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Réciprocité et asymétrie. Une nouvelle typologie de deux modèles de la théologie trinitaire

Ken Yamamoto
Dans le débat actuel de la théologie trinitaire, le modèle dit «communionnel» souligne les relations réciproques des trois personnes divines agissant dans l'histoire du salut, en jugeant unilatérales les relations d'origine du Père au Fils et à l'Esprit, sur lesquelles s'appuie le modèle classique appelé «génétique». La présente étude réexamine la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin en tant qu'exemple de ce dernier modèle, ainsi que ses interprétations par Wolfhart Pannenberg et Gisbert Greshake, défenseurs du premier modèle. Elle propose une autre articulation conceptuelle plus opératoire: la réciprocité est plus qu'une simple symétrie et l'asymétrie, qui, distinguée d'avec une pure unilatéralité, est pourtant sans contradiction avec cette réciprocité. Ainsi sont formulés deux nouveaux modèles qui tiennent compte, chacun à sa manière, de ce double facteur. Cette nouvelle typologie de deux modèles permet de concevoir la constitution des trois personnes divines avec autant d'attention sur ce qui est entre elles que sur ce qui est propre à chacune.

Diverses tentatives de concevoir l’identité de soi-même non comme constituée de manière absolue mais comme médiatisée par l’altérité attirent de plus en plus l’attention dans la réflexion philosophique comme dans la théorie politique. Il n’est pas étonnant que la théologie trinitaire contemporaine — la réflexion sur le Dieu un et trine qui, par définition, implique l’altérité en soi-même — rejoigne cette orientation. Plutôt que de l’unité de l’essence divine comprise comme substantielle, elle se préoccupe davantage de la pluralité relationnelle des trois personnes divines.

Ainsi le personnalisme dialogique de Martin Buber inspire-t-il la théologie trinitaire de Wolfhart Pannenberg. Selon Buber, la constitution de la personne relève de ce qu’il appelle la « sphère d’entre (Sphäre des Zwischen) », qui est « une catégorie primordiale de la réalité humaine »2. En effet, cette sphère est « posée avec l’existence de l’homme en tant qu’homme » mais elle n’est pas « encore saisie conceptuellement »3. D’après Pannenberg, cette conception de la personne humaine qui est fondée sur « le mystère qui réunit le je et le tu et à partir duquel tous les deux obtiennent leur personnalité » conviendrait aussi à la personne divine. Parce que « non seulement le Fils et l’Esprit, dans leur particularité, sont redevables au Père, mais aussi, inversement, le Père ne serait pas le Père sans le Fils ni sans l’Esprit »4. Il faudra donc « chercher la réalité de Dieu dans le mystère ‘entre’ je et tu »5.

Cette proposition de Pannenberg semble stimulante dans son propre contexte, philosophique et théologique, où la subjectivité qui est une et centrée sur soi-même est actuellement discutée et contestée. En revanche, la même proposition pourrait apparaître moins convaincante dans un autre contexte, culturel et social. La collectivité et l’ex-centricité du « mystère d’entre deux » qui y est sous-jacente sont dominantes, par exemple, dans certains pays d’Extrême-Orient, sans conduire pour autant, à notre avis, à une meilleure reconnaissance du rapport à soi et à l’autre6.

Une question qui se pose à partir de cette diversité contextuelle, mais qui est valable de manière transcontextuelle, est la suivante : Pannenberg ne fait-il pas un passage trop rapide, lorsqu’il rejette la centralité du soi en faveur de l’ex-centricité du mystère d’entre deux ? Supposons que deux personnes définissent leur être-personne entièrement par leur mystère d’entre deux qui précède leur individualité. Privées du miroir où chacune d’elles se regarde comme « moi » vis-à-vis de « toi », elles se sentiraient anonymes, insignifiantes et inconsistantes : elles ne peuvent pas se situer l’une vis-à-vis de l’autre ; elles ne trouvent pas une place qui leur soit propre vis-à-vis de la place propre à l’autre7.

Sans doute, Pannenberg n’ignore pas cette question : il précise que le Père, le Fils et l’Esprit sont redevables entre eux « dans leur particularité ». Mais alors, pourquoi mène-t-il sa discussion sur la Trinité uniquement autour de deux termes clés : « unilatéralité » et « réciprocité » qui correspondent précisément à la centralité du soi et à l’ex-centricité du mystère d’entre deux ?

I Une typologie d’opposition inconciliable entre le modèle « génétique » et le modèle « communionnel »

1 Débat sur la relation d’origine

Pannenberg considère que les relations d’origine ont sans cesse posé problème tout au long de l’histoire du dogme trinitaire. Elles sont unilatérales entre le Père qui est le principe et le Fils et l’Esprit qui en procèdent. La difficulté relève essentiellement de la méthode à laquelle cette conception recourt pour déduire la pluralité des personnes à partir de l’unité de l’essence divine dont le Père est l’origine sans origine : « Toute déduction de la pluralité des personnes divines à partir d’un concept d’essence du Dieu unique, que ce soit comme esprit ou comme amour, conduit donc aux difficultés tantôt du modalisme tantôt du subordinatianisme. Des deux côtés, on échoue à rendre compte des intentions du dogme trinitaire »8. Karl Barth, qui a inauguré la théologie trinitaire du XXe siècle, n’est pas exempt de cette erreur. Plutôt que de partir du « contenu de la révélation »9, qui est centré dans l’Écriture sur le rapport historique de Jésus avec son Père, Barth commence par « la représentation formelle du Dieu qui se révèle »10, à savoir sa fameuse proposition : « Dieu se révèle comme le Seigneur »11. Dans cette théologie, Dieu est encore pensé « logiquement comme sujet ‘dès avant’ sa différentiation trinitaire »12.

Face à cette impasse, Pannenberg propose une autre façon de concevoir le Dieu trinitaire, sans prendre appui exclusivement sur la relation d’origine. N’y a-t-il pas des textes bibliques qui témoignent de la transmission réciproque de la seigneurie de Dieu et de la glorification réciproque entre les trois personnes dans l’histoire du salut13 ? Cette nouvelle conception appelle une nouvelle méthode, suivant laquelle l’unité n’existe que comme médiatisée par la pluralité des relations interactives entre les trois personnes dans l’économie du salut.

Pannenberg participe ainsi au débat actuel qui oppose deux modèles de la Trinité. Alors que le modèle traditionnel, que l’on peut appeler « génétique » ou « monarchique », laisse apparaître l’unilatéralité du rapport de la première personne divine à l’égard de la deuxième et de la troisième, le modèle qui est parfois appelé « communionnel » ou « communautaire » met en évidence les relations réciproques des trois personnes divines14. Ce second modèle prétend ainsi surmonter la difficulté devant laquelle échoue le premier modèle. Ils sont en opposition inconciliable.

Les théologiens qui optent pour le modèle communionnel tentent ainsi de penser Dieu comme relation. Demeurent cependant chez l’un ou l’autre les « difficultés de penser Dieu effectivement comme relation »15. Aussi, la question que nous voulons poser est de savoir si le modèle génétique est vraiment inopérant pour penser Dieu comme relation. Autrement dit, celle de savoir si la distinction selon les relations d’origine conduit nécessairement à la déduction de la tri-personnalité à partir de l’unité d’essence. De ce point de vue, il conviendra de reprendre rapidement l’exposé classique que les partisans du modèle communionnel comptent parmi des exemples du modèle génétique, en vue d’examiner dans quelle mesure leurs critiques sont légitimes.

La doctrine de la Trinité dans la Somme Théologique de saint Thomas d’Aquin16, dont le cœur est la doctrine de la « personne divine comme relation subsistante », fait l’objet d’une interprétation critique de Pannenberg, ainsi que celle de Gisbert Greshake, auteur de l’une des dernières grandes synthèses du modèle communionnel17.

2 La personne comme relation subsistante

a Les arguments de Thomas d’Aquin

Thomas d’Aquin développe sa conception de la personne divine en partant de la définition que Boèce a donnée pour la personne en général : « une substance individuelle de la nature raisonnable ».

« En effet, la personne en général signifie, comme on l’a dit, la substance individuelle de nature raisonnable. Or, l’individu est ce qui est indivis en soi et distinct des autres. Par conséquent la personne, dans une nature quelconque, signifie ce qui est distinct en cette nature-là. (…) Or en Dieu, nous l’avons dit, il n’y a de distinction qu’à raison des relations d’origine. D’autre part, la relation en Dieu n’est pas comme un accident inhérent à un sujet ; elle est l’essence divine même ; par suite elle est subsistante au même titre que l’essence divine. De même donc que la déité est Dieu, de même aussi la paternité divine est Dieu le Père, c’est-à-dire une Personne divine. Ainsi ‘la Personne divine’ signifie la relation en tant que subsistante : autrement dit, elle signifie la relation par manière de substance c’est-à-dire d’hypostase subsistant en la nature divine (bien que ce qui subsiste en la nature divine ne soit autre chose que la nature divine) »18.

Quatre arguments s’articulent dans ce texte :

  1. L’individu est ce qui est distinct.

  2. La distinction en Dieu ne se fait que par la relation d’origine.

  3. Or la relation en Dieu est l’essence divine même, et donc elle est subsistante.

  4. Donc, la personne divine signifie la relation subsistante.

1) « La substance (…) est individuée par elle-même »19. Elle existe en soi et elle est distincte des autres. Aussi, une substance individuelle est une substance distincte. Dans la substance corporelle, cette individualité ou cette distinction relève de la matière. C’est pourquoi une précision s’impose pour la considération de la personne divine : l’« individu ne peut sans doute convenir à Dieu pour autant qu’il évoque la matière comme principe d’individuation ; il lui convient seulement comme évoquant l’incommunicabilité »20. Quel est alors le principe d’individuation ou de distinction dans le cas de la personne divine ?

2) « Dieu est de nature raisonnable, au sens où ‘raison’ évoque non pas le raisonnement discursif mais la nature intellectuelle en général »21. Thomas aborde deux « processions » en Dieu selon l’analogie de l’intellect et de la volonté qui sont deux facultés de l’être doué d’intelligence. « Dans une nature intellectuelle, cette action immanente se réalise dans l’acte d’intelligence et l’acte de volonté »22. Cette double procession, la génération du Fils et la procession de l’Esprit, apparaît comme fondement de l’opposition ou de la distinction réelle entre les trois. En effet, la procession oppose deux termes dont l’un procède de l’autre. Cependant, elle n’élimine pas l’un en posant l’autre. Elle ne suppose pas l’inégalité des deux dans leur perfection. Cette opposition est celle qu’Aristote appelle « opposition relative »23. De cette manière, les relations d’origine par la procession du Verbe et la procession de l’amour se distinguent réellement.

3) En même temps, la relation en Dieu ne fait pas nombre avec son essence. « Les relatifs ne signifient selon leur raison propre que le seul rapport à autre chose »24. Autrement dit, « en tant que pur rapport, la relation ne signifie pas un rapport à l’essence, mais bien à son terme opposé »25. La relation divine n’ajoute rien à l’essence divine qui est simple et parfaite. En ce sens, « la relation qui existe réellement en Dieu détient l’être de la divine essence et ne fait qu’un avec elle » de sorte que « tout ce qui existe en Dieu est son essence »26. La relation divine est ainsi subsistante.

4) En conséquence, la personne divine signifie la relation subsistante.

Face à la théologie thomasienne centrée sur cette doctrine de la personne comme relation subsistante, Pannenberg estime qu’elle fait obscurcir la pluralité des personnes par son unité de l’essence (tendance « modaliste »). Greshake lui reproche d’attribuer la priorité ontologique au Père par rapport au Fils et à l’Esprit (tendance « subordinatianiste »).

b L’interprétation de Pannenberg

Pannenberg estime que, dans la Somme Théologique, c’est sur sa « nature spirituelle » de Dieu « comme essence connaissante et voulante » qu’est fondée « la possibilité de penser des processus intradivins »27. Dans la procession du verbe, « la chose dite ou connue est dans le connaissant », et dans la procession de l’amour, « l’aimé est dans l’aimant »28. Cette idée d’« autodifférentiation de la conscience de soi » représente Dieu toujours comme « un sujet unique »29. C’est pourquoi « les moments de cette conscience de soi [le Fils et l’Esprit] n’apportent aucune subjectivité propre »30.

Thomas d’Aquin tente de montrer que le Fils et l’Esprit en tant que relations « subsistantes » possèdent leur être-en-soi au même titre que le Père assimilé au Dieu un. Pannenberg juge cette tentative peu convaincante. La difficulté consiste à supposer que « le vis-à-vis des relata unis par la relatio persisterait quand on l’applique à Dieu, bien que la relation ne puisse être distinguée de l’essence divine comme c’est le cas de toutes les déterminations accidentelles dans les énoncés sur la divinité »31. La distinction entre les personnes est « à raison des relations d’origine »32, alors que la relation en Dieu « est la divine essence même »33 et que la distinction de l’essence et de la relation n’est que « de raison »34. Pannenberg ne comprend pas pourquoi la distinction pourrait rester réelle entre les personnes, si elle n’était que de raison entre l’essence et la relation.

Pour cette lecture « modaliste » de Thomas d’Aquin par Pannenberg, notons d’abord que Thomas désigne la relation comme « un rapport à autre que soi, rapport qui oppose relativement la chose à cet autre »35. S’il y a une relation, alors un terme est opposé relativement à un autre. Relevons aussi que Thomas distingue deux catégories de relation : relation de raison et relation réelle. La relation de raison est celle qui « n’existe que dans l’appréhension même de la raison »36, par exemple la relation de comparaison entre homme et animal. En revanche, la relation réelle est celle qui existe « dans la nature même des choses »37 indépendamment de la considération de l’esprit humain — par exemple celle entre la terre et le corps grave.

Les relations d’origine en Dieu se fondent sur la génération du Fils et la procession de l’Esprit. Cette double procession en Dieu est analogique, dans la création, à la procession ad intra, « qui demeure au-dedans de l’agent lui-même »38, non à la procession ad extra, qui est le « mouvement local » ou l’« action d’une cause sur son effet extérieur »39. Cependant, la procession intradivine oppose réellement le principe et le terme. Elle constitue une opposition relative qui n’implique aucune différence ni d’être ni de perfection40. En effet, « plus la procession est parfaite, plus le terme fait un avec son principe »41. Bien que « proche de l’unité »42, l’opposition relative constitue une réelle distinction. « Il doit donc y avoir en Dieu distinction réelle, affectant, non pas, sans doute, la réalité absolue qu’est l’essence, où se trouve la plus haute unité et simplicité, mais la réalité relative »43.

L’idée de relation subsistante récapitule ces deux aspects de la relation en Dieu, à savoir une distinction réelle entre ses deux termes corrélatifs et son identité avec l’essence. « La Personne désigne la relation en tant qu’elle subsiste en la nature divine ; or, entre la relation et l’essence, il n’y a pas de distinction réelle, mais une simple distinction de raison ; tandis que d’une relation à la relation opposée, il y a distinction réelle en vertu de l’opposition »44.

La relation et l’essence ne se distinguent que de raison, puisqu’elles signifient la même réalité divine, bien que de deux manières différentes. Ainsi, la distinction de raison entre l’essence et la relation est d’un tout autre ordre que la distinction réelle entre les deux termes corrélatifs de la procession ad intra. La transposition de la notion de relation en Dieu, où tout ce qui existe est son essence une et simple, ne semble pas annuler l’opposition en relation, telle qu’elle est définie par Thomas d’Aquin.

c L’interprétation de Greshake

Le théologien de Fribourg fait deux observations sur la théologie trinitaire de la Somme théologique45.

D’une part, l’unité n’est attribuée ni au Fils, ni à l’Esprit, mais seulement au Père. En effet, Thomas affirme : « l’unité se trouve immédiatement dans la personne du Père, même si, par impossible, on fait abstraction des deux autres ; celles-ci tiennent donc leur unité du Père »46. Ce concept d’unité est « fondamentalement substantiel et chosiste : il n’a pas besoin de la médiation interpersonnelle, même s’il pourrait permettre une telle médiation »47. D’autre part, le moment d’« autocommunication » de l’essence divine apparaît entre les trois personnes dans la doctrine thomasienne. Cette essence divine est cependant celle qui « subsiste (logiquement !) ‘d’abord’ dans le Père, et qui est transmise de lui [au Fils et à l’Esprit] (même si cet être-Père est dépendant du Fils qui reçoit l’essence divine) »48 Ce « procès d’autocommunication » n’est pas « de la même manière et du même point de vue que l’autocommunication réciproque et interpersonnelle »49. Dans les deux cas, le « personnalisme » dans la théologie thomasienne fait une « focalisation sur la personne du Père »50. La dimension de ce qui est essentiel et unique reste en deçà de « la dimension de ce qui est interpersonnel et communionnel »51.

Greshake considère néanmoins que la doctrine thomasienne se situe sur le seuil au-delà duquel deux développements alternatifs peuvent être envisagés, selon la façon de la poursuivre. Ou bien il n’y a pas un « toi » réciproque dans la vie intratrinitaire, comme chez Karl Rahner52. Ou bien on peut aller dans la direction suivante, comme l’entreprend Greshake lui-même : « Les porteurs de ces exécutions sont trois autoconsciences (trois ‘moi’), trois centres de la connaissance, trois libertés, trois mouvements de l’amour, dans la mesure où les exécutions se font de telle sorte que la manière de l’acte de l’un ne soit pas celle des autres, même si c’est sur la base de l’unité essentielle qu’augmentent ensemble les exécutions chaque fois diversement qualifiées »53. En effet, certains textes de Thomas d’Aquin suggèrent ce second développement54.

Greshake donne ainsi une interprétation « subordinatianiste ». Certes, Thomas d’Aquin affirme que l’unité est attribuée au Père par l’appropriation. Mais il reconnaît aussi que l’égalité qui « dit unité dans la relation à l’autre » est attribuée au Fils, alors que l’union (connexio) qui « évoque l’unité de deux sujets » est attribuée à l’Esprit. C’est ainsi que « chacun de ces trois aspects implique l’unité, mais diversement »55.

Pour qualifier la personne du Père, Thomas préfère le terme de « principe » au terme de « cause », et il emploie celui-là avec prudence56. « En Dieu, on parle de principe selon l’origine et sans priorité »57. Le terme de « principe » appliqué au Père « ne signifie pas priorité, mais origine »58. Le Père est nommé « principe » dans la mesure où il est « quelqu’un de qui procède un autre »59. Il est principe en tant qu’il est corrélatif au Fils et à l’Esprit.

C’est sur la base de cette double procession que l’esprit humain perçoit la distinction des personnes divines. Mais c’est la relation qui distingue les personnes et qui les constitue. Ce n’est pas par l’acte notionnel d’engendrement que le Père devient le Père du Fils. C’est parce que le Père est celui qui a son rapport avec le Fils que le premier engendre le second. « Parce que c’est le Père, il engendre »60.

En effet, l’unité des trois personnes n’acquiert de sens que sur le plan de la relation personnelle, laquelle est pourtant « l’essence divine même ». Si le Père est considéré comme principe, on peut dire que le Père se situe par rapport au Fils et à l’Esprit qui en procèdent. Cependant, il n’en résulte pas que le Fils et l’Esprit en tant que récepteurs de la nature divine la possèdent moins que le Père en tant que son donateur, ce qu’imposerait l’idée néoplatonicienne d’émanation. Dans la théologie de Thomas, la procession divine n’introduit aucune différence de degré entre l’un comme principe et l’autre qui en procède. Et la simplicité de l’essence divine est autre chose que la communication de la nature divine des trois personnes.

L’essence et la relation, ces deux aspects de la vie divine demeurent sans précision dans la théologie thomasienne. Cette imprécision est justifiée et même nécessaire d’un point de vue épistémologique. Thomas distingue clairement la connaissance de ce qui est commun aux trois personnes (ou l’unité) et la connaissance de ce qui est propre à chacune d’elles (ou la pluralité) : la première est susceptible d’affirmations philosophiquement probantes, alors que la seconde relève entièrement de la foi61. Cette distinction épistémologique résiste à la tentation d’expliquer le rapport entre les deux aspects de la même réalité en termes de déduction de l’un à partir de l’autre.

II Vers une nouvelle typologie

1 La médiation de l’essence par la relation

Pannenberg estime que la catégorie de relation transposée par Thomas en Dieu ne maintient pas la pluralité des personnes, étant donné que la distinction entre la relation et l’essence est considérée comme de raison. Mais nous avons vu que l’opposition relative (la distinction) des personnes divines est bien manifestée sur la double procession selon les relations d’origine. La pluralité des personnes n’affecte pas l’unité de l’essence. En même temps, la seconde n’efface pas non plus la première.

Greshake juge pour sa part que le Père, tel que Thomas le conçoit, subsiste tout seul sans être rapporté au Fils et à l’Esprit. Nous avons vérifié que la première personne de la Trinité, bien que l’unité lui soit attribuée par appropriation, ne retient pas pour elle la priorité ontologique ou logique par rapport à la deuxième et la troisième personnes. Les trois personnes restent corrélatives l’une à l’autre, en tant que le principe et les termes qui en procèdent selon les relations d’origine.

En conséquence, dans le cas de la théologie trinitaire de Thomas d’Aquin, il n’est pas fondé de dire que la relation d’origine implique la déduction de la pluralité des personnes à partir de l’unité de l’essence. La doctrine thomasienne nous conduit plutôt à confirmer la légitimité d’évoquer le moment de corrélation ou réciprocité des trois personnes dans le modèle génétique tout comme dans le modèle communionnel. En même temps, cette réciprocité existe entre le principe et le terme disposés selon l’ordre d’origine, sans impliquer pour autant la priorité de l’un par rapport à l’autre.

Cette confrontation entre Thomas d’Aquin et les deux commentateurs, Pannenberg et Greshake, révèle une différence sensible quant à leur façon de concevoir l’unité d’essence. Pour le premier, l’unité d’essence ne fait pas nombre avec la pluralité des personnes (des relations) fondée sur la génération du Fils et la procession de l’Esprit selon leur relation d’origine. La communication de la nature divine sur le plan des personnes-relations ne se confond pas avec la simplicité et l’immuabilité de l’essence divine. « Bien que les relations soient réellement identiques à l’essence, il n’y a pas d’essence constituée par les relations »62 dans la théologie thomasienne. Pour les seconds, l’unité est articulée, l’essence est médiatisée par les relations interactives entre les trois personnes dans l’économie du salut. Si les trois personnes sont en rapport réciproque, le Père n’est pas seulement le sujet de son action envers le Fils et l’Esprit, mais il est aussi l’objet de l’action du Fils et de l’Esprit. C’est pourquoi les défenseurs du modèle communionnel parlent, non pas simplement de la corrélation des personnes, mais de leur dépendance réciproque.

Continuons notre discussion dès lors en prenant parti de la considération de l’essence divine médiatisée par les relations. En même temps, demandons-nous comment Dieu est concevable comme relation à partir de la relation d’origine.

2 Réciprocité et asymétrie

Greshake relève que l’idée de procession intradivine introduit dans les relations personnelles un « ordre irréversible »63 entre le Père d’un côté, le Fils et l’Esprit de l’autre côté. D’où la question redoutable, formulée par Hans Urs von Balthasar : « comment tenir compte ensemble de cet ‘ordre des processions’ et de ‘l’égalité de rang des trois personnes ?’ »64. Greshake estime que, face à cette aporie, il ne faudra pas recourir aux processions qui constituent les personnes « à partir du [Dieu] un » ni aux « relations qui en résultent » : « il est plus avantageux de partir de la réalité de la communio »65 qui est l’autocommunication réciproque des trois personnes dans leur amour trinitaire.

Pannenberg observe également que la première place du Père dans l’ordre d’origine et son aséité « semblent exclure toute véritable réciprocité dans les relations entre les personnes de la Trinité parce que l’ordre d’origine va de façon irréversible du Père au Fils et à l’Esprit »66. Reste irréversible effectivement l’ordre entre le Père et le Fils comme inengendré et engendré ou envoyant et envoyé. En revanche, l’intuition de saint Athanase selon laquelle « le Père ne serait pas le Père sans le Fils »67 suggère que, « d’une façon ou d’une autre, la divinité du Père elle aussi doit dépendre de sa relation au Fils, même si c’est d’une autre façon que dans le cas du Fils »68. Pour concevoir la Trinité selon le modèle communionnel, il ne faudra pas prendre appui sur la relation d’origine : « il faudrait partir d’un point de vue différent pour pouvoir penser la dépendance du Père par rapport au Fils, à partir de la relativité, prise du point de vue du Père, de sa paternité envers lui. Ainsi, une véritable réciprocité des relations trinitaires peut-elle être fondée »69.

Thomas d’Aquin n’entre pas dans la spéculation sur le rapport entre le plan de l’essence et le plan des relations. Pour lui, ces deux plans ne font pas nombre l’un avec l’autre. Il refuserait du moins de penser la personne du Père comme détenteur exclusif de l’essence divine et comme pré-relationnel et indépendant des autres personnes70 : le plan de l’essence une ne précède pas le plan des relations plurielles.

Pour poursuivre notre débat avec les tenants du modèle communionnel, nous pouvons trouver ici notre point de départ pour oser spéculer sur le rapport de ces deux plans sans renoncer à la relation d’origine comme principe de distinction. Considérons que l’unité de l’essence et la pluralité des personnes selon leurs relations d’origine se trouvent mutuellement constitutives. Cette constitution mutuelle résistera contre le soupçon que l’unité essentielle de Dieu existe logiquement, sinon temporellement, avant la pluralité des relations personnelles qui puisse la médiatiser, et que les deuxième et troisième personnes soient inégales à la première personne au regard de leur essence.

Ainsi, il est possible d’ouvrir une perspective unifiante de la relation d’origine et de l’essence. Dans cette perspective, l’être de Dieu peut être considéré comme relationnel. D’autre part, dans cette même perspective, la méthode déductive devient impraticable, puisqu’il est simplement impossible d’opérer une déduction entre deux éléments constitutifs l’un de l’autre et sans ordre de l’un à l’autre.

L’ordre d’origine irréversible apparaît aller à l’encontre de l’égalité de rang des trois personnes aussi longtemps que la réflexion trinitaire demeure dans la perspective dualiste de l’essence et de la relation. Il n’en va pas de même dans la perspective unifiante d’être relationnel. Certes, le Père ne serait pas le Père sans le Fils, comme le Fils ne serait pas le Fils sans le Père. Toutefois, la place du Père et la place du Fils ne sont pas interchangeables l’une par l’autre. Piet Schoonenberg précise cette circonstance en termes d’« égalité des relations réelles » d’une part, et d’« opposition » et « asymétrie » de ces relations d’autre part :

« Il est vrai que la première personne divine est le Père précisément par sa relation d’engendrement avec le Fils, comme la deuxième personne est le Fils en vertu de son être-engendré. Les relations entre le Père et le Fils sont ainsi égales (gleich) dans la mesure où les deux sont des relations réelles. Cependant, elles sont opposées (gegenläufig) dans leur direction, et c’est ainsi qu’elles sont asymétriques (asymmetrisch). Il ne faut pas que la prioritas originis soit oubliée même dans la théologie occidentale »71.

Formulons pour notre part cette articulation conceptuelle fondamentale : la dépendance est réciproque entre les deux personnes et non pas unilatérale, et pourtant leurs relations de dépendance sont en opposition, donc asymétriques et non symétriques. Aussitôt que l’être de Dieu est considéré comme relationnel, il sera possible d’articuler sans contradiction la réciprocité de dépendance et l’asymétrie de cette réciprocité.

Il importe de distinguer ces quatre éléments. Il est nécessaire d’établir non seulement l’opposition entre l’unilatéralité et la réciprocité mais aussi celle entre l’asymétrie et la symétrie. En revanche, il est indispensable de ne pas confondre l’unilatéralité et l’asymétrie ni la réciprocité avec la symétrie. Il est ainsi possible de retenir la réciprocité et l’asymétrie comme moments constitutifs des relations divines.

Il faudrait que l’égalité de rang des personnes plurielles inclue l’irréversibilité de leurs relations d’origine. Pourtant, elles semblent tomber dans un paradoxe. Or, l’asymétrie des relations de dépendance entre les personnes divines correspond à l’irréversibilité de leur ordre d’origine, non sans une différence remarquable entre elles. La première se combine avec la réciprocité dans la relation de dépendance, et pourtant elle n’entraîne pas le paradoxe que la dernière paraît constituer avec l’égalité de rang. Aussi, il serait avantageux d’interpréter, dans une perspective de l’être relationnel, l’irréversibilité de l’ordre d’origine entre les trois personnes divines comme l’asymétrie de leur dépendance réciproque. De cette manière, il est possible et même fondé de concevoir l’être relationnel du Dieu trinitaire à partir de la relation d’origine.

3 Une typologie d’option plurielle

Certes, l’idée d’être relationnel est prometteuse dans la théologie trinitaire contemporaine pour éviter la déviation modaliste et subordinatianiste. Cependant, cette idée ne nécessite pas de privilégier, comme Pannenberg et Greshake en sont persuadés, « un point de vue différent »72 ou « une autre possibilité »73, autre que la relation d’origine, qui est traditionnellement le principe de distinction interpersonnelle. Nous avons tenté de dévoiler la complexité de l’enjeu dont les défenseurs du modèle communionnel ne tiennent pas suffisamment compte. Préservées de la méthode déductive, les relations d’origine restent « asymétriques » sans pourtant se rendre « unilatérales (einseitig) ». La conception de la Trinité qui se fonde sur les relations d’origine correctement comprises conservera autant de légitimité que la conception de la Trinité qui s’appuie sur les relations qui sont « réciproques (gegenseitig) », ayant besoin d’être montrées ensuite comme non « symétriques ». Nul doute que les deux aspects de la vie divine, l’unité essentielle et la pluralité relationnelle, ne soient pas séparés l’un de l’autre, afin de ne pas laisser apparaître l’ordre déductif du premier au second. Plutôt que de considérer ces deux aspects comme une réalité simple, nous avons souhaité préciser leur rapport : l’essence et la relation sont à comprendre comme deux facteurs constitutifs l’un de l’autre. Leur rapport étant ainsi compris, il sera possible de dépasser l’articulation simpliste et exclusive entre l’unilatéralité et la réciprocité. Désormais, l’articulation s’opèrera, de façon plus complexe et inclusive, entre la réciprocité de la dépendance des personnes et l’asymétrie dans leurs relations réciproquement dépendantes. C’est cette nouvelle articulation qui permettra de sortir de l’aporie de l’ordre d’origine et de l’égalité de rang.

Ces deux moments de l’être-personne divine, réciprocité de la dépendance interpersonnelle et asymétrie de cette dépendance réciproque, sont indéniables. Non seulement pour les partisans de la conception génétique mais aussi pour ses adversaires.

S’opposant à l’« irréversibilité » de la relation d’origine, Pannenberg reconnaît tout de même que la dépendance du Père par rapport au Fils se présente « d’une autre façon »74 que celle du Fils par rapport au Père. Greshake considère également que chacune des trois personnes reflète « à sa manière »75 la vie divine qui est l’événement trinitaire. La réciprocité des relations interpersonnelles ne se réduit pas à leur symétrie, à moins que la relation d’origine qui crée l’asymétrie dans la réciprocité soit totalement exclue de la considération du Dieu Trinité76. En conséquence, si le choix de partir de la dépendance réciproque des personnes divines ne permet pas de négliger les relations asymétriques de cette dépendance, le choix de partir de l’asymétrie des relations n’empêche pas de souligner ensuite la réciprocité des personnes. À la place de la typologie du modèle génétique et du modèle communionnel, nous pouvons formuler une autre typologie de deux modèles en termes de réciprocité et d’asymétrie :

Modèle A-R : Si une théologie trinitaire choisit de partir des relations asymétriques entre le Père, le Fils et l’Esprit, il faut qu’elle insiste ensuite sur la réciprocité de la dépendance entre eux, pour éviter qu’une seule personne soit plus divine que les deux autres et que l’asymétrie de leurs relations se transforme en unilatéralité.

Modèle R-A : Si une théologie trinitaire commence par concevoir dans les relations des personnes la dépendance réciproque, il faut qu’elle soulève ensuite l’asymétrie de ces relations, pour affirmer qu’aucune personne n’est remplaçable par une autre et que leur réciprocité n’est pas identique à leur symétrie.

Dans cette optique, fonder la conception de la Trinité sur l’ordre d’origine des trois personnes ne signifie pas postuler l’unilatéralité entre elles, incompatible avec leur réciprocité, mais relever d’abord leur asymétrie qui sera compatible avec leur réciprocité. De façon analogue, concevoir la Trinité d’un autre point de vue que la relation d’origine n’est pas la même chose que d’admettre la symétrie des relations interpersonnelles qui exclut leur asymétrie, mais plutôt reconnaître leur réciprocité qui pourra inclure leur asymétrie.

Ces deux modèles d’approche permettent d’établir une nouvelle typologie. L’ancienne typologie était celle d’une opposition inconciliable entre le modèle génétique avec sa méthode de déduction qui n’est plus acceptable aujourd’hui et le modèle communionnel avec sa méthode de médiation qui est désormais, elle seule, prometteuse. La nouvelle typologie est celle d’une option plurielle entre les modèles A-R et R-A considérés comme recevables l’un autant que l’autre. Cette recevabilité relève du fait que les deux modèles en eux-mêmes sont légitimes. Pour penser l’être relationnel du Dieu un et trine, il est indispensable de saisir à la fois la réciprocité et l’asymétrie entre le Père, le Fils et l’Esprit. Chacun de ces deux modèles se présente conforme à cette exigence conceptuelle de la relation trinitaire.

Conclusion

La nouvelle typologie ainsi établie est-elle réellement pertinente pour avancer dans la discussion sur l’être relationnel de Dieu ? La légitimité de l’un et de l’autre modèles n’est pas encore celle de telle ou telle théologie réellement construite selon le modèle choisi. C’est pourquoi la véritable pertinence de notre typologie ne serait pas montrée sans que soient concrètement analysées des théologies trinitaires particulières en tant qu’application de l’un et de l’autre modèles77.

Pour terminer cette étude qui a voulu être le préambule à cette tâche, revenons à la question de la constitution de la personne divine que nous avons évoquée au départ, afin de redire les résultats de notre réflexion méthodologique d’une autre manière.

Défendant l’asymétrie des relations interpersonnelles contre leur symétrie, ceux qui recourent à la nouvelle typologie des deux modèles sont capables de penser, non seulement le mystère d’entre deux, mais aussi quelque chose qui rend chacun unique face à son partenaire. Ce quelque chose, nous l’appellerons « consistance de soi ».

Dans la théologie de Thomas d’Aquin, les relations, qui sont identiques à l’essence, ne constituent pas l’essence : elles restent mutuellement irréductibles. De même, pour la théologie qui considère la relation comme constitutive de l’essence, il ne suffit pas de tenir compte du mystère d’entre deux, mais aussi de la consistance de chaque personne divine. Leur mystère propre reste aussi irréductible l’un à l’autre. Selon Thomas d’Aquin, la personne divine a deux aspects : celui de l’essence substantielle et celui de relation distinctive. Selon nous, la relation intradivine a deux aspects : celui de mystère d’entre deux et celui de consistance de chaque personne.

La consistance de soi est autre chose que la substance opposée aux accidents. Elle n’est pas pensable sans le mystère d’entre deux. Mais elle n’est pas non plus acquise à partir de lui. Le mystère d’entre deux et la consistance de chacune des trois personnes sont à retenir ensemble dans la relation divine, comme le sont la réciprocité et l’asymétrie. L’être du Père ne précède pas sa relation avec le Fils ni sa relation avec l’Esprit. Mais aussi, l’être du Père n’est pas remplaçable par l’être du Fils ni de l’Esprit, même s’ils sont entièrement déterminés par leurs relations réciproques. En ce sens, la consistance de chaque personne est constitutive de la relation divine autant que le mystère d’entre deux.

Notes de bas de page

  • 1 Le présent article reprend les principaux résultats de la réflexion méthodologique qui constitue la première partie de notre thèse de doctorat présentée en février 2007 à la Faculté de Théologie Protestante de l’Université de Strasbourg et parue sous le titre : Trinité et salut. Une nouvelle lecture de Karl Barth et Wolfhart Pannenberg, Münster, Lit, 2009.

  • 2 M. Buber, Problem des Menschen, Heidelberg, Lambert Schneider, 1954, p. 166.

  • 3 Ibid.

  • 4 W. Pannenberg, « Die Theologie und die neue Frage nach der Subjektivität », dans Stimmen der Zeit (202), 1984, p. 811.

  • 5 W. Pannenberg, Anthropologie in theologischer Perspektive, Göttingen, Vandenhœck und Ruprecht, 1984, p. 177.

  • 6 Dans la langue japonaise, «  (manuke) » veut dire « imbécile ». Ce terme se compose de deux parties : «  (ma) » qui signifie ce qui est entre deux et «  (nuke) » l’absence. À l’origine, il désignait dans la musique et le théâtre l’absence d’espace temporel qui surgit dans l’enchaînement des sons et des paroles et qui donne une impression de maladresse. Quelqu’un est considéré comme manuke car il ne sait pas parler ou se comporter de telle sorte que la communication entre lui et son partenaire soit ponctuée comme il convient par le silence et la distance. Ainsi, l’attention est attirée non pas d’abord sur l’une ou l’autre personne mais sur ce qui est entre elles.

  • 7 Même entre deux japonophones, une réelle relation ne commencera à exister que lorsqu’ils se reconnaissent la part de soi-même autant que celle de l’autre.

  • 8 W. Pannenberg, Théologie systématique 1 [= TS1], Paris, Cerf, 2008, p. 389. Pannenberg observe la représentation de l’essence divine comme esprit ou conscience de soi notamment chez Anselme de Cantorbéry et Thomas d’Aquin, celle comme amour chez Richard de saint Victor, et toutes les deux chez Hegel.

  • 9 TS1, p. 396. Pannenberg souligne.

  • 10 Ibid. Pannenberg souligne.

  • 11 K. Barth, Dogmatique I/1, Genève, Labor et Fides, 1953, p. 331.

  • 12 W. Pannenberg, « Subjectivité de Dieu et doctrine trinitaire », dans L. Rumpf et alii (éd.), Hegel et la théologie contemporaine, Neuchâtel-Paris, Delachaux & Niestlé, 1977, p. 184.

  • 13 Pannenberg énumère les passages suivants : « Tout m’a été remis par mon Père » (Mt 11,27 = Luc 10,22) ; le Père « a remis tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père » (Jn 5,22-23) ; le Christ « remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute domination, toute autorité, toute puissance » (1 Co 15,24-25).

  • 14 Parmi les théologies du modèle communionnel, on peut compter aussi J. Moltmann, Trinité et royaume de Dieu, Paris, Cerf, 1984 ; G. Greshake, Der dreieine Gott. Eine trinitarische Theologie [= DG], Freiburg-Basel-Wien, Herder, 4e éd. rev. et aug., 2001 ; J. Zizioulas, L’être ecclésial, Genève, Labor et fides, 1981.

  • 15 Chr. Theobald « Dieu est relation », dans Concilium (289), 2001, p. 54. Theobald souligne.

  • 16 Saint Thomas d’Aquin. Somme théologique [=ST], La Trinité t. 1 (1a, Questions 27-32) et t. 2 (1a, Question 33-43), Paris, Cerf, Nouvelle éd., 1997.

  • 17 Cf. supra, n. 14.

  • 18 ST I, q. 29, a. 4.

  • 19 ST I, q. 29, a. 1.

  • 20 ST I, q. 29, a. 3, ad. 4.

  • 21 Ibid.

  • 22 ST I, q. 27, a. 3.

  • 23 ST I, q. 28, a. 3.

  • 24 ST I, q. 28, a. 1.

  • 25 ST I, q. 28, a. 2.

  • 26 Ibid.

  • 27 TS1, p. 375.

  • 28 ST I, q. 27, a. 3.

  • 29 TS1, p. 384

  • 30 Ibid.

  • 31 TS1, p. 384, note 2.

  • 32 ST I, q. 29, a. 4

  • 33 Ibid.

  • 34 ST I, q. 39, a. 1.

  • 35 ST I, q. 28, a. 3.

  • 36 ST I, q. 28, a. 1

  • 37 Ibid.

  • 38 ST I, q. 27, a. 1.

  • 39 Ibid.

  • 40 Suivant Aristote, Thomas distingue quatre types d’opposition : l’opposition de l’affirmation et de la négation ; l’opposition de la privation et de la possession ; l’opposition de la contrariété ; l’opposition de la relation. Cf. G. Emery, La théologie trinitaire de saint Thomas d’Aquin, Paris, Cerf, 2004, p. 120-123.

  • 41 ST I, q. 27, a. 1, ad. 2.

  • 42 ST I, q. 40, a. 2, ad. 3.

  • 43 ST I, q. 28, a. 3.

  • 44 ST I, q. 39, a. 1.

  • 45 DG, p. 119-120.

  • 46 ST I, q. 39, a. 8.

  • 47 DG, p. 119, Greshake souligne.

  • 48 DG, p. 120. Cf. ST I, q. 42, a. 5 : « puisque le Père est son essence, et qu’il la communique au Fils sans le moindre changement ».

  • 49 DG, p. 120, Greshake souligne.

  • 50 Ibid.

  • 51 Ibid.

  • 52 K. Rahner, Dieu Trinité. Fondement transcendant de l’histoire du salut, Paris, Cerf, 1999, p. 86, note 29 : « on ne saurait donc parler, au sein de la Trinité, d’une réciprocité de ‘tu’. Le Fils est l’expression que le Père se donne lui-même, mais celle-ci ne saurait être conçue comme ‘disant’ à son tour quelque chose ; l’Esprit est le ‘don’, mais ce don, à son tour, ne saurait donner ».

  • 53 DG, p. 122.

  • 54 DG, p. 122-123, note 283. Greshake cite un passage de la ST I, q. 42 a. 4 ad 2 : « (…) Le Père et le Fils ont bien même et unique essence ou dignité ; mais dans le Père elle comporte la condition relative de donateur [secundum relationem dantis], et dans le Fils celle de bénéficiaire qui reçoit [secundum relationem accipientis] ».

  • 55 ST I, q. 39, a. 8.

  • 56 Cf. ST I, q. 33, a. 1.

  • 57 ST I, q. 42, a. 3.

  • 58 ST I, q. 33, a. 1, ad. 3.

  • 59 ST I, q. 33, a. 1.

  • 60 ST I, q. 40, a. 4, ad. 1. Pour les tenants du modèle communionnel, cette position de Thomas est plus difficile à contester que, par exemple, celle de Bonaventure qui soutient que la paternité présuppose la génération. (Bonaventure, Commentaires du premier livre des « Sentences », d. 27, p. 1, a. un., q. 2. Cf. aussi G. Emery, [cité supra, n. 40], p. 154s).

  • 61 Cf. ST I, q. 32, a. 1 : « Il est impossible de parvenir à la connaissance de la Trinité des Personnes divines par la raison naturelle. En effet, (…) par sa raison naturelle, l’homme ne peut arriver à connaître Dieu qu’à partir des créatures. Or les créatures conduisent à la connaissance de Dieu, comme les effets à leur cause. (…) Mais la vertu créatrice de Dieu est commune à toute la Trinité ; autrement dit, elle ressortit à l’unité d’essence, non à la distinction des Personnes. La raison naturelle pourra donc connaître de Dieu ce qui a trait à l’unité d’essence, et non ce qui a trait à la distinction des Personnes ».

  • 62 G. Emery, « Essentialisme ou personnalisme dans le traité de Dieu chez saint Thomas d’Aquin ? », dans Revue Thomiste (98), 1998, p. 15.

  • 63 DG, p. 192.

  • 64 H.U. von Balthasar, Theologique II, Namur, Lessius, 1996, p. 161.

  • 65 DG, p. 195. Balthasar, qui inspire beaucoup l’ouvrage de Greshake, cherche lui-même à mettre en valeur l’égalité et la réciprocité des trois personnes, sans renoncer pour autant à l’idée de la double procession du Fils et de l’Esprit : « Ce n’est pas seulement le Fils, rappelons-le, qui est redevable au Père, ni l’Esprit qui est redevable à l’un et à l’autre ; comme nous l’avons vu, c’est aussi le Père qui doit sa paternité au Fils qui est engendré, et avec le Fils sa puissance de spiration à l’Esprit qui procède » (H.U. von Balthasar, Dramatique divine IV, Namur, Culture et vérité, 1993, p. 223, traduction modifiée). Greshake fait un pas de plus pour rompre avec le point de départ traditionnel de la théologie trinitaire qu’est la relation d’origine. Cf. infra n. 76.

  • 66 TS1, p. 406.

  • 67 Athanase d’Alexandrie, Orationes adversus Arianos (PG, 26), I, 29, col. 71-72 ; cité par W. Pannenberg, TS1, p. 355, 406 et 419.

  • 68 TS1, p. 406.

  • 69 Ibid.

  • 70 Cf. G. Emery, La théologie…, cité supra n. 40, p. 155 : « Ce que saint Thomas refuse, c’est que la personne qui exerce une action puisse être pensée de manière pré-relationnelle, indépendamment de sa constitution comme personne par sa propriété personnelle relative ».

  • 71 P. Schoonenberg, « Eine Diskussion über den Trinitarischen Personbegriff. Karl Rahner und Bernd Jochen Hilberath », dans Zeitschrift für Katholische Theologie (111/2), 1989, p. 152, note 23.

  • 72 TS1, p. 406.

  • 73 DG, p. 195.

  • 74 TS1, p. 406.

  • 75 DG, p. 186.

  • 76 Pannenberg n’a pas l’intention de rejeter l’idée de « monarchie du Père » au profit de la dépendance réciproque des personnes divines. Il envisage plutôt une réinterprétation de cette idée : « La monarchie du Père n’est pas la condition, mais la conséquence de l’agir commun des trois personnes » (TS1, p. 353). Greshake considère la théologie trinitaire basée sur la doctrine de la procession comme « une tradition à laquelle [il] voulai[t] d’une part rendre justice et qu’[il] voulai[t], d’autre part, abandonner ou plutôt ‘liquéfier’ dans son aporie » (DG, p. 574).

  • 77 Pour une analyse plus approfondie des théologies trinitaires de Barth et de Pannenberg en tant qu’application de ces deux modèles, voir notre livre Trinité et salut…cité supra n. 1.

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