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Accogliere l´altro, non perdersi. A proposito di : B. Bourgine, P. Scolas, J. Famerée (dir.), Migrant ou la vérité devant soi. Un enjeu d'humanité (2019)

Xavier Dijon s.j.

Il volume riprende la maggior parte dei contributi della quattordicesima edizione dei colloqui Gesché all´Université Catholique de Louvain (UCLouvain 2017) attorno al tema delle migrazioni. (…)

B. Bourgine, P. Scolas, J. Famerée (dir.), Migrant ou la vérité devant soi. Un enjeu d’humanité, coll. Intellection 34, Louvain-la-Neuve, Academia - L’Harmattan, 2019, 13x21, 186 p., 18,50 €. ISBN 978-2-8061-0467-0

L’ouvrage reprend la plupart des contributions données en 2017 lors de la 14e édition des colloques Gesché à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain) autour du thème des migrations. Pour rendre compte de la complexité du sujet, nous résumons ici la diversité des approches en suivant l’ordre de leur présentation dans l’ouvrage, puis nous risquons un essai de synthèse.

L’avant-propos de Benoît Bourgine (théologie, UCLouvain) ne se contente pas de présenter l’ouvrage ; en se qualifiant d’emblée comme « voix dissonante », l’auteur développe un plaidoyer (non présenté au colloque lui-même) pour que la théologie s’inscrive davantage dans le concert des raisons. Car il faut, dit-il, arriver à débattre de l’impensé des migrations de telle sorte que le chrétien puisse poser son choix éthique en meilleure connaissance de cause. Le théologien ne peut pas, en effet, se contenter d’invoquer Mt 25,35 (« j’étais un étranger… ») pour réclamer purement et simplement tout à la fois l’ouverture des frontières, l’installation des migrants et la lutte contre les préjugés, ainsi qu’on l’entend très souvent dans les discours de l’Église sur ce sujet. Il importe plutôt de sérier les questions cachées derrière le « mot-valise » de migrant : Est-il demandeur d’asile ? Fuit-il la misère (au risque d’augmenter celle de son pays) ? Menace-t-il la sécurité du pays d’accueil ? Comment s’y intégrera-t-il ? L’auteur regrette que le débat soit trop souvent interdit sur ces sujets par un journalisme qu’il appelle « sermonneur », de peur de réveiller une extrême-droite qui, précisément, se servira de ce musèlement de la parole comme d’un argument supplémentaire en faveur de sa cause. Devant les risques que court une « société en morceaux » qui ne dispose plus de points de repère culturels communs, B. Bourgine rappelle, à la suite de G. Fessard et P. Manent, l’importance de la particularité (nationale) pour accéder à l’universel. Il importe donc, conclut l’auteur, de recréer les conditions d’un débat démocratique sur la migration. Non pas pour tempérer les exigences de la foi, mais au nom même de la foi dans le Dieu qui a choisi un peuple élu en vue d’un salut universel, pour montrer qu’il aime tous les hommes au singulier de ce qu’ils sont chacun.

C’est sans doute une voix moins « dissonante » que fait entendre ensuite Paul Scolas (théologie, UCLouvain) en présentant « la problématique ». L’auteur explique l’intitulé du colloque : la vérité étant toujours « devant soi », la sortie de soi qu’est la migration fait partie de notre condition humaine et l’hospitalité nous permet de nous retrouver nous-mêmes.

Viennent alors deux contributions qui déploient le message biblique (« l’élu dans la bible hébraïque ») puis patristique (« Notre cité se trouve dans les cieux »). D’abord, André Wenin (théologie, UCLouvain) rappelle qu’Israël porte, par l’élection dont il est l’objet, la singularité de la différence, non pas ethnique mais proprement éthique creusée par la loi : le renoncement à la convoitise qui entrave la liberté du juif crée un espace d’ouverture à l’autre. C’est comme l’étranger qu’il fut jadis, et non comme un titulaire de propriété, que le peuple élu prend possession de la Terre promise. Ensuite, Jean-Marie Auwers (théologie, UCLouvain) cite successivement Clément de Rome, l’épître à Diognète, Philon, Irénée et Tertullien pour illustrer la tension eschatologique qui attire le chrétien au-delà de ce monde : « suivre le Verbe » c’est toujours, d’une certaine façon, « séjourner en étranger » en ce monde.

Après ces deux rappels fondamentaux, l’éthicien Walter Lesch (théologie, UCLouvain) semble revenir à la complexité évoquée dans l’avant-propos puisqu’il affronte « la difficile responsabilité face à l’immigration irrégulière ». Pour l’auteur, la prédication d’une culture de l’hospitalité n’aide pas automatiquement à faire disparaître les problèmes. Évitant la double réaction émotive tant de « l’aide avant tout » que de « la criminalisation des migrants en séjour illégal », nous devons distinguer les niveaux de responsabilité, depuis l’international jusqu’au personnel. Du côté national, nos politiques de dissuasion d’entrée sur le territoire nient notre responsabilité à l’égard des étrangers qui cherchent refuge chez nous ; par ailleurs, du côté personnel, l’aide volontaire présuppose une capacité d’accueil qui n’est pas généralisable. Le débat doit se poursuivre, mais jusqu’où peut-on imaginer plusieurs réponses éthiquement acceptables à la question de l’accueil des migrants ? Il importe en tout cas que des voix chrétiennes se fassent entendre pour contrer les discours de haine du populisme.

Dans les trois exposés suivants est abordé le thème d’une humanité commune, mais selon des approches très diversifiées : sociologique (« les questions de migration et d’asile comme lignes de faille »), interreligieuse (« l’hospitalité est le chemin de la vérité ») et philosophique (« l’existence, de l’égarement à l’exode »).

Jacinthe Mazzocchetti (sciences politiques et sociales, UCLouvain) prend résolument le parti de ces migrants que le discours majoritaire écarte par peur, désinformation et racisme : tantôt criminalisés, tantôt victimisés, mais sans qu’apparaisse la plus-value qu’ils représentent. Comme leur personne singulière n’est plus prise en compte, l’auteure invite les intéressés à la résistance, en particulier par l’acte d’écriture de leur propre vie, pour relever la tête ; elle invite aussi les auteurs de nos politiques migratoires inhumaines à réfléchir sur l’écart qui sépare nos pratiques de notre attachement – tout théorique – aux droits humains. Pierre-François de Béthune (o.s.b., Clerlande) invoque ensuite le témoignage de Louis Massignon pour souligner l’importance de l’hospitalité, non seulement donnée, mais encore reçue. Abordant cette pratique hospitalière sur le terrain interreligieux, l’auteur évoque la figure d’Henri Le Saux, prêt à perdre le Christ lui-même pour entrer dans sa mission kénotique et ainsi rejoindre la vérité, d’où qu’elle vienne. Quant à Michel Dupuis (philosophie, UCL), il part de l’homme que sa propre énigme d’âme et de corps rend étranger à l’univers, comme l’indiquent, chacun à sa manière, E. Stein, H. Maldiney ou P. Ricœur. La « différence anthropologique » fait de l’existence humaine – ou plutôt de l’ek-sistence – un processus de développement de soi qui n’ignore pas le risque de toute traversée : « il nous risque », dit R.-M. Rilke. Or, pour que le cheminement soit exode, et non pas égarement, ne faudra-t-il pas qu’il réponde à une promesse de vie ?

Les deux dernières contributions nous ramènent plus directement à la théologie, du côté de l’ecclésiologie (« Exode et diaspora ») puis – encore – de l’éthique (« Migration et accueil de l’autre »). Joseph Famerée (théologie, UCLouvain) voit l’Église comme migrante, ouverte, née de l’Exode pascal et réveillée en sa vocation par les migrations. Évoquant à son tour l’épitre à Diognète, mais aussi la Cité de Dieu d’Augustin et Lumen gentium sur le peuple en marche, l’auteur insiste sur l’universalité ecclésiale enracinée en chaque culture. Cette catholicité est engagée dans le rapport fraternel que les chrétiens sauront nouer avec les migrants. En conclusion du colloque, le doyen Éric Gaziaux (théologie, UCLouvain) expose le fonds anthropologique d’une triple éthique : d’abord, de l’identité comme processus d’accueil d’autrui car le soi ne se possédant pas lui-même, son identité n’est jamais dé-finie ; ensuite de la frontière, indispensable pour que les humains reconnaissent à la fois leurs limites et leur responsabilité : l’autre ne doit trouver chez nous ni une page blanche qu’il serait seul à remplir, ni une page tellement écrite qu’il n’aurait rien à y ajouter ; enfin une éthique de l’hospitalité, inspirée par les travaux d’Axel Honneth, dans laquelle le droit, qui vise le respect mutuel, est encadré par l’amour qui donne confiance en l’autre et l’estime de soi par laquelle le sujet honore sa propre dignité. Or si les migrants nous renvoient de la sorte au fonds éthique de notre humanité, ils interrogent aussi notre foi. C’est ainsi qu’une théologie de la migration doit s’élaborer, appuyée tant sur la tradition scripturaire – prise d’ailleurs comme fondement, davantage que comme prescription morale précise – que sur les signes des temps où le chrétien cherche à donner du sens à cet essentiel qu’est pour lui l’ouverture à l’étranger.

Que conclure de ce parcours sinon que, au moins, il a traversé un champ placé sous haute tension ? L’enjeu d’humanité évoqué dans le sous-titre du colloque porte en effet sur une confrontation : même s’il a la vérité devant soi, le migrant doit se porter au-devant d’une société différente, laquelle a toute une culture derrière soi. Or l’art de gérer cette rencontre – qu’on appelle la politique – doit relever le défi de faire converger les humains vers le même cœur (concordia) non seulement au sein de la même cité (polis) mais aussi entre les cités : comment saisir cet autre qui veut venir chez nous alors qu’il n’est pas de chez nous ? Tandis que certaines contributions au colloque situent la question migratoire dans ce champ de la raison politique en insistant sur le réalisme de la responsabilité (B. Bourgine, W. Lesch), d’autres apports mobilisent, soit la raison philosophique, soit la tradition religieuse pour éviter les durcissements d’une polarisation qui ne pourrait tourner qu’à la violence.

Selon le discours philosophique (P. Scolas, M. Dupuis, É. Gaziaux), il n’est franchement pas sûr que l’identité d’un sujet doive se comprendre sur le modèle de la clôture qui ne laisse rien passer. Accueillir l’autre, en effet, n’équivaut pas nécessairement à se perdre, c’est aussi se découvrir soi dans une humanité qui nous est commune. Étant déjà étranger à lui-même (quel est cet étrange corps qu’il habite ?), le sujet humain ne doit-il pas risquer la rencontre de l’autre pour trouver sa propre identité, jamais fermée ? Pour abonder dans ce sens, les théologiens ne sont pas en reste (A. Wénin, J.-M. Auwers, J. Famerée, É. Gaziaux) : n’ont-ils pas lu dans la bible, prolongée par toute la tradition chrétienne, la présence continue de l’Autre qui s’institue garant de l’étranger ? C’est le peuple juif, requis d’ouvrir un espace d’hospitalité à l’étranger ; c’est l’Église, en exode et en diaspora, vivant dans ce monde sans en être et réveillée dans son essence par le contact avec les migrants…

Mais comment mettre ensemble ces apports diversifiés, de la responsabilité politique d’une part, des ouvertures humaniste et chrétienne d’autre part1 ? Les réalistes montrent bien qu’une simple exhortation à l’accueil n’est pas suffisante, car chaque entité politique a élaboré sa propre manière de comprendre l’homme, qui n’est pas celle des autres ; par ailleurs, la focalisation politique d’un pays sur son identité nationale risque de négliger non seulement la longue tradition religieuse de l’hospitalité mais encore la précieuse réflexion philosophique sur l’identité comme ouverture. Oui, comment résoudre la tension ? Peut-être pas autrement qu’en la gardant ouverte. À cet égard, nous voudrions revenir sur un aspect des deux contributions non encore reprises en cette brève synthèse, avant de conclure sur l’importance du temps.

Dans son plaidoyer en faveur des migrants marginalisés par nos sociétés occidentales, J. Mazzocchetti insiste à juste titre sur l’unicité de chaque migrant. Aucune personne n’est le numéro d’une série : chacune tient de sa nature humaine sa dignité propre, qu’il s’agit de protéger et, au besoin, de révéler à nouveau, par exemple en invitant la personne, comme le fait l’auteure, à écrire sa propre histoire. Mais cette invocation de l’irréductible singularité de chaque personne migrante ne doit-elle pas être située dans le contexte, à la fois plus large et plus étroit, de l’entité politique ? J. Mazzocchetti déplore, nous l’avons dit, le fossé qui sépare l’adhésion des pays occidentaux aux droits de l’homme d’un côté, les rudes pratiques de ces pays à l’égard des migrants de l’autre. Or, sans vouloir justifier ici en aucune manière les malversations dont, trop souvent, les étrangers sont l’objet dans nos contrées, il ne conviendrait tout de même pas d’imaginer la figure des droits de l’homme comme légitimant la revendication directe de chaque individu humain à l’égard du reste du monde, car ce serait confondre l’universalité de la morale (en gros, de l’impératif catégorique kantien) avec la particularité du droit. C’est que, à l’exception du redoutable sort de l’apatride, la personne ne se présente pas sur la scène du monde sans une appartenance, non seulement à sa lignée familiale mais encore à l’entité politique qui l’a vu naître. Or c’est précisément au sein de cette entité particulière que le sujet doit trouver la première garantie de ses droits humains. Tel est d’ailleurs l’énoncé classique du principe de subsidiarité mis en valeur dans la doctrine sociale de l’Église.

Alors que la spécialiste des sciences sociales pouvait induire chez ses lecteurs, au nom de la dignité de chaque personne, une extension trop immédiatement universelle de la portée des droits de l’homme, le pratiquant du dialogue interreligieux risque peut-être d’escamoter, dans son domaine propre, la particularité de sa foi. Comment comprendre en effet le propos de H. Le Saux, rapporté par P.-F. de Béthune, d’entrer dans la kénose du Christ en acceptant de perdre le Christ lui-même ? Certes, il est bon d’accueillir la vérité d’où qu’elle vienne, et donc de garder l’esprit ouvert à l’au-delà des formes définies de sa propre confession, mais faut-il pour autant perdre le Christ lui-même ? S’agirait-il alors de n’être plus rien pour accueillir toute expression de vérité venue d’ailleurs ? Mais, dans ce cas, est-ce encore un chrétien qui serait là pour accueillir cette vérité ou bien un être imaginaire qui aurait confondu l’universel avec le vide ? Dans ce sens-là, perdre le Christ, ne serait-ce pas, d’ailleurs avec une intention œcuménique entièrement respectable, le remplacer ? Pour le chrétien, en effet, le Fils de Dieu fait homme nous fait don de l’Universel concret qu’il est lui-même, vérité de toute vérité.

Par cette mention du Christ, nous voici ramenés à l’enjeu d’humanité recherché dans l’ouvrage ici commenté. Car, aux yeux du croyant, cette humanité actuelle se situe entre les deux avènements du Seigneur. Né dans un peuple particulier soumis à la domination impériale romaine, Jésus inaugure lui aussi un Royaume. Mais quand établira-t-il sa royauté ? La réponse ne se situe pas au niveau des espaces que le Christ devrait conquérir pour former un empire universel, car son Royaume n’est pas de ce monde. Elle se situe au niveau du temps, puisque c’est à la fin des temps qu’il procédera au jugement dernier de toutes les nations rassemblées devant lui. Cette tension eschatologique vers la Cité de Dieu définit le chrétien, comme l’ont rappelé les textes bibliques, patristiques et magistériels cités dans l’ouvrage. Mais ne traverse-t-elle pas aussi la condition humaine elle-même dans la mesure où le Créateur a modelé l’homme en prenant pour modèle le Christ qui récapitulera toutes choses (cf. Ep 1,10) ? Tant que dure l’attente du Royaume à venir, les nations vivront sans doute leur vie propre, exprimant par-là l’impuissance des humains à dé-finir par eux-mêmes leur propre humanité, mais elles pratiqueront aussi l’hospitalité envers l’étranger pour montrer que ce Royaume est déjà-là.

Notes de bas de page

  • 1 Telle est aussi la question que je me pose dans l’ouvrage auquel je me permets de renvoyer : X. Dijon, Les frontières du droit. Quelle justice pour les migrants ?, préf. J. Vignon, coll. Donner raison, philosophie, Bruxelles, Lessius, 2020.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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