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La paroisse. Une réalisation de l'Église particulière

Une réalisation de l’Église particulière

Yannick Ferraro
Entre constance et évanescence, notre perception contrastée de la paroisse nous interroge. Les difficultés que traverse cette institution ecclésiale nous dressent-elles la chronique de sa fin toute proche, ou bien sont-elles l'occasion de l'appréhender avec un regard renouvelé? Les questions concernant sa vie, sa mission et son avenir ne sauraient trouver de réponses sans porter sur la paroisse un regard théologique. C'est au sein d'une véritable ecclésiologie de communion que se découvre le visage de la paroisse.

La paroisse, objet de théologie ?

Il semble facile de définir la paroisse tant elle est une réalité proche de toute vie chrétienne. Du baptistère au cimetière, elle est l’Église présente au baptisé dans les grandes étapes de son existence, celle qui se rend visible et accessible à tous. En chaque ville et village, son clocher dressé vers le ciel est le signe de la mission de l’Église plantée au cœur du monde pour y annoncer la venue du Règne de Dieu. Pourtant, lorsqu’on la considère de plus près, on découvre que la paroisse suscite une abondante réflexion : initiatives, réformes, projets, colloques, publications, etc, rien ne manque pour tenter de mieux comprendre la vie et la mission de la paroisse au sein de l’Église du troisième millénaire. Et si la réflexion est à ce point abondante, c’est que cette réalité ecclésiale soulève de nombreuses questions.

Dans le contexte de l’Europe occidentale dans lequel nous nous situons ici, le visage de la paroisse apparaît extrêmement varié ; chacune d’entre elle possède son histoire, son milieu social et sa configuration propre. Comment penser à la fois la paroisse dépeuplée des campagnes, et celle, populeuse, des grandes villes, ou encore celle aux nombreux clochers de la vaste banlieue ? Une définition commune à toutes ces entités est-elle possible ? Par ailleurs, la réalité paroissiale est en continuelle mutation, comme l’est la vie de l’homme moderne, dont les contraintes autant que les aspirations projettent hors de la paroisse, dans des sphères qui échappent de plus en plus à sa vie et à sa mission. Faut-il alors faire une théologie de la post-paroisse plutôt que de la paroisse ?

D’où la question : une théologie de la paroisse est-elle possible ? Certes, on peut étudier théologiquement ce qui s’y vit, ce qui s’y prie ou ce qui s’y enseigne. On peut aussi faire la théologie des groupes qui s’y rassemblent, laïcs, prêtres et religieux. Mais que dire théologiquement de cet organisme qui réunit une assemblée de croyants autour d’un pasteur dans un lieu ? Selon la thèse défendue par Joseph Comblin, prêtre d’origine belge et théologien de la libération au Chili, la paroisse serait « le résultat d’une adaptation historique à une situation transitoire, celle du Haut moyen âge féodal et rural »1. Dès lors, elle n’aurait pas la consistance suffisante pour constituer un objet proposé à la réflexion théologique. En effet la paroisse n’est-elle pas d’abord un rassemblement de fidèles catholiques autour d’une même foi et d’une même pratique ? Dans ce cas, elle fonctionnerait comme tout groupe humain dont l’activité tend à réaliser un objectif commun tout en s’adaptant au milieu social et naturel dans lequel il fonctionne. Aussi la paroisse serait-elle “observable” dans son fonctionnement, “explicable” dans ses mécanismes, “intégrable” dans l’ensemble du système social en tant que groupe religieux. Elle ne pourrait être le lieu d’une réflexion théologique. D’où la conclusion à laquelle en arrivait J. Comblin : « les essais que certains théologiens ont consacré à la paroisse ou au diocèse partent d’une ignorance de la vraie tradition ecclésiastique sur l’Église locale. Paroisses et diocèses sont des créations du droit canonique, et ne sont donc pas objet de théologie »2.

Un autre regard sur la paroisse

Une telle considération sur la paroisse est lourde de conséquences. Si, effectivement, l’histoire de la paroisse ne traduit qu’un fait institutionnel, si son fonctionnement est réductible à celui de n’importe quel groupe social et si sa définition canonique n’est qu’une élaboration juridique à des fins pratiques, alors la paroisse est assimilable à un ensemble de principes et de mécanismes “montables” et “démontables”. Une telle perspective ne rend pas compte de ce qu’est la paroisse dans sa réalité proprement ecclésiologique. Or, saisir cette réalité théologique paraît indispensable. Acceptons de perdre de vue la paroisse un moment, de nous extraire de ses contingences temporelles pour reconnaître celle-ci dans sa vérité et sa simplicité, un peu à la manière dont le visage d’un être s’efface pour en révéler l’âme.

Nous proposons donc d’aborder la paroisse, non à partir de sa réalité concrète telle que nous la percevons — une institution qui fait ce qu’elle peut, comme elle peut, dans des contraintes historiques et socioculturelles — mais à partir de ce qu’est l’Église elle-même dans laquelle s’enracine la réalité paroissiale. Pour cela il faut plonger au cœur du mystère de l’Église, de son édification, de sa vie et de sa mission, pour y découvrir la communion qui unit la paroisse à l’Église particulière et, dans un même dynamisme vital, à l’Église universelle.

Lien organique diocèse/paroisse

Revenons aux débuts de l’histoire de l’Église, à la Pentecôte où s’inaugure sa mission. Marie-Françoise Basley3, dans un document pour l’assemblée épiscopale française, montre comment cette mission s’organise très tôt. Dans les villes évangélisées, des hommes sont placés à la tête de communautés, Jacques (le frère du Seigneur) à Jérusalem, Barnabé à Antioche, chacun restant en lien constant avec les Douze. Paul, de son côté, édifie des communautés en privilégiant la structure familiale des maisonnées rassemblées autour de personnalités-repères (Chloé4, Stéphanas5, Corneille6 ou Crispus7), pour en faire des pôles religieux missionnaires, toujours en lien avec Pierre. Dans le souci de conserver l’unité du message chrétien, les Douze communiquent la charge de garder le dépôt de la foi à des épiscopes, eux-mêmes aidés par les presbyteroi8. Placés à la tête d’un presbyterium, les épiscopes reçoivent la responsabilité d’un territoire et d’un peuple, unis les uns aux autres avec les successeurs des apôtres. Avec l’expansion rapide du christianisme, plus précisément après 313, la mission se poursuit hors des villes par le biais de prêtres envoyés par l’épiscope. Même si ceux-ci acquièrent une progressive autonomie, ils n’en restent pas moins en lien avec les célébrations de l’évêque, la pastorale de ce que nous pouvons appeler les premières “paroisses” étant toujours organisée à partir de la cité épiscopale.

Le souci permanent de communion qui ressort de la mission au cours des premiers siècles est frappant. Ses acteurs semblent vouloir faire de leurs différentes communautés un seul corps, de sorte que l’Église tout entière est présente dans chacune de ses parties. Aussi, lorsqu’au cours des siècles s’organisera le maillage des diocèses en paroisses, leur édification ne sera pas seulement le résultat d’un besoin d’organisation pour la mission dans un contexte historique changeant, mais le fruit de l’accueil d’un donné révélé reçu des apôtres : la nécessaire communion de foi et de charité dans le Christ qui se fonde sur la communion des presbyteroi avec les apôtres ; celle des successeurs des apôtres entre eux et avec Rome ; enfin, celle des prêtres collaborant à la mission avec leur évêque.

En raison de ce fil conducteur, lorsque, des siècles plus tard, le Concile Vatican II définit la paroisse, il ne le fait qu’en relation avec le diocèse, entendu comme Église particulière, et avec l’Église universelle. Selon Sacrosanctum Concilium, la paroisse représente l’Église visible établie dans l’univers9 ; selon Apostolicam Actuositatem, elle est la réalité qui unit tout ce qui se trouve en elle de diversités humaines en l’insérant dans l’universalité de l’Église10 ; selon Lumen Gentium, elle est la présence du Christ par la vertu de qui se constitue l’Église une, sainte, catholique et apostolique11. Le Code de droit canonique de 1983 se situe dans la rigoureuse continuité du Concile. En définissant la paroisse comme une « communauté précise (certa communitas) de fidèles dans l’Église particulière »12 il la présente dans et à partir du diocèse. Le curé en reçoit la charge « sous l’autorité de l’Évêque diocésain »13, c’est-à-dire comme une stricte prolongation de la mission de ce dernier, parce que l’évêque ne peut pas être présent dans la paroisse de manière stable.

La paroisse et le diocèse affichent donc une véritable parenté ecclésiologique. En ce sens, l’image de la paroisse comme « cellule du diocèse »14 utilisée par Apostolicam Actuositatem apparaît tout à fait convaincante. Issue de la division de la cellule primaire qu’est le diocèse et donc engendrée par l’organisme dont elle fait partie, la paroisse ne trouve sa nature profonde et sa raison d’être que dans et à partir de cet organisme. Aussi la paroisse partage-t-elle avec le diocèse la même vie, et le même dynamisme missionnaire.

Mais pousser jusqu’au bout l’image de la cellule pourrait amener à penser la paroisse comme un “diocèse miniaturisé”. Or, il n’en va pas ainsi. Le diocèse est une institution de droit divin, tandis que le Code range la paroisse parmi les institutions de droit ecclésiastique, au même titre que les séminaires ou les chapitres canoniaux. De même, le curé n’est pas le “petit évêque” de sa paroisse. Alors que l’évêque est, selon l’appellation technique, « sujet du pouvoir suprême de l’Église »15, le curé n’est quant à lui sujet d’aucun pouvoir, mais seulement le coopérant de la charge épiscopale. Il y a parenté certes, mais distinction. Au final, notre regard tant historique que canonique sur la paroisse invalide la thèse de Comblin. Au-delà d’une simple adaptation historique ou d’une création canonique, la paroisse émerge comme une réalité de communion capable de se penser au sein d’une réflexion théologique sur l’Église. C’est cette spécificité ecclésiologique de la paroisse qu’il reste maintenant à définir positivement.

Entre territoire et communauté : une assemblée

La conception de la paroisse comme un territoire est probablement une des plus présentes dans l’esprit des chrétiens, en France tout particulièrement, puisque le Concordat de 1801 homologuait les limites des communes avec celles des paroisses. Le Code de droit canonique lui-même entretient cette perception. Nuançant le Code de 1917 qui donnait une priorité absolue à la paroisse territoriale, considérée comme l’unique forme adéquate pour le ministère pastoral16, le canon 518 du Code actuel présente la territorialité comme la forme habituelle d’organisation du diocèse pour l’exercice de la charge pastorale : « En règle générale, la paroisse sera territoriale, c’est-à-dire qu’elle comprendra tous les fidèles du territoire donné ».

Voilà une définition de la spécificité de la paroisse : celle-ci constitue un espace géographiquement délimité sur lequel s’étend une partie de la mission du diocèse, et dans lequel la mission de l’Église pour ce monde s’incarne, comme s’est incarné son Pasteur, le Christ, dans les dimensions spatio-temporelles de l’humanité. Visible et accessible comme la fontaine au centre du village, elle est « l’Église implantée au milieu des maisons des hommes qui vit et agit, profondément insérée dans la société humaine et intimement solidaire de ses aspirations et de ses drames »17.

Néanmoins, cette vision du territoire comme un pré carré délimité de tout côté fait-elle droit à la vocation qu’a la paroisse de rassembler des hommes et des femmes de tous horizons et de toutes conditions pour rendre visible en un lieu donné la catholicité de l’Église ? La conception territoriale de la paroisse se montre ici insuffisante. En effet, la notion de territoire ne saurait se penser sans son lien avec celle de communauté de personnes. Telle est l’autre spécificité de la paroisse : une communauté rassemblée dans une même foi.

C’est tout à fait en consonance tant avec l’esprit qu’avec la lettre du Concile qui manifeste une telle inclination vers un langage “communautaire”18, que l’expression « communauté chrétienne » en vient parfois dans le texte à remplacer le terme « paroisse »19. Et le Code va dans le même sens en définissant la paroisse avant tout comme une « communauté de fidèles »20. Contre toute ecclésiologie sociétaire et tout excès de juridisme, la paroisse se trouve aussi exprimée sous les traits d’une communauté chaleureuse, à la lumière des Actes des Apôtres où tous sont « assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières »21.

Pourtant, si la communauté humaine se constitue autour de gens qui se choisissent en fonction d’un éthos commun, la paroisse, quant à elle, ne se choisit pas à la manière d’un groupe affinitaire, mais se reçoit tout en restant ouverte à tous. Ici, c’est une conception communautariste de la paroisse qui se montre insuffisante.

À l’intersection de ces notions de “parenté ecclésiologique avec le diocèse”, de “territorialité géographique” et de “communauté chrétienne”, la paroisse émerge comme le lieu d’une assemblée. En reprenant le nom d’ecclesia pour se définir, les premiers chrétiens s’étaient reconnus héritiers de l’assemblée du peuple élu au sein de la première alliance du Sinaï22. En se rassemblant désormais pour faire mémoire de l’alliance nouvelle et éternelle scellée par le sacrifice du Christ, c’est-à-dire en se rassemblant pour célébrer l’Eucharistie, les chrétiens au sein de la paroisse constituent au sens fort l’ecclesia Dei, l’assemblée convoquée par le Seigneur. Nous voici parvenus à une notion fondamentale dans la définition de la paroisse : réunissant les fidèles autour de la même célébration eucharistique, la paroisse rend présente l’assemblée ecclésiale.

Selon Sacrosanctum Concilium, lorsque la paroisse se réunit autour de l’Eucharistie, elle est « la principale manifestation de l’Église »23 et « d’une certaine manière, rend présente l’Église visible établie dans l’univers »24. Est-ce à dire, dès lors, que l’Église entière se comprend à partir de ses réalisations locales dans la paroisse ?

Les rapports de la paroisse à l’Église universelle et l’ecclésiologie eucharistique

Nous retrouvons ici un débat célèbre entre Walter Kasper et Joseph Ratzinger à propos des relations entre l’Église universelle et les Églises particulières. Pour en situer rapidement le contexte, rappelons que, dans une lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi25, le Cardinal Ratzinger mettait l’accent sur la priorité « ontologique et chronologique » de l’Église universelle sur les Églises particulières. Selon lui, la grande Église de Dieu n’est jamais identifiable à une quelconque de ses réalisations concrètes dans l’histoire, mais embrasse tous les temps et tous les lieux. Aussi, les Églises particulières ne peuvent-elles exister que dans et à partir de l’Église universelle. En réaction, Walter Kasper préférait parler de simultanéité, insistant sur le fait que l’Église universelle ne se donne à voir, à sentir et à vivre que dans et à partir de ses réalisations particulières et locales, à savoir le diocèse et la paroisse26.

Sans entrer davantage dans le débat, on concèdera que l’Église entière se réalise au sein de l’Église locale, qu’elle se manifeste de manière claire dans l’Eucharistie. Lorsque l’Église locale (la paroisse) célèbre l’Eucharistie, le Christ rejoint en même temps l’Église en ce lieu. Aussi, en chaque Eucharistie, l’Église s’exprime dans sa forme la plus essentielle, ce qui ne se réalise que dans la communion avec l’évêque du lieu en question. En effet, pour toute assemblée réunie autour de l’autel, l’évêque « est toujours responsable de l’Eucharistie, même lorsqu’elle est présidée par un prêtre ; son nom y est prononcé pour signifier sa présidence de l’Église particulière, au milieu du presbyterium »27. Ainsi, quand le curé préside la messe paroissiale, l’assemblée manifeste la communauté eucharistique que constitue l’Église particulière. Dès lors, l’eucharistie paroissiale devient le lieu qui rend présent tous les niveaux de l’Église : elle est célébrée dans l’Église locale, en lien avec l’évêque pasteur de l’Église particulière, lui-même ordonné en communion avec le pape, chef de l’Église universelle. L’Eucharistie manifeste ainsi comment l’Église locale existe dans et à partir de l’Église universelle.

La paroisse est donc une communauté qui, dans l’Eucharistie, « trouve la racine vivante de sa constitution et de sa croissance et le lien sacramentel de son être en pleine communion avec toute l’Église »28. Dans cette ecclésiologie eucharistique (qui est une ecclésiologie de communion), la paroisse ressort plus riche, plus profonde, extraordinairement présente, indispensablement présente, pour l’édification du peuple de Dieu. « À nous tous, nous ne formons qu’un Corps, dit saint Paul, car tous nous avons part, [dans la paroisse, pourrait-on dire] à un pain unique »29.

Conséquences pour la mission de la paroisse

En faisant revivre dans l’assemblée l’extraordinaire intervention du Dieu du Salut, l’Eucharistie ouvre l’Église à son action rédemptrice pour tout le genre humain. En édifiant la paroisse, l’Eucharistie nourrit son élan missionnaire, un élan vécu en communion avec l’Église particulière.

Ce regard sur la mission de la paroisse est essentiel. Il permet de comprendre que, lorsque la paroisse semble traverser des crises, lorsque ses assemblées s’étiolent ou que sa mission s’appauvrit, nous ne sommes pas devant le déclin de cette institution, mais peut-être de certaines de ses formes. La pastorale de la paroisse doit se penser comme intégrée à la pastorale du diocèse. Ainsi, lorsque celle-ci n’a pas les moyens de tout faire, elle peut compter sur des activités pastorales qui la dépassent.

Sa nature profonde est d’être une assemblée convoquée par le Seigneur dans l’écoute de sa Parole et de la célébration de ses mystères. Partant, son rôle est d’être le terreau de l’enracinement de la grâce baptismale des chrétiens dans le temps, le « lieu ordinaire de la naissance et de la croissance de la foi »30, lieu d’unification de la vie chrétienne autour de l’Évangile. Ainsi, tout en assurant la charge des âmes, la paroisse sera-t-elle à même de susciter et de soutenir des projets missionnaires qui débordent les frontières de sa territorialité. N’est-elle pas, selon l’expression de Mgr Cattenoz « la cristallisation locale de la vie diocésaine, l’expression incarnée dans un lieu et par une communauté croyante et confessante du mystère plénier de l’Église »31 ?

Voici l’enjeu fondamental de la mission en paroisse : entretenir dans la conscience des chrétiens qui ont recours à elle, la certitude de vivre et d’agir à l’intérieur d’un même Corps et de mener une mission commune avec l’Église particulière au sein de l’Église universelle.

La paroisse, une fontaine pour la route

Par cette conscience de faire partie de l’Église universelle préexistante et éternelle, fondée en Dieu dans la communion trinitaire, la paroisse introduit au cœur du monde une nouvelle conception du temps et de l’avenir.

Dans les années qui suivirent l’événement de l’Ascension du Christ au Ciel, l’attente imminente de son retour dans la gloire était prégnante parmi les disciples. Puis, les siècles passant, cette attente dut faire place à l’expérience de la patience et de la vigilance, selon l’ordre du Seigneur lui-même : « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir »32. Et encore : « Restez en tenue de travail et gardez vos lampes allumées »33. Toute la dynamique de la vie chrétienne se trouve dans cette tension entre une victoire déjà acquise par le mystère pascal et l’attente du Royaume toujours en chemin.

La paroisse se situe précisément à cette intersection : elle annonce comme “déjà présente” la réalité “non encore accomplie” qu’elle espère. Elle est un lieu pour durer dans l’attente du Royaume tout en annonçant la venue et en faisant déjà vivre les fidèles comme des citoyens du Ciel. Elle offre un espace et un temps pour que l’Évangile imprègne de manière féconde toutes les dimensions de la vie chrétienne. Parce que la vie du chrétien dans le monde rencontre bien des oppositions, celui-ci ne peut ni ne doit rester isolé. Mais si du sein de l’assemblée, le chrétien se comprend comme membre du corps entier de l’Église, il y trouve un puissant soutien. La paroisse est ce lieu de soutien pour la foi chrétienne. Elle est cet espace qui permet à chacun d’être ce qu’il est et lui donne la force de progresser dans sa vocation de chrétien au regard du monde.

Au sein de l’Église voulue par le Christ pour poursuivre sa mission, la paroisse demeure la source auprès de laquelle l’homme, cet « étranger domicilié »34, ce paroikos intégré au monde d’icibas, de passage sur cette terre, trouve l’eau nécessaire pour refaire ses forces et parvenir au port du salut. En ce sens, la paroisse est déjà le témoignage de cet autre monde que nous attendons, celui de la vie bienheureuse au Ciel. À tous ceux et celles qu’elle rassemble, la paroisse offre la grâce d’être citoyen de deux cités : celle d’ici-bas et celle des Cieux35.

Notes de bas de page

  • 1 J. Comblin, « L’Église et la ville », dans Théologie de la ville, Paris, Éditions universitaires, 1968, p. 306.

  • 2 Ibid., p. 308.

  • 3 M.-F. Basley, « Avant la paroisse. Communautés, réseaux et pôles chrétiens aux trois premiers siècles », dans Documents Épiscopat 6 (2006), tout le dossier.

  • 4 1 Co 1,11.

  • 5 1 Co 1,16.

  • 6 Ac 10,2.

  • 7 Ac 18,8.

  • 8 Cf. Ac 11,30 ; 15,4 ; 21,18.

  • 9 Sacrosanctum Concilium, 42.

  • 10 Apostolicam Actuositatem, 10.

  • 11 Lumen Gentium, 26.

  • 12 CIC 515.

  • 13 CIC 515.

  • 14 Apostolicam Actuositatem, 10.

  • 15 CIC 336.

  • 16 CIS 216.

  • 17 Christifideles Laici, 27.

  • 18 Cf. Lumen Gentium 26, où l’on parle de la « communauté de l’autel » (altaris communitate). Cf. aussi Sacrosanctum Concilium 42 ; Presbyterorum Ordinis 5 et 6 ; Apostolicam Actuositatem n. 18 ; Ad Gentes 15 ; Christus Dominus 30.

  • 19 Voir dans Apostolicam Actuositatem n. 18, Ad Gentes 15 et 37, les expressions « communautés ecclésiales » et « communauté chrétienne » où le terme « communauté » réfère à la fois aux paroisses et aux diocèses.

  • 20 CIC 515.

  • 21 Ac 2,42-47.

  • 22 Cf. Ex 19.

  • 23 Sacrosanctum Concilium, 41.

  • 24 Sacrosanctum Concilium, 42.

  • 25 Congrégation pour la Doctrine de la foi, « Certains aspects de l’Église comprise comme Communion », Doc. Catho. 2055 (89, 1992), p. 731.

  • 26 Cf. W. Kasper, « Le rapport entre Église universelle et Église locale », dans Stimmen der Zeit, décembre 2000. Consultable en français sur http://www.catho-theo.net/spip.php?article34. Le théologien s’appuyait sur LG 23.

  • 27 CEC 1369.

  • 28 Christifideles Laici, 26.

  • 29 1 Co 10,17.

  • 30 Congrégation pour le Clergé, Directoire général pour la catéchèse, 257. dans Doc. Catho. 2169 (94, 1997), p. 918-921.

  • 31 Mgr J.-P. Cattenoz, « Quelle vision pastorale pour notre diocèse ? », Introduction au travail du Conseil Presbytéral du 9 mars 2010, pro manuscripto.

  • 32 Mt 24,42.

  • 33 Lc 12,35.

  • 34 Lettre à Diognète, SC n. 33.

  • 35 Cf O. Bobineau, A. Borras & L. Bressan, Balayer la paroisse ? Une institution catholique qui traverse le temps, coll. Religion & Politique, Paris, Desclée de Brouwer, 2010.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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