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Incipit. - Le aree linguistiche non sono compartimenti stagni fra loro; certe traduzioni assomigliano a veri e propri eventi teologici. È stato così, qualche anno addietro, con la traduzione ad opera di Karl Barth di Hans Urs von Balthasar per le edizioni di Cerf. È il caso oggi, su un soggetto assai vicino, con la primissima traduzione in lingua francese delle Lectures on Justification di John Henry Newman. (…)

John Henry Newman, Conférences sur la doctrine de la justification, trad. et annotation E. Robillard et M. Labelle, revues et corrigées par A.-S. Gache et G. Solari, préf. T. L. Holtzen, Paris, Ad Solem, 2017, 14x22, 544 p., 29 €. ISBN 978-2-37298-06-78

Les aires linguistiques ont beau ne pas être hermétiques entre elles, certaines traductions prennent parfois l’allure d’événements théologiques. Ce fut le cas il y a quelques années avec la traduction du Karl Barth de Hans Urs von Balthasar aux éditions du Cerf. C’est le cas aujourd’hui, sur un sujet assez proche, avec la toute première traduction en langue française des Lectures on Justification de John Henry Newman. On saura gré aux éditions Ad Solem, et à leur directeur M. Grégory Solari, de mettre pour la première fois à disposition du public francophone cet ouvrage au destin en tous points paradoxal. Prononcées à l’église St Mary d’Oxford en 1837, publiées un an plus tard, ces conférences sembleraient à tout jamais associées à la déroute de la Via media, à laquelle elles sont étroitement liées. Avec les Lectures on the Prophetical Office of the Church, les Lectures on Justification représentent en effet l’essai le plus systématique de recherche d’une synthèse entre théologie protestante et théologie catholique. Incomprises des contemporains de Newman, longtemps négligées par les traducteurs, les conférences semblent encore aujourd’hui s’intégrer difficilement dans le corpus newmanien. Et pourtant, nombre de commentateurs de l’ancien fellow d’Oriel n’ont pas hésité à en saluer la portée considérable. Qu’il suffise ici de mentionner l’historien allemand Ignaz von Döllinger pour qui il s’agissait du « plus beau chef d’œuvre de théologie que l’Angleterre ait produit depuis un siècle » ou encore le théologien français Louis Bouyer qui s’est très souvent référé aux Conférences, y voyant « comme le modèle anticipé de toute théologie “œcuménique”, de toute théologie qui réconcilie les chrétiens non dans un compromis inacceptable pour personne, mais dans la plénitude simplement mieux comprise1 ».

Il est vrai, comme le souligne encore Bouyer, que la portée des Conférences dépasse, et de loin, le contexte un brin polémique dans lequel elles ont été prononcées et publiées. En treize chapitres, qui correspondent à autant de conférences, le prédicateur de St Mary parvient à brosser un véritable traité de la grâce. Les deux premières conférences mettent en regard les deux systèmes opposés : la vision protestante selon laquelle la cause formelle de justification est la foi elle-même, ou alors la justice imputée du Christ, reçue de la foi, puis la vision catholique, selon laquelle l’amour ou l’obéissance sont la cause formelle de notre justification. Tandis que le premier système est « une perversion absolue de la vérité », le second « sous certains aspects demeure en-deçà de celle-ci » (p. 83). Après avoir ainsi posé le problème, le prédicateur approfondit dans les trois conférences suivantes le sens du terme « justification ». Particulièrement intéressants sont les développements sur la puissance de la parole de Dieu. La justification est bien une déclaration de justice, qui se ramène à une non-imputation du péché – c’est la position luthérienne. Mais il s’agit de bien en mesurer toutes les implications. La parole de Dieu réalise toujours ce qu’elle annonce. Cette acceptation de la part de Dieu est donc gage de renouvellement. Là où Luther parle de justice imputée, et les « romanistes » (selon l’expression de l’époque) de justice inhérente, Newman préfère affirmer que notre justice consiste dans la présence de l’Esprit Saint en nos cœurs (Conférence 6). Ce qui sanctifie, ce n’est ni la foi, ni le renouvellement, mais l’inhabitation comme telle : « Telle est réellement et en vérité notre justification, non la foi, non la sainteté, non (bien moins) une simple imputation ; mais grâce à la miséricorde de Dieu la présence même du Christ » (p. 180).

Newman s’attache ensuite à préciser ce que recouvre exactement le terme de justification. Son analyse d’un certain nombre de notions bibliques, en particulier celles de la gloire et de la puissance, ses développements sur l’implantation de la croix en nous (Conférence 7) le conduisent à certaines précisions théologiques et terminologiques. L’auteur préfère ainsi parler de justice adhérente, fruit de l’inhabitation divine, plutôt que de justice inhérente, terme qui renvoie plutôt à la notion d’habitus ou de qualité acquise (Conférence 8).

La neuvième conférence, consacrée au lien entre justification et résurrection du Seigneur est incontestablement un des sommets de l’ouvrage. Les derniers chapitres reviennent sur le rôle de la foi dans la justification. Ayant clairement établi que la justification consiste essentiellement dans l’inhabitation divine, Newman peut réintroduire la question de la foi et la mettre à sa juste place. Il tente une synthèse de positions apparemment divergentes, entre saint Paul et saint Jacques, luthériens et romanistes. Il est juste d’affirmer que la foi seule justifie, et ce de deux manières : comme seul instrument intérieur et comme seul symbole. Mais la foi isolée n’est que pure chimère, elle n’existe jamais de manière abstraite, elle existe toujours dans telle ou telle personne et la foi justifiante dépend de l’amour comme du principe qui l’informe. Dans ses développements sur la nature de l’acte de foi, Newman aborde un certain nombre de thématiques qu’il approfondira dans la Grammaire de l’assentiment2.

Quelle peut être aujourd’hui la portée œcuménique d’un tel ouvrage ? Disons-le d’emblée, elle n’est pas évidente à première vue. L’auteur ne quitte jamais totalement le terrain de la controverse confessionnelle. Il cite amplement Luther, en particulier le Commentaire de l’épître aux Galates. Mais derrière les termes assez génériques de « Luther » ou « luthériens », Newman vise d’abord et avant tout une forme de protestantisme populaire, portée par le courant evangelical. Incontestablement, nombre de débats qui ont fourni le cadre des Conférences – et en particulier les critiques adressées par le rédacteur en chef du Christian Observer, Samuel Charles Wilks – sont aujourd’hui datés.

Par ailleurs, les Conférences s’insèrent dans une perspective bien particulière, celle de la Via media : se tenant à l’écart des excès du catholicisme – ou du romanisme pour reprendre le terme employé par Newman – et du protestantisme, l’anglicanisme est alors à la recherche d’une voie moyenne, se tenant éloignée des excès de l’une et l’autre position en concurrence. Or, telle n’est plus la démarche adoptée dans le mouvement œcuménique aujourd’hui. La méthodologie du consensus différencié – ou différenciant comme on tend désormais à l’appeler – qui a été entre autres mise en œuvre dans la déclaration commune sur la justification de 1999 ne repose pas sur l’art de la synthèse et du compromis, mais assume clairement les différences d’approche. Ces différences sont vues comme des développements théologiques différents et légitimes, portés par un accord et consensus doctrinal : « Les développements luthériens et catholiques de la foi en la justification sont, dans leurs différences, ouverts les uns aux autres et ne remettent plus en cause le consensus dans les vérités fondamentales3 ». Là où la Via media semble procéder par exclusion des différences au profit d’une synthèse unificatrice, le consensus différenciant procède par intégration de ces mêmes différences. Bref, il semblerait que les avancées méthodologiques aient définitivement relégué la tentative de Newman dans l’histoire – pour ne pas dire la préhistoire – du mouvement œcuménique.

Une telle conclusion serait à coup sûr trop hâtive. Mettre sur le même plan une déclaration officielle de quelques pages et un ouvrage de théologie constituerait une erreur méthodologique. Le fait que la Déclaration commune sur la justification n’ait pas encore débouché sur une vie commune des chrétiens dans la charité prouve que l’effort de réflexion doit être poursuivi. Le consensus obtenu se présente comme une clarification, reposant sur la distinction entre accord doctrinal et différence théologique. Il n’entend nullement clore le débat et reléguer la question aux oubliettes de l’histoire. De même qu’un texte conciliaire n’épuise pas l’effort de réflexion théologique, mais lui fournit des matériaux à prendre en considération, à relire et interpréter en fonction d’une perspective d’ensemble et des besoins d’une époque, de même l’accord sur la justification n’épuise pas l’effort commun de recherche et d’approfondissement.

On peut même aller plus loin et dire que la déclaration commune sur la justification éclaire rétrospectivement l’ouvrage de Newman ; elle met en lumière certaines de ses lignes de force. Deux points méritent particulièrement d’être soulignés dans la démarche proprement œcuménique du prédicateur de St Mary. Tout d’abord, Newman n’hésite pas à aborder de front les difficultés et inscrit son propos dans le cadre qu’on pourrait qualifier de « classique » du débat confessionnel. Toutes les conférences tournent autour de la question de la cause formelle de la justification, expression technique tirée du décret sur la justification du concile de Trente (Session 6, chap. vii). Loin de balayer d’un revers de main certains débats qui pourraient apparaître datés – et qui pour une part le sont devenus –, Newman se place clairement aux carrefours et passages obligés du débat confessionnel, allant « à la pointe la plus aiguë du conflit entre catholicisme et protestantisme4 ».

Mais partant de ces prémisses conflictuelles, il ne se laisse jamais totalement embourber dans la controverse confessionnelle. Il réussit même ce tour de force de proposer une théologie proprement œcuménique en partant des nœuds en apparence les plus inextricables. La clef de ce dépassement par le haut d’un conflit multiséculaire se trouve dans l’approche à la fois pneumatologique et relationnelle de la justification : la grâce de la justification est donnée par l’Esprit et n’est jamais détachée de sa source. Il s’ensuit que la foi ne se réduit pas à une simple appréhension, mais qu’elle laisse advenir les bienfaits du mystère pascal. En arrière-fond d’un exposé aux allures parfois très techniques, affleurent de manière implicite l’expérience de la conversion de 1816 – Myself and my Creator – ou encore l’aveu de la confession de Sicile – « Je n’ai pas péché contre la lumière » – auquel répond l’admirable poème de la même époque, Dirige-moi lumière bienveillante. Cette marque du personnalisme newmanien est comme réintégrée dans une vision sacramentelle du monde et de la foi. Ainsi, la justification est présentée « comme une sorte de sacrement » : « Elle est, pour employer une figure de style, une parole extérieure qui réalise une grâce intérieure » (p. 115). Autour de cette vision sacramentelle de la justification, l’auteur propose une théologie complète, liant étroitement les dimensions christologique, ecclésiologique et sotériologique. C’est dans ce projet théologique, beaucoup plus que dans l’âpreté de la polémique, que se niche très certainement toute l’actualité des Conférences. Dans un entretien accordé à Jacques Servais, le pape émérite Benoît xvi soulignait récemment que la notion de miséricorde apparaissait à bien des égards comme le nouveau nom de la justification5. Dans un monde qui a pourtant largement perdu le sens du péché et du besoin de salut, se fait jour le besoin d’un Dieu qui fait miséricorde, qui se penche sur la pauvreté de l’homme. Réédifier une théologie qui prenne en compte cette centralité de la miséricorde est très probablement un des défis majeurs pour l’intelligence de la foi et l’œcuménisme au xxie siècle. Nul doute qu’en la matière Newman se montre un guide sûr.

Notes de bas de page

  • 1 L. Bouyer, Newman. Sa vie, sa spiritualité, Paris, Cerf, 1952, p. 222.

  • 2 Cf. A. Thomasset, « L’acte de foi chez Newman. Quelques étapes de sa théorie de l’assentiment », NRT 135 (2013), p. 397-415.

  • 3 Fédération luthérienne mondiale et Église catholique, Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification (juin 1998), n° 40.

  • 4 L. Bouyer, Newman (cité n. 1), p. 219.

  • 5 « Intervista a SS. il papa emerito Benedetto xvi sulla questione della giustificazione per la fede », dans D. Libanori, (dir.), Per mezzo della fede. Dottrina della giustificazione ed esperienza di Dio nella predicazione della Chiesa e negli Esercizi Spirituali, Cinisello Balsamo, ed. San Paolo, 2016, p. 125-137.

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