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Un diplomatico americano in Vaticano e i « silenzi » di Pio XII

H. Tittmann (éd.), Pie xii. Dans les coulisses du Vatican 1939-1944. Les mémoires d’Harold Tittmann, préf. V. Dujardin, trad. Y. de l’Arbre, Bruxelles, Samsa, 2015, 16×24, 209 p., 20 €.

Bernard Joassart s.j.

L’attitude du Saint-Siège sur la scène internationale durant la Seconde guerre mondiale fait débat, et Pie xii, à qui on reproche, parfois très durement, ses « silences » est le tout premier concerné en cette affaire.

Harold Tittmann fut un témoin privilégié de l’activité diplomatique vaticane durant les premières années de la guerre. En tant que chargé d’affaires et adjoint de Myron Tylor, représentant personnel de Roosevelt auprès du pape, il vécut à l’intérieur de la Cité du Vatican pendant presque toutes les années de guerre : cela lui permit de rencontrer plusieurs fois le pape lui-même et d’être en contacts très suivis avec les principaux responsables de la diplomatie vaticane, tout spécialement le Secrétaire d’État Maglione et ses proches collaborateurs qu’étaient Tardini et Montini, de même qu’avec d’autres diplomates accrédités près le Saint-Siège eux aussi réfugiés dans la Cité car ne pouvant plus résider en toute sérénité dans la ville de Rome.

Ses « mémoires », ou ce qui apparaît plus exactement comme des « carnets », constituent dès lors une pièce d’importance pour l’approche et l’appréciation de l’activité diplomatique vaticane en ces temps troublés. Elles ont par ailleurs été complétées par endroits (ces passages sont intercalés en caractères italiques) par le fils de Tittmann, adolescent à l’époque de la guerre, qui fut, avec les autres membres de sa famille, hôte du Vatican. Et, pour le dire en passant, elles contiennent bien des détails très concrets sur la vie quotidienne à l’intérieur du micro-État.

Mais il faut ajouter qu’il y a, inévitablement, des limites à l’apport de ces mémoires. La position de Tittmann n’était pas simple, du moins du point de vue du droit international : officiellement, les États-Unis et le Saint-Siège n’entretenaient pas de relations diplomatiques ; Tylor n’était qu’un « représentant personnel » du Président des États-Unis, et son adjoint Tittmann eut parfois un peu de peine à trouver ses marques. En outre, ces diplomates américains, tout comme leurs supérieurs aux États-Unis, devaient tenir compte de l’opinion publique de leur pays : la population, souvent en fonction des origines respectives de tout un chacun, n’était pas nécessairement, du moins dans un premier temps, unanimement favorable à l’Angleterre et aux Alliés. C’était le cas notamment d’évêques américains d’origine irlandaise. De plus, ce document ne nous dit pas tout de ce que firent et surtout pensèrent les hauts responsables du Saint-Siège. Enfin, il ne faut pas oublier que des choses purent échapper à Tittmann vu malgré tout un certain isolement consécutif à l’état de guerre. Il s’agit donc bien d’une pièce parmi quantité d’autres dans un dossier très vaste.

L’intérêt principal de ce document est de faire comprendre combien la situation du Saint-Siège était pour le moins délicate. Le souvenir de l’action de Benoît xv durant la Première guerre, à qui on avait adressé bien des reproches, était encore très vivace dans l’esprit des diplomates pontificaux, qui se demandaient souvent comment ne pas encourir de semblables critiques. Neutralité et impartialité étaient certes des mots d’ordre que tout un chacun pouvait comprendre et admettre, mais qui n’étaient pas simples à mettre en œuvre quand on sait ce qu’étaient le nazisme et son frère en dictature, le communisme soviétique, devenu, du fait des circonstances, l’allié des démocraties occidentales. Ni l’un ni l’autre n’était favorable à l’Église catholique. Par ailleurs, il ressort très clairement que le Saint-Siège entretenait, si l’on peut s’exprimer ainsi, un lien privilégié avec l’Italie, lien d’autant plus fort que le petit État né des accords du Latran se trouve enclavé dans la ville de Rome et que le personnel de la Curie romaine était presque exclusivement composé de clercs d’origine italienne ; spontanément, ceux-ci entendaient aussi préserver leur pays, d’abord allié de l’Allemagne nazie, ensuite champ de bataille lorsque, après la chute de Mussolini, les Alliés y débarquèrent et entreprirent la libération de l’Europe. À plusieurs reprises, le Saint-Siège dut intervenir auprès des Alliés pour éviter de graves malheurs à l’Italie, tout spécialement pour épargner Rome des bombardements anglo-américains, et protesta à la suite de plusieurs opérations stratégiques. Les soucis vaticans n’étaient pas toujours en accord parfait avec les impératifs militaires des Alliés qui avaient de leur côté affaire à forte partie.

Il me paraît utile de mettre ici en exergue certains points.

De toute évidence, Tittmann, qui était de confession protestante, fut fortement impressionné par la personnalité de Pie xii – qui en même temps était fort apprécié de Roosevelt –, comme en témoignent les quelques lignes qui suivent :

En décrivant le pape comme un homme charmant, je ne pensais pas un instant à négliger ses grandes qualités spirituelles. De près ou de loin, on en était toujours conscient. Pour moi, sa spiritualité était évidente, bien que peut-être moins sainte que celle du pape Pie x. Pie xii était souvent décrit comme un pape politique, ce qu’il me semblait être à l’époque. Il est fort possible qu’il soit un jour canonisé. Seul l’avenir le dira.

(p. 104)

Pie xii fut critiqué pour son « admiration » à l’égard de l’Allemagne, d’où l’accusation d’avoir été par trop complaisant à l’égard de Hitler, ainsi qu’à l’endroit de Mussolini. À ce sujet, un relativement long passage des mémoires de Tittmann (qui précède d’ailleurs juste les lignes qui viennent d’être citées) mérite d’être donné ici :

Il n’y avait aucun signe indiquant que le pape était soit profasciste ou pronazi. En fait, c’était plutôt le contraire. Un jour, Monseigneur Tardini me raconte qu’après l’élection de Pie xii à la papauté, ce dernier n’a pas rencontré une seule fois Mussolini et il était clair qu’il n’en avait pas la moindre envie. Néanmoins, sept ans avant son élection, il avait reçu en 1932 une visite de Mussolini qui lui avait présenté ses respects alors qu’il était secrétaire d’État, après avoir rendu une visite officielle au pape Pie xi. Ce fut leur seule rencontre et ils ne se parlèrent plus jamais. Monseigneur Tardini faisait également remarquer que l’Osservatore romano était le seul journal au monde à ne pas employer les titres familiers de « Il Duce » ou « Chef du Fascisme » lorsqu’il faisait référence à Mussolini, mais qu’il parlait uniquement du « Premier ministre de l’Italie », [du] « président du Conseil des ministres » ou [du] « chef du gouvernement italien ». Également, l’Osservatore romano ne parla jamais de Hitler comme le « Führer », mais l’appela toujours le « chancelier du Reich ». Cette attitude de réserve délibérée du Saint-Siège était perçue comme inamicale et agaçait autant Mussolini que Hitler.

(ibid.)

On lira avec intérêt les pages consacrées aux « silences » de Pie xii – et du Saint-Siège en général – à propos des atrocités nazies. En 1942, Tittmann lui-même rédigea un mémorandum reprenant les arguments avancés par le Saint-Siège pour justifier sa retenue (cf. p. 123-124). Il en releva six : 1) la pression exercée par l’Axe pour que le Saint-Siège dénonce aussi les prétendues atrocités des Alliés et l’accusation d’être par trop favorable à ceux-ci ; 2) l’impossibilité, notamment par manque de temps, de rassembler des preuves suffisamment étayées pour entrer dans la voie de la dénonciation ; 3) « les déclarations publiques du pape sur le respect des lois morales devaient pouvoir défier le temps. Le danger de commettre une erreur en rentrant, en pleine guerre, dans les détails était évident » ; 4) il y avait déjà eu des condamnations très nettes et, si le pape avait parlé de manière générale, « le monde entier savait bien à qui s’adressaient ces reproches » ; 5) les hauts responsables ecclésiastiques des pays occupés qui avaient dénoncé ces atrocités l’avaient fait avec l’approbation de Rome ; 6) la crainte qu’une condamnation publique n’aggrave la situation des catholiques dans les pays occupés.

Tittmann développe par la suite son appréciation de l’attitude de Pie xii. Quelques extraits méritent d’être également cités :

Beaucoup d’entre nous, qui auraient aimé entendre le pape se prononcer, réalisaient qu’il ne pouvait le faire sans donner l’impression qu’il prenait parti dans le conflit. À mon avis, le Saint-Père aurait dû déclarer au monde, au début des hostilités, qu’il avait l’intention de dénoncer toutes les atrocités sans exception, ce qui ne voulait pas dire qu’il prenait parti, ni ne changeait sa traditionnelle position « en dehors et au-dessus des conflits politiques mondiaux ». Avec une telle déclaration à laquelle il pouvait avoir eu recours, le Saint-Père aurait pu se montrer plus ferme.

(p. 125-126)

Et de manière générale, Tittmann écrit :

Le pape Pie xii n’ayant jamais pris position pendant toute la durée de la guerre, il est impossible de juger si c’était ou non une bonne décision. S’il s’était décidé à parler, y aurait-il eu plus ou moins de victimes ? Il n’est pas possible de donner une réponse définitive. Personnellement, je ne peux pas m’empêcher de penser que le Saint-Père a choisi la meilleure voie en refusant de se prononcer, sauvant, de cette manière, de nombreuses vies.

Tittmann souligne d’ailleurs par la suite que le Saint-Siège était très bien informé, et que

Pie xii a été capable d’ajouter sa connaissance personnelle de la mentalité des Allemands et des nazis. Le Pontife avait à sa disposition beaucoup d’informations venant de sources secrètes. Qui aurait pu être mieux qualifié que ce pape pour prendre une décision dans de telles circonstances ?

Dans la foulée, le diplomate exprime sa pensée à propos du fameux message de Noël 1942 :

Le pape me donne l’impression qu’il était sincère en croyant s’y être exprimé suffisamment clairement pour satisfaire tous ceux qui avaient insisté, dans le passé, pour qu’il prononce quelques mots afin de condamner les atrocités nazies. Il semblait surpris quand je lui expliquais qu’à mon avis, certaines personnes ne partageaient pas sa conviction. Il me répond qu’il croyait qu’il était bien clair pour tout le monde qu’il faisait référence aux Polonais, aux juifs et aux otages, quand il déclarait que des centaines de milliers de personnes avaient été tuées ou torturées sans avoir jamais commis aucune faute, parfois uniquement à cause de leur nationalité ou de leur race. Il expliquait qu’en parlant des atrocités, il ne pouvait pas nommer les nazis sans parler en même temps des bolcheviques, ce qui, à son avis, ne ferait pas tellement plaisir aux Alliés. Et il ajoutait qu’il « craignait » que les comptes rendus des Alliés sur ces atrocités soient basés sur des faits réels, mais il me poussait à croire qu’il y avait eu une certaine exagération dans un but de propagande. Dans l’ensemble, il pensait que son message devrait être bien accueilli par le peuple américain et j’étais d’accord avec lui.

(p. 127)

À cela, il est intéressant d’ajouter ce que le fils de Tittmann a apporté en complément, à savoir l’extrait d’un discours que son père prononça à l’université de Saint-Louis, en 1961. Lorsque les diplomates alliés insistèrent pour que Pie xii prenne clairement position, et que l’Américain dit au pontife : « Vos discours radiodiffusés sont trop vagues ; on peut les interpréter de toutes sortes de façons », le pape aurait avancé deux raisons à son refus d’aller plus loin :

Si je désigne clairement les nazis par leur nom (…) et que l’Allemagne perd la guerre, partout les Allemands penseraient que j’ai contribué à leur défaite, pas seulement à celle des nazis mais aussi à celle de l’Allemagne. Il est tout simplement humain que la population allemande, dans la confusion et la détresse de la défaite, ne fasse pas la distinction entre les nazis et la patrie. [En outre,] si je dénonce nominalement les nazis, en toute justice, je dois faire la même chose pour les bolcheviques dont les principes sont étonnamment similaires. Vous n’aimeriez pas que je dise de telles choses sur un de vos alliés au côté duquel vous êtes engagés pour l’instant dans une lutte à mort.

Et Tittmann de conclure : « Il nous était difficile de discuter efficacement de ces questions avec le pape et finalement nous avons dû nous résoudre à accepter l’échec de nos tentatives » (p. 128).

Il est éclairant d’évoquer un autre ajout que le fils de Tittmann inclut à propos d’une rencontre entre Taylor et Tardini en septembre 1942, à propos de l’après-guerre. Le diplomate du Vatican donna le compte rendu suivant de sa conversation avec l’Américain :

En conclusion, je sortais de notre longue conversation avec les impressions suivantes :

  1. Que les États-Unis se sentent forts, certains de leur victoire, et n’ont pas peur d’une guerre qui pourrait durer.

  2. Que les États-Unis se préparent à réorganiser l’Europe comme bon leur semble. Et étant donné que pratiquement aucun Américain ne comprend la situation européenne, ce geste impulsif pourrait poser d’énormes problèmes à l’Europe.

  3. Que les États-Unis, après avoir redessiné l’Europe à leur façon, voudront la contrôler et la tenir en laisse pour être sûr d’éviter une autre guerre.

Tout bien considéré, on en arrive à la conclusion que, si le national-socialisme avait préparé et provoqué la guerre, les États-Unis sont, eux-mêmes, sérieusement contaminés par le nationalisme, ce qui laisse présager toutes sortes de maux et exclut toutes bonnes prévisions.

(p. 134)

Ce qui précède ne dit évidemment pas tout du contenu de cet ouvrage. Et on n’insistera jamais assez sur le fait que c’est un témoignage parmi tant d’autres.

Même si le lecteur aura parfois l’impression que la traduction aurait pu être plus soignée et regrettera sans doute l’absence d’un index des personnages cités, il n’en sera pas moins grandement intéressé par cet ouvrage, en particulier parce qu’il a la qualité de faire percevoir que la réalité est toujours complexe. Et que la plus grande prudence s’impose lorsqu’on invoque l’adage bien connu : « l’histoire jugera1 ».

Notes de bas de page

  • 1 Le préfacier, Vincent Dujardin, directeur de l’Institut d’études européennes de l’Université de Louvain, conclut ainsi son excellente présentation des mémoires de Tittmann, qui synthétise les multiples interprétations des « silences » de Pie xii (p. 5-18). Il poursuit : « il semble que dans le cas de Pie xii, elle [l’histoire] n’a pas encore jugé », car un bon nombre d’archives n’ont pas encore pu être examinées.

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