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La parole prophétique: du rejet à la canonisation

Dominique Janthial
La révélation prophétique commence par la réduction au silence du prophète et la mise hors-jeu de toute parole humaine. Seul le coeur des disciples peut être alors saisi et assumer la transmission qui aboutira par-delà les siècles à la constitution d'ouvrages dont le but est encore de produire des disciples.

Introduction

L’intérêt pour le phénomène prophétique ne faiblit pas. Même en se limitant à la production francophone pourtant réduite en matière d’exégèse, on peut citer quelques ouvrages parus récemment. En 2008, Walter Vogels, professeur émérite d’Ancien Testament à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, réédite à Bruxelles son ouvrage paru d’abord au Canada sur Les Prophètes qui, tout en étant d’un accès facile, constitue par ses notes infra-paginales une somme d’érudition sur le sujet2. Synthèse des travaux de plusieurs professeurs parisiens — de l’Institut catholique principalement — un Guide de lecture des prophètes est paru chez Bayard en 20103. Plus récemment encore et pour le grand public, l’historien médiéviste André Vauchez a publié aux éditions du Seuil un ouvrage collectif intitulé : Prophètes et prophétisme 4. Enfin, chez Labor et Fides, un ouvrage sur Les recueils prophétiques de la Bible, réunissant les contributions de dix-sept auteurs, se « propose de mieux comprendre la manière dont les livres prophétiques se sont formés, à partir de quelles traditions locales et régionales et la finalité de leur présence dans le canon biblique »5.

Pourtant, malgré l’abondance de littérature sur le sujet de la prophétie — dont la production francophone ne constitue qu’une partie bien réduite —, il semble passablement difficile de cerner avec précision l’itinéraire de la parole prophétique : quelles furent les circonstances de son énonciation ? Y a-t-il ou non une spécificité du phénomène prophétique de révélation ? Peut-on élucider les raisons de sa mise par écrit ou de son insertion dans un corpus de traditions orales ? Au sein des ouvrages prophétiques, la parole prophétique est-elle en mesure de continuer sa carrière, ou bien, sa canonisation entraîne-t-elle, de manière irrémédiable, sa neutralisation ?

Pour mener cette enquête, et notamment pour élucider la nature particulière du prophétisme de révélation, le travail exégétique dit « diachronique » sur le texte scripturaire ne peut permettre de conclure. L’analyse des parallèles avec la littérature prophétique du Moyen-Orient ancien ne le permet pas davantage. Enfin, l’examen — dit « synchronique » — du texte biblique dans son état final n’aboutit trop souvent qu’à une figure de prophète « fourre-tout » dénuée de toute pertinence historique. En revanche, les données de l’anthropologie — particulièrement celle de René Girard —, en éclairant le phénomène prophétique de révélation dans sa genèse spécifique, esquissent un paradigme autour duquel peuvent s’unifier les informations éparses sur le sujet et permettre ainsi de rejoindre l’émergence du monothéisme éthique.

I Rejoindre la révélation prophétique

1 La recherche historico-critique « classique »

Une exégèse sous influence

La recherche historico-critique moderne sur les livres prophétiques a été motivée depuis ses origines par le désir de mettre au jour les paroles authentiques des prophètes et ceci sous la double influence du romantisme et de l’idéalisme allemand. On a pu se demander si une bonne partie de l’exégèse historico-critique classique n’était pas tombée dans le panneau du « mensonge romantique » avec ses figures de prophètes bibliques dans leur splendide isolement6.

La supériorité des prophètes sur les prêtres fait d’ailleurs partie de la vulgate progressiste du xix e siècle. Nous trouvons l’expression de ce parti pris sous la plume d’Ernest Renan :

C’est par le prophétisme qu’Israël occupe une place à part dans l’histoire du monde. La création de la religion pure a été l’œuvre, non pas des prêtres, mais de libres inspirés. Les cohanim de Jérusalem, de Babel, n’ont été en rien supérieurs à ceux du reste du monde ; souvent même l’œuvre essentielle d’Israël a été retardée, contrariée par eux7.

Las ! Il est apparu progressivement que la voix de ces prophètes dans leur originalité ne nous était guère accessible que moyennant une catharsis exégétique visant à isoler les ipsissima verba de ces génies. Dans le processus de constitution des livres, on discernait en effet une volonté de neutraliser leur force d’interpellation. J. Vermeylen fait le constat suivant : « À travers chaque couche littéraire apparaît comme une réaction par rapport à une lecture plus ancienne »8.

Un certain mimétisme

On doit constater que l’énorme effort exégétique qui fut réalisé en vue de rejoindre les prophètes dits « classiques », en essayant d’isoler leurs paroles authentiques de la gangue rédactionnelle, n’aboutissait le plus souvent qu’à une figure de prophète dont Blenkinsopp fait judicieusement remarquer qu’il était le type d’homo religiosus doté d’une conscience éthique particulièrement aiguisée, ressemblant à s’y méprendre au chercheur qui l’avait ainsi exhumé9.

C’est en raison notamment de ce mimétisme suspect que les résultats de ce courant exégétique ont été remis en question, non seulement de l’extérieur (par les tenants de l’exégèse synchronique), mais aussi de l’intérieur. Il devenait clair que l’attribution de tel ou tel verset d’un livre au prophète éponyme dépendait trop souvent d’une fixation a priori du type de prophète qu’il devait être. Et l’on tombe alors dans la pétition de principe. Ce genre d’a priori quant à l’identité du prophète a continué jusqu’à nos jours. De Jong, dans le status quaestionis de sa thèse, le reproche par exemple à Barthel et ajoute qu’en procédant de la sorte, « Barthel, in the end, demands an exceptional status for the biblical prophets such as Isaiah »10. Ce postulat d’originalité est précisément ce que l’exégèse comparative, que représente De Jong, s’emploie à battre en brèche.

2 De Jong : comparaison n’est pas raison

Depuis la découverte des archives royales de Ninive (fin xix e siècle) et de celles de Mari (dans les années 1930), la recherche dispose de deux corpus de textes extra-bibliques dont plus d’une centaine s’apparentent à la veine prophétique. Certains nourrirent alors l’espoir que des études comparatives puissent permettre de briser les cercles herméneutiques que nous venons d’évoquer.

Parmi les plus récentes, l’étude comparative menée par Mathijs J. De Jong conduit par exemple à la conclusion qu’Isaïe était un prophète comparable à ceux de l’Assyrie de l’époque : un membre de l’establishment dont le ministère consistait à renforcer l’état judéen11. Bien que le discours de ce type de prophètes soit généralement positif, De Jong trouve l’expression « prophètes de salut » inadéquate pour les désigner, car ils ne se faisaient pas faute de prononcer contre tel ou tel groupe de personnes des oracles de jugement lorsque le bien de l’état l’exigeait. Avec le temps, les aspects positifs du message furent rejetés tandis que subsistaient des oracles de jugement qui s’appliquèrent alors au peuple tout entier. Cette évolution ne se fit pas du vivant du prophète mais durant le développement de la tradition qui lui était associée12.

Le recours aux études comparatives pour appréhender le prophétisme biblique encourt à mon sens le même type de reproche que celui formulé à l’encontre des entreprises de l’exégèse historico-critique classique : un certain mimétisme est à l’œuvre qui aboutit à une figure de prophète israélite très semblable à ses homologues des nations. Mais cette conclusion n’est-elle pas induite par la méthode elle-même ? En effet, la recherche des ressemblances tend à occulter les différences. Or il y a au moins deux différences de taille qui peuvent difficilement être ignorées : d’une part, le contexte de la production prophétique est, à Mari comme à Ninive, clairement polythéiste — que le panthéon local soit hiérarchisé ou non ; d’autre part, la dimension purement éthique en est quasiment absente13 !

3 Les limites d’une approche purement synchronique

Le prophétisme biblique vu de la Bible

Face à ces difficultés, certains ont pensé qu’une attention renouvelée au texte scripturaire dans son état final pourrait permettre de dessiner les contours du prophète biblique dans son originalité — originalité qu’admettent la plupart des chercheurs mais sans toujours la définir avec précision. Notons à cet égard le propos embarrassé de P. Gibert dans son article synthétique sur le « prophétisme biblique » qui ouvre le panorama sur Prophètes et prophétismes rassemblé par A. Vauchez. L’auteur commence par situer le contexte du Moyen-Orient ancien puis affirme sans ambages : « Or c’est dans ce contexte que surgissent, sur le petit territoire d’Israël, ces prophètes dans leur originalité ». En dépit de cette originalité d’emblée affirmée, l’auteur pose alors la question :

Quelle que soit en définitive cette originalité, ces prophètes, ces neviim, n’auraient-ils pas quelques références, voire des modèles dans le contexte général de ces grands empires et des cultures qui dominaient le Proche-Orient ancien, et ce, même si la tardive religion d’Israël devait s’éloigner sans retour des cultes polythéistes et idolâtres dont ces empires étaient également emblématiques ?

Pourtant, après un très bref excursus étymologique sur la racine NaBa’ qui désigne le prophétisme dans les langues sémitiques, l’auteur juge « plus prudent et sans doute plus pertinent de se tourner vers l’intérieur même du corpus biblique où nous trouvons largement manifestés prophétismes et prophètes »14.

Une figure du prophète paradoxale

Le petit ouvrage de Vogels se situe dans cette veine. En effet, même s’il renvoie dans ses notes infra-paginales à toute la littérature scientifique — et notamment historico-critique — sur le sujet, il ne prétend pas rejoindre le phénomène prophétique historique autrement qu’en esquissant la figure du « prophète biblique » à partir des livres prophétiques :

Mon approche sera synchronique, basée sur les textes dans leur forme finale. Bien entendu, ces textes ne donnent pas un instantané ou une image parfaite du prophète historique ; ils nous présentent toutefois ce que l’auteur, rédacteur ou éditeur, croyait être un prophète. Cela suffit pour nous faire une idée de ce qu’est un prophète biblique15.

Malheureusement, la figure du prophète biblique sur laquelle débouche son enquête paraît de prime abord extrêmement floue dans la mesure où son identité oscille entre ces deux extrêmes radicalement distingués par l’exégèse historico-critique que sont, d’une part, le prophète de salut et, d’autre part, le prophète de jugement. « La communauté, écrit en outre Vogels, entretient à l’égard des prophètes un rapport de désir et de rejet, de besoin et de refus, d’amour et de haine »16. Ce paradoxe auquel on aboutit est intéressant en soi mais il faudrait parvenir à articuler ces deux dimensions, ce que l’auteur ne fait pas. De ce fait, il est conduit à construire une figure de prophète « équilibrée », bien dans sa société pourrait-on dire, et à rejeter l’affirmation selon laquelle « aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie » (Lc 4,24).

Il est clair que, devant la somme d’informations parfois contradictoires que la Bible fournit sur le sujet, le risque est grand de retomber dans le travers déjà mentionné où l’exégète construit une figure de prophète à son image… Le problème, avec cette figure, c’est que le Christ ne l’accomplit pas !

II Une réalité anthropologique universelle

1 L’apport des sciences humaines

Les prophètes vus par le sociologue

Pour échapper aux affres de la subjectivité et du mimétisme, d’aucuns prirent le parti de fonder la recherche concernant les prophètes et le phénomène du prophétisme sur le socle objectif des sciences humaines, principalement de la sociologie et de l’anthropologie. L’un des pionniers en la matière fut le sociologue allemand Max Weber (1864-1920). Considérant l’apport décisif des religions dans le grand œuvre de l’humanité que constituait pour lui la rationalisation du monde, Weber aboutit assez logiquement aux prophètes fondateurs (ou réformateurs) de ces religions. Cependant, dans la vaste enquête publiée de manière posthume sous le titre Économie et société, le chapitre sur les prophètes laisse le lecteur sur sa faim. Après avoir disserté abondamment sur ce que le prophète n’est pas (entre autres un aisymnète ou législateur), Weber caractérise l’action prophétique comme essentiellement politique et identifie sa source dans la réaction du faible (état israélite ou judéen) aux pressions des superpuissances du moment : l’Égypte et la Babylonie17. Devant une telle conclusion, il y a lieu de se demander si l’objet propre de la sociologie, à savoir l’étude des mécanismes qui régissent les sociétés humaines déjà constituées, ne la rend pas aveugle à ce qui constitue le moment fondateur de ces sociétés. Or n’est-ce pas justement là le moment propre de la production prophétique ?

De la sociologie à l’anthropologie

La genèse des sociétés humaines étant davantage le domaine de l’anthropologie, c’est vers cette science qu’il convient de se tourner. Ainsi, dans un passé récent, Ferdinand Deist a voulu fournir un nouveau paradigme à l’étude du prophétisme biblique en prônant une approche socio-anthropologique de la société israélite ancienne. Il faut bien reconnaître qu’à ce stade, la recherche dans ce domaine est fortement limitée par le caractère ténu des sources extra-bibliques en la matière18. Il faudrait donc se détacher davantage encore de la sociologie et, en l’absence de données historiques spécifiques, partir des constantes anthropologiques universelles.

Robert Wilson nous permet de faire un pas de plus dans ce sens en introduisant les concepts de « prophètes du centre » et « prophètes de la périphérie »19. Mais son étude, très utilisée par Vogels, suscite la même question que le livre de ce dernier : l’aplatissement ou la réduction unidimensionnelle qu’implique l’approche synchronique permet-elle de ressaisir adéquatement le phénomène prophétique et les étapes de son développement ? En d’autres termes, le prophète concret ne peut-il pas être successivement « prophète du centre » et « prophète de la périphérie ». Le prophétisme de révélation n’adviendrait-il pas justement à lui-même lorsque le prophète du centre, l’homme de l’institution, prend soudain fait et cause pour la « périphérie », la marge, les marginaux, quitte à être lui-même marginalisé ?

Les anthropologues et la religion

Dans un ouvrage récent aux allures de manuel scolaire, André Mary, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, dresse un vaste panorama de l’anthropologie religieuse, intitulé Les anthropologues et la religion 20. La part faite au phénomène prophétique dans cette somme est pourtant relativement réduite. Elle se limite principalement à mentionner deux sources : les études déjà anciennes de l’anthropologue anglais Evans-Pritchard sur le peuple Nuer et celles, beaucoup plus récentes, de Marc Augé sur les prophétismes contemporains en Côte d’Ivoire. Le prophétisme ivoirien ne présente qu’un intérêt réduit pour notre propos tant il est clair que nous sommes en présence d’une imitation plus ou moins consciente du modèle biblique. En effet, quel que puisse être le rapport des « prophètes » ivoiriens avec la Bible — certains allant jusqu’à en interdire la lecture à leurs sectateurs — les écritures judéo-chrétiennes restent leur référence21. Encore le parasitage mimétique…

L’étude d’Evans-Pritchard sur les Nuer du Sud-Soudan présente quant à elle l’intérêt d’explorer un phénomène prophétique non influencé par la culture biblique. À première vue, les prophètes des Nuer mériteraient d’ailleurs davantage le nom de « juges » par analogie avec les Juges de la Bible. Les colons britanniques les tinrent en effet pour responsables des razzias de bétail organisées par les Nuer au détriment de leurs voisins Dinka. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Evans-Pritchard reconnaît n’avoir pas vraiment rencontré ces prophètes sur leur terrain car les autorités britanniques les avaient tués ou emprisonnés. Notons cependant que le fait qu’ils aient été tenus pour responsables de ces razzias n’implique pas nécessairement qu’ils en aient été les initiateurs.

Quoi qu’il en soit, « dans la religion des Nuer, la place du culte des ancêtres est très discrète, on ne peut pas parler dans ce monde d’animisme, ni même d’une force qui s’apparenterait au panthéisme, les affaires de sorcellerie sont mineures, et surtout le poids du ritualisme et du respect des interdits n’a rien d’obsessionnel. À la limite, la religion Nuer est une religion sans rites, sans magie et sans sorcellerie, une religion de l’Esprit et de la relation intime et personnelle à Dieu par la prière »22. L’organisation sociale des Nuer se caractérise en outre par une faible différenciation et l’absence de système oppressif. Enfin, la violence sacrificielle est marquée par une certaine retenue : une explication est donnée à l’oreille de la victime animale pour lui expliquer les raisons pour lesquelles on lui prend sa vie. Même lorsque du bétail est abattu pour la nourriture en temps de famine, des excuses doivent être présentées à Dieu et à la bête elle-même23 !

Sans qu’il puisse être question pour l’instant d’établir une quelconque corrélation entre ces observations, faisons néanmoins remarquer que, dans cette société Nuer où le phénomène prophétique revêt une importance particulière, on relève simultanément un faible niveau de violence institutionnelle et un système religieux peu sacral, hautement spiritualisé, qui s’apparenterait au monothéisme. Afin de poursuivre notre enquête, nous aurons maintenant recours à un anthropologue qu’en dépit de son apport décisif à l’anthropologie des religions André Mary omet de mentionner dans son manuel — fidèle en cela à un certain ostracisme du monde francophone à son égard —, le professeur René Girard.

2 La violence et le sacré

René Girard est un explorateur de longue date des rapports secrets qu’entretiennent la violence et le sacré. Par là, il a ouvert la voie à une nouvelle anthropologie. Avant d’aller plus avant dans l’exposition sommaire des fondements de sa théorie, il convient de justifier brièvement le choix de celle-ci pour éclairer notre propos.

La diatribe qui ouvre le livre d’Isaïe est bien connue. Les rédacteurs prophétiques ont composé ce texte programmatique à partir d’oracles préexistants pour exprimer la quintessence de leur vision du prophétisme. En dépit du contexte historique précis fixé par l’incipit et la mention des quatre rois, le lecteur est mis d’emblée en présence d’un problème universel : « Des fils, j’ai fait grandir et ils se sont révoltés contre moi » (Is 1,2). Ainsi est décrite la perversion de la relation père/fils de Dieu à l’homme et le problème de la violence. Violence apparemment subie par ces fils (v. 5b-6) mais dont ils sont aussi coupables : « Vos mains sont pleines de sang » (v. 15). Dans sa diatribe, yhwh critique en fait tout l’ordre socioreligieux. Or cela devrait nous surprendre. Quel rapport en effet y a-t-il entre les offrandes faites au temple (v. 13) et l’injustice subie par les catégories faibles de la société : orphelin, veuve et opprimé (v. 17) ? Comment comprendre que le sang des innocents puisse être mêlé au sang des sacrifices. Pareille connexion est incompréhensible si, selon l’approche assez répandue en sociologie moderne, nous pensons l’organisation sociale comme largement indépendante du domaine religieux. L’avantage de l’anthropologie girardienne est d’être, à tout le moins, homogène avec cette caractéristique de notre texte qui lie la violence et le sacré24.

3 Application de la théorie de Girard au phénomène prophétique

Une société en crise d’indifférenciation

Il est frappant de constater, dans le livre d’Isaïe, de quelle manière abrupte la vision inaugurale de paix universelle cède la place à quatre chapitres de dénonciation du mimétisme de la « maison de Jacob » qui se met à la remorque des nations avoisinantes, imitant toutes leurs manières de faire (chapitre 2). Le résultat en est une crise d’indifférenciation que le texte décrit très précisément comme une prolifération de la violence, assortie d’une disparition des rapports d’autorité et du règne de l’exclusion : « Le gamin se dressera contre le vieillard, l’homme de rien contre le notable » (3,5), « Malheur, ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu’à prendre toute la place » (5,8). Cette société, ivre de son mimétisme, est menacée de sombrer tout entière : « Alors le Shéol ouvrira la gueule démesurément et enflera la gorge ; la noblesse et la masse y descendront avec leur joyeux tapage » (5,14).

Le récit de vocation du prophète est placé dans ce contexte et commence par inscrire le prophète dans une solidarité pécheresse avec le peuple pécheur : « Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures » (6,5). Le récit montre on ne peut plus clairement l’évolution qui se fait alors, lorsque le voyant quitte le service du roi terrestre qui meurt cette année-là pour se porter au secours d’un vrai Roi désemparé. yhwh des Armées demande : « Qui enverrai-je ? qui donc ira pour nous ? » (6,8). La mission du prophète consiste à révéler la méconnaissance dans laquelle le peuple est enfermé. Rappelons que « l’idée de René Girard est qu’aucune culture n’aurait pu surgir ni durer sans méconnaissance, c’est-à-dire sans une interprétation partielle, mais partiale de ses fondements »25. La révélation de la vérité expose celui qui la révèle à être le bouc émissaire par excellence. En effet, il menace réellement la cohésion du corps social. Paradoxalement, en fournissant une nouvelle victime, à savoir lui-même, le prophète renforce le système et la méconnaissance qui le sous-tend ! « Écoutez bien mais sans comprendre, regardez bien mais sans voir » (v. 9) ; « Jusques à quand » la danse macabre peut-elle ainsi se poursuivre ? La seule limite logique est la complète destruction de tout l’édifice social et culturel (6,11-13).

Il y aurait pourtant une autre solution : attaquer le mal à la racine. Remplacer le mimétisme par la filiation. Si les hommes cessaient de se régler les uns sur les autres pour s’en référer à Dieu, la bombe mimétique serait désamorcée. C’est pourquoi le prophète se met en devoir de s’adresser en priorité à celui dont c’est la vocation — comme fils de David — de vivre cette filiation avec Dieu : « Je serai pour lui un père, il sera pour moi un fils » (2 Sm 7,14). Pour le rédacteur deutéronomiste, le représentant d’alors de la maison de David est un parangon de mimétisme. Le livre des Rois nous rapporte en effet que cet Achaz avait été jusqu’à dire au roi d’Assyrie : « Je suis ton serviteur et ton fils » (2 R 16,7) et qu’il avait fait réaliser une copie de l’autel assyrien dans le temple de yhwh (2 R 16,10). Inévitablement, cet homme est transi de peur et, malgré l’avertissement du prophète — « Si vous ne croyez pas, vous ne tiendrez pas » (Is 7,9) — il refuse l’offre d’un signe sous un prétexte des plus convenus.

Dieu doit donc opter pour une nouvelle stratégie afin de s’enfanter un fils qui s’appellera tout bonnement « Dieu avec nous ». Comme son nom l’indique, cet Emmanuel n’est pas appelé à rester seul et, insensiblement, dès le chapitre suivant, c’est un petit groupe qui se constitue sous l’égide du prophète lorsque Dieu le prend par la main pour lui enjoindre « de ne pas suivre le chemin que prend ce peuple » (8,11). Le texte s’adresse à eux (ou à nous) en disant : « Vous n’appellerez pas “conspiration” tout ce que ce peuple appelle “conspiration”, vous ne craindrez pas ce qu’il craint ni ne le redouterez ». Le contexte est clair : en pleine crise, des rumeurs de « conspiration » circulent, le peuple s’ameute contre ce qui fait l’objet de sa terreur : un nouveau lynchage est en route. Mais la voix du Seigneur retentit solennellement pour dire : « C’est yhwh des Armées que vous tiendrez pour saint, c’est lui que vous craindrez, c’est lui qui sera votre terreur » (8,12).

Le prophète serviteur

Ces quelques chapitres nous donnent ainsi une image précise du prophète comme un type particulier de « bouc émissaire » dont le portrait sera complété dans la deuxième partie du livre par le 4e chant du Serviteur. Girard avait déjà relevé les différents traits qui font de ce Serviteur le type même de la victime émissaire : stigmates sacrificiels (Is 53,2-3), substitution (v. 6), dimension à la fois spontanée et légale de sa mise à mort (v. 8-9)26.

Mais le prophète n’est pas un « bouc émissaire » ordinaire, son histoire n’est pas la répétition du sempiternel mécanisme exutoire de la violence humaine. Car, cette fois-ci, la méconnaissance se fissure. On nous annonce que les foules « de païens vont voir une chose qu’elles n’ont jamais vue », que « le bras du yhwh va se révéler ». Et il y a là un « groupe du nous » qui va, le premier confesser sa méprise. Croyant que l’accablé était justement frappé par Elohim, sa méprise portait sur Dieu lui-même. Et c’est bien là que se produit la révélation : le serviteur est innocent, il n’est pas un dieu mais le serviteur du Dieu unique.

Dans le mécanisme classique du bouc émissaire, l’apothéose de la victime est accompagnée de la production d’un mythe par lequel l’événement fondateur est narré sous le mode de la méconnaissance puisque le nouveau dieu est réputé avoir été à l’origine des maux de la cité avant d’être l’auteur de sa délivrance. Au contraire l’événement prophétique de révélation, en proclamant l’innocence de la victime, la reconnaît non comme un nouveau dieu mais comme serviteur du Dieu unique et, en revanche, canonise sa parole comme parole de Dieu.

C’est cet événement précis qui constitue non seulement l’avènement du monothéisme, puisque la mort du serviteur n’aboutit pas à la production d’une nouvelle idole, mais aussi la fondation d’une éthique nouvelle caractérisée par le respect de la vie de l’innocent. On retrouve ainsi la « loi prophétique dans ses deux composantes principales, le rapport au dieu unique excluant toute représentation (idolâtrique), et l’interdiction de toute forme de violence sur l’autre humain »27.

III Le processus de canonisation : silence et écriture

1 Le prophète réduit au silence

Si nous suivons la théorie girardienne, la réception de la parole prophétique comprend donc un moment de rejet absolu. Le prophète est « réduit au silence » (Is 6,5)28. Or cette réduction au silence est bien le premier acte prophétique d’Isaïe dans la mesure où il mime la réduction au silence dont Dieu lui-même est victime, de la même manière qu’Osée, lorsqu’il prend une femme prostituée (Os 1,2), mime l’infidélité subie par yhwh. Cette première action est une passion qui met le prophète dans le camp de Dieu, comme l’indique le « nous » de la question divine au voyant : « Qui ira pour nous ? » (Is 6,8).

La réduction au silence ne vient pas d’abord d’une action menée par des opposants à la parole prophétique, mais du fait que tout l’ordre social et culturel est marqué par la méconnaissance. N’apprend-on pas à parler en imitant le mouvement des lèvres ? Il y a une nécessaire connivence du langage avec le mimétisme et, partant, avec les structures oppressives : « Je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures » (Is 6,5). Le prophète doit donc repartir à zéro et cela ne manque pas de dérouter ses auditeurs : « Ils disent : à qui veut-il enseigner la connaissance ? À qui veut-il faire comprendre son message ? Est-ce à des enfants qui viennent d’être sevrés, qui viennent de quitter la poitrine de leur mère ? Tsav latsav, tsav latsav, kav lakav, kav lakav, ze’er sham, ze’er sham » (Is 28,9-10). En rompant avec le péché social, le prophète rend sa propre parole tout simplement inaudible. « Le drame du prophète est ainsi le drame de la parole contre les formules, contre les mots énoncés “qui ne résonnent dans aucun espace de réalité” »29.

2 La martyria de l’écrit

Cette mise hors-jeu de la voix prophétique rend nécessaire la mise par écrit : « Enferme l’attestation, scelle l’instruction en mes disciples » (Is 8,16)30. La perception de la voix prophétique n’est donc pas immédiate, elle ne peut se faire qu’à travers la martyria de l’écrit et des disciples qui le recueillent. Dans la construction du livre, le témoignage du Serviteur au chapitre 53 fait apparaître, dès le chapitre suivant, des « serviteurs », pour la première fois mentionnés au pluriel, accomplissant le verset : « S’il pose sa vie en sacrifice pour le péché, il verra une descendance » (53,10). Cette descendance-semence n’était-elle pas celle annoncée au voyant par-delà la destruction totale (6,13) ? Il est en fait impossible de dissocier totalement le rejet de la parole prophétique et son accueil par au moins un disciple. En effet, lorsque le prophète est reconnu comme étant du côté de Dieu, il devient par le fait même le véritable modèle à imiter car il détient effectivement le secret de l’être. Il y a là le premier maillon d’une chaîne de transmission qui aboutit à la constitution du livre tel qu’il s’offre à nous31. En revanche le prophète de cour classique, inséré dans le carcan social, ne produit aucun disciple, comme le remarque incidemment D. Charpin : « La différence essentielle entre prophéties mariotes et prophéties bibliques tient à leur réception : les unes se trouvent sur des tablettes (…) les autres servent toujours de support à la réflexion de nombreux croyants »32.

IV La constitution des livres prophétiques

1 Redaktionsgeschichte

Depuis une bonne trentaine d’années, l’attention des chercheurs s’est concentrée sur l’histoire rédactionnelle des livres prophétiques. Cela a donné lieu à d’abondantes monographies sur l’un ou l’autre des prophètes, dont le produit fini principal est une identification des différentes couches (ou strates) rédactionnelles qui ont permis de constituer le livre canonique que nous connaissons33. Dans un effort pour synthétiser ces recherches plus ou moins éparses, Odil Hannes Steck avait publié en 1992 un panorama de l’élaboration du canon vétérotestamentaire selon la tripartition Tora, Neviim, Ketouvim 34.

Remettant ce travail sur le métier, Konrad Schmid conclut également à une volonté des rédacteurs de subordonner le corpus des Nebiim à la Tora, une fois celle-ci constituée35. Mais il suggère que le processus puisse avoir été plus compliqué que le schéma de clôture successive de chacun des ensembles Tora, Neviim, Ketouvim proposé par Steck. Une analyse fouillée des trois derniers versets du livre de Malachie tend en effet à montrer l’existence d’une pluralité théologique encore existante quant à l’importance relative des ensembles Tora et Neviim au moment de l’adjonction de ces « canon conscious verses »36.

2 Le projet du livre

De ce point de vue, l’objectif des livres élaborés au fil des siècles par les générations successives de disciples apparaît en concurrence avec l’encadrement canonique qui neutraliserait la parole prophétique : il s’agit au contraire d’amener le lecteur à vivre l’expérience fondamentale, et en quelque sorte initiatique, de sortie de la méconnaissance. Plusieurs auteurs, à la suite de Jean-Pierre Sonnet, ont repéré l’opérativité au sein du livre d’Isaïe du motif de l’endurcissement37. La thématique de la perception et de la non-perception présente dès le premier mot du livre (« Vision » !) court tout au long des soixante-six chapitres et constitue l’un des fils rouges qui en permet la lecture « comme un livre »38. L’interprétation de l’endurcissement comme « méconnaissance » selon la théorie mimétique explique le paradoxal « contrat de lecture » qui « interdit au lecteur tout accès immédiat, à partir de son savoir-lire, à l’intelligence de la révélation » de même que, dans le drame mis en scène par le livre à travers les deux rencontres du prophète avec les rois successifs de la dynastie davidique, il devient évident que « la sagesse de cour tourne à vide »39. Afin de faire passer de la méconnaissance à la révélation, le prophète-écrivain va investir le langage et le retourner « comme un gant » grâce aux stratagèmes de l’ironie prophétique40. L’histoire deutéronomiste donne de cet exercice deux exemples fameux dans les rencontres successives de David avec le prophète Nathan. En examinant ces deux récits, nous ne tomberons pas dans l’erreur méthodologique fréquemment dénoncée qui consisterait à vouloir rejoindre le phénomène prophétique dans sa réalité historique du… x e siècle (!)41. Il s’agit simplement de progresser dans notre compréhension de la prophétie construite par le rédacteur deutéronomiste avec l’espoir qu’il nous livre quelque chose du phénomène prophétique de révélation dans son caractère précisément intemporel42.

3 Le modèle du prophète deutéronomiste

« Est-ce toi qui vas bâtir … ? » (2 Sm 7,5)

La première de ces rencontres se trouve au chapitre 7 du deuxième Livre de Samuel : David s’adresse au prophète et compare son habitation prestigieuse à la tente précaire dans laquelle réside l’arche de yhwh. Il n’exprime aucune intention mais Nathan lui donne une sorte de chèque en blanc : « Tout ce qui est dans ton cœur, va et fais-le car yhwh est avec toi » (v. 3). Cependant la nuit même, la parole de yhwh est adressée à Nathan : « Tu iras voir mon serviteur David et tu lui demanderas : “Est-ce toi qui me construiras une maison pour que j’y réside ?” » Un long développement suit cette question rhétorique dans lequel yhwh se montre peu intéressé par la construction d’une maison pour sa résidence. Et le développement se termine par un coup de théâtre. yhwh affirme que c’est lui qui va construire une maison à David (dans le sens de maison royale) : il établira sa descendance sur le trône, cette descendance construira une maison au nom de yhwh et celui-ci affermira cette dynastie pour toujours. Vient alors cette proclamation solennelle : « Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils » (v. 14).

Ce court passage est riche d’enseignements sur l’évolution personnelle du prophète. Nathan commence par se conduire en classique prophète de cour tel qu’on en trouve aussi dans le monde extra-biblique : il encourage le roi dans ses projets. Il le fait d’autant plus volontiers qu’en tant que prophète de yhwh, il ne lui déplairait sans doute pas que son Dieu soit honoré dans un temple plus convenable. Le prophète ne fait donc pas au départ exception au sein de la société dans laquelle il est inséré. Rappelons-nous le constat du voyant dans le Temple : « Je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures » (Is 6,5).

Il faut donc que la Parole de Dieu intervienne pour l’extraire de ce fonctionnement et lui permette d’en extraire autrui. La motivation de David pour construire un temple à yhwh est imprégnée de mimétisme puisqu’elle se fonde sur une comparaison entre sa propre habitation et celle de yhwh. Dieu ne veut pas que la maison où il désire rassembler ses enfants soit construite sur de tels fondements. Le livre des Chroniques donne de ce passage un développement midrashique dans lequel il relève la connivence de cette mentalité avec la violence : « David dit à Salomon : “Mon fils, j’avais dans le cœur d’élever une maison pour yhwh mon Dieu. Mais la parole de yhwh fut sur moi : tu as versé du sang à l’excès et tu as fait de grandes guerres, c’est pourquoi tu ne construiras pas une maison pour mon nom car tu as répandu beaucoup de sang sur la terre devant moi” » (1 Chr 22,7-8).

La parole de yhwh rejoint David non seulement pour orienter son action mais plus fondamentalement pour réformer sa manière de penser. « Mes pensées ne sont pas vos pensées, ni vos voies mes voies, oracle de yhwh. Comme les cieux surplombent la terre, ainsi mes voies au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées » (Is 55,8-9). C’est pourquoi le prophète retourne le langage « comme un gant » en utilisant le jeu de mots : tu penses que c’est toi qui vas me bâtir une maison, mais moi je te dis que c’est moi qui vais te bâtir une maison. En jouant sur l’équivocité du mot « maison », Dieu fait percevoir que pour rejoindre sa pensée il faut élargir les cadres trop étroits du langage lui-même. Car ce que l’homme peut bâtir, ce ne sont au fond que des tombeaux ; seul Dieu est capable de donner la vie à des fils pour les rassembler ensuite dans sa maison.

« C’est toi cet homme ! » (2 Sm 12,7)

Si le prophète est effectivement une sorte de précepteur dont le rôle est de former des fils de yhwh à partir de cette engeance de criminels qu’est l’humanité, on mesure la complexité de la tâche. Dans la seconde et unique autre rencontre relatée par la Bible entre David et le prophète Nathan, ce dernier vient directement voir le roi sur ordre de yhwh et lui propose la parabole bien connue des deux hommes et de la brebis. Sous des dehors apparemment simples, ce court récit est parsemé de nombreux pièges.

Le plus évident est celui que le prophète tend à David en lui racontant un récit dans lequel il ne se sent pas personnellement impliqué, de manière à ce que le roi puisse laisser monter en lui une légitime indignation envers le coupable. Pour cela, Nathan a recours à une parabole, c’est à dire qu’il transpose le récit des faits dans un autre contexte tout en préservant la structure fondamentale qui les sous-tend. Il s’agit là du ressort fondamental de l’ironie prophétique que l’on peut mieux appréhender à partir du fonctionnement comique en général.

Prenons un homme qui tombe sur un étang gelé, un autre homme le regarde et rit tellement de la mésaventure de son prochain qu’il perd l’équilibre et tombe lui aussi. La deuxième chute est clairement plus comique que la première. Si un troisième homme spectateur des deux premières chutes, mais situé quant à lui sur la berge de l’étang se met à rire et, perdant l’équilibre à son tour, non seulement tombe de la berge mais, en raison de la dénivelée, brise la glace et se retrouve dans l’eau glacée, il dépasse en comique ses deux prédécesseurs. L’escalade dans l’effet comique provient du fait que chaque nouvelle victime commence par rire car il se croit plus malin que son prédécesseur. Il oublie qu’il est soumis aux mêmes lois physiques et encourt les mêmes risques d’être vaincu par ces lois, notamment celle de la pesanteur43.

Or, dans la parabole de Nathan, il y a aussi un mécanisme implacable qui provoque la chute du riche. C’est le mécanisme qui le pousse à aller chercher la brebis du pauvre alors qu’il est propriétaire d’un important cheptel. Le texte nous donne un indice en nous disant que ce riche « eut pitié (yahmol) de prendre de son gros ou de son petit bétail » (2 Sm 12,4). De qui a-t-il pitié ? Certainement pas du pauvre, c’est d’ailleurs ce que lui reprochera David : « parce qu’il a fait cette chose, et n’eut pas pitié (lo‘ hamal) » (v. 6). De qui le riche a-t-il pitié sinon de lui-même. Et d’où vient cette pitié sinon de son incapacité à désirer ce qu’il possède déjà ? Il jalouse donc le pauvre qui semble éprouver pour sa seule brebis beaucoup plus que ce que lui-même éprouve pour les nombreuses siennes. Il tombe dans le panneau du désir mimétique, cette loi de pesanteur du comportement humain. Et l’on peut remarquer que la parabole s’arrête là. Avec une retenue toute significative, elle se borne à raconter l’origine de la violence et le sacrifice de la brebis mais omet d’évoquer ce qui s’ensuit : le meurtre d’Urie le Hittite. Du coup, la réaction colérique de David apparaît encore plus frappante puisque la partie la plus grave de son forfait a été passée sous silence. La stratégie du prophète consiste donc à extraire son auditeur de la situation contextuelle dans laquelle il est inséré pour lui révéler par le biais de la parabole des réalités anthropologiques fondamentales en vue de susciter en lui un sursaut éthique. Et ce sursaut éthique peut atteindre jusqu’au lecteur qui est le troisième personnage, resté sur la berge, c’est lui aussi « cet homme » !

4 Le cas du livre d’Isaïe

Situés dans le corpus historiographique, les deux récits de rencontre entre David et le prophète Nathan nous donnent donc un certain nombre de clés pour mieux comprendre la stratégie des rédacteurs dans la rédaction d’un livre comme celui d’Isaïe. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces rédacteurs ont voulu se mettre sous le patronage d’un de ces « premiers prophètes », Isaïe qui, comme Nathan, est un prophète de Cour.

Le patronage d’Isaïe

Le livre d’Isaïe est en effet structuré autour de deux récits de rencontres entre ce prophète de Cour et deux rois successifs, Achaz et Ezéchias. Le bilan de son ministère prophétique est à première vue négatif. Il ne réussit à conduire ni Achaz, ni Ezéchias sur le chemin d’une attitude véritablement filiale envers yhwh. Tout peut se résumer à une affaire de signe : le premier refusant tout bonnement d’en demander et le second se montrant incapable d’interpréter celui qui lui est donné : l’ambassade babylonienne à Jérusalem. Dans l’un comme l’autre cas, les rois sont trop profondément imprégnés de mimétisme, ils se modèlent trop sur le monde, pour qu’un renouvellement de leur manière de penser puisse leur faire discerner la volonté de yhwh.

Mais Isaïe44 ne se décourage pas pour autant car, grâce à la révélation dont il a été privilégié, il possède une intelligence profonde de la structure du réel. Il sait que l’incompréhension dont il fait l’objet n’est qu’une étape dans la transformation du monde. « Cela doit arriver d’abord ». C’est que, se laissant saisir par la main, il met son espoir en Dieu qu’il perçoit comme la première victime d’un ordre socioreligieux perverti. Il est souvent en opposition de phase avec la société : ainsi dans l’oracle sur le Val de la Vision (Is 22,4), alors que tout Jérusalem se réjouit de sa victoire, il verse des « pleurs amers » en songeant à l’engrenage de la violence qui va bientôt engloutir la ville bien-aimée.

Devant le rejet des signes ou l’incompréhension dont ils font l’objet, Isaïe accepte d’être lui-même, « et les enfants que Dieu lui a donnés, signes en Israël » (Is 8,18). Signe et témoin jusqu’à l’extrême — jusqu’à passer trois ans nu et déchaussé — qu’un autre ordre des choses est possible qui ne soit pas fondé sur la peur et la honte. Tout cela, c’est du moins l’hommage que rendent les rédacteurs du livre au lointain modèle sous le patronage duquel ils ont voulu mettre leur œuvre. Mais que peut-on dire encore de ces anonymes ?

Une œuvre pédagogique

Ils sont les fils — au moins spirituels — de l’Isaïe du viii e siècle, et ils sont, en quelque sorte, mis en scène dans le livre d’Isaïe lorsque la maison de David s’éloigne de sa vocation aux chapitres 7 et 8 et que l’on assiste à la création d’une maison alternative. C’est pourquoi ces rédacteurs prophétiques veulent eux-mêmes faire des disciples capables de discerner et de mettre en œuvre la parole de yhwh. Mais ils sont conscients de l’ampleur de la tâche et même de son caractère impossible à vue humaine. Cela ne les empêche pas de déployer des trésors de pédagogie à l’égard de leurs lecteurs.

Tout comme Nathan avec David, ils vont entrer dans les schèmes culturels et religieux de leur lecteur pour les faire craquer de l’intérieur. Rappelons ici l’effet ironique provoqué par la juxtaposition d’oracles dont le premier concerne une nation et le second Israël, et n’oublions pas que l’effet produit est susceptible de se répercuter jusqu’au lecteur. Ainsi, des deux fameux versets mentionnant Sodome et Gomorrhe dans la vision inaugurale : « Si yhwh des Armées ne nous avait laissé un reste, presque comme Sodome nous serions, rendus semblables à Gomorrhe. Écoutez la parole de yhwh, chefs de Sodome, prêtez l’oreille à l’instruction de notre Dieu, peuple de Gomorrhe » (Is 1,9-10).

En montrant l’universalité de certains mécanismes pécheurs (« c’est toi cet homme »), l’écrit prophétique prépare ses lecteurs à accueillir l’universalité du salut et à ne pas se méprendre sur sa nature, ni sur la vraie nature du sauveur lui-même, ni sur celle de Dieu. En attisant la jalousie d’Israël vis-à-vis des nations, puis des nations vis-à-vis d’Israël, il prépare aussi son lecteur à désirer la gloire qui n’est donnée qu’au serviteur car lui seul se retrouve en position « haute et élevée », à l’instar du Roi contemplé dans le temple (cf. Is 6,1 et 52,13).

La finale du livre reprend presque textuellement la question posée à David : « Quelle est donc la maison que vous bâtiriez pour moi ? » mais fait précéder cette question de « Le Ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds » (Is 66,1). Les cadres trop étroits ont éclaté grâce à la prise de conscience de la grandeur du Dieu créateur, « mes yeux ont vu le Roi ». Seul ce Roi peut assurer une paix universelle entre tous les hommes de toutes les nations, moyennant que les hommes « apprennent bien » (1,17), moyennant qu’on « lise dans le livre du yhwh » et que l’on « recherche » (34,16). La difficulté rencontrée dans la lecture du livre est certainement voulue par les rédacteurs. Paradoxalement cette difficulté elle-même est pédagogique.

Dès le chapitre 6, en effet, « le lecteur se découvre mis en présence d’un drame qui a commencé avant lui mais qui, en quelque sorte, ne se résoudra pas sans lui »45. Car de deux choses l’une : soit sa lecture lui donnera accès à la parole de Dieu, soit non ; soit il sera de ceux qui entendent sans connaître, ni discerner, soit il dépassera l’endurcissement pour accéder à la réalité. Et la parole consolante commence à le rejoindre lorsqu’il entend : « Qui était aveugle comme serviteur, sourd comme le messager que j’envoie ? » (42,19). Puis il aspire à pouvoir dire, avec le serviteur : « Le Seigneur yhwh m’a ouvert l’oreille » (50,5) et enfin : « Maintenant tu es, yhwh, notre Père ; nous sommes l’argile et tu nous façonnes, tous nous sommes l’œuvre de tes mains ! » (64,7).

Conclusion

L’objectif du présent article fut de montrer que, si tout conspire à faire taire la parole de révélation, le recours à l’anthropologie présente l’avantage de pouvoir comprendre cette révélation à partir de ce qui est valable pour tout homme. Cela nous a permis de découvrir ce que l’on n’entend pas d’ordinaire : la communication prophétique commence par le silence. C’est le moment fondamental où le prophète se retrouve du côté du Dieu vivant et vrai dont il mime la réduction au silence par l’humanité. Ce mimétisme d’un genre totalement nouveau a pour conséquence de faire du nouveau prophète à la fois la nouvelle victime de l’ordre social oppressif et, indissociablement, un modèle irrésistible. La réduction au silence et l’apparition de disciples sont deux phénomènes quasi simultanés. Du fait de cette réduction au silence, la parole est à la fois livrée par écrit et scellée dans le cœur des disciples.

« Voici l’homme ! » sera aussi la parole éminemment prophétique que Pilate proférera à propos d’un Jésus qui n’a plus apparence humaine. La passion du prophète et sa réduction au silence sont à la fois théophanie et manifestation de ce qu’est l’homme : voici ce que l’homme est capable de faire à son semblable, mais, aussi, voici ce que l’homme est capable de subir pour son semblable. Tout l’enjeu de la prédication prophétique est alors de faire reconnaître la première signification pour susciter l’accomplissement de la deuxième par le mimétisme de la sainteté. Tout l’élan prophétique assumé par les disciples découle de cet instant primordial de révélation qui peut être soit accueillie soit relativisée (« Qu’est-ce que la vérité ? »).

Notes de bas de page

  • 1 Le présent article est le fruit d’une communication donnée par l’auteur aux Journées Bibliques de Lubumbashi (RDC) en avril 2012. Les organisateurs de ce colloque dont le thème était « la réception de la parole de Dieu dans la communauté » en ont autorisé la publication dans la NRT.

  • 2 W. Vogels, Les prophètes, Bruxelles - Ottawa, Lumen Vitae - Novalis, 2008.

  • 3 J. Nieuviarts, J. Asurmendi et al., Guide de lecture des Prophètes, Paris, Bayard, 2010.

  • 4 A. Vauchez (éd.), Prophètes et prophétisme, Paris, Seuil, 2012.

  • 5 J.-D. Macchi, C. Nihan, Th. Römer, J. Rückl (éd.), Les recueils prophétiques de la Bible, Genève, Labor et Fides, 2012.

  • 6 C. Conroy, « Les Prophètes », dans R. Latourelle (éd.), Dictionnaire de Théologie Fondamentale, Montréal, Bellarmin, 1992, p. 971.

  • 7 E. Renan, Histoire du Peuple d’Israël, t. II, livre IV, chap. VI : « Prépondérance du rôle des prophètes en Israël », Paris, Calmann-Lévy, 1891, p. 483.

  • 8 J. Vermeylen, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique. Isaïe 1-35, miroir d’un demi-millénaire d’expérience religieuse en Israël, t. 2, Paris, Gabalda, 1978, p. 753.

  • 9 « [The image of the prophet], one can say without undue cynicism, betrayed suspiciously close affinity with the denominational ethos of the commentator in question » (J. Blenkinsopp, Prophecy and Canon : a Contribution to the Study of Jewish origins, Centre for the Study of Judaism and Christianity in Antiquity 3, Notre Dame [USA], University of Notre Dame Press, 1977, p. 108).

  • 10 M. J. De Jong, Isaiah among the Ancient Near Eastern Prophets, VTSup 117, Leiden, Brill, 2007, p. 23.

  • 11 D. Charpin note que les dieux assyriens « ont le plus souvent une attitude “nationaliste” envoyant des messages d’encouragement au roi, ou le mettant en garde contre certains dangers, mais prenant généralement son parti » (« Le prophétisme d’après les archives de Mari », dans Les recueils prophétiques … [cité supra n. 5], p. 39).

  • 12 « The positive message was rejected and what remains is the preaching of judgement, applied to the people as a whole. This transition must not be projected onto the prophetic biography, but is to be taken as an indication of the different stages of development of the Isaiah tradition » (M. J. De Jong, Isaiah … [cité supra n. 10], p. 449).

  • 13 Au terme de son article comparatif entre prophétisme à Mari et prophétisme biblique, D. Charpin relève quant à lui trois différences essentielles : le caractère anthropomorphique des représentations divines à Mari (cf. polythéisme) ; le « statut relativement peu institutionnel » de ce prophétisme (cette seconde différence peut en fait se rapporter à la troisième car l’auteur vise l’absence de postérité prophétique) ; l’absence de relation maître/disciple (nous reviendrons sur ce point). Cf. D. Charpin, « Le prophétisme d’après les archives de Mari » dans Les recueils prophétiques … (cité supra n. 5), p. 72. M. Nissinen arrive sensiblement aux mêmes conclusions (« Prophètes et temples », ibid., p. 110).

  • 14 P. Gibert, « Prophétisme biblique » dans A. Vauchez (éd.), Prophètes et prophétisme (cité supra n. 4), p. 33. On notera au passage que le monothéisme d’Israël est attribué au caractère « tardif » de sa religion.

  • 15 W. Vogels, Les Prophètes (cité supra n. 2), p. 19.

  • 16 Ibid., p. 129.

  • 17 « La prophétie d’Israël était totalement orientée vers des relations avec les grandes puissances politiques. (…) Par conséquent, le caractère distinctif de la prophétie la plus ancienne (…) semble avoir été profondément déterminé par la pression de grands centres relativement proches (…) sur des peuples voisins moins rationalisés » (M. Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971, p. 473).

  • 18 F. Deist, « The Prophets : are we heading for a paradigm switch ? », dans V. Fritz, K. Pohlmann, H. Schmitt (éd.), Prophet und Prophetenbuch. FS O. Kaiser, BZAW 185, Berlin, De Gruyter, 1989, p. 1-28.

  • 19 R. Wilson, Prophecy and Society in Ancient Israel, Fortress Press, Philadelphia, 1980.

  • 20 A. Mary, Les anthropologues et la religion, coll. Quadrige Manuels, Paris, PUF, 2010.

  • 21 Ibid., p. 202.

  • 22 Ibid., p. 75.

  • 23 E. Evans-Pritchard, « The Sacrificial Role of Cattle among the Nuer », Africa : Journal of the International African Institute 23/3 (1953), p. 194.

  • 24 Pour maintenir la taille de cet article dans des limites acceptables, qu’il me soit permis de renvoyer ici le lecteur intéressé à l’exposé succinct des thèses de R. Girard, qui se trouve en D. Janthial, L’Apocalypse, Paris, éd. de l’Emmanuel, 2012, p. 16-18.

  • 25 C. Orsini, « Introduction à la lecture de René Girard », dans M. Deguy, J.-P. Dupuy (éd.), René Girard et le problème du mal, Paris, Grasset, 1982, p. 13-14.

  • 26 R. Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasset, 1978, p. 179-180.

  • 27 P. Gibert, « Prophétisme biblique » dans A. Vauchez (éd.), Prophètes et prophétisme (cité supra n. 4), p. 42.

  • 28 Selon une traduction littérale, rendue souvent par : « Je suis perdu ».

  • 29 J.-P. Sonnet, « Le motif de l’endurcissement (Is 6,9-10) et la lecture d’“Isaïe” », Biblica 73 (1992), p. 224, citant P. Beauchamp, L’un et l’autre Testament, Paris, Seuil, 1976, p. 86.

  • 30 « Si la parole prophétique se scelle peu à peu dans l’écrit, c’est qu’elle rencontre l’échec, ce qu’Isaïe pressentait dès sa vocation (Is 6,9-13) » (J. Nieuviarts, J. Asurmendi et al., Guide de lecture des Prophètes [cité supra n. 3], p. 19).

  • 31 Sur ce processus (au moins) bi-séculaire, voir C. Isbell, « The Limmûdîm in the Book of Isaiah », JSOT 34/1 (2009), p. 99-109.

  • 32 D. Charpin, « Le prophétisme d’après les archives de Mari », dans Les recueils prophétiques … (cité supra n. 5), p. 72.

  • 33 Inventaire dans R. Gordon, « A Story of Two Paradigm Shifts », dans Id. (éd.), The Place Is Too Small for Us, Sources for Biblical and Theological Study 5, Winona Lake, Eisenbrauns, 1995, p. 17. Parmi ces monographies, nous devons mentionner J. Vermeylen, Du Prophète Isaïe à l’apocalyptique. Isaïe, 1-35, miroir d’un demi-millénaire d’expérience religieuse en Israël, Études Bibliques, Paris, Gabalda, 1977.

  • 34 O. H. Steck, Der Abschluss der Prophetie. Ein Versuch zur Frage der Vor geschichte des Kanons, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener Verlag, 1991.

  • 35 K. Schmid, « La formation des Nebiim », dans Les recueils prophétiques … (cité supra n. 5), p. 131.

  • 36 Ibid., p. 140.

  • 37 J.-P. Sonnet, « Le motif de l’endurcissement… » (cité supra n. 29), p. 208-239.

  • 38 Cf. notamment, J. Ferry, Isaïe « Comme les mots d’un livre scellé … » (Is 29,11), Lectio Divina 221, Paris, Cerf, 2008, p. 121-154.

  • 39 J.-P. Sonnet, « Le motif de l’endurcissement … » (cité supra n. 29), p. 235.

  • 40 « What Donne and prophecy have in common is the desire to split and disrupt language — a desire that, in prophecy, represents the speech of God as a mind-bending, wor(l)d-bending force » (Y. Sherwood, « “Darke Texts Needs Notes” : On Prophetic Prophecy, John Donne and the Baroque », JSOT 27/1 [2002], p. 47-74).

  • 41 Erreur dénoncée notamment par M. Nissinen, « Prophètes et temples », dans Les recueils prophétiques … (cité supra n. 5), p. 79.

  • 42 Il s’agit de rejoindre un donné anthropologique universel. D’ailleurs, et bien qu’il se distingue de ce que nous appelons le prophétisme de révélation, on constate aussi une certaine permanence dans le temps du prophétisme institutionnel : entre les textes de Mari et ceux d’Assyrie, dont les époques de production sont distantes de onze siècles, « le paysage prophétique apparaît étonnamment semblable » (ibid., p. 110).

  • 43 Cet exemple s’inspire de celui fourni par R. Girard, To Double Business Bound, Baltimore, The Johns Hopkins Univ. Press, 1978, p. 128.

  • 44 Nous faisons ici référence au personnage prophétique mis en scène par le livre.

  • 45 J.-P. Sonnet, « Le motif de l’endurcissement … » (cité supra n. 29), p. 228.

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