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La «théologie de la filiation» de Joseph Wresinski

«L’esprit lui-même témoigne avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.» (Rm 8,16)

Amaury Begasse de Dhaem s.j.
«Avant d'être des fils d'homme, nous sommes des fils de Dieu», écrit J. Wresinski, à partir de l'expérience du Quart-Monde. L'article explore sa théologie de la filiation divine de tout homme: son rapport à la dimension trinitaire de l'acte créateur, à l'homme comme être-de-don, porteur d'une vocation et d'une mission, à la gratuité inconditionnelle du salut, à la divinisation filiale, au mystère de Dieu dans sa relation à l'homme. Aux frontières de «l'espérer pour tous», émergent les questions de la liberté de l'acte de foi, du sens du baptême comme translatio de la dispersion à l'unité et de la guérison des filiations blessées.

« Un jour viendra où les hommes ne sauront plus s’ils sont pauvres ou riches. Ils sauront seulement qu’ils sont des fils de Dieu. Si cela arrivait, on pourrait dire que les taudis, les cités dépotoirs, les cités d’urgence seraient devenus comme des “Thabor”, révélant au monde que l’Église est vraiment l’Église des pauvres »1, disait le P. Joseph Wresinski, fondateur du Mouvement ATD Quart Monde, lors d’une conférence à Versailles, en 1973. Des “Thabor”: des lieux de révélation où, à travers l’humanité transfigurée de Jésus, est dévoilée aux disciples sa véritable identité, sa filiation divine singulière attestée par la voix du Père, dont la gloire rayonne, comme de l’intérieur (Mt 17,2; Lc 9,29), dans la chair humaine qu’il a assumée (Lc 9,32); mais aussi, en raison de cette assomption, des lieux de transfiguration où nous est révélée la véritable identité de l’homme, fils de Dieu, et son insertion dans la vie trinitaire marquée par la nuée de l’Esprit qui le couvre de son ombre (Mt 17, 5; Mc 9,7; Lc 9,34-35).

Espérer que les taudis, les cités dépotoirs et les cités d’urgence puissent devenir des “Thabor”, c’est reconnaître à ceux qui portent le poids de la misère une mission de révélateurs du mystère du Christ dans sa relation au Père, mystère caché aux sages et aux savants, que le Seigneur a confié aux tout-petits (Mt 11,25-27; Lc 10,21-22). Les très pauvres n’ont pas pour vocation de révéler des choses radicalement nouvelles, dont l’Écriture ou la Tradition de l’Église n’auraient jamais eu, sans eux, la moindre conscience: le prétendre serait confesser leur totale extériorité par rapport à ces dernières. Depuis que le Christ «a apporté toute nouveauté en s’apportant lui-même»2, il n’y a rien de nouveau sous le soleil de Dieu, présent ou à venir, qui ne soit intérieur à son propre mystère et à son déploiement dans l’histoire: «Voici que je fais toutes choses nouvelles» (Ap 21,5). Mais en raison de la mise à nu, humaine et spirituelle, qu’implique l’expérience de la misère, le Quart Monde — à savoir, la frange la plus pauvre d’une population donnée, dont elle ressent l’exclusion — peut aider à percevoir avec un regard neuf le message de l’Évangile, toujours menacé de sombrer dans l’oubli, trace du péché qui demeure à l’œuvre dans le cœur des fidèles pécheurs de l’Église sainte. Les plus pauvres sont, pour J. Wresinski, l’aiguillon, l’écharde dans la chair, les gardiens de la mémoire évangélique, la plus vitale pour le corps ecclésial. Pour lui, l’Église n’est ce qu’elle est, à savoir «l’Église des pauvres» — c’était, à son estime, l’essentiel du message de Vatican II —, que dans la mesure où elle est capable, par sa présence contemplative dans les lieux de misère, de révéler à tous les hommes le mystère de leur filiation divine dans le Christ qui rend non signifiantes (adiaphora) les différences (d’honneur, de richesses, de savoir) qui les affectent et les divisent (cf. Ga 3,26-28). Nous voici, dès les prodromes de cette leçon, ramenés à l’Évangile, en particulier sa version lucanienne mettant si finement en lumière la place du Pauvre.

Mais le dépouillement auquel conduit l’extrême pauvreté — et, analogiquement, toute expérience de souffrance, d’abandon, de rejet, d’approche de la mort — rejoint aussi l’expérience la plus originaire de l’homme. Rm 8,16, que nous avons mis en exergue à cette leçon, peut se traduire: «L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu» (BJ) ou «l’Esprit lui-même témoigne avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu» (Osty) ou encore «l’Esprit lui-même co-témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu». Le verbe sum-martureô, construit avec la particule «sun» et le datif, qui signifie «témoigner avec ou en faveur de», met en évidence qu’il ne s’agit pas seulement d’un témoignage de l’Esprit Saint en nous, relatif à la filiation divine, mais aussi d’une attestation de notre propre esprit, dont le P. Wresinski dira, à la suite de Maxime le Confesseur ou de Maître Eckhart, qu’il est cette «partie divine en nous»3. Au verset précédent, saint Paul nous dit que ce témoignage est un cri: «vous avez reçu un esprit de filiation adoptive (huiothesia) dans lequel nous crions: “Abba, Père” (Rm 8,15), expression qu’il utilisera aussi en Ga 4,6: «parce que vous êtes des fils, Dieu a envoyé vers nos cœurs l’Esprit de son Fils criant: “Abba, Père”». Le verbe crier ou s’écrier (krazô) évoque le contexte de la seule autre occurrence du mot “Abba” dans le Nouveau Testament, à savoir l’agonie de Jésus en Mc 14,36. Ce cri, dira Luther dans son Commentaire des Galates, apparaît souvent, aux yeux de notre foi chancelante, comme le soupir ou le gémissement dont parle l’Apôtre quelques versets plus loin (Rm 8,26), mais «aux oreilles de Dieu, ce soupir est un cri retentissant, qui remplit tout le ciel et la terre»4. Cri et soupir sont l’expression d’un cœur qui souffre, comme celui du misérable. Pour J. Wresinski, le très pauvre, dépouillé de l’accessoire, réduit, comme Jésus dans sa passion, à n’être plus que fils5, est ce soupir et ce cri qui révèle, dans la rencontre avec lui, que la condition d’enfant de Dieu est intérieure à la condition humaine qu’elle transcende: «plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même»6.

Trois remarques méthodologiques s’imposent à ce stade. Tout d’abord, dans le temps limité de cette leçon, nous ne pourrons qu’esquisser quelques traits de la «théologie de la filiation» de notre auteur et de sa pertinence sotériologique, qui font l’objet d’un commentaire plus ample dans les deux parties centrales de notre ouvrage Théologie de la filiation et universalité du salut. L’anthropologie théologique de Joseph Wresinski, fruit de notre dissertation doctorale. Ensuite, les limites du présent exposé ne nous permettront pas non plus, autant qu’il serait souhaitable, de faire toujours droit explicitement à l’enracinement de cette théologie dans l’expérience des exclus, auquel nous avons consacré la première partie du livre (ch. i-iv) et le premier chapitre de chacune des parties centrales (respectivement ch. v et ix) et qui, en fin de compte, affleure à chaque page de notre contribution. Il faudra cependant ne jamais le perdre de vue. Enfin, nous nous situerons ici davantage dans la ligne des perspectives de recherche dégagées à la fin de notre ouvrage: il ne s’agit plus tant d’interroger la Tradition pour éclairer la pensée de J. Wresinski, que d’interroger la Tradition à partir des réflexions de notre auteur. Le fondateur d’ATD Quart Monde et les plus pauvres dont il se fait la voix «donnent à penser» au théologien. Cette leçon n’est donc pas, à proprement parler, un résumé de l’ouvrage publié.

Il est temps d’entrer dans le vif du sujet. Après avoir situé la «théologie de la filiation» au cœur de la foi chrétienne, nous réfléchirons à sa relation à la création, puis au salut et à la divinisation, enfin comme vocation et mission dans le monde au service de «l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain» dont l’Église est «le sacrement»7.

I La «théologie de la filiation», cœur de la foi chrétienne

En invitant, à la suite des familles du Quart Monde, à contempler la filiation divine de tout homme, le P. Wresinski met en lumière la réalité la plus fondamentale de la foi chrétienne. La «théologie de l’homme, fils de Dieu», qu’il appellera dans un de ses textes la «théologie de la filiation»8, exprime à la fois le projet créateur, le sens de l’incarnation et de l’enhumanisation du Fils de Dieu9, la révélation du mystère trinitaire du Père, du Fils et de l’Esprit, le sens filial du sacerdoce du Christ souligné par l’épître aux Hébreux, la signification du salut mise en évidence spécialement dans les épîtres aux Romains et aux Galates, la finalité divinisatrice du dessein de Dieu dans l’histoire, qui est de faire de nous des «fils dans le Fils», selon l’expression d’É. Mersch10, enracinée dans l’Écriture (Jn 1,12; Rm 8,14-30; Ga 3,26-4,7; 1 Jn 3,1; Ap 21,7) et la Tradition, et reprise dans Gaudium et spes, n. 22 §6. La «théologie de la filiation» concerne donc les deux mystères centraux et distinctifs de la foi chrétienne, à savoir la Trinité (Dieu comme communion de personnes et mystère d’engendrement) et l’Incarnation (Dieu prenant chair dans sa créature et venant habiter en nous: Jn 1,14), et leur relation «à nous les hommes et à notre salut», à savoir l’appel à vivre éternellement d’une relation personnelle avec Dieu, de l’ordre d’un engendrement («Toi, tu es mon Fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré»: Ps 2,7)11, qui fonde une fraternité. J. Ayan Calvo a pu dire que «l’on rencontrera difficilement dans la pensée du christianisme primitif un concept aussi transversal que celui de filiation»12. Une mise en contraste de cette théologie avec l’Islam serait sans doute éclairante sur ces différents points.

Dans l’accueil de ce mystère de paternité infinie de Dieu rencontrant l’infinie souffrance des plus exclus, il en va, pour J. Wresinski, «de la nature même de Dieu»13, en lui-même et dans sa relation à nous: la question est théologique. Mais indissolublement, il en va du mystère de l’homme qui, en vertu de la création dans le Christ (Col 1,16), de l’Incarnation et de la signification éternelle de l’humanité de Jésus14, appartient de droit au mystère de Dieu. La question est donc aussi anthropologique, de l’ordre d’une anthropologie théologique, qui signifie non seulement que l’homme est vu dans le regard de Dieu15, mais que Dieu est perçu dans son éternelle relation à l’homme, en son Fils, le Verbe fait chair16. L’expression paradoxale «théologie de l’homme, fils de Dieu»17 indique cette intime relation du mystère de Dieu et de l’homme, qui est le centre christologique et trinitaire de la foi chrétienne dans le Verbe fait chair pour l’éternité. La filiation divine définit l’identité humaine en inscrivant le mystère de l’homme dans le mystère de Dieu, puisque ce dernier, pour J. Wresinski18, est le mystère de la vie et des hommes. Le regard de Dieu sur l’homme est celui qu’il porte sur son propre Fils, assis dans son humanité glorifiée à la droite du Père. Ce n’est pas tant Dieu qui est vu dans le pauvre (l’invisible dans le visible), que le pauvre en Dieu (le visible dans l’invisible), où «[leur] vie est cachée avec le Christ» (Col 3,3).

Pour notre auteur, dans son combat contre la misère, la reconnaissance de la filiation divine de tout homme — riche, pauvre ou misérable — fonde sa dignité inaliénable d’enfant de Dieu, appelle à la reconnaissance de ses facultés de mémoire, d’intelligence et de volonté, invite à la fraternité, car «les fils ont en commun le sang et la chair» (He 2,14-15) et partagent le même droit à participer à la table commune. La «théologie de la filiation» répond adéquatement au drame de la misère, expression du scandale de la division de l’humanité, dont la racine est spirituelle, puisqu’elle repose, à son estime, sur une «erreur de la pensée» ou anthropologie tronquée selon laquelle il y aurait nécessairement une part de déchet dans l’humanité. Le cœur de la foi devient ainsi le fondement d’un projet associatif interconvictionnel19 (le Mouvement ATD Quart Monde) et d’une perspective politique fondée sur le principe de communion plutôt que sur la lutte des classes: l’expression «théologie de la filiation» a été forgée par J. Wresinski dans le cadre de son discernement critique des théologies de la libération latino-américaines20.

II Filiation et création

1 Dimension filiale et trinitaire de l’acte créateur

Nous avons été créés par Dieu à partir de rien: ex nihilo a Deo. Cette affirmation, qui répond à la question «par qui et comment avons-nous été créés?», manifeste la liberté, la gratuité, la magnificence de Dieu dans son acte créateur. Notre création relève d’un libre dessein d’amour de Dieu. L’assertion souligne l’altérité de Dieu, sa souveraineté, une forme d’extériorité entre lui et sa créature, sans lesquelles une relation personnelle entre Dieu et l’homme serait impensable: une perspective panthéiste, moniste, ne le permet pas. Car «l’amour suppose une pluralité de personnes distinctes», dira Richard de Saint-Victor à partir de notre expérience, et cela vaut même en Dieu: dire que «Dieu est amour» implique, selon lui, la confession trinitaire21.

Mais cette affirmation de la création ex nihilo a Deo ne dit qu’un aspect du mystère chrétien de la création. Il faut encore nous demander: en qui et pour qui avons-nous été créés? Dans le célèbre hymne qui figure au début de l’épître aux Colossiens, saint Paul répond, dans cet ordre: «nous avons été créés dans (en), par (dia) et pour ou vers (eis) le Christ» (Col 1,16). Il ne dit pas seulement «pour» ou «en vue de» lui, comme la finalité du projet créateur; ou seulement «par» ou «à travers» lui, comme un instrument de ce dessein (cf. Jn 1,3); mais d’abord «en Lui», le Verbe et Fils éternel qui a pris chair en Jésus, le Christ. Notons qu’il réfère ici l’acte créateur non au Verbe éternel, mais au Christ, Verbe incarné, indiquant ainsi la relation constitutive de l’Incarnation à la création, et non simplement sa fonction rédemptrice, en raison du péché. Avant même que le Verbe, le Monogène, c’est-à-dire l’Unique-Engendré, vienne habiter en l’homme (Jn 1,14) à la plénitude des temps (Ga 6,4; He 1,2), ce dernier est créé en lui, quoique distinct de lui. Il y participe déjà de sa grâce filiale et de la prérogative d’élection du Fils rappelée à la transfiguration dans le récit lucanien (Lc 9,35: «Celui-ci est mon Fils, l’Élu»): «il nous a élus en lui dès avant la fondation du monde […] nous prédestinant vers la filiation adoptive par Jésus Christ» (Ep 1,4.5). Notre être en Christ, notre être de fils en présence du Père et dans la nuée de l’Esprit, au fondement de notre liberté de créatures, est plus originaire que le péché. «Avant d’être des fils d’hommes, nous sommes des fils de Dieu», écrira J. Wresinski22, proche en cela de Durrwell23 ou de Michel Henry24. En ce sens, Rahner dira que «ce qui rend possible l’homme, c’est la possibilité qu’a le Verbe de sortir de lui-même pour s’exprimer dans une créature»25. Ce n’est pas l’homme qui rend possible l’Incarnation, c’est le dessein d’Incarnation du Verbe, en tant qu’il est l’expression du Père, qui rend possible l’homme, sommet (Gn 1) et centre (Gn 2) de la création.

La création en Christ indique son intériorité au Créateur, non sous la forme d’une confusion panthéiste, mais, selon l’expression blondélienne, d’une assomption pan-en-théiste qui suppose une distinction posée à l’intérieur de l’unité, à l’image de la Trinité: la créature n’est pas Dieu, mais en Dieu. Elle procède ex plenitudine, écrit Durrwell26: ex dit l’altérité, plenitudine dit l’intériorité d’une fécondité débordante capable de faire place à l’autre en son propre mystère. Dans cette perspective, on ne peut plus séparer l’ordre naturel de l’ordre surnaturel. Les réflexions du P. de Lubac rendaient ainsi possible la «théologie de la filiation» de J. Wresinski, même si cette dernière, plus proche de la christologie cosmique d’un Teilhard de Chardin ou des accents eckartiens de la philosophie de M. Henry, en radicalise l’inflexion, non plus en termes de désir naturel du surnaturel, mais plutôt d’inhabitation trinitaire.

S’offre ainsi une manière renouvelée de penser l’unité ad extra des opérations trinitaires, affirmée aux Conciles de Tolède (675) et de Florence (1442)27, non comme un acte rapporté indistinctement à l’unité d’essence, mais comme l’expression de l’engagement de la communion trinitaire, selon la distinction des personnes. J. Wresinski, dans son débat critique avec les théologies de la libération, y voyait un enjeu essentiel du point de vue d’un combat contre la misère, fondé sur l’unité du projet de Dieu concernant l’humanité, qui ne se transforme pas en «combat contre des hommes»:

C’est là que cette séparation du Christ d’avec la Trinité, cette sorte de mise en vedette du Christ par rapport à l’ensemble de la Trinité que nous avons opérée [a abouti] au rejet du pauvre, à son utilisation comme alibi. De ce fait, les hommes ne savent plus qu’ils ont affaire à un projet commun, un projet qui vient du fin fond de l’Éternité, qui est le projet même de la Trinité: “Que vous soyez tous un, comme mon Père et moi, nous sommes un. Celui qui me voit, voit le Père, soyez un comme nous sommes un”28.

Dieu le Père, qui nous a créés dans, par et pour le Christ, nous voit en lui dès l’origine, comme des fils de surcroît en qui il renouvelle tout son mystère29, comme des vis-à-vis filiaux de sa paternité: «À travers son Fils, ce sont eux [les humbles] que le Père, lui, voit»30. Voilà pourquoi, comme l’a indiqué Rahner31, c’est au Fils, au Verbe, à celui qui, dans la Trinité, est l’expression du Père, sa parfaite image, «l’effigie de sa substance» (He 1,3), qu’il appartenait de s’incarner32 en celui qui fut créé en lui «dans l’image et comme la ressemblance de Dieu» (Gn 1,26): «il est venu dans son bien propre» (Jn 1,11).

2 L’homme, fils de Dieu: un être de don

Affirmer que l’être de l’homme est d’essence filiale le situe à l’égard de son Créateur dans une relation d’engendrement et de gratitude qui est, pour la créature, l’épreuve de sa finitude: «la joie du oui dans la reconnaissance du fini», écrit A. Léonard, corrigeant la formule de Ricœur33. Par analogie avec le vocabulaire intratrinitaire, on pourrait dire que tout fils, par rapport à son père, est un alius, sed non aliud: un autre (singulier), mais pas autre chose (neutre). Le fils, dit Lévinas, n’est ni le tout-autre de son père, ni sa parfaite identité, mais sa fécondité34. Cette relation filiale fait de l’homme un être-en-dette de son père, qui n’accède à lui-même que dans l’action de grâce pour le don reçu — qui est son être même et sa liberté de sujet doué de mémoire, d’intelligence et de volonté — : «qu’as-tu que tu n’aies reçu?» (1 Co 4,7). L’homme est donc un être de don, en sa source, en tant que fruit d’un amour donné à lui-même, et en sa fin, en tant qu’il ne se réalise qu’en redonnant, partageant, communiquant le don, de manière eucharistique. Pour le fondateur d’ATD Quart monde, cela doit se vivre dans un triple partage: de l’honneur, du savoir et des richesses («être et avoir»).

Selon lui, l’homme, «fils d’Adam, fils de Dieu» (Lc 3,38) a vocation d’aimer et de susciter l’amour. Il est co-responsable de la faculté d’être de son frère, ce que notre auteur exprime en réinventant le sens du terme co-existence. Ce vocable ne signifie pas à ses yeux une juxtaposition d’individus. Il indique au contraire cette faculté de se poser mutuellement dans l’existence, en permettant à chacun de se déployer et de sortir dans l’être (ex-sister): «D’une co-existence qui rende l’autre continuellement présent à soi-même. Qui nous pousse à vouloir que l’autre réussisse à créer l’amour à son tour, à le partager. Car un grand amour ne se garde jamais pour soi»35. Pour le fondateur d’ATD, l’amour reçu et communiqué est la marque de l’Esprit de filiation, même en dehors de l’appartenance visible au corps ecclésial.

III Filiation et salut

1 De la dispersion du péché à l’unité d’origine

La Bible est jalonnée d’histoires de généalogies. Elle est même tout entière le récit d’une filiation: celle de l’humanité par rapport à Dieu (Ml 2,10: «N’avons-nous pas tous un même Père? N’est-ce pas un même Dieu qui nous a créés?»; cf. Is 64,7), symbolisée en «Adam, fils de Dieu» (Lc 3,38). La création est contée en terme d’engendrement: «Telles furent les générations (tôledoth) du ciel et de la terre quand ils furent créés» (Gn 2,4a). L’épreuve de la liberté est aussi narrée à travers le jeu des rapports de filiation et de fraternité. Le premier péché, celui d’Adam, apparaît comme un parricide, le deuxième, celui de Caïn, comme un fratricide. L’unité de l’image est brisée, touchant toutes les dimensions de l’existence (Dieu, l’homme et la femme, le reste de la création, la transmission de la vie et le travail): la dispersion s’ensuit (Gn 11,8-9). L’humanité, diront les Pères, est devenue une «brebis perdue» (Ps 119,176; Mt 18,12-14; Lc 15,4-7), le blessé au bord de la route (Lc 10,29-37) ou encore le fils prodigue (Lc 15,11-32)36 à la recherche desquels Dieu, Bon Pasteur, Bon Samaritain et Père miséricordieux se met en route, dès le ch. 12 de la Genèse, avec la vocation d’Abraham «par qui se béniront toutes les familles de la terre» (Gn 12,3). L’Alliance, la Nouvelle Alliance et la nouvelle création sont aussi sous le signe de la filiation. Le lien entre filiation et salut est posé en Rm 8 et Ga 4, tout comme en Mc 14 (les trois lieux scripturaires où apparaît l’expression «Abba, Père»).

La misère, pour J. Wresinski, en tant qu’elle implique l’exclusion de l’homme par l’homme, la non-reconnaissance de sa dignité de fils de Dieu, est à la fois la révélatrice du péché du monde, dont elle porte le poids, et un appel à reconstituer l’unité brisée de l’humanité en sa commune identité filiale. Or des fils dispersés, qui se dressent les uns contre les autres ou s’ignorent dans l’indifférence, n’en restent pas moins des fils. Si la filiation divine est inscrite dans l’œuvre de notre création dans le Christ, si elle participe de l’être et de la bonté inamissible de l’image, elle ne peut être annulée par le péché. Dans cette perspective, Jean-Paul II, dans Dives in misericordia, reprend la parabole du fils prodigue (Lc 15,1-32). L’humanité est une humanité de prodigues. Or, «un fils, même prodigue, ne cesse pas d’être réellement fils de son père»37, avant même son retour dans l’unité de la maison paternelle.

Caïphe, en sa qualité de grand-prêtre, nous dit saint Jean, prophétisa que «Jésus devait mourir pour la nation» et, semble ajouter l’évangéliste, «non pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés» (Jn 11,52). Enfants de Dieu, ils le sont donc par naissance, dira le P. Wresinski38. L’œuvre de Jésus est de les rassembler de la dispersion à l’unité. Or cette unité, pour le fondateur d’ATD Quart Monde comme pour J. Vanier, ne peut se faire qu’autour des plus pauvres. La mission des très pauvres revient donc à faire l’anamnèse du testament du Christ, en particulier de sa prière sacerdotale pour l’unité (Jn 17), et à coopérer avec lui à son œuvre de rassemblement de tous les hommes dans la maison du Père, aux nombreuses demeures (Jn 14,2). En cela consiste le salut: être sauvé de la brisure de l’image, de ce qui empêche la communication réciproque de l’amour39, de ce qui conduit à l’accaparement du fruit de l’arbre de la science (Gn 3,6; Lc 11,52). La filiation retrouvée dans la plénitude, c’est-à-dire dans l’unité et la reconnaissance mutuelle, est l’expression même du salut de Dieu: «Et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes vers moi» (Jn 12,32).

2 Divinisation et filiation

«Le Christ Jésus notre Seigneur: il n’est pas, il ne fut pas, il ne sera jamais d’homme dont la nature n’ait été assumée par lui», disait le Synode de Quierzy de 85340. Dans la même tradition, le n. 22 de la Constitution Gaudium et spes, sans doute le plus important du point de vue théologique, affirme que «par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme»41. J. Wresinski se situe dans la ligne de cette reprise de la «théorie physique» (ou union salvifique du Verbe avec toute la nature humaine dans l’Incarnation) dont on trouve la trace non seulement chez les grecs, mais aussi chez quelques latins, tels Hilaire de Potiers (la concorporatio, en Ep 3,6)42. Mais elle n’est en rien exclusive du mystère pascal, où s’achève l’unité entre le Fils et les fils d’adoption. Pour notre auteur, Dieu en Jésus se fait lui-même le plus pauvre (christologie kénotique du «Fils de Dieu fait homme de la misère») pour sauver tous les hommes en filialisant tout le corps de l’humanité (Incarnation). Mais c’est la traversée des trois jours, la Résurrection, l’Ascension et la session dans la gloire qui fondent la filiation divine de tout homme dans l’assomption glorieuse par le Fils, au sein de la Trinité, de toute l’humanité assumée par le bas (christologie de l’Ascension et de l’exaltation), au point, dira le P. Wresinski, qu’avec le Christ, «[Non seulement] la pauvreté des hommes est entrée au paradis, mais aussi la pensée des hommes [pauvres], mais aussi l’amour des hommes pauvres, des hommes concubins, des hommes incestes»43. Il reprend ainsi à sa manière et radicalise l’expression traditionnelle de la sotériologie des Pères: «n’est sauvé que ce qui a été assumé»44.

La «théologie de la filiation» exprime ce qu’est la divinisation en régime chrétien: «Telle est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme et le Fils de Dieu, Fils de l’homme: c’est pour que l’homme, en se mélangeant au Verbe et en recevant ainsi l’adoption filiale, devienne fils de Dieu»45. La divinisation ne signifie pas seulement une participation à la «nature divine» dans son unité d’essence (2 P 1,4), mais à la Vie de la Trinité. Elle suppose l’inhabitation trinitaire, plus particulièrement la configuration au Fils qu’opère l’Esprit, pour nous rendre au Père. Nous sommes dans l’ordre de ce que les médiévaux ont appelé la «grâce incréée»: la présence personnelle de l’Esprit. «L’Esprit lui-même témoigne avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu» (Rm 8,16). En découlent, comme d’une source, les effets de la grâce en nous, ce que l’on appelle la «grâce créée» («avec notre esprit»). La «théologie de la filiation» est l’expression du don de Dieu, la manifestation de l’Esprit répandu sur toute chair à la Pentecôte (Ac 2,17, citant Jl 3,1).

3 Filiation et justification par la foi

Accent plus typiquement catholique46, la «théologie de la filiation» est un élément essentiel de notre justification par la foi. En regardant l’œuvre du péché en l’homme, en observant certaines dérives spirituelles de la pratique des œuvres dans l’Église de son temps, Luther a réaffirmé, à la suite des épîtres aux Romains et aux Galates, la justification par la seule foi au Christ, unique Sauveur. Les œuvres en sont le fruit, non la cause, écrit-il. Au moment de la mort, le pécheur dont les péchés pourraient inquiéter la conscience47, si son salut en dépendait strictement, s’apaise en regardant avec foi la croix du Christ. Cette réalité existentielle est vécue avec acuité dans le monde de la misère, où l’éthique des vertus est difficile. Les plus pauvres vivent l’expérience de Rm 7,19: «je ne fais pas le bien que je veux, et le mal que je ne veux pas, je le commets»48. Dans le monde de l’extrême pauvreté, tout relent de pélagianisme, même sécularisé, est désespérant et consomme la misère et l’exclusion. La paix peut être donnée par la foi et l’espérance en ce Christ qui,

de condition divine, n’a pas revendiqué son droit d’être traité à l’égal de Dieu, mais s’est dépouillé, prenant la condition d’esclave, devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme, s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix.

(Ph 2,6-8)

«Une telle espérance ne devient pas affirmation arbitraire; elle remet sa supplique entre les mains du Seigneur et l’abandonne», écrit J. Ratzinger49. L’assurance et l’espérance ne se contredisent pas nécessairement, remarque P. Gervais: «Si assurance il y a, elle est en celui sur qui l’espérance s’appuie»50. Là encore, les plus pauvres vivent de façon aigüe ce que tout homme peut reconnaître dans son histoire propre.

Confronté à la dimension déshumanisante de la misère, J. Wresinski est conduit à regarder la vérité de l’être humain, la part inentamable de sa dignité d’homme, tel qu’il est dans le regard du Père en son Fils. Contempler le Christ, c’est regarder le fond de l’humain dans sa pureté première et filiale, telle qu’elle est sortie des mains de Dieu, mais aussi telle qu’elle a déjà été sauvée par l’acte du Christ. Pour notre auteur, toute la nature humaine a déjà été renouvelée intérieurement, dans toutes les dimensions de son être, «une fois pour toutes» (Rm 6, 10; He 9,12; 10,10) et pour tous, définitivement et irrévocablement, dans le Christ, et nous sommes tous, déjà, enfants de Dieu. En présence d’existences blessées et fragmentées, il est amené à souligner l’absolue gratuité inconditionnelle du salut. Son regard de foi épouse l’espérance de Dieu «qui veut que tous les hommes soient sauvés» (1 Tm 2,4). De là vient qu’il souligne le déjà-donné du salut, le déjà-là de la filiation divine, le don sans repentance (Rm 11,29): «espérer, c’est vivre pleinement le demain qui arrive, qui pour nous est déjà arrivé, car le monde est sauvé»51. Seul un don parfaitement gratuit, c’est-à-dire inconditionnel, peut être vraiment universel en acte, alors que l’accomplissement d’un don conditionné sera toujours suspendu à la réalisation effective par le destinataire des conditions posées dans le don. Le P. Wresinski renverse l’argument traditionnel de type augustinien. Là, la gratuité se manifeste par sa rareté, ici par sa surabondance inconditionnelle: «Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde» (Rm 11,32).

4 Filiation et libération

Le salut, qui est reconstitution, par le pardon reçu, de l’image blessée, ou rassemblement dans l’unité de Dieu des fils que le péché a dispersés, réside dans la participation à la vie divine de la Trinité, avec tout ce qu’elle comporte de déploiement personnel, social et culturel de la vie humaine. La filiation et la fraternité sont la guérison du parricide et du fratricide des origines. La théologie de la filiation, pour notre auteur, est le vrai nom de la libération, celle de fils libres en présence du Dieu libre. Le péché est domination, avidité, esclavage: entrer dans la filiation, c’est entrer dans le recevoir et le rendre, et donc dans la liberté. Pour J. Wresinski, il n’y a pas de théologie de la libération qui ne passe par une théologie de l’homme, fils de Dieu: celle-ci garantit la prise en compte réelle de la parole de l’ultime et sa participation à la construction de la «Cité de Dieu» parmi les hommes52.

5 Le baptême, translatio de la dispersion à l’unité?

Le P. Wresinski s’attarde moins sur l’accueil ou le refus de la grâce, sur le «toujours davantage» où se déploie le don dans l’histoire d’une liberté. Pour lui, celle-ci ne se conçoit qu’à l’intérieur d’un univers déjà totalement gracié, de sorte que la plus pâle lueur de son consentement suffit pour faire entrer dans une âme la lumière du salut. Mais si tous les hommes sont déjà fils de Dieu, par nature et par grâce53, qu’en est-il du baptême, pour notre auteur? Nous nous sommes risqué à une hypothèse: l’expression dit notre conscience de son caractère hypothétique, ouvert à la discussion, même si nous l’avons voulue enracinée dans l’Écriture et la Tradition et en cohérence avec la pensée de l’auteur. Certes, dans le dessein de Dieu qui nous a créés en son Fils, tous les hommes sont déjà fils de Dieu. Or, «les fils sont libres» (Mt 7,26): la filiation fonde leur liberté et les appelle à consentir. Mais l’histoire du péché montre que la liberté a dit «non» et qu’en retour ce «non» l’a blessée. Fils de Dieu, les hommes le demeurent, mais sous le mode de la dispersion, sous le mode du prodigue. Le baptême opère, dans la visibilité ecclésiale, ce transfert (translatio) dans le Royaume du Fils bien-aimé (Col 1,13; l’expression est reprise par le Concile de Trente54). Il réalise cette translation de la dispersion à l’unité, de l’exil du prodigue à son retour dans la maison du Père, où il retrouve sa dignité de fils que lui-même croyait avoir perdue (Lc 15,19.21), mais que son Père ne lui avait jamais retirée (Lc 15,20.24), ce qui ne l’empêche pas de parler de son fils comme «d’un mort revenu à la vie» (Lc 15,24). Le baptême a donc bien une réalité ontologique, de l’ordre d’un passage de la mort à la vie, d’une résurrection: le fils, qui n’a cessé de l’être dans le regard d’espérance du Père, renaît à sa filiation. Il ne devient pas à proprement parler fils de Dieu: il renaît fils de Dieu. Il reçoit le pouvoir de devenir dans l’unité (Jn 1,12) ce qu’il est déjà dans la dispersion (Jn 11,52).

Pour le non chrétien, cette renaissance, qui est participation au mystère pascal du Christ, ouverte au consentement de la liberté, s’opère par d’autres voies que Dieu seul connaît: «puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal» (Gaudium et spes, n. 22, §5). Pour le fondateur d’ATD Quart Monde, les autres traditions religieuses, qu’il considère positivement suscitées par Dieu55, peuvent jouer ce rôle. Mais à la suite de Mt 25,31-46, il estime que le salut leur adviendra sans doute surtout par la médiation des très pauvres et le dépouillement des idoles qui s’impose à ceux qui les rejoignent en vérité. Les plus pauvres sont, par le Christ, rendus médiateurs de la filiation universelle pour tous les hommes de bonne volonté. Par là même, il maintient la tension de la liberté entre ce qui est toujours déjà donné, par l’Incarnation et le Mystère pascal de l’unique Médiateur répandant son Esprit sur toute chair, qui donne d’«espérer pour tous» (Balthasar) et de croire en tous, et ce qu’elle a à accueillir en vérité et plénitude, par la médiation visible de l’Église, du Mouvement ATD ou des très pauvres, en reconnaissant humblement ce dont sa faillibilité doit être sauvée. «Tout est accompli» (Jn 19,30), mais s’offre au consentement libre, dont Marie, Vierge des pauvres, est l’icône.

IV Filiation comme vocation et mission

La filiation divine n’est pas un état statique. Elle fonde une vocation et une mission (cf. Balthasar) d’être «sauveur de ses frères», de réaliser ensemble et les uns par les autres la vocation divine, de devenir coopérateurs de l’œuvre de Dieu (1 Co 3,9), ce qui, soit dit en passant, implique qu’il y a un salut à faire ad-venir, «car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu» (Rm 8,19). En ce sens, «tout homme est chargé de sacerdoce», dira J. Wresinski56, renouant avec l’antique tradition d’un sacerdoce adamique. La mission de coopération n’est pas la source du salut, elle suppose et procède de l’œuvre rédemptrice. Pour le fondateur d’ATD, «l’existence du Pauvre en marge est la preuve que nous ne vivons pas pleinement notre filiation à Dieu»57. Il est la pierre de touche de notre vocation et mission dans le monde.

La filiation oblige à penser de façon trinitaire, donc en communion. Celui qui reconnaît en tout homme, riche, pauvre ou très pauvre, religieux ou sans-religion, de gauche ou de droite, sa dignité inaliénable d’enfant de Dieu, devient un agent de communion dans le monde. Il participe au rassemblement de ses frères dispersés. Il substitue à la logique exclusive du conflit la logique inclusive de la communication réciproque. Le monde de la misère est marqué par une grande violence. Pourtant, l’école des plus pauvres est une école de paix.

Enfin, l’affirmation de la présence de l’Esprit à l’œuvre en tout homme («l’Esprit partout»58, «l’Esprit est en chacun, croyant ou non»59) et la perception de la filiation divine universelle ne devrait pas affaiblir le sens missionnaire des chrétiens, mais au contraire l’aviver: si Dieu nous a précédés, si le cœur humain est déjà secrètement préparé à le recevoir, n’est-ce pas une invitation pressante à coopérer? Car pour les pauvres en particulier, pour qui la foi est existentiellement une question de vie ou de mort, demeurent vrais les mots de saint Paul: «Comment donc invoqueraient-ils celui en qui ils n’ont pas cru? Et comment croiraient-ils en celui qu’ils n’ont pas entendu? Et comment entendraient-ils sans que personne proclame?» (Rm 10,14). Dans une conférence, le P. Wresinski s’exclame:

Qui a jamais dit à Mathilde: “Ton père qui se prive de nourriture pour payer le voyage à l’orphelinat, ton père qui vit sans ressources dans une chambrette, pour être proche de la ferme où tu travailles dur à tes 16 ans, et toi qui vas le voir en cachette, tout cela, c’est l’amour, un amour qui vient de Dieu.” Qui a dit à cette mère de famille: “Ton bébé reposant dans une corbeille à linge, c’est notre Seigneur; toi et ton foyer constamment en fuite, vous êtes la Sainte Famille; toi pleurant tes enfants, tu es Rachel.” Qui a parlé à Mathilde des béatitudes: “Tes voisins pauvres comme toi et qui te nourrissent, ton mari humilié et toi qui le visites à la prison, toi qui subis l’injustice sans comprendre, le Royaume est à vous”60.

Il y aurait une incohérence à opposer dialogue et annonce, respect de la part de vérité qui est en l’autre et mission, Nostra aetate et Ad Gentes.

5 Conclusion: «Jésus seul, avec eux»

«Et ils ne virent plus personne que lui Jésus, seul», dit saint Matthieu au terme du récit de la transfiguration (Mt 17,8), «avec eux» ajoute saint Marc (Mc 9,9). Parce qu’ils ont peu d’appuis humains, les très pauvres, quand ils ont eu la grâce de connaître le Christ, nous reconduisent vers Celui qui devrait être, en toutes choses, notre seul appui: «lui Jésus, seul avec nous». Jésus est l’Emmanuel, «le Dieu avec nous» (Mt 1,23), car il est venu témoigner de l’amour infini du Père envers ses fils prodigues et rassembler dans l’unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés: «À ceux qui l’ont accueilli, il leur a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu» (Jn 1,11). La vie des pauvres témoigne avec l’Esprit de cet irréductible de la filiation divine, source de la dignité de tout homme. Elle atteste que la vie chrétienne consiste essentiellement en une grâce filiale: être uni au Fils, docile à l’Esprit comme Lui, tourné vers le Père comme lui, participant de la vie intratrinitaire. Au point, dira Jean de la Croix, de spirer l’Esprit en Dieu61: «l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle» (Jn 4,14; cf. Jn 7,38b: «de son sein couleront des fleuves d’eau vive»). Cette grâce se vit au milieu de frères, car «il faut se sauver ensemble, il faut arriver ensemble chez le bon Dieu»62. Lorsque nous prenons conscience que nous sommes fils dans le Fils, alors peut survenir une grande paix. Au moment de mourir, à l’approche du jugement, «l’accusateur de nos frères» (Ap 12,10) cherchera à nous inquiéter en soulevant devant nos yeux la longue suite de nos fautes et de nos péchés, de nos dons et talents gaspillés, de nos failles et de nos erreurs, de nos tiédeurs complices, de nos manques de foi, d’espérance et de charité envers Dieu et nos frères, en particulier les plus pauvres. Notre seule paix sera de savoir que le Père nous voit comme des fils en son Fils, en qui il nous a créés et qui s’est enhumanisé pour être notre réconciliation, celle de prodigues pardonnés. «C’est parce que le monde est encore bon qu’il est susceptible d’être sauvé»63, disait Rahner. La «théologie de la filiation» nous rappelle que, depuis les origines de l’Église, sotériologie et christologie vont de pair, la première commandant même souvent la seconde.

Les filiations humaines, par l’avancée de la technique reproductive et la décomposition et recomposition des familles, sont fragilisées et les repères sont brouillés aujourd’hui, dans presque tous les milieux. Cela, les plus pauvres le vivaient depuis longtemps. Le sentiment élémentaire de fraternité est aussi soumis à de rudes épreuves. Le monde de la misère en a payé le prix, depuis les origines. Plus que jamais, dans ce contexte, la «théologie de la filiation» est un don précieux que les très pauvres nous aident à redécouvrir, tournant nos regards vers «le Père de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom» (Ep 3,14-15). La filiation divine est stable, ferme, sans exclusive, car son ancre est fixée au-delà du voile (He 6,19) où le Fils est entré pour accomplir le dessein du Père «voulant conduire à la gloire de nombreux fils» (He 2,10). Ainsi dans le quotidien des jours et des nuits, des chutes et des relèvements, «l’Esprit lui-même témoigne avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu». Ce commun témoignage de l’Histoire et de l’Esprit nous gonfle d’espérance, comme le dit saint Jean: «Bien-aimés, maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que, s’il vient à se manifester, nous serons semblables à Lui, parce que nous le verrons tel qu’Il est» (1 Jn 3,2).

Notes de bas de page

  • * Conférence inaugurale prononcée lors de la rentrée académique du 26 septembre 2011 à la Faculté jésuite de théologie à Bruxelles (IÉT).

  • 1 J. Wresinski, Conférence publique 73VERSAI-1J23-6/7, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation et universalité du salut. L’anthropologie théologique de Joseph Wresinski, coll. Cogitatio Fidei 277, Paris, Cerf, 2011, p. 177.

  • 2 Irénée de Lyon, Ad. Haer. IV, 34,1.

  • 3 J. Wresinski, Homélie H790202-K 1-2/4, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation … (cité supra n. 1), p. 237.

  • 4 M. Luther, «Commentaire de l’épître aux Galates. II», dans Œuvres XVI, Genève, Labor et Fides, 1972, n. 583, p. 93.

  • 5 «Jésus sera l’homme dépouillé et nu, revêtu de sa seule dignité première et unique de Fils de Dieu»: J. Wresinski, Conférence publique 85WASHIN. DOC-IJ25-3/10, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation … (cité supra n. 1), p. 250.

  • 6 Augustin, Conf. III, 10: «interior intimo meo, et superior summo meo

  • 7 Lumen Gentium, n. 1.

  • 8 J. Wresinski, Les pauvres sont l’Église, Paris, Centurion, 1983, p. 221. Comme saint Paul en Rm 8, notre auteur ne paraît pas distinguer «fils de Dieu» (huios theou) et «enfants de Dieu» (tekna theou).

  • 9 Symbole de Nicée-Constantinople, DZ 125.150.

  • 10 É. Mersch, «Filii in Filio. I. Écriture. Tradition. II. Théologie. III. Le surnaturel», dans NRT 65 (1938) 551-582, 681-702, 809-830.

  • 11 Cf. Eckhart, Sermons 5, 6, 10 et 12, dans Traités et sermons, Paris, Flammarion, 1995.

  • 12 J. J. Ayán Calvo, P. de Navascués Benlloch, M. Aroztegui Esnaola, éd., Filiación. Cultura pagana, religión de Israel, orígenes del cristianismo. Actas de las I y II Jornadas de Estudio «La filiación en los inicios de la reflexión cristiana», Madrid, Trotta, 2005.

  • 13 J. Wresinski, Les pauvres, rencontre du vrai Dieu, Paris, Cerf, 1986, p. 120.

  • 14 Cf. K. Rahner, «La signification éternelle de l’humanité de Jésus dans notre rapport avec Dieu», dans Éléments de théologie spirituelle, coll. Christus 15, Paris, DDB, 1964, p. 35-49.

  • 15 Cf. le projet de saint Thomas pour qui «omnia … tractantur in sacra doctrina sub ratione Dei, dans la doctrine sacrée, on traite tout sous la raison de Dieu ou du point de vue de Dieu» (ST I, q. 1, a. 7, resp.).

  • 16 Cf. J. Moingt: «l’en soi» et le «pour soi» de Dieu est d’être «pour nous», «avec nous» et «en nous», «comme une disposition éternelle de son être» (Dieu qui vient à l’homme II. De l’apparition à la naissance de Dieu. 1. Apparition, coll. Cogitatio fidei 245, Paris, Cerf, 2005, p. 76); voir aussi Id, L’homme qui venait de Dieu, coll. Cogitatio fidei 176, Paris, Cerf, 1993, p. 589; Dieu qui vient à l’homme II. De l’apparition à la naissance de Dieu. 2. Naissance, coll. Cogitatio fidei 257, Paris, Cerf, 2007, p. 1109.1173.

  • 17 Le binôme «théologie de l’homme» se trouve aussi sous la plume de Jean-Paul II.

  • 18 J. Wresinski, Les pauvres, rencontre du vrai Dieu… (cité supra n. 13), p. 110.

  • 19 Dans le sens où il est à la fois interconfessionnel (confessions chrétiennes), interreligieux (autres religions) et interphilosophique (agnostiques, athées).

  • 20 J. Wresinski, Les pauvres sont l’Église … (cité supra n. 8), p. 215-238.

  • 21 Richard de Saint-Victor, De Trinitate, Livre III, coll. Sources Chrétiennes 63, Paris, Cerf, 1999, p. 160-223.

  • 22 J. Wresinski, Homélie H790202, K 1/4, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation… (cité supra n. 1), p. 237.

  • 23 Fr.-X. Durrwell, Le Père. Dieu en son mystère, Paris, Cerf, 1999, p. 121.

  • 24 M. Henry, Paroles du Christ, Paris, Seuil, 2002, p. 47: «Tout homme est fils de Dieu et de lui seul».

  • 25 K. Rahner, Dieu Trinité, fondement de l’histoire du salut, dans Mysterium Salutis VI, Paris, Cerf, 1971, p. 40.

  • 26 Fr.-X. Durrwell, Le Père. Dieu en son mystère… (cité supra n. 23), p. 126.

  • 27 DZ 531.535 et 1330.

  • 28 J. Wresinski, Halte spirituelle 810811.DOC-K 8/30, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation… (cité supra n. 1), p. 226.

  • 29 Cf. la prière à la Trinité de la bienheureuse Élisabeth de la Trinité.

  • 30 J. Wresinski, Halte spirituelle 830512.doc-K 16/46, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation… (cité supra n. 2), p. 247.

  • 31 K. Rahner, Dieu Trinité, fondement de l’histoire… (cité supra n. 25), p. 31-40.

  • 32 Et non à une des autres personnes de la Trinité.

  • 33 A. Léonard, Le fondement de la morale, Paris, Cerf, 1999, p. 99. Ricœur disait: «L’homme, c’est la Joie du Oui dans la tristesse du fini.» (Philosophie de la volonté II. Finitude et culpabilité. 1. L’homme faillible, Paris, Aubier, 1960, p. 156).

  • 34 E. Lévinas, Éthique et infini, Paris, Fayard, 1982, p. 72-73.

  • 35 J. Wresinski, Vivre l’Évangile dans la famille, coll. Cahiers de Baillet, Paris, Éd. Quart Monde, 1993, p. 27.

  • 36 Athanase d’Alexandrie, Contra Arianos I, 42.

  • 37 Jean-Paul II, Dives in misericordia, n. 6.

  • 38 J. Wresinski, Les plus pauvres, révélateurs de l’indivisibilité des droits de l’homme, coll. Cahiers de Baillet Paris, Éd. Quart Monde, 1998, p. 39.

  • 39 Cf. Ignace de Loyola, Exercices spirituels, n. 231 (contemplation ad amorem).

  • 40 DZ 624.

  • 41 «Ipse enim, Filius Dei, incarnatione sua cum omni homine quodammodo Se univit» (§2). Citée, comme un fil rouge, dans la plupart des textes du Magistère de Jean-Paul II depuis Redemptor hominis, cette phrase fut peut-être la référence conciliaire la plus déterminante de sa pensée.

  • 42 Hilaire de Poitiers, De Trinitate. Livres I-III, coll. Sources Chrétiennes 443, Paris, Cerf, 1999, 1,11: «Dieu le Verbe s’est fait chair pour que, par le Dieu Verbe fait chair, la chair montât jusqu’à Dieu le Verbe»; 2,24: «Ainsi, s’étant fait homme, il recevrait de la Vierge la nature de la chair et, grâce à la communauté créée par ce mélange, le corps du genre humain tout entier se trouverait sanctifié en lui. Moyennant cela, de même que tous seraient établis en lui par le fait qu’il a voulu être corporel, de même, réciproquement, lui s’introduirait en tous par ce qu’il y a d’invisible en lui»; 2,25: «Il n’avait pas besoin de se faire homme, Lui par qui l’homme a été fait, mais nous avions besoin, nous, que Dieu devînt chair et habitât en nous, c’est-à-dire s’établît, par l’assomption d’une seule chair, à l’intérieur de toute chair. Son abaissement est notre grandeur, son opprobre, notre honneur. Ce qu’Il est, Lui, Dieu résidant dans une chair, nous le serons à notre tour, passant, renouvelés, de la chair à Dieu.»

  • 43 J. Wresinski, Halte spirituelle 830512.doc-K 16/46, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation … (cité supra n. 1), p. 226.

  • 44 «S’il ne m’avait pas assumé, il ne m’aurait pas sauvé.» (Proclus de Constantinople, Or. 1, PG 65, 687 D); «L’homme n’aurait pas été sauvé tout entier, si [le Sauveur] n’avait pas revêtu l’homme tout entier» (Origène, Entretien avec Héraclide, 7, coll. Sources Chrétiennes 67, Paris, Cerf, 1960, p. 71); «Ce qui n’a pas été assumé n’a pas été guéri; mais c’est ce qui est uni à Dieu qui est sauvé» (Grégoire de Naziance, Lettre 101, 32, coll. Sources Chrétiennes 208, Paris, Cerf, 1974, p. 51).

  • 45 Irénée de Lyon, Ad. Haer. III, 19,1. Cf. Léon le Grand, Sermo 26,2: «Le Sauveur est devenu le fils d’un être humain, afin que nous puissions devenir fils de Dieu».

  • 46 Dans l’accord luthéro-catholique sur la justification, de 1999, la filiation divine n’est citée que dans les formulations différenciées de la partie catholique.

  • 47 Les «terreurs de la conscience», écrivait Luther.

  • 48 Cf. Ga 5,17: «La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair: ils sont opposés l’un à l’autre, de sorte que, ce que vous voulez, vous ne le faites pas.»

  • 49 J. Ratzinger, La mort et l’au-delà, Paris, Communio et Fayard, 1994, p. 226.

  • 50 P. Gervais, Les fins dernières, Bruxelles, polycopié IÉT, 2008, p. 123.

  • 51 J. Wresinski, Conférence publique 80COURCH.DOC-1J20-7/8, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation … (cité supra n. 1), p. 519.

  • 52 J. Wresinski, Les pauvres sont l’Église … (cité supra n. 8), p. 221.

  • 53 Cf. Cyrille d’Alexandrie, Dialogue sur l’incarnation du Monogène, 700 a-b: «Cela afin que nous aussi, en lui et par lui, nous soyons fils de Dieu par nature (phusikôs) et par grâce (kata charin). Par nature, en lui et en lui seul; par participation et par grâce, nous-mêmes par lui, dans l’Esprit.»

  • 54 Décret sur la justification, ch. 4, DZ 1524.

  • 55 «Les prophètes comme Mahomet ont voulu la création d’Églises. Ce sont des interventions précises de Dieu, c’est dans la volonté même de Dieu» (J. Wresinski, Entretien avec le Pasteur Sauvagnat 861110.doc-3 K 4/8, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation … (cité supra n. 1), p. 264. Nous soulignons); «Le seul et unique pouvoir qui est le sien, qui est confié à toutes les grandes religions, et qui consiste à révéler l’homme à lui-même, tel que Dieu l’a voulu, avec toutes ses possibilités d’amour et de dépassement personnel et communautaire, à révéler sa dignité et sa responsabilité» (J. Wresinski, Conférence publique 67FRIBO1.DOC-1J7 4/9, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation … (cité supra n. 1), p. 265. Nous soulignons).

  • 56 J. Wresinski, Les pauvres sont l’Église … (cité supra n. 8), p. 245. Cf. Th. Monfils, Le Père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Sacerdoce et amour des pauvres, Namur, Culture et Vérité, 1994.

  • 57 J. Wresinski, Igloos, n. 21, 1, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation … (cité supra n. 1), p. 170.

  • 58 J. Wresinski, Heureux vous les pauvres, Paris, Cana (L’Évangile lu par…), 1985, p. 20.

  • 59 Ibid.p. 49.

  • 60 J. Wresinski, Conférence publique 84UNESCO.DOC-1J24–9/11, dans A. Begasse de Dhaem, Théologie de la filiation … (cité supra n. 1), p. 542.

  • 61 Jean de la Croix, Cantique spirituel B, strophe 39.

  • 62 C. Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc, dans: Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, 1975, p. 392. Cf. P. Freire, Pédagogie des opprimés, suivi de Conscientisation et révolution, Paris, Maspero, 1974, p. 44-49: «Personne ne libère autrui, personne ne se libère seul, les hommes se libèrent ensemble».

  • 63 K. Rahner, «Problèmes actuels de christologie», dans Écrits théologiques I, Paris, Desclée de Brouwer, 1959, p. 154.

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