que vous avez quelque chose de vraiment important à donner aux hommes et s’il y a quelque chose où je puisse vous aider, je veux vraiment le faire. Aidez-moi à voir et à comprendre ce que vous voyez et ressentez… Je veux seulement quelque chose d’humain, une réponse chaleureuse de vous, et jour après jour cela ne vient pas — mais ce sentiment terrible de solitude et de vous perdre devient insupportable — et je réalise que je ne perds rien parce que je ne l’ai jamais eu !… Votre comportement semble tellement contradictoire que je ne sais que penser et alors l’explosion vient — et j’essaierai de me souvenir que la confusion vient de ce que le niveau n’est pas le même. Vous n’êtes pas en tort, et je ne suis pas en tort, mais vous vivez à un niveau supérieur et je dois le voir et le ressentir et en faire partie. Et vous m’y aiderez, j’en suis sûre » (Letters p. 139s.).

  • 62 Raguin Y., S.J., « Chasteté et amitié » (cité supra, n. 60), p. 265.

  • 63 « Je l’apprécie sincèrement » (Letters p. 196).

  • 64 « Mon meilleur ami, ici comme à Pékin », dans Letters p. 225. Dans l’avant-propos, Leroy mentionne : « Teilhard était gêné que ses deux amies puissent se rencontrer. Et il me chargea d’expliquer à Lucile la situation. Elle fut extrêmement vexée, mais avec le temps les chose s’arrangèrent » (ibid., p. x).

  • 65 Cf. Spirit of Fire, p. 195. Thomas King remarque : « Après la guerre, Lucile ne vit Teilhard qu’en 1948. Il était alors faible et se remettait d’un grave infarctus. Il semble qu’il ne pouvait pas répondre à ses défis et à ses attentes. Il finit par voir Rhoda plus souvent que Lucile et le déclin de sa santé entraîna dans leur amitié, les difficultés rapportées dans les lettres suivantes » (Letters p. 297).

  • 66 La séparation de Helmut et Rhoda de Terra est presque incroyable, car Teilhard écrivit à Lucile juste un an auparavant à propos du profond amour qui unissait le couple : « À Philadelphie, j’ai passé un temps extrêmement agréable, et nous avons parlé avec Helmut et Rhoda pendant des heures de tous les sujets possibles (religion, philosophie, éthique et vie pratique). Il serait difficile de trouver deux personnes qui s’aiment plus profondément qu’eux deux, et en même temps restent si différents. Rhoda n’a aucun besoin conscient d’organiser sa vie sous quelque principe religieux ou philosophique ; et Helmut y aspire douloureusement (en français dans le texte). Elle est remplie d’une heureuse jouissance du moment présent ; — et il est rempli d’angoisse concernant l’avenir. Il est donc plus près de moi, mais elle m’oblige à penser plus loin, — compte tenu du fait qu’en plus, elle est terriblement intuitive en ce qui concerne la psychologie. J’espère que tu les rencontreras un jour. Le samedi, à la veille de Pâques, nous avons décidé de nous amuser : déjeuner dans un restaurant suédois, film l’après-midi et musique le soir (la Neuvième de Beethoven au Philadelphia Orchestra) » (Letters p. 77, 5 avril 1937).

  • 67 TCh, Accomplir l’homme. Lettres inédites / Letters to Two Friends : 1926-1952 [de Teilhard à Ida Treat 1926-1952 et à Rhoda de Terra 1938-1950], Paris / New York, Grasset / The New American Library, 1968.

  • 68 Lukas M. & E., Teilhard, New York, Doubleday, 1977, p. 307.

  • 69 « De fréquentes rencontres semblaient trop dérangeantes, et le téléphone le tendait nerveusement. Ainsi il suggéra de se voir moins souvent, ‘disons une fois par mois’, et de rester en contact par lettre » (Spirit of Fire, p. 215).

  • 70 Letters p. 292 (30 novembre 1954). Le Père Leroy rapporte que Lucile cherchait la paix dans le culte hindou : « L’influence de Teilhard sur Lucile n’a pas eu les effets qu’on aurait pu attendre. Intelligente et indépendante, elle suivit un swami dans la méditation védantique. Voici ce que m’écrivit Teilhard à ce sujet : “Lucile trouve la paix dans un groupe que dirige un Swami… Dans ce milieu-là, la spiritualité me semble terriblement vague. Mais n’est-ce pas la seule issue pour tant d’hommes et de femmes qui n’arrivent pas à percer du dehors la redoutable enveloppe durcie qualifiée par les théologiens du nom d’‘orthodoxie’ ?” » (Leroy P., Lettres familières de Pierre Teilhard de Chardin mon ami. Les dernières années 1948-1955, Paris, Centurion, 1976, p. 130 ; cf. Letters p. x). La nièce de Lucile ajouta : « Peu avant sa mort, Lucile dit à Swami Nikalananda, son gourou, qu’elle était retournée à sa foi chrétienne » (Letters p. xvii). Au sujet de la discussion sur la théologie hindoue entre Teilhard et Lucile, cf Letters p. 272-3.

  • 71 Letters p. 293. Lucile désirait faire des expériences directes de la grâce : « Je m’attends à L’avoir subitement et complètement révélée à moi » (Letters p. 21). Vingt ans plus tard, elle semble avoir reçu l’expérience de la présence de Dieu en son âme.

  • 72 Teilhard dit, dans une réunion chez son cousin Jean de Lagarde, quelques jours avant sa mort : « J’aimerais mourir le jour de la Résurrection », dans TCh, Lettres de voyage (cité supra, n. 21), p. 367.

  • 73 Cité par King T., dans « Épilogue », Letters p. 296s.

  • 74 TCh, Le cœur de la matière (cité supra, n. 2), p 72.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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