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Le Synode sur la nouvelle évangélisation

Dominique Duverne
Alors que se tient le Synode sur la nouvelle évangélisation, l'A., official au Conseil Pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, en rappelle les enjeux et souligne plusieurs points auxquels non seulement les Pères synodaux, mais tous les fidèles de nos «vieilles chrétientés» devraient être attentifs.

Du 7 au 28 octobre 2012, se réunit à Rome la XIIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques, dont le thème est: «La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne». Cet article se veut une modeste tentative de réponse à certaines questions souvent posées à propos de cette réalité. On pense en particulier au contexte français où des interrogations se sont fait jour à son sujet en même temps qu’un enthousiasme rarement rencontré en d’autres pays. C’est d’ailleurs peut-être là l’originalité française eu égard au thème: des hésitations critiques et, simultanément, un engagement très généreux... Il s’agit donc ici du témoignage et de la réflexion d’un «official» du Conseil Pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, au plus près du lieu où s’élabore une réflexion sur cette réalité. Travaillant auprès de Mgr Fisichella, le Président du Conseil Pontifical, dès sa création, j’ai la chance d’être au cœur des informations, des attentes aussi, qui convergent vers nous.

I Le thème de la nouvelle évangélisation

La nouvelle évangélisation est bien entendu une réalité qui existe en dehors du Conseil Pontifical et qui, dans bien des cas, l’a précédé. Elle n’est pas née avec le Conseil qui lui est consacré! Elle préexiste même à l’apparition du terme qui date de 1979, comme chacun sait. C’est en effet cette année-là, dans un document des évêques d’Amérique latine, que l’expression est utilisée pour la première fois et, au cours de cette même année, le Pape Jean-Paul II l’utilise lui aussi à Nova Huta. La concomitance de l’apparition de l’expression, à la fois chez les évêques d’Amérique latine et chez le Pape en Pologne, exprime bien une prise de conscience générale. Jean-Paul II l’a popularisée et le thème a comme parcouru les vingt-sept années de son magistère. Pendant son pontificat, beaucoup ont pris au sérieux cette orientation et ont mis leurs forces et leur enthousiasme à son service. Si le pontificat de Benoît XVI la généralise en quelque sorte, sa réalité est de fait en œuvre depuis Vatican II, et sans doute même auparavant, tant il est vrai qu’il y a lieu de distinguer l’expression «nouvelle évangélisation» de la réalité qu’elle désigne.

Pour mémoire, il nous faut rappeler que le mot «Évangile» n’apparaît qu’une seule fois dans les documents de Vatican I, où l’on ne parle ni d’«évangéliser», ni d’«évangélisation». Par ailleurs, Vatican II emploie le mot «évangile» 157 fois, «évangéliser» 18, et «évangélisation» 31 fois! Mais ce n’est pas tout. Si l’expression «nouvelle évangélisation» date bien de 1979, son contenu est antérieur. Voici ce qu’affirmait le cardinal Gerlier en 1947: «Certains d’entre vous s’étonneront peut-être en voyant le titre de ce Congrès: “Évangélisation 1947”… N’est-ce pas une manie fréquente de vouloir toujours tout renouveler, au moins dans les mots? L’évangélisation doit-elle être soumise à de telles transformations? L’Évangile n’est-il donc plus le même? Certainement pas. L’évangélisation poursuit toujours le même but: répandre cette vérité qui ne change pas, et ne changera jamais. Ce qui a nécessairement changé, c’est la manière de répandre le message. (…) Nous nous trouvons aujourd’hui face à un monde païen qui rejette en bloc toutes les obligations du chrétien, qui ne recherche plus à croire. (…) Face à cette transformation — qui oserait nier qu’elle existe? — vous comprenez que les méthodes ne peuvent pas rester les mêmes.» On croirait ce texte écrit pour nous!

L’affirmation semble d’une brûlante actualité encore aujourd’hui. Plus proche de nous, Evangelii nuntiandi, l’exhortation apostolique de Paul VI en 1974, n’a pratiquement pas pris une ride et apparaît comme une charte de la nouvelle évangélisation. Qu’on en juge par ces citations: «Ce thème de l’évangélisation, nous en avons souligné l’importance à plusieurs reprises» (n. 3); «l’action évangélisatrice de l’Église doit chercher constamment les moyens et le langage adéquats pour proposer ou reproposer la révélation de Dieu et la foi en Jésus-Christ (n. 56)».

II La création d’un Conseil Pontifical

En 2010, Benoît XVI crée le Conseil Pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, qui constitue en quelque sorte la dernière retombée institutionnelle du Concile. Voici la tâche qu’il lui assigne: «Faisant donc mienne la préoccupation de mes vénérés prédécesseurs, je considère opportun d’offrir des réponses adéquates afin que l’Église tout entière, se laissant régénérer par la force de l’Esprit Saint, se présente au monde contemporain avec un élan missionnaire en mesure de promouvoir une nouvelle évangélisation. Celle-ci se réfère en particulier aux Églises d’antique fondation, qui vivent toutefois des réalités très diverses, auxquelles correspondent des besoins différents, et qui attendent des impulsions d’évangélisation différentes» (Motu proprio «Ubicumque et semper», 21 sept. 2010, Intr.).

C’est à partir de là que notre Conseil a commencé son travail. Trois expressions sont à relever dans ce passage. Elles tracent les orientations du Conseil dans son travail de réflexion.

a) Nous devons offrir des «réponses adéquates». La crise que nous vivons actuellement, loin d’être uniquement économique ou même culturelle, est essentiellement anthropologique. Le sécularisme a eu pour conséquence d’exclure Dieu, ce qui a comme dévitalisé l’identité personnelle au point de rendre les individus incapables de justifier l’orientation de leur propre vie. L’Église elle-même traverse une crise de la foi. Celle-ci est due à l’indifférence, à l’ignorance des contenus de base de la doctrine chrétienne, mais aussi à un éloignement progressif par rapport à la communauté chrétienne, et qui a pour conséquence une perte de la conscience de lui appartenir.

b) Un «nouvel élan missionnaire» est nécessaire. Il nous faut donc surmonter les difficultés apparues dans le passé et qui ont comme obscurci la mission de l’Église, qui est celle de tout baptisé, d’annoncer l’Évangile du salut. Beaucoup, malgré leur générosité, se sont égarés en imaginant que l’annonce explicite n’était plus nécessaire et que le seul témoignage de vie pouvait à lui seul devenir la nouvelle forme de l’Évangélisation. Cependant, de par sa nature-même, le témoignage comporte une annonce explicite qui met devant un choix, celui de marcher à la suite du Christ. Il faut aussi noter en passant qu’en voulant légitimement privilégier ce qui nous unit dans le domaine de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux, on n’est cependant pas parvenu à surmonter les difficultés qui demeurent encore.

c) Enfin, le Pape affirme qu’il existe des «réalités diverses» qui appellent des «impulsions d’évangélisation différentes». De fait, ceux qui ont pris à cœur de travailler dans le champ de la nouvelle évangélisation l’ont fait selon des charismes et des méthodes différentes. Cette diversité est légitime, tant qu’elle ne porte pas atteinte à la mission d’évangélisation qui est celle de toute l’Église. L’évangélisation ne peut pas être vécue de la même manière en Europe, en Amérique, ou encore en Australie. La culture, l’histoire ecclésiale et religieuse sont propres à chaque pays et il ne s’agit pas d’appliquer partout une unique méthode. Si la nouvelle évangélisation est orientée vers les pays d’ancienne christianisation, les évêques d’Afrique eux-mêmes voient déjà le jour où, chez eux aussi, ce travail devra être entrepris.

III Deux écueils à éviter

Dès la création du Conseil Pontifical, deux écueils étaient à éviter, du moins en regard d’une compréhension hexagonale de la chose. D’une part le terme de «nouvelle évangélisation» pouvait faire craindre aux yeux d’une certaine génération de prêtres en France que celui-ci impliquait un jugement négatif sur leur action pastorale. Engagés spontanément, avec une générosité qui les a conduits parfois trop loin, tout particulièrement dans le domaine liturgique, dans l’application du Concile au cours d’une période troublée où ils ont vu bon nombre de leurs confrères quitter le ministère presbytéral, les prêtres de plus de soixante ans aujourd’hui ont conscience, à juste titre, de ne pas avoir démérité, ne serait-ce qu’en raison de leur fidélité. Par contre, prenant de plein fouet la vague de la sécularisation, ils sont amenés à se questionner sur l’efficacité de leur ministère, un peu à la manière de ces parents qui ont élevé chrétiennement leurs enfants alors que ceux-ci semblent avoir abandonné toute référence chrétienne dans leur vie. Inévitablement, la question surgit alors: «Qu’ai-je donc mal fait? En quoi ai-je failli dans ma mission?» Confrontés au même type de questionnement, les prêtres se sentent d’autant plus vulnérables que, d’une part, ils s’identifient entièrement à leur ministère, et que de l’autre, ils n’ont pas toujours à leur disposition les lieux pour réfléchir à leur situation pastorale, partager leurs expériences, entendre une parole de compréhension, voire même de consolation à leur égard. De ce point de vue, les évêques prennent-ils suffisamment en compte cette situation dans leur relation avec leur presbyterium?

Il faut reconnaître aussi qu’il existe une certaine appréhension par rapport au projet de la nouvelle évangélisation. Dans certains secteurs de notre vie ecclésiale, il est facile d’y voir confisquer le thème par ce qu’il est convenu d’appeler les «communautés nouvelles» — on notera que la question n’est jamais posée de ce qu’est une «communauté nouvelle»… À l’un de mes interlocuteurs, lui-même membre de la Communauté de l’Emmanuel, je faisais remarquer que nous vieillissons tous, les communautés comme leurs membres… Il est vrai, et cela se remarque en France, que nombre de groupements nés de fraîche date ont enfourché allègrement le cheval de bataille de la nouvelle évangélisation. Lorsqu’il s’est agi, les 15 et 16 octobre 2011, d’inviter à Rome ceux que Mgr Fisichella appelle les «nouveaux évangélisateurs», nous n’avons pas eu à faire de gros efforts pour remplir la salle Paul VI qui contient 7 000 places… La réalité est plutôt qu’il nous a fallu freiner l’ardeur de certains groupes, afin que tous puissent prendre place dans l’aula. La réalité, telle que nous la percevons au Conseil Pontifical, est que nombreux sont les catholiques à se sentir concernés par la nouvelle évangélisation. À cette rencontre, soixante Conférences épiscopales n’étaient-elles pas représentées? Cette participation suffit à prouver que les épiscopats eux-mêmes se sentent eux aussi engagés dans la nouvelle évangélisation. Le Maître de l’Ordre des dominicains m’a rapidement et facilement convaincu que les fils de saint Dominique se situaient en première ligne: «Nous avons été créés pour cela». Il suffisait d’y penser…

Cette peur vis-à-vis des «communautés nouvelles» est sans doute due en partie à une interprétation trop restrictive de la fameuse phrase de Jean-Paul II aux membres du CELAM réunis le 9 mars 1983 en Haïti à qui il affirmait que la nouvelle évangélisation devait être «nouvelle dans son ardeur, dans ses méthodes et ses expressions». En vérité, nous croyons que tous les baptisés sont concernés: quel que soit leur mode de relation à l’Église — paroisses, mouvements, aumôneries, etc. —, tous sont appelés à travailler à la nouvelle évangélisation à laquelle nous invite Benoît XVI.

La nouvelle évangélisation n’est pas une nouveauté apparue avec l’institution d’un nouveau dicastère. Elle est une réalité déjà à l’œuvre. Des diocèses, des communautés paroissiales, des prêtres, des ordres religieux, des mouvements anciens ou récents s’y sont mis avec enthousiasme, et le fruit de leur engagement est déjà visible surtout auprès des jeunes. Comme le disait Benoît XVI: «Aujourd’hui, nous vivons une époque de nouvelle évangélisation. De vastes horizons s’ouvrent à l’annonce de l’Évangile alors que des régions d’antique tradition chrétienne sont appelées à redécouvrir la beauté de la foi. Les acteurs de cette mission sont des hommes et des femmes qui, comme saint Paul, peuvent dire: “Pour moi, la Vie c’est le Christ”. Des personnes, des familles, des communautés qui acceptent de travailler dans la vigne du Seigneur, selon l’image de l’Évangile de ce dimanche (cf. Mt 20,1-16). Des ouvriers humbles et généreux, qui ne demandent d’autre récompense que celle de participer à la mission de Jésus et de son Église… Chers amis, l’Évangile a transformé le monde, et il le transforme encore comme un fleuve qui irrigue un champ immense» (Angélus à Castel Gandolfo, 18 sept. 2011). La nouvelle évangélisation est donc appelée à devenir ce fleuve qui irrigue notre monde là où vivent et travaillent nos contemporains.

Parmi les premières réactions qui surgissent lorsque l’on parle de nouvelle évangélisation, vient souvent la référence à l’internet. On peut déceler, derrière cette référence, une conception diffuse selon laquelle la nouvelle évangélisation serait d’abord une question de moyens et de techniques. Certes, s’agissant d’apporter l’Évangile, il nous faut sans cesse adapter notre langage à notre interlocuteur, de telle sorte que nous soyons compris. De ce point de vue, il est vrai que ce monde de l’informatique est un moyen de communication à ne pas négliger, d’autant plus qu’il est créateur de culture, et comme tel, un monde à évangéliser. Il ne faudrait cependant pas oublier qu’il sera toujours impossible de faire l’économie de la relation personnelle, justement parce qu’il s’agit de proposer d’entrer en relation avec la personne de Jésus-Christ. Le meilleur site web pourra susciter la curiosité, apporter un questionnement — et c’est déjà beaucoup — mais il ne suffira pas à conduire à la personne du Christ, tels les Apôtres: «André amena son frère à Jésus» (Jn 1,35-42).

IV La nouvelle évangélisation et la transmission de la foi

Chercher une définition exhaustive de la nouvelle évangélisation risque de nous faire passer à côté de sa richesse et de sa complexité. C’est pourquoi nous attendons beaucoup du Synode des Évêques consacré à «la nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne». Il nous semble en effet que seule cette assemblée est en mesure d’avancer dans la définition du concept. De fait, le danger n’est pas illusoire d’appauvrir l’action évangélisatrice en réduisant la nouvelle évangélisation à une seule forme. Il s’agit toujours de partir de la personne et de son désir de Dieu, C’est pourquoi la nouvelle évangélisation implique de savoir rendre compte de sa foi, en indiquant la route vers Jésus, Christ, Fils de Dieu, unique sauveur de l’homme. C’est la seule manière de proposer à l’homme d’aujourd’hui la réponse qu’il attend plus ou moins confusément. La nouvelle évangélisation s’appuie sur la conviction que la grâce agit et transforme le cœur de l’homme, et sur la crédibilité de notre témoignage. La foi nous engage à vivre dans le contexte actuel, sans regret du passé, mais aussi sans peur du présent. Comme l’affirmait déjà Jean-Paul II à l’aube de son pontificat, l’heure est venue d’ouvrir toutes grandes les portes au Christ pour annoncer sa résurrection dont nous sommes les témoins. La nouvelle évangélisation suppose donc l’engagement actif des baptisés, en particulier dans certains domaines qui peuvent être des lieux privilégiés à évangéliser.

Rappelons que la célébration du Synode a été préparée par l’élaboration de deux documents, les Lineamenta en 2011 et l’Instrumentum laboris en 2012, rédigés par le Secrétariat Général du Synode des Évêques.

Le premier texte est structuré en trois chapitres et propose un ensemble de questions — 72 au total! — consacrées au discernement du contexte (ch. 1: «Le temps d’une “nouvelle évangélisation”»), des modalités (ch. 2: «Proclamer l’évangile de Jésus-Christ») et des instruments (ch. 3: «Initier à l’expérience chrétienne») de la nouvelle évangélisation. Les Lineamenta furent envoyés aux Synodes des Évêques des Églises orientales catholiques sui iuris, aux Conférences épiscopales, aux dicastères de la curie romaine et à l’Union des supérieurs généraux, chargés de recueillir et synthétiser les réponses à ces questionnaires. Participèrent aussi à la réflexion évêques, prêtres, membres d’instituts de vie consacrée, laïcs, associations et mouvements ecclésiaux.

L’Instrumentum laboris est le résultat de la synthèse des réponses aux Lineamenta. Il propose le chemin de réflexion pour le Synode en quatre temps. Le premier chapitre développe le cœur de l’évangélisation, à savoir la rencontre avec Jésus-Christ. Le deuxième opère un discernement sur la façon de vivre la foi dans les communautés aujourd’hui. Le troisième interroge les lieux et les instruments de la transmission de la foi chrétienne. Le dernier chapitre envisage les secteurs de la vie pastorale consacrés à l’évangélisation. Ce document porte bien entendu les traces de la réflexion engendrée par les Lineamenta et constitue comme la feuille de route du Synode1.

V Quelques points importants

Il s’agit d’abord de réveiller chez les chrétiens la conscience de leur baptême2. Ainsi, la nouvelle évangélisation concerne chacun dans sa vie ordinaire et, en particulier, dans son lien avec la communauté. Chaque église particulière, chaque diocèse, doit trouver les moyens de réveiller la conscience missionnaire des baptisés. Tout le peuple de Dieu doit être en mission, de telle sorte qu’aucune passivité ou résignation n’entrave l’ardeur missionnaire. À ce titre, la paroisse apparaît comme la structure fondamentale de base de la nouvelle évangélisation. C’est là en effet que sont donnés à voir la célébration des sacrements et la formation chrétienne, le témoignage de la charité et la transmission de la foi. Une communauté paroissiale repliée sur elle-même ne serait pas fidèle à sa mission. Il lui faut être toujours davantage un lieu d’accueil et de proposition pour tous ceux qui habitent ou qui travaillent sur son territoire. À cet égard, la question se pose de cette capacité d’accueil, en particulier au cours de nos assemblées. N’y a-t-il pas un effort de convivialité à faire pour que nos célébrations, bien souvent «cérébrales», témoignent mieux de l’amour mutuel que nous avons reçu à la fois comme témoignage et comme commandement?

C’est ainsi, entre autres, que la liturgie entretient un lien étroit avec la nouvelle évangélisation3. Elle est en effet l’action qui rend présent le Christ agissant et révélant Dieu son Père. Ce que la communauté annonce, elle le vit à travers la célébration des sacrements, signes visibles et efficaces de la grâce du salut. L’annonce n’est pas le seul fait des croyants. Cette dimension, proprement spirituelle, de l’action missionnaire de l’Église ne doit pas être méconnue, surtout au moment où nos forces semblent moins importantes que dans le passé. Elle laisse place à l’invisible, au non quantifiable, à l’imprévu de Dieu lui-même. Il faut s’en souvenir pour ne pas céder à la tentation du découragement. La liturgie, parce qu’elle est action du Christ lui-même, dépasse la capacité de compréhension des participants, laïcs ou clercs. Ce qui y est en jeu, c’est la relation du Christ avec son Église, relation dont nous sommes les serviteurs et les bénéficiaires, mais non pas les maîtres.

À ce propos, le respect des règles liturgiques édictées par l’Église s’invite ici dans le débat et s’impose à tous les acteurs de la liturgie, non pas au nom d’un hypothétique retour en arrière, ainsi que la critique l’insinue parfois, mais au nom de la relation vitale et personnelle que le Christ entretient avec tous ceux qu’il appelle à marcher à sa suite. La liturgie de l’Église se déploie selon des formes différentes, en partie adaptables à l’assemblée, mais il s’agit toujours du même mystère célébré et de la même foi annoncée. Je pense que nous avons encore en France à dépassionner le débat autour de la liturgie et à relire encore et toujours Sacrosanctum Concilium afin de nous mieux situer dans la direction voulue par le Concile, en dehors des considérations purement affectives. Sans doute la formation liturgique voulue par le Concile lui-même n’a-t-elle pas encore suffisamment atteint son but, de telle sorte que «le peuple chrétien bénéficie plus sûrement des grâces abondantes dans la liturgie» (n. 21). Est-ce rêver que d’espérer que nous y parviendrons un jour? L’enjeu n’est ni plus ni moins que de lui permettre de déployer ses virtualités missionnaires, ainsi que l’écrit l’Apôtre: «Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne» (1 Co 11,26).

Dans le même ordre d’idée, il faut mentionner l’importance de l’homélie dans la vie des chrétiens. L’homélie est bien souvent leur unique moyen de formation. Si les «prônes» d’antan ne sont pas à regretter, peut-être avaient-ils pour qualité d’être immédiatement compréhensibles par l’auditoire. On ne peut pas en dire autant, dans de nombreux cas, des homélies d’aujourd’hui. Il ne faudrait pas oublier que le terme «homélie», utilisé par le Concile pour désigner la prédication qui «puisera en premier lieu à la source de la Sainte Écriture et de la liturgie, puisqu’elle est l’annonce des merveilles de Dieu» (Sacrosanctum Concilium 35), signifie «conversation familière». Combien de nos homélies ne ressemblent-elles pas à des cours, plus ou moins aboutis, de théologie? La question que doit toujours se poser le prédicateur n’est-elle pas: «En quoi cette Parole qui vient d’être proclamée est-elle ‘Bonne Nouvelle’ pour cette assemblée?» En bref, le fait d’avoir délaissé le terrain d’une morale un peu étroite n’a pas automatiquement permis d’atteindre l’objectif fixé par Sacrosanctum Concilium pour la prédication. Il reste sans doute encore un chemin à parcourir pour avancer dans la fidélité à la réforme liturgique et pour en découvrir toutes les potentialités. Pensons au contact que nombre de nos contemporains n’ont avec la foi chrétienne que par le biais de la liturgie, dans les célébrations de mariages, de baptêmes ou d’obsèques. Ces grands moments de la vie ne sont-ils pas autant d’occasions à saisir pour mettre au contact de l’Évangile?

VI Trois domaines à privilégier

On peut encore relever d’autres domaines qui constituent autant d’enjeux pour la nouvelle évangélisation. Il y a en premier lieu la famille. Promouvoir la famille et la défendre contre les attaques dont elle est aujourd’hui l’objet, au nom de l’Évangile, mais aussi de notre conception de la société, est aujourd’hui une urgence. La famille est en effet le milieu naturel pour la transmission de la foi. Elle est aussi le reflet de la vie sociale et, à ce titre, sa défense doit rencontrer la réflexion de tous ceux, croyants ou non, qui désirent promouvoir une certaine forme de vie en société. Fragiliser la famille, c’est saper les bases de la vie en société, et cette conviction, nous avons à la défendre pour le bien commun.

Cette prise de position a aussi une conséquence tangible qui concerne l’engagement des chrétiens dans la vie politique4. Face à une légitime pluralité d’options et de traditions, il est normal que la voix des chrétiens puisse se faire entendre, non pour défendre un pré carré moral, mais pour se mettre au service du bien commun. Les catholiques sont des citoyens à part entière, de telle sorte qu’ils témoignent de leur foi comme au temps de la Lettre à Diognète: «(Les chrétiens) s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens (…). Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. (…) Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois». Les catholiques engagés dans la vie politique auront à cœur d’exposer la doctrine sociale de l’Église. Ils ne pourront le faire qu’en étant accompagnés par une communauté d’Église où ils trouveront non seulement la force spirituelle de la prière et des sacrements, mais aussi le milieu où partager leurs préoccupations. Aussi est-il important que l’Église puisse manifester une présence et une proximité à l’égard de tous ceux qui s’engagent dans la vie politique, à quelque échelon que ce soit.

Une société comme la nôtre est inévitablement aussi marquée par le phénomène de l’immigration5. L’immigration concerne des populations d’origine chrétienne et d’autres venant de culture ou de religion différente. La nouvelle évangélisation est interpellée par cette réalité au-delà des réactions sociétales et politiques qui y sont liées. Comment nos communautés accueillent-elles les populations d’origine étrangère et qui sont baptisées? Nos lieux d’Église sont-ils suffisamment accueillants pour ces personnes vivant un exil plus ou moins volontaire qui est lié à la situation économique de leurs pays d’origine? Et comment regardons-nous par exemple les musulmans qui vivent sur notre sol? Sont-ils perçus comme un danger pour notre foi chrétienne ou sont-ils l’occasion de nous questionner sur nos convictions, nos pratiques, notre témoignage? À cet égard, l’«Année de la foi» devrait pouvoir favoriser une prise de conscience. La nouvelle évangélisation, comme l’évangélisation en général, ne peut s’exonérer d’une annonce explicite de Jésus-Christ à l’égard de tous, afin que nul ne soit empêché d’entrer en contact avec la Parole du salut. Loin de tout prosélytisme, dans le respect des personnes et des situations, les «nouveaux évangélisateurs» sont appelés à aller à la rencontre de tous ceux qui ne partagent pas notre foi.

Enfin, le monde de la communication6 est bien sûr un domaine à privilégier. Dans la Lettre apostolique «Ubicumque et semper» qui fonde le Conseil Pontifical, le Pape assigne au Conseil «l’étude et l’encouragement de l’utilisation des formes modernes de communication, comme instruments pour la nouvelle évangélisation» (art. 3, 4). Ces moyens de communication ne sont pas de nos jours de simples instruments, mais l’expression d’une culture. C’est pourquoi ils ne doivent pas être considérés seulement du point de vue technologique. Le langage généré par ces nouvelles formes de communication doit être connu, étudié et, pour autant qu’il est possible, utilisé, si du moins il ne trahit pas l’annonce dont on voudrait qu’ils soient porteurs. La nouvelle évangélisation devra comprendre et pénétrer cette culture en prenant garde aux dangers qu’ils représentent, surtout lorsqu’il y a des comportements de masse. Cependant, il ne faudrait pas oublier que l’évangélisation requiert le dialogue interpersonnel, qui ne peut être contenu dans les moyens de communication modernes. La foi chrétienne est relation au Christ, elle ne peut être proposée qu’à travers une relation personnelle où se jouent le sérieux et la crédibilité, non seulement de la parole prononcée, mais au moins autant du témoignage de la vie. C’est ici également qu’intervient l’appel à la conversion.

Peut-être ce mot de conversion — et la réalité qu’il désigne — est-il le dernier mot, ou mieux encore le premier, de la nouvelle évangélisation. À cinquante ans du Concile, à vingt ans de la promulgation du Catéchisme de l’Église catholique, en cette Année de la foi, les baptisés sont invités à faire retour au Christ, appelés à structurer leur existence personnelle, familiale, en société, autour de cette relation. Sur ce chemin où nous sommes tous engagés — il y va de notre crédibilité de croyants dans le monde d’aujourd’hui — ne rencontrerons-nous pas aussi des structures d’Église dépassées car obsolètes, qui sont elles aussi à convertir?…

Notes de bas de page

  • 1 Par exemple, alors que les Lineamenta évoquent simplement — mais précisement — la charité au milieu des œuvres de la foi (n. 12), avec la place du «pauvre au centre de l’intérêt de l’Église» (n. 17, et encore n. 6, «la voix des pauvres»), l’Instrumentum Laboris prend acte des réponses et développe largement le thème de la charité comme fruit de la foi, impliquant la justice sociale et l’action politique dans la solidarité avec les pauvres (n. 71; 114; 115; 120; 122-128). De même, le thème de la Parole de Dieu, qui fait naturellement suite au Synode de 2009, est moins accentué dans les Lineamenta (n. 13) que dans l’Instrumentum laboris qui reprend notamment, suivant en cela les réponses aux questions, un des points mis en avant dans l’Exhortation apostolique Verbum Domini, à savoir la lectio divina: «l’écoute de la Parole de Dieu est pour l’individu croyant et pour l’Église dans son ensemble un instrument d’évangélisation et de renouvellement dans la grâce de Dieu aussi puissant que simple» (n. 97).

  • 2 Cf. le thème de l’initiation chrétienne développé dans les Lineamenta (n. 18) et l’Instrumentum laboris (n. 31; 131-137).

  • 3 Cf. dans les Lineamenta: n. 14; dans l’Instrumentum laboris: n. 97; 99; 114; 134.

  • 4 Un des lieux du changement ou «scénarios» auxquels la nouvelle évangélisation doit se confronter — avec la vie sociale, la culture, l’économie, les sciences et techniques, les médias et le sens religieux — qui sont relevés par les Lineamenta (n. 6) et que développent l’Instrumentum laboris (n. 51; 57; 62; 124).

  • 5 Les pères du Synode seront invités à réfléchir à ce phénomène: cf. dans les Lineamenta, n. 6 et 13; dans l’Instrumentum Laboris, n. 55-56; 70.

  • 6 Cf. dans les Lineamenta, n. 6; dans l’Instrumentum Laboris, n. 59-62.

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