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Les vertus de la méthode historico-critique

Jean-Louis Ska s.j.
La méthode historico-critique n'est guère appréciée dans certains milieux croyants. Cet article entend répondre à diverses objections qui lui sont faites couramment: (1) La méthode historico-critique dissèque les textes et les pulvérise en une multitude de sources et de rédactions, mais ne s'occupe pas du texte biblique dans sa forme finale et canonique; (2) la méthode est archéologique: elle se contente de fouiller dans le passé des textes; (3) la floraison d'hypothèses contradictoires disqualifie la méthode; (4) la méthode est trop compliquée et elle son utilité dans la pastorale est trop limitée. L'article cherche à répondre à ces objections. Il cherche ensuite à montrer quelles sont les qualités de la méthode à partir d'exemples où c'est le texte lui-même qui fait problème et où il s'impose de faire recours aux instruments d'une méthode critique et historique (1 S 11,1; Gn 4,8; 1 R 6,10-14). Il s'agit avant tout de montrer la validité de la démarche, non la validité de tous les résultats de la méthode.

La méthode historico-critique n’a pas bonne presse. Dans bien des milieux, elle est tolérée, parfois acceptée, tout au plus admise, mais rarement appréciée. Qu’on ne se récrie pas. On lui accorde droit de cité, soit, mais c’est en ajoutant tout de suite qu’il faut « autre chose », que la lecture historique demande un complément ou un supplément. Il est indispensable d’ajouter une dimension théologique à une lecture qui risque de réduire le sens à une conjoncture de facteurs purement humains. La lecture historico-critique est trop horizontale. Il lui manque un souffle qui la pousse vers le haut. Je pourrais certes citer maints ouvrages ou articles, et même quelques documents officiels pour corroborer ces affirmations. Le réquisitoire est trop connu pour devoir être documenté dans le détail.

Mais que reproche-t-on exactement à la méthode historico-critique ? À mon sens, les griefs principaux sont au nombre de quatre. (1) La méthode historico-critique atomise les textes en découvrant une multitude de sources et de rédactions sans se poser de questions sur le sens du texte tel qu’il est — prout jacet — à son stade final et dans sa forme canonique. (2) Dans le même ordre d’idée, il est souvent reproché à la méthode historico-critique de s’occuper de la genèse du texte et non de son état actuel. Il s’agirait d’une méthode archéologique, d’une excavative exegesis pour reprendre le mot désormais célèbre de Robert Alter1. (3) Les exégètes qui pratiquent cette méthode multiplient à l’envi les hypothèses et ils n’arrivent jamais à se mettre d’accord. (4) Cette méthode est très compliquée, elle suppose trop de connaissances et elle requiert une technicité qui en réserve l’usage à une minorité de spécialistes. Ce dernier reproche a un corollaire bien connu par ailleurs : la méthode a peu d’utilité dans la pastorale.

Mais reprenons la discussion par le menu. Mon propos n’est pas de vouloir justifier l’existence d’une méthode qui a acquis droit de cité. Il est plutôt de répondre à un certain nombre d’objections et d’accusations qui, à mon sens, ne sont pas entièrement fondées. En un mot, il s’agit de lui rendre justice. En un second temps, je voudrais montrer par quelques exemples concrets que les textes eux-mêmes requièrent dans de nombreux cas l’emploi de la méthode historico-critique, ou, pour être plus exact, des nombreux outils de la méthode historico-critique. Enfin, je dirai un mot de la « lecture continue » de la Bible.

I Les objections

1 L’atomisation ou pulvérisation du texte

Le reproche n’est pas nouveau. Déjà en 1921 Walter Eichrodt disait que l’étude du Deutéronome ne devrait pas être une étude anatomique d’un corps sans vie, et encore moins sa dissection, mais plutôt une étude biologique d’un corps vivant2. En 1938 Gerhard von Rad parle d’atomisation des textes au début de son fameux ouvrage sur la formation de l’Hexateuque à partir des « petits credo historiques »3. Et, en 1950, C.R. North se plaint de voir se multiplier à l’infini les théories et les sigles, entre autres ceux qui sont adoptés pour désigner les sources et rédactions du livre du Lévitique4. Il cite une réaction amère de J.E. McFayden : « Everywhere uncertainties abound, and, like the dove after the Deluge, we seem to find no solid ground anywhere for the sole of our foot »5. Les exégètes, et les exégètes historico-critiques, sont bien conscients des limites et des dangers de leur propre discipline.

Il est clair, par ailleurs, que de nombreux exégètes ont procédé au découpage intensif des textes au point de mettre en péril la crédibilité des méthodes employées. Les exemples abondent et il ne me paraît pas utile d’insister. Il faut toutefois ajouter deux choses. La première est un principe important qu’Albert Camus a énoncé, dans un autre contexte, à propos du christianisme : « L’honnêteté consiste à juger une doctrine par ses sommets, non par ses sous-produits ». Ce que Camus dit des doctrines vaut aussi, à mon avis, des méthodes exégétiques. Ce sont les travaux d’un Julius Wellhausen, d’un Hermann Gunkel, d’un Gerhard von Rad ou d’un Martin Noth qui doivent servir de critère de jugement, non pas ceux des épigones qui font sans doute preuve d’érudition, mais à qui manque souvent l’intuition. Chaque méthode peut être appliquée de façon mécanique et chaque grande école connaît sa scolastique.

Par ailleurs, il faut bien dire que l’excès de distinction n’est pas le propre de la méthode historico-critique. Dans le monde de l’analyse structurale, appelée aussi rhétorique biblique, on se plaît parfois à multiplier les catégories et sous-catégories ou encore à subdiviser les textes en unités de plus en plus concises. Les membres d’un parallélisme peuvent aller d’une page entière à un seul mot ou même à un suffixe. Là aussi, à mon sens, la scolastique risque de s’emparer de la méthode et de ramener la recherche à des discussions sur des points d’importance secondaire. Il en va de l’exégèse comme des grandes écoles d’architecture : aux périodes d’invention succèdent d’autres périodes où l’art se concentre uniquement sur la décoration.

2 Document ou monument ?

« Literary study differs from historical study in having to deal not with documents but with monuments ». Cette phrase célèbre de Robert Wellek6 résume bien l’idéal de la Nouvelle Critique (“New Criticism”) dont Ivor Armstrong Richards fut l’un des plus grands ténors7. L’idéal de cette école littéraire a été repris, mais plus de cinquante ans plus tard, par de nombreux exégètes. Cette école avait un but bien précis : donner à la critique littéraire un statut qui l’habilite à figurer parmi les autres sciences enseignées à l’université. Un siècle auparavant, la critique littéraire et l’exégèse avaient voulu se mettre au diapason de l’histoire, discipline en vogue à l’époque romantique. C’était aussi l’époque des nationalismes et il fallait créer une histoire nationale pour souder les populations devenues indépendantes. À partir de 1900, l’essor des sciences change le panorama des études littéraires. Comme les sciences, celles-ci revendiquent leur autonomie en précisant leur objet et la méthode de recherche qui lui est adaptée8. La critique littéraire est une science indépendante et c’est pourquoi elle ne peut se confondre ni avec l’histoire ni avec la psychologie ni avec la sociologie. La critique littéraire emploie également une méthode objective, tout comme les autres sciences. L’analyse littéraire doit donc être soigneusement distinguée des recherches historiques sur l’intention de l’auteur tout comme de l’effet ou de l’impression qu’elle peut produire sur le lecteur. L’objet — le texte — a priorité sur le sujet (l’auteur) ou le destinataire (le lecteur)9. Il s’agit surtout d’évacuer de la critique littéraire toute impression ou sentiment subjectif et de s’en tenir à ce qui peut être montré ou démontré.

Toujours est-il que l’histoire d’un texte, plus concrètement sa genèse, ne peut être l’objet premier de la recherche. En termes très simples, expliquer quand et comment un texte a été écrit ne nous dit pas encore pourquoi il a été écrit et encore moins ce qu’il veut dire. La chose va de soi, semble-t-il. N’oublions pas, toutefois, que la Nouvelle Critique s’intéressait avant tout à des textes littéraires écrits à des époques relativement récentes. Ce qui veut dire que les lecteurs connaissaient la culture dans laquelle ils avaient été composés et par conséquent pouvaient immédiatement — du moins dans la plupart des cas — décoder les textes, même les plus compliqués, parce qu’ils utilisaient les mêmes conventions de langage. Les lecteurs connaissaient aussi parfaitement le monde représenté dans ces textes littéraires.

Ce qui est vrai pour des textes récents ne l’est pas pour les textes anciens. La phrase de Proust qui ouvre À la recherche du temps perdu, « Je me suis souvent couché de bonne heure », peut donner lieu à bien des interprétations. Mais personne ne peut dire qu’il ne comprenne pas cette phrase. Il n’est pas facile d’en saisir toutes les implications et toutes les nuances, mais la phrase a un sens, immédiatement accessible à n’importe quel lecteur normal. Par contre, une phrase telle que « Après ces événements, la parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision. Il dit : Ne crains pas, Abram, c’est moi ton bouclier ; ta solde sera considérablement accrue » (Gn 15,1) n’est pas vraiment compréhensible à un lecteur contemporain. Il faut une certaine formation, une certaine familiarité avec les textes bibliques, avec les conventions de langage de l’époque et la signification d’un certain nombre de termes pour pouvoir saisir le sens non pas des mots, mais de la phrase. La lecture se doit donc d’être « historique » au sens où il faut replacer les textes dans un cadre culturel qui n’est pas le nôtre, et « critique » au sens où il est indispensable de prendre une certaine distance vis-à-vis d’un texte dont le sens immédiat nous échappe. Il n’est pas possible d’interpréter le texte selon nos conventions de langage et de vocabulaire. Abram n’est pas un mercenaire dont la solde va être augmentée de façon considérable.

Il est sans doute inutile de multiplier les exemples. Celui-ci suffira, me semble-t-il, à établir un principe qui vaut autant pour la Bible que pour l’épopée de Gilgamesh, le Livre des Morts de l’Égypte ancienne, l’Iliade d’Homère, l’Énéide et la grande épopée indienne Ramayana. En fait chaque œuvre littéraire requiert ce type d’approche. La démarche est plus simple et plus spontanée pour la littérature qui nous est proche par le temps ou par la mentalité. Elle l’est moins pour les œuvres distantes en raison du temps ou de la culture, mais elle est tout aussi nécessaire10.

3 Tot opiniones quot autores

Les résultats de l’exégèse historico-critique, comme chacun sait, sont très divergents. Même les hypothèses qui ont pu jouir d’un large consensus, comme l’hypothèse documentaire en ce qui concerne le Pentateuque, n’ont pas résisté aux assauts de la critique et ont été remises en question. Pour le profane, et pas seulement pour le profane, le foisonnement des hypothèses a quelque chose de décourageant. Il faut tout revoir, jusqu’aux opinions les plus courantes et les mieux établies. Que dire à ce propos ? Tout d’abord, il me semble que les résultats des méthodes synchroniques souffrent souvent du même mal. Les spécialistes ont proposé d’innombrables structures de Genèse 2 – 3 ou du prologue de saint Jean. Et que dire des psaumes ? Ce sont parfois les mêmes auteurs qui ont proposé différentes structures pour le même psaume. Si la méthode utilisée était plus scientifique et plus objective que la méthode historico-critique, ne pourrait-on pas s’attendre à des résultats plus convergents ? Ou bien faut-il dire que la nature de l’objet étudié, la littérature et le langage, explique la multiplicité des lectures ? Certes, pour le dire simplement, il y a de bonnes lectures et de meilleures lectures. Et certaines lectures, je n’hésite pas à le dire, sont tout simplement erronées. Mais il n’est pas facile d’établir des critères qui fassent l’unanimité. Il en va de même de la musique. La même partition peut être jouée deux fois par le même orchestre, cet orchestre peut être dirigé par le même chef d’orchestre, et dans la même salle, sans que la musique soit les deux fois exactement identique. Plus important encore, l’effet de la musique sur les auditeurs ne sera pas le même pour la simple raison que l’auditeur n’est jamais exactement le même dans deux circonstances différentes.

Enfin, Alexandre Rofé nous dit que l’unanimité n’est pas toujours une situation idéale. Il prend l’exemple des prophètes de Baal qui prédisent — à l’unanimité justement — la victoire à Achab et qui l’ont en fait incité à aller au devant de la mort (2 Rois 22)11. On pourrait encore citer la première phrase du célèbre roman d’Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray : « Diversity of opinion about a work of art shows that the work is new, complex, and vital ». La polysémie est une caractéristique importante de la littérature et il ne faut pas s’étonner de la retrouver dans la littérature biblique.

Certes, il y a des limites à toute interprétation et on le sait depuis longtemps, bien avant qu’Umberto Eco nous le rappelle avec le brio qui lui est propre12. Certaines règles se trouvent déjà dans le De Principiis d’Origène ou le De doctrina christiana d’Augustin.

Le principe général énoncé par U. Eco est une règle dont il vaut la peine de se souvenir à chaque étape de l’exégèse : « Les limites de l’interprétation coïncident avec les droits du texte (ce qui ne veut pas dire qu’ils coïncident avec les droits de son auteur) »13. Pour être plus concret, citons au moins trois des règles proposées par U. Eco. La première veut qu’un texte soit interprété selon son intention. On peut parler dans certains cas de l’intention de l’auteur. Pour les textes anciens, et surtout pour les textes anonymes, il nous est bien difficile de rejoindre cette intention. Notre seule voie d’accès est le texte lui-même. C’est en ce sens que Meir Sternberg parle d’intentions inscrites ou « incorporées » dans le texte (embodied intentions)14. Pour employer un terme plus simple, chaque texte doit être interprété selon son contexte littéraire et culturel, selon les codes et les conventions littéraires de son époque. Par conséquent, il convient de replacer les mots dans les phrases et les phrases dans le « discours ». Il est toujours malvenu d’isoler un élément du texte et de l’interpréter indépendamment de son contexte, qu’il soit littéraire ou culturel. C’est un conseil que donnait James Barr il y a cinquante ans et qui vaut toujours son pesant d’or15. Il est repris par une école de linguistique qui préconise la discourse analysis, l’analyse du discours16. Selon cette école, en effet, l’unité du langage n’est pas le mot et même pas la phrase, mais le « discours », c’est-à-dire le récit, le poème et n’importe quel texte ou n’importe quelle communication verbale depuis son introduction jusqu’à sa conclusion.

Un exemple très clair de l’application de cette règle est l’étude des « titres messianiques » dans le Nouveau Testament. Ces titres n’ont pas le même sens lorsqu’ils apparaissent dans la bouche des adversaires de Jésus, dans celle des démons, de la foule, des disciples ou de Jésus lui-même. En second lieu, il est important pour U. Eco de fonder toute interprétation sur des éléments textuels. Il est indispensable d’argumenter et chacun sait, comme aimait à le répéter le regretté Dom Jacques Dupont, que l’argument d’autorité n’a pas cours en exégèse. Une théorie sans arguments est une maison sans fondements. Elle croule à la première secousse. En troisième lieu, U. Eco reprend le fameux « rasoir d’Occam ». C’est l’explication la plus simple qui est — en général — la meilleure. Il ajoute un corollaire : c’est aussi l’explication la plus utile qui est souvent la meilleure, c’est-à-dire celle qui permet de mieux comprendre et de mieux apprécier le texte. Enfin, il ajoute qu’il est important de tenir compte de l’avis des experts en la matière. L’exégèse ne se fait pas en vase clos. Il est toujours utile de consulter les spécialistes et de dialoguer avec ceux qui ont souvent dédié des années à étudier certains textes ou certains livres.

4 « Ce que tu as caché aux sages et aux habiles… » (Mt 11,25)

Il est bien connu que le langage technique de certaines écoles d’exégèse fait difficulté. En outre, le nominalisme des exégètes est célèbre. Les nouvelles méthodes se réduisent souvent à un simple changement de vocabulaire. Mais qu’en est-il du vocabulaire technique comme tel ?

Disons tout d’abord que l’emploi d’un langage technique et le choix de démarches complexes n’est certainement pas le monopole de l’exégèse historico-critique. Certaines méthodes synchroniques, par exemple la sémiotique, utilisent un vocabulaire technique qui n’est certainement pas à la portée de tout le monde17. D’autre part, chaque discipline scientifique a son vocabulaire et son jargon. Nul ne demande à un ingénieur de pouvoir mettre à la portée du premier venu la complexité de ses calculs. Et combien de chauffeurs de voiture sont-ils capables d’expliquer par le menu le fonctionnement d’un moteur à explosion ? Il y a toujours eu des spécialistes qui ont utilisé un langage technique et il serait malvenu de reprocher aux exégètes, tout comme aux théologiens d’ailleurs, d’employer une terminologie particulière.

Que dire alors de la pastorale ? Car l’objection est sérieuse : la Bible a-t-elle été écrite uniquement pour une élite et sa lecture requiert-elle une longue formation pour être comprise ? N’essaie-t-on pas d’en faire un livre hermétique dont un petit groupe d’initiés se réserve le monopole de l’interprétation ? Pourquoi le simple croyant ne pourrait-il pas lire la Bible à l’aide d’instruments plus simples que ceux de la Literarkritik, de la Formgeschichte, de la Überlieferungsgeschichte et de la Redaktionsgeschichte ? J’ai employé à dessein un vocabulaire allemand, car le refus de la méthode historico-critique s’accompagne souvent d’un antideutscher Affekt, d’un sentiment antigermanique.

Ma réponse sera simple18. Je voudrais tout d’abord citer un mot d’Yves Congar. Il disait de la théologie qu’elle devait être dans le prédicateur et non dans la prédication. Il en va de même de l’exégèse, à mon sens. L’exégèse, comme outil technique, devrait être comme le narrateur de Flaubert et le Dieu de la création : partout présente et toujours invisible. Pour employer une autre image, plus culinaire, l’exégèse fournit les recettes qui aident à préparer les plats. Mais à un repas on sert un ou plusieurs plats, on ne sert pas les recettes. Si, toutefois, un des convives vient demander comment le repas a été préparé, le moment est venu d’expliquer la recette. Et si quelqu’un veut devenir cuisinier, il est essentiel qu’il étudie les recettes.

Cela dit, il est vrai qu’en exégèse comme dans toute discipline, surtout littéraire, il n’est pas rare d’assister à des discussions purement académiques et de lire des études dont l’intérêt immédiat et moins immédiat est plus que réduit. Inversement, une exégèse qui ne serait qu’utilitaire ou qui se donnerait comme unique critère de fournir à un public de non-spécialistes ce qui lui plaît risque aussi de s’enfermer bien vite dans la simple paraphrase, dans le piétisme ou de reprendre quelques slogans à la mode.

Je me rends bien compte par ailleurs de la complexité de la question. Une exégèse trop technique s’éloigne de son public et surtout du peuple chrétien à qui la Bible appartient en tout premier lieu. Une exégèse trop peu technique ou trop simple nourrit le fondamentalisme et ne fournit aucun aliment solide au peuple chrétien. Les exégètes, par ailleurs, ne peuvent pas être tous de bons spécialistes et de bons vulgarisateurs. Il est donc indispensable que le travail se fasse en équipe. Que pasteurs, prédicateurs et enseignants ou enseignantes se documentent et consultent les travaux d’exégèse. Que l’exégète se souvienne qu’il fait partie d’une communauté croyante et d’une humanité qui cherche à donner un sens à son existence.

5 Histoire ou théologie ?

Est-il donc vrai que l’exégèse historico-critique ne s’intéresse pas à la théologie ? Je réponds par une autre question : quelles sont les grandes théologies de l’Ancien Testament qui nous sont connues ? Citons Walter Eichrodt, Gerhard von Rad, Edmond Jacob, Walter Zimmerli, Claus Westermann, Horst-Dieter Preuss, James Barr, Walter Brueggemann19… Voilà une série de noms bien connus. Or tous ces exégètes pratiquent l’exégèse historico-critique et ils sont pour la plupart protestants. Il y a bien sûr d’autres théologies, comme celles du catholique Paul Beauchamp et des protestants Brevard Childs ou Rolf Rendtorff qui utilisent tous des méthodes différentes, c’est-à-dire plus synchroniques que diachroniques20. Toujours est-il qu’un bon nombre d’exégètes historico-critiques ont écrit des théologies de l’Ancien Testament21. Dans le Nouveau Testament, les choses ne sont guère différentes22. Certes, on peut ne pas aimer ces théologies et leur trouver bien des défauts. Peut-on dire, sans ajouter quelques nuances, que les exégètes historico-critiques ne montrent aucun intérêt pour la théologie ? C’est la question que je me permets de poser.

II L’utilité d’une méthode historique

Il va sans dire qu’il existe désormais une vaste panoplie de méthodes exégétiques qui ont toutes leurs mérites et leurs limites. Tout dépend du genre de texte à traiter et du but que l’on poursuit. C’est en fonction de ces données que l’on choisit la méthode à employer. Je voudrais montrer, dans les paragraphes qui suivent, que l’objet à étudier, le texte biblique, requiert une approche de type historique. De même, le but que l’on poursuit, c’est-à-dire l’interprétation des textes anciens, exige souvent une démarche de type historique et critique afin que les textes puissent être compris en toutes rigueur et honnêteté intellectuelles. Cette démarche n’en exclut pas d’autres. Au contraire. Mais il serait hasardeux de vouloir en faire l’économie, sous quelque forme que ce soit. Je voudrais le montrer à partir de quelques exemples choisis. Je parlerai d’abord du texte biblique en tant que tel ; ensuite, des problèmes inhérents à ce que l’on appelle le sens du texte final ; enfin, je dirai un mot d’un troisième problème qui concerne la lecture continue de la Bible.

1 Quel texte ?

Un cas particulier : 1 S 11,123

Les méthodes synchroniques insistent volontiers sur le fait qu’elles analysent non pas un arrière-texte ou des fragments de textes, mais le texte « tel qu’il est », prout jacet, le texte tel qu’il a été transmis et par la Synagogue et par l’Église. C’est ce texte qui est lu dans la liturgie et qui nourrit la foi des croyants. Il est donc essentiel d’étudier le texte dans sa forme canonique et non pas un quelconque stade antérieur et toujours hypothétique.

Mais qu’est-ce que le texte final ? La réponse est immédiate : le texte hébreu massorétique, le texte de la Septante pour les livres deutérocanoniques de l’Ancien Testament et le texte grec du Nouveau Testament. Tout cela semble couler de source et ne poser aucun problème particulier. Sans doute. Il suffirait toutefois de comparer ne fût-ce que deux traductions françaises de certains textes, que ce soit de l’Ancien ou du Nouveau Testament, pour se rendre compte que la situation est parfois plus compliquée. Je ne parle pas seulement des textes difficiles et pratiquement impossibles à traduire. Il existe un certain nombre de textes qui — dans leur forme canonique — posent à l’interprète des problèmes difficiles à résoudre. Je me contente de quelques exemples particulièrement clairs pour illustrer la chose24.

1 Samuel 11,1 contient un texte très concis, à la limite de la compréhensibilité. Il est dit que le roi des Ammonites, Nahas, vient mettre le siège devant la ville de Yabesh de Galaad. Les habitants de la ville font une offre qui, dans le langage de l’époque, équivaut à une reddition. Ils offrent en effet de « servir » Nahas (11,1b). Le roi répond qu’il est décidé à crever l’œil droit à tous les habitants de la ville (11,2). Cette réponse surprend parce qu’elle ne correspond en aucune manière aux conventions de l’époque. Dt 20,10-14 explique bien la chose :

Quand tu t’approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui feras des propositions de paix. Si elle te répond : ‘Faisons la paix !’, et si elle t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouve sera astreint à la corvée pour toi et te servira. Mais si elle ne fait pas la paix avec toi et qu’elle engage le combat, tu l’assiégeras ; Yhwh ton Dieu la livrera entre tes mains, et tu frapperas tous ses hommes au tranchant de l’épée. Tu garderas seulement comme butin les femmes, les enfants, le bétail et tout ce qu’il y a dans la ville, toutes ses dépouilles ; tu te nourriras des dépouilles de tes ennemis, de ce que Yhwh ton Dieu t’a donné.

Pourquoi Nahas décide-t-il de mutiler les habitants et ne se contente-t-il pas de les réduire en esclavage ? Un esclave borgne est-il vraiment utile ? Un fragment de manuscrit découvert à Qumrân contient un texte qui, à première vue, est beaucoup plus satisfaisant. Le voici en traduction française :

Nahas, roi des Ammonite, oppressait durement les Gadites et les Rubénites. Il crevait l’œil droit à chacun d’eux et il faisait régner l’épouvante et la terreur sur Israël. Il ne restait personne, parmi les Israélites au-delà du Jourdain, dont Nahas, roi des Ammonites, n’avait pas crevé l’œil droit. Mais sept mille hommes avaient échappé aux Ammonites et étaient entrés à Yabesh de Galaad.

Le texte hébreu — le texte massorétique (TM) — contient une autre difficulté. Le dernier mot du chapitre dix se traduit littéralement par : « [Saül] fut comme silencieux ». Le roi Saül est méprisé par certains « vauriens » qui ne lui offrent pas de présents (1 S 10,27). La fin du verset semble suggérer que Saül reste indifférent ou ne réagit pas. Mais la version grecque des Septante (LXX) et le fragment de Qumrân récemment découvert contiennent un texte différent qui introduit le chapitre suivant : « Environ un mois plus tard ». La différence entre les deux expressions hébraïques est minime : kᵉmaḥărîš — « comme silencieux » (TM) et kᵉmôḥôdeš — « [après] un mois » (Qumrân, LXX). En réalité la seule vraie différence tient à une consonne puisque les textes anciens n’étaient pas vocalisés : un reš (r) dans le premier cas et un dalet (d) dans le second. Or ces deux lettres sont très semblables. Plusieurs versions modernes ont d’ailleurs adopté le texte de la LXX, par exemple la Bible de Jérusalem qui place l’expression au début du récit de 1 S 11,1-11.

Le texte de Qumrân a plus d’un avantage et c’est ce que les spécialistes n’ont pas manqué de souligner. C’est le cas, entre autres, de Frank Moore Cross25. Ses arguments sont au nombre de six.

a. L’expression « Nahas, roi des Ammonites » est une expression plus normale pour introduire le personnage d’un roi que « Nahas l’Ammonite » de 1 S 11,1.

b. La phrase « il opprimait les Gadites et les Rubénites » est un cliché de l’histoire deutéronomiste.

c. Le chiffre de « sept mille », un chiffre rond, est un trait caractéristique de ce genre de récits.

d. Le texte de Qumrân suppose la traditionnelle hostilité entre les Ammonites et les Israélites dont il est question aussi en Jg 10–11.

e. L’expression « après un mois environ » est plus satisfaisante que le texte massorétique (« il fut comme silencieux »).

f. Le texte de Qumrân contient des faits et non pas des explications ou des commentaires, ce qui est le plus souvent le cas des additions tardives.

En conclusion, Cross affirme que le texte de Qumrân doit être original. C’est ce texte qui explique pourquoi Nahas attaque Yabesh de Galaad et le traitement qu’il veut infliger à la ville. C’est parce que sept mille Gadites et Rubénites ont trouvé refuge chez eux. Ajoutons un élément important à cette argumentation. Le comportement de Nahas ne se comprend que si l’on connaît les conventions militaires de l’époque. Or, le texte de Qumrân explique deux choses qui, dans le texte massorétique, restent incompréhensibles. La première, pourquoi Nahas assiège Yabesh de Galaad et la seconde, pourquoi il n’accepte pas leur reddition : il s’agit de reprendre une série de rebelles — toujours du point de vue de Nahas, bien entendu.

Il reste cependant à expliquer pourquoi le texte massorétique n’a pas conservé ce passage. Par quel accident a-t-il disparu ? Il est possible que le scribe ait sauté de « Nahas roi des Ammonites » à « Nahas l’Ammonite ». Il s’agirait donc d’une parablepse. Ou bien, et c’est tout aussi possible, le scribe a pu sauter de kᵉmăḥarîš à kᵉmôḥôdeš. Ceci expliquerait d’ailleurs l’hésitation des différentes versions et surtout le texte de Flavius Josèphe qui place l’expression « un mois plus tard environ » tout au début du passage concernant Nahas le roi des Ammonites, ce qui veut dire entre la réaction des vauriens qui refusent Saül et la description de l’oppression des Gadites et des Rubénites par Nahas. Le texte le plus ancien pouvait très bien contenir les deux expressions : l’une décrivant la réaction de Saül et l’autre introduisant l’épisode de 1 S 11,1-11, le siège de Yabesh de Galaad (TM).

Il n’est pas possible de dirimer la question en quelques lignes. Les avis sont partagés, bien sûr. Certains ont suivi F.M. Cross. À ce propos, il est intéressant de noter que la très sérieuse New Revised Standard Version de 1989 n’a pas hésité à imprimer le texte de Qumrân qui fait donc désormais partie d’une traduction officielle de l’Église anglicane. À mon avis, le texte retrouvé à Qumrân a bien des chances d’être original sans que l’on puisse avoir sur la question une certitude absolue. D’autres diront, et non sans raisons, que le fragment de Qumrân cherche seulement à rendre plus compréhensible un texte difficile et qu’il n’est pas fréquent de voir un copiste sauter plusieurs lignes. Le choix n’est pas facile et c’est ce que je voulais souligner. Ou bien nous retenons le texte massorétique, c’est-à-dire le texte canonique, mais il faut en expliquer les incohérences et les lacunes. Ou bien nous choisissons le texte de Qumrân et celui de la LXX et il faut expliquer pourquoi les massorètes ont préféré un texte lacunaire.

Genèse 4,8

Il existe d’autres exemples de ce type. Gn 4,8 est l’un des plus connus. Le texte massorétique encore une fois semble lacunaire26. Le texte est connu : Caïn et Abel font chacun des offrandes à Yhwh, mais seule l’offrande d’Abel est agréée par Dieu. D’où la réaction négative de Caïn. Le verset 8, dans le texte hébreu massorétique, dit ceci : « Caïn dit à Abel son frère et lorsqu’ils furent dans la campagne Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua ». J’ai traduit intentionnellement le début du texte par « Caïn dit à son frère Abel » et non pas par « Caïn parla à son frère Abel ». En effet, le verbe utilisé, ’mr en hébreu, signifie bien « dire » et non pas « parler ». Si cela avait été le cas, le texte hébreu aurait employé plutôt le verbe dbr qui a le sens de « parler », « adresser la parole », « converser ». Le premier verbe ne peut qu’introduire un discours direct ou une proposition subordonnée. En toute bonne logique, il faut donc dire que nous avons de très bonnes raisons de penser que le texte massorétique est lacunaire.

La LXX, de son côté, offre un texte plus satisfaisant, puisqu’elle dit : « Caïn dit à son frère : ‘Allons à la campagne’ ». On pourrait traduire, comme le fait la Bible de Jérusalem d’ailleurs : ‘Allons dehors’. Le texte de la LXX peut s’expliquer de deux façons différentes. Ou bien il complète un texte insatisfaisant, ou bien il contient une version originale. Le texte massorétique peut d’ailleurs fort bien s’expliquer par un accident : le copiste a sauté d’un premier « dans la campagne » au second « dans la campagne » (bāśśādeh). Il s’agit donc de nouveau d’une parablepse.

Encore une fois, il n’est pas facile de décider puisqu’il faut choisir entre un texte canonique très problématique et un texte non canonique plus satisfaisant27.

2 Quel est le sens du texte à son stade final ?

Plutôt que d’offrir de longues considérations théoriques, je vais me contenter d’un exemple qui, je l’espère, convaincra le lecteur de l’utilité d’une exégèse historique28. Il s’agit de 1 Rois 6,11-14, un oracle divin adressé à Salomon au cours de la construction du temple. En voici la teneur :

La parole de Yhwh fut adressée à Salomon : Quant à cette maison que tu es en train de construire, si tu marches selon mes décrets, si tu accomplis mes ordonnances et si tu observes mes commandements en te conduisant selon ceux-ci, alors je tiendrai ma parole à ton égard, celle que j’ai dite à ton père David, et j’habiterai au milieu des Israélites et je n’abandonnerai pas mon peuple Israël. [Salomon construisit le temple et l’acheva.]

Le texte n’a sans doute rien de bien particulier à part que le lecteur attentif aura reconnu le style assez typique des exhortations deutéronomiques. Inutile d’insister : l’énumération « décret », « ordonnance », « commandement », les verbes « marcher selon… », « accomplir », « observer » et une théologie qui lie la bénédiction à la fidélité à l’observance de la loi sont des signes suffisamment clairs pour que l’on puisse attribuer ce texte à une main deutéronomiste.

Mais il y a plus. L’oracle, en effet, interrompt un long récit consacré entièrement à décrire la construction du temple de Jérusalem, sans doute l’œuvre la plus prestigieuse attribuée à ce roi. En fait, la première partie du chapitre six décrit l’achèvement du gros-œuvre (6,1-10). La seconde partie décrira surtout l’arrangement et la décoration de l’intérieur (6,15-36). C’est entre les deux que s’insère l’oracle divin.

Nous avons plusieurs raisons de penser qu’il a été inséré à cet endroit à une époque postérieure à la rédaction du chapitre. La raison principale est que cet oracle est absent de la traduction de la LXX. Il est difficile de comprendre pourquoi les traducteurs d’Alexandrie auraient sauté un discours divin dans leur traduction. Il est plus raisonnable de penser que le texte hébreu qu’ils traduisaient ne comportait pas cet oracle. De plus, il est tout aussi difficile d’attribuer l’absence de ce texte relativement long à une erreur de copiste.

Cette opinion est étayée par d’autres observations. Le texte de l’oracle est en effet entouré par deux expressions à peu près identiques, l’une placée avant et l’autre après l’oracle : « Et Salomon construisit le temple et il l’acheva » (1 R 6,9a.14). Cette technique est bien connue et elle porte le nom de « reprise »29. C’est l’une des techniques que les rédacteurs emploient pour « coudre » leurs ajouts sur le texte original. Il est intéressant de noter, à cet égard, que le v. 14 qui contient la « reprise » du v. 9a est absent du texte de la LXX, ce qui confirme l’hypothèse d’un ajout.

La seule difficulté vient de la présence d’une brève information sur le plafond à caissons et sur la construction d’une annexe au temple. Il semble bien que ce texte, difficile à traduire par ailleurs et très discuté par les spécialistes des livres des Rois, soit lui aussi un ajout postérieur qui voulait compléter la description par ces détails techniques.

Nous avons par conséquent plus d’une raison de penser qu’il s’agit bien d’un texte introduit dans la description de la construction du temple. Mais quel est le but de cette insertion ? Son sens ne peut échapper à personne. Alors que le récit est tout à la gloire de Salomon et surtout de son temple, cet oracle divin, marqué au coin de l’autorité divine, subordonne l’avenir de la dynastie à la fidélité à la loi de Yhwh. En d’autres termes, cet oracle réinterprète radicalement le récit de la construction du temple. Ce n’est pas le temple qui assurera l’avenir de la dynastie de David, et par là-même du royaume d’Israël, mais c’est l’observance de la loi. La dernière phrase de l’oracle est particulièrement significative à ce sujet et elle a dû être choisie avec soin : « [Si tu observes fidèlement ma loi], alors je demeurerai au milieu des Israélites […] ». Le rédacteur ne pouvait choisir terme plus audacieux. C’est en effet dans le temple que Yhwh vient établir sa résidence, comme le dit par exemple Salomon dans sa prière du chapitre 8 : « C’est donc bien pour toi que j’ai bâti une maison princière, une demeure où tu habiteras pour toujours » (8,13). Les deux verbes en hébreu sont différents, mais le sens est très proche. Toujours est-il que l’oracle de 1 R 6,10-13 fait dépendre la présence de Yhwh au milieu de son peuple non pas de l’existence du temple, mais de la fidélité à la loi. C’est la loi qui est le vrai lieu de la présence de Yhwh au milieu de son peuple, bien plus que le temple.

Le cas est assez clair, me semble-t-il, et il suffit à justifier une exégèse attentive au développement historique des textes. Pour bien saisir le sens du chapitre, il est nécessaire, à mon avis, d’écouter la mélodie du texte et la voix de cet oracle qui offre une phrase en contrepoint.

3 La lecture continue de la Bible

Une des objections fréquentes qui est faite à la méthode historico-critique est qu’elle empêche de lire le texte « tel qu’il est ». La méthode empêche entre autres de parcourir de grands ensembles et d’en goûter toute la richesse. L’étude de la genèse du texte et sa fragmentation sont bien sûr à l’origine de cette réaction. Qu’en est-il ? Je donnerai deux réponses, l’une plus théorique et l’autre plus pratique.

La nature de la littérature biblique30

Tout d’abord il ne faut pas oublier que notre façon de lire est un phénomène très récent. Nous disposons de livres reliés depuis l’invention du codex, au 2e siècle de notre ère et surtout depuis l’invention de l’imprimerie par Johann Gutenberg en 1455. Avant cela, il fallait se contenter de tablettes, de feuilles de papyrus ou de rouleaux semblables à ceux qui sont encore utilisés dans les synagogues. Notre lecture « continue » est certainement beaucoup facilitée par les progrès techniques de ces derniers siècles. Est-il sûr que les anciens procédaient de la même manière ?

Il ne faut pas oublier non plus que la lecture est elle aussi un phénomène récent. Selon les spécialistes en la matière, seul 1% de la population était capable de lire et d’écrire dans l’Égypte et la Mésopotamie anciennes. En Grèce, on parle de 5%. L’alphabet rendait l’apprentissage plus aisé et ce sont les Grecs qui ont introduit l’idée de l’éducation au moins pour les classes aisées et non seulement pour une classe de scribes au service du pouvoir.

Il n’est donc pas dit que les documents écrits qui nous sont parvenus étaient destinés en premier lieu à la lecture à grande échelle comme aujourd’hui. Il n’existait pas de livres, il n’existait pas de maisons d’édition et les livres n’étaient sûrement pas « publiés », c’est-à-dire mis à la disposition d’un large public. Les écrits étaient rares et, si on me permet cette expression anachronique, tous les livres étaient des livres rares et précieux. Il est certain que les écrits, tablettes, rouleaux ou parchemins pouvaient être lus, qu’ils étaient utilisés pour la liturgie ou l’éducation dans certains cas ou consultés dans d’autres. Mais ce qui était mis par écrit l’était en premier lieu parce qu’il s’agissait d’une tradition ou d’un texte précieux. Les anciens n’écrivaient que ce qui valait la peine d’être préservé pour les générations futures.

Notre Bible, en résumé, n’est pas exactement un « livre » au sens moderne du terme. On répète à l’envi qu’il s’agit d’une bibliothèque. Je préfère l’image des archives31. Notre Ancien Testament contient les « archives nationales » du peuple d’Israël. Qui les consulte y trouvera tous les documents importants de son histoire, de sa liturgie, de sa législation et de sa littérature. En un mot, tous les documents de son passé que le peuple d’Israël a jugé important de conserver. Ces archives sont organisées selon certains critères, comme dans un fichier, mais ces critères ne sont certainement pas les mêmes que les nôtres. Il est difficile de dire, en particulier, qu’ils sont organisés pour être lus comme nous lisons aujourd’hui un roman ou un traité de théologie.

Les fractures du texte biblique32

Deux exemples plus clairs parmi tant d’autres suffiront, je pense, à montrer que l’ordre suivi par les écrivains ou les compilateurs du texte biblique n’est pas toujours un ordre logique et chronologique.

Le premier exemple est celui de Nombres 9,1. Au début du chapitre, Yhwh s’adresse à Moïse et la date de ce discours est précisée : « C’était la deuxième année après leur sortie du pays d’Égypte, le premier mois ». Rien d’exceptionnel, semble-t-il. Mais le lecteur qui se souvient du tout début du livre des Nombres ne peut que s’étonner puisque il a lu une autre date : « Dans le désert du Sinaï, Yhwh parla à Moïse dans la tente de la rencontre ; c’était le premier jour du deuxième mois, la deuxième année après leur sortie du pays d’Égypte ». Nous sommes déjà au second mois de la seconde année en Nb 1,1. Comment expliquer que le discours du chapitre 9 soit daté du premier mois ? Cette difficulté avait déjà été notée par les rabbins qui avaient énoncé à ce propos leur fameux principe : « Dans la Torah, il n’y a ni avant ni après »33.

Cet exemple montre à suffisance, me semble-t-il, que les textes du Pentateuque ne sont pas toujours classés selon l’ordre chronologique et cela même lorsqu’ils sont précédés de dates précises34. Il existe bien d’autres exemples de ce type. C’est ainsi qu’Ismaël a déjà treize ans selon Gn 17,25, mais qu’il est un nouveau-né porté par sa mère dans l’épisode de Gn 21,8-19. L’histoire de Joseph contient un autre exemple de ce type. Durant les vingt-deux ans qui séparent le chapitre 37 du chapitre 4635, il faudrait que Juda puisse se marier, avoir trois enfants, en marier deux, avoir des jumeaux de sa relation avec Tamar, Perez et Zérah (Gn 38,29-30), et descendre en Égypte avec ses enfants et ses petits-enfants, c’est-à-dire les enfants de Perez (Gn 46,12). Tout cela en un peu plus de vingt-deux ans. Spinoza a sans doute été l’un des premiers à remarquer la chose et il a été suivi par beaucoup. Il est plus simple, dans ce cas comme dans d’autres, de dire que ces récits n’appartiennent pas à la même source.

Il existe un autre exemple qui montre que les écrivains bibliques étaient eux-mêmes conscients d’avoir ajouté certains textes à d’autres préexistants. C’est le cas, à mon avis, de la dernière section d’Ex 19 qui contient la description de la théophanie du Sinaï. Après les instructions et la préparation de la théophanie (Ex 19,10-15) et la description de la théophanie comme telle (19,16-19), le lecteur est assez surpris de voir Yhwh descendre à nouveau sur le mont Sinaï (19,20 ; cf. 19,18) puis appeler Moïse à monter au sommet de la montagne pour lui dire immédiatement de redescendre avec une série d’instructions pour le peuple (19,21-22). Ces instructions surprennent à plus d’un titre. Yhwh demande d’empêcher le peuple de s’approcher de lui. Même les prêtres ne peuvent s’approcher sans se purifier. Il serait plus normal de trouver ces instructions avant la théophanie. De plus, Yhwh avait déjà donné des instructions dans ce sens (19,12-13). Ajoutons que le peuple est lui-même terrifié et qu’il n’a vraiment aucune envie de s’approcher de la montagne, du moins selon Ex 20,18.21.

Cette impression du lecteur est en fait confirmée par la réaction de Moïse lui-même qui fait à Yhwh cette remarque que l’on qualifierait aujourd’hui de « critique » : « Le peuple ne peut pas monter sur le mont Sinaï, puisque toi, tu nous as avertis en disant : Délimite la montagne et tiens-la pour sacrée ! ». Moïse lui-même fait remarquer qu’il y a un « doublet » ou une répétition dans le texte. C’est d’ailleurs bien ainsi qu’il faut comprendre le passage qui contient des précisions sur l’ordre à respecter dans les lieux sacrés. Selon Ex 19,24, en effet, seuls Moïse et Aaron pourront s’approcher de Yhwh. Même les prêtres ne le pourront pas. Le but est de légitimer un ordre de choses qui se vérifiera dans l’organisation du culte et du temple à une époque très tardive36.

Le point important est toutefois différent. J’ai voulu souligner le fait que le récit lui-même, par le biais de la remarque de Moïse, montre que les auteurs de ce texte était parfaitement conscients d’avoir ajouté une série d’instructions à un texte déjà existant. À mon avis, le lecteur moderne est lui aussi invité à ne pas niveler un texte qui a son relief et qui ne cherche pas à cacher l’existence de ses propres aspérités37. C’est le texte biblique lui-même qui oblige à tenir compte de ces ruptures, de ces irrégularités et de ces discontinuités.

4 Conclusion

Les quelques réflexions que je viens d’offrir et les quelques exemples que j’ai développés n’avaient pour but que d’inviter à mieux comprendre et à mieux apprécier une méthode qui est sans doute aussi ancienne que l’exégèse elle-même puisqu’elle plonge ses racines dans la Bible elle-même. Mon but n’était pas de justifier tous les travaux historico-critiques, loin de là. Je me suis contenté de montrer que l’entreprise comme telle a un sens, un sens valable, et que la démarche historico-critique est dans certains cas incontournable38. C’est en effet dans l’effort constant de donner aux textes un sens nouveau en fonction des circonstances que des rédacteurs sont intervenus à différentes époques. Dans ce sens, on peut dire sans trop d’exagération que le Nouveau Testament est un ultime effort du même genre qui se présente comme une interprétation nouvelle et définitive de l’Ancien Testament.

Notes de bas de page

  • 1 Alter R., The Art of Biblical Narrative, New York, Basic Books, 1985, p. 13 ; traduction française : L’art de la narration biblique. Traduit de l’anglais par P. Lebeau et J.-P. Sonnet, coll. Le livre et le rouleau 4, Bruxelles, Éditions Lessius, 1999.

  • 2 Eichrodt W., « Bahnt sich eine neue Lösung der deuteronomischen Frage ? », dans Neue Kirchliche Zeitschrift 32 (1921) 41-78 (53).

  • 3 Von Rad G., Das formgeschichtliche Problem des Hexateuch, coll. BWANT 78, Stuttgart, Kohlhammer, 1938, p. 1 = Gesammelte Studien zum AT, coll. Theologische Bücherei 8, München, Kaiser Verlag, 1958, p. 9-86 (p. 1). Von Rad parle d’une certaine Forschungsmüdigkeit (« lassitude » ou « dégoût de la recherche ») qui se répand dans la jeune génération.

  • 4 North C.R., « Pentateuchal Criticism », dans The Old Testament and Modern Study : A Generation of Discovery and Research. Essays by Members of the Society for Old Testament Study, éd. Rowley H.H., Oxford, Clarendon Press, 1951, p. 48-83 ; sur le Lévitique, p. 56. Il compte sept sigles pour sept différentes couches de P, l’écrit sacerdotal. Chaque couche rédactionnelle est ellemême subdivisée. D’où la conclusion : « This is surely the reduction ad absurdum of the analytical method and it is improbable that we shall ever see anything like it again ». Malheureusement, il faut le dire, les faits ont démenti la prophétie de C.R. North.

  • 5 Ibid., p. 48, citant McFayden J.E., « The Present Position of Old Testament Criticism », dans The People and the Book. Essays by the Members of the Society for Old Testament Study, éd. Peake A.S., Oxford, Oxford University Press, 1925, p. 151-219, p. 218.

  • 6 Wellek R., Concepts of Criticism, London – New Haven, CT, Yale University Press, 1963, p. 15.

  • 7 Voir, en particulier, l’ouvrage où il expose son programme : Richards I.A., Principles of Literary Criticism, London, Kegan Paul – Trench – Trubner, 1924 ; New York, Harcourt, Brace & World, 1925.

  • 8 L’ouvrage classique de cette école est celui de Wellek R. – Warren A., Theory of Literature, Harmondsworth, Penguin Books, 1963 ; trad. française : La théorie littéraire, coll. Poétique, Paris, Seuil, 1971. Sur la « Nouvelle Critique » et son influence sur l’exégèse, voir notre article « La “nouvelle critique” et l’exégèse anglo-saxonne », dans RSR 80 (1992) 29-53.

  • 9 Cf. l’article bien connu de Wimsatt W.K. – Beardsley M.C., « The Intentional Fallacy » et « The Affective Fallacy », dans Id., The Verbal Icon : Studies in the Meaning of Poetry, Lexington, KY, Kentucky University Press, 1954, p. 3-18 et 21-39 ; repris dans The Critical Tradition : Classic Texts and Contemporary Trend, éd. David H. Richter, Boston, MA, Bedford Books of St. Martin’s Press, 1989, 21998, p. 748-756 et 976-990.

  • 10 Pour une défense plus complète de la méthode historico-critique, voir Fitzmyer J.A., The Interpretation of Scripture : In Defense of the Historical-critical Method, New York – Mahwah, N.J., Paulist Press, 2008. L’auteur cite une série de documents officiels sur la question.

  • 11 Rofé A., La composizione del Pentateuco. Un’introduzione, coll. Studi biblici, Bologne, Dehoniane, 1999, p. 8 ; pour une discussion plus complète, voir p. 121-141.

  • 12 Eco U., I limiti dell’interpretazione, Milano, Bompiani, 1990 ; trad. française : Les limites de l’interprétation, Paris, Grasset, 1992.

  • 13 Ibid., p. 14.

  • 14 Sternberg M., The Poetics of Biblical Narrative : Ideological Literature and the Drama of Reading, Bloomington, IN, Indiana University Press, 1985, p. 8-9 : « As interpreters of the Bible, our only concern is with “embodied” or “objectified” intentions ; and that forms a different business altogether, about which a wide measure of agreement has always existed ».

  • 15 Barr J., The Semantics of Biblical Language, Oxford, Oxford University Press, 1961 ; trad. française : La sémantique du langage biblique, Paris, Aubier, 1971.

  • 16 Pour une présentation de cette école, voir Bodine W.R. (éd.), Discourse Analysis of Biblical Literature : What It Is and What It Offers, coll. SBLSS, Atlanta, GA, Scholars Press, 1995 ; pour plus de détails, voir Schiffrin D. – Tannen D. – Hamilton H.E., Handbook of Discourse Analysis, Oxford, UK – Malden, MA, Blackwell, 2001.

  • 17 Il existe trois revues spécialisées sur la sémiotique biblique, l’une est publiée en France, Sémiotique et Bible (Lyon), l’autre aux États-Unis, Semeia (Atlanta, GA) et la troisième en Allemagne, Linguistica biblica (Bonn). Pour une évaluation de la méthode, voir Aletti J.-N., « Exégèse biblique et sémiotique. Quels enjeux ? », dans RSR 80 (1992) 9-28.

  • 18 Pour plus de détails sur ce débat, voir l’ouvrage classique d’un professeur de l’École biblique de Jérusalem, le regretté Dreyfus P.-F., Exégèse en Sorbonne, exégèse en Église. Esquisse d’une théologie de la Parole de Dieu, coll. Sagesse et culture, Saint-Maur, Parole et Silence, 2007. Le titre du recueil est repris à un article bien connu du même auteur : « Exégèse en Sorbonne, exégèse en Église », dans RB 83 (1976) 321-359.

  • 19 Nous devons la distinction entre théologie dogmatique et théologie biblique à un exégète allemand, Johann Philipp Gabler, dans un discours célèbre intitulé De iusto discrimine theologiae biblicae et dogmaticae regundisque recte utriusque finibus, Altdorf, Monath, 1787. Voici une liste incomplète de théologies de l’Ancien Testament avec le nom de leurs auteurs et la date de parution : E. König, 1922, 31923 ; W. Eichrodt, 1933-1939, 41961 ; E. Sellin, 1933 ; L.H. Koehler, 1936 ; P. Heinisch, 1940 ; O. Procksch, 1949 ; Th.Ch. Vriezen, 1957 ; G. von Rad, vol. 1 : 1957 - 101992 ; vol. 2 : 1962 - 91987 ; E. Jacob, 1968 ; W. Zimmerli, 1972 ; J.L. McKenzie, 1974 ; C. Westermann, 1978 ; T.N.D. Mettinger, 1988 ; H.D. Preuss, 1991 ; J. Schreiner, 1995 ; W. Brueggemann, 1997 ; J. Barr, 1998 ; M. Nobile, 1998 ; E.S. Gerstenberger, 2001 ; C.H.H. Scobie, 2003 ; W. Herrmann, 2004 ; W. Brueggemann, 2008 ; B.K. Waltke, 2008. Est apparue récemment une théologie de l’Ancien Testament écrite par un exégète juif : Fishbane M.A., Sacred Attunement : A Jewish Theology, Chicago, IL, University of Chicago Press, 2008. Heinisch, McKenzie, Schreiner et Nobile sont catholiques.

  • 20 Beauchamp P., L’Un et l’Autre Testament. Essai de lecture, coll. Parole de Dieu, Paris, Le Seuil, 1976 ; Id., L’Un et l’Autre Testament. II. Accomplir les Écritures, coll. Parole de Dieu, Paris, Le Seuil, 1990 ; Childs B.S., Old Testament Theology in Canonical Context, Philadelphie, PA, Fortress Press, 1986 ; Rendtorff R., Theologie des Alten Testaments. Ein kanonischer Entwurf. Vol. 1 : Kanonische Grundlegung ; vol. 2 : Thematische Entfaltung, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener Verlag, 1999-2001.

  • 21 Pour un bilan sur la question, voir Elliott M.W., The Reality of Biblical Theology, coll. Religions and Discourse 39, New York, Peter Lang, 2007.

  • 22 Parmi les auteurs d’une théologie du Nouveau Testament, il faut citer R. Bultmann, R.K. Bultmann, H. Conzelmann, J. Gnilka, L. Goppelt, G.F. Hasel, F. Hahn, H. Hübner, J. Jeremias, W.G. Kümmel, I. H. Marshall, R. Morgan – W. Wrede – A. von Schlatter, L. Morris, H. Räisänen, K.-H. Schelkle, E. Schillebeeckx, R. Schnackenburg, G. Strecker, P. Stuhlmacher, D.O. Via, U. Wilckens. Inutile de dire que la plupart pratiquent l’exégèse historico-critique. Pour un essai différent, voir Childs B.S., Biblical Theology : A Proposal, Minneapolis, MN, Fortress, 2002. Childs préconise une lecture canonique des deux Testaments.

  • 23 Sur ce texte, voir entre autres Pisano S., Additions or Omissions in the Books of Samuel : The Significant Pluses and Minuses in the Masoretic, LXX and Qumran Texts, coll. OBO 57, Fribourg Suisse, Universitätsverlag – Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1984, 91-98 qui conclut : « Thus, the shorter and more difficult MT [texte massorétique] seems preferable here ». Pour Tov E., Textual Criticism of the Hebrew Bible, Minneapolis, MN, Fortress Press, 1992, p. 342-344, Qumrân a conservé le texte original. Les conclusions des spécialistes sont divergentes et cela prouve, si besoin en était, l’existence du problème.

  • 24 Pour plus de détails et une excellente présentation des problèmes, voir Ulrich E., « Our Sharper Focus on the Bible and Theology Thanks to the Dead Sea Scrolls », dans CBQ 66 (2004) 1-24. Sur les rédacteurs, voir notre article « A Plea on Behalf of the Biblical Redactors », dans Studia Theologica. Nordic Journal of Theology 59 (2005) 4-18 = Id., The Exegesis of the Pentateuch : Exegetical Studies and Basic Questions (FAT ; Tübingen : Mohr Siebeck, 2009) p. 232-245.

  • 25 Cross F.M., « The Ammonite Oppression of the Tribes of Gad and Reuben : Missing Verses from 1 Samuel 11 Found in 4QSamuela », dans The Hebrew and Greek Texts of Samuel. 1980 Proceedings IOSCS, éd. E. Tov, Jerusalem, Magnes Press, 1980, 105-119.

  • 26 Les conjectures sont nombreuses, mais une fois de plus il m’importe de montrer l’existence des problèmes. Voir, par exemple, le jugement de Zeitlin S., « Some Reflections on the Text of the Pentateuch », dans JQR 51 (1960/1961) 321-331, 327 : « This problem must remain unsolved for lack of evidence ». Spurrell G.J., Notes on the text of the Book of Genesis with an Appendix, Oxford, Clarendon, 21896, p. 53-54, par contre, s’appuie sur les versions, la LXX, l’Itala, la Peshitta, la Vulgate, le Samaritain et le Targum de Jérusalem pour dire : « And it is not improbable that these Versions have preserved the original text ». Comme on le voit, il n’est pas facile d’établir quel est le « texte original ».

  • 27 Il existe d’autres exemples. Je pense en particulier à Jg 19,30. La Bible de Jérusalem se base sur le texte plus compréhensible de la LXX.

  • 28 Depuis longtemps les exégètes ont vu dans ce texte un ajout postérieur. Le traitement le plus complet de la question est et reste celui de Burney C. F., Notes on the Hebrew Text of the Books of Kings with an Introduction and Appendix, Oxford, Clarendon Press, 1903, p. 68-69. Pour une étude récente, voir Tov E., Hebrew Bible, Greek Bible, and Qumran, coll. Texts and Studies in Ancient Judaism 121, Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, p. 406.

  • 29 Voir, pour d’autres exemples, Kuhl C., « Die “Wiederaufnahme” — ein literarkritisches Prinzip ? », dans ZAW 64 (1952) 1-11 ; Long B.O., « Framing Repetitions in Biblical Historiography », dans JBL 106 (1987) 385-399 ; Anbar M., « La ‘reprise’ », dans VT 38 (1988) 385-398.

  • 30 Sur ce point, voir, entre autres, Niditch S., Oral World and Written Word : Ancient Israelite Literature, coll. Library of Ancient Israel, Louisville, KY, Westminster John Knox, 1996 ; Carr D.M., Writing on the Tablet of the Heart : Origins of Scripture and Literature, Oxford, University Press, 2005 ; van der Toorn K., Scribal Culture and the Making of the Hebrew Bible, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2007. Sur la période du second temple, voir Crawford S.W., Rewriting Scripture in Second Temple Times, Grand Rapids, MI, Eerdmans, 2008.

  • 31 Voir Sparks K.L., « Near Eastern Archives and Libraries », dans Id., Ancient Texts for the Study of the Hebrew Bible. A Guide to the Background Literature, Peabody, MA, Hendrickson, 2005, p. 25-55.

  • 32 Sur ce point, il existe une abondante bibliographie. Voir, parmi tant d’autres, Carr D.M., Reading the Fractures of Genesis : Historical and Literary Approaches, Louisville, KY, Westminster John Knox, 1996. Voir aussi les ouvrages cités note 38.

  • 33 Le principe se trouve dans le Talmud de Babylone, traité sur la Pâque, 6b. Nb 9 contient en effet un certain nombre de prescriptions sur la célébration de la Pâque.

  • 34 La chose avait été notée par Richard Simon dans son Histoire critique du Vieux Testament : « On pourrait aussi dire que lorsqu’on a compilé l’abrégé de l’Écriture pour le mettre entre les mains du peuple, on n’a pas toujours eu égard à l’ordre des temps, mais qu’on s’est appliqué principalement à publier les histoires qu’on jugea alors être les plus propres pour instruire le peuple ». Citation tirée de Simon R., Histoire critique du Vieux Testament suivi de Lettre sur l’Inspiration. Nouvelle édition annotée et introduite par Pierre Gibert, Paris, Bayard, 2008, p. 79-80. La première édition de l’ouvrage date de 1678.

  • 35 Joseph a dix-sept ans selon Gn 37,2. Il en a trente selon Gn 41,46. À cela s’ajoutent les sept ans d’abondance (41,53-54) et deux ans de famine (45,6). La chose est connue au moins depuis Spinoza B., Tractatus theologico-politicus, Amsterdam, Jan Rieuwertsz, 1663, chap. 9.

  • 36 Aaron, le grand prêtre, occupe une place tout à fait singulière. Le grand prêtre ne sera distingué du peuple et des autres prêtres que dans des textes très tardifs comme Esd 7,5 ou 1 Ch 24,1-19.

  • 37 Une fois encore, il y aurait bien des exemples de ce type. Je cite seulement Gn 22,15 où il est dit explicitement que l’ange du Seigneur parle une « seconde fois ». Ou Ex 3,15 où Yhwh parle « encore [une fois] à Moïse. Ceci prouve que le texte biblique n’est pas complètement harmonisé et que la lecture doit en tenir compte.

  • 38 Pour plus de détails sur la méthode, voir par exemple Tigay J.H., The Evolution of the Gilgamesh Epic, Philadelphia, PA, University of Pennsylvania Press, 1982 ; Tigay J.H. (éd.), Empirical Models for Biblical Criticism, Philadelphia, PA, University of Pennsylvania Press, 1985 ; Fishbane M.A., Biblical Interpretation in Ancient Israel, Oxford, Oxford University Press, 1985 ; Boorer S., « The Importance of a Diachronic Approach : The Case of Genesis-Kings », dans CBQ 51 (1989) 195-208 ; Fox M.V., The Redactions of the Books of Esther : On Reading Composite Texts, coll. SBLMS 40, Atlanta, GA, Scholars Press, 1991 ; Tertel H.J., Text and Transmission : An Empirical Model for the Literary Development of Old Testament Narratives ; coll. BZAW 221, Berlin, Walter de Gruyter, 1994 ; Levinson B.M., L’herméneutique de l’innovation. Canon et exégèse dans l’Israël biblique. Trad. de V. Sénéchal et J.-P. Sonnet, coll. Le livre et le rouleau 24, Bruxelles, Éditions Lessius, 2006.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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