Après la somme publiée par M.-J. Thiel, Les abus sur mineurs dans l’Église catholique (2019, cf. NRT 142, 2020, p. 158), voici l’étude pluridisciplinaire et internationale qui manquait, pour prendre conscience de l’étendue du chantier ouvert par les violences sexuelles en Europe – une criminalité sexuelle où aboutissent « les dysfonctionnements systémiques des sociétés modernes, divisées et fragmentées par le pouvoir d’emprise du modèle libéral, individualiste et consumériste » (Introduction, p. 13). Publiant les Actes des Journées internationales d’éthique de Strasbourg (mars 2020 et juin 2021), l’ouvrage suit une progression en trois temps : reconnaître et écouter les victimes, enquêter (donc recourir au droit et aux instances juridiques), et enfin prévenir, non seulement en mettant en place des instances de vigilance, mais en interrogeant les structures mêmes qui ont pu favoriser les transgressions – « L’exemple de l’Église catholique servira là encore de modèle » (p. 17).

La première partie, « Reconnaître et écouter le traumatisme », comporte huit contributions, quatre explorent les conséquences des « abus » chez l’enfant, une se concentre sur les conséquences spirituelles d’un traumatisme ecclésial (V. Garnier), trois autres s’attachent à ces abus spirituels (G. Berceville) dans le contexte pastoral (J. Pralong), avec la mise en évidence cinématographique (film Les éblouis) du phénomène d’emprise quand il touche une famille encartée dans une secte.

La deuxième partie, « Enquêter. Le recours à la justice », met en évidence l’encadrement par des règles et des codes, en France, en Europe et dans le droit de l’Église catholique. Treize contributions du plus grand intérêt parcourent d’abord les procédures française et européennes, pour décliner ensuite ce qu’il en est du questionnement des enfants, du signalement aux autorités, du rôle de l’avocat des mineurs – auprès des jeunes, mais aussi des parents –, du point de vue du psychiatre, de l’abord criminologique des auteurs d’abus, du travail des enquêteurs, et comme on l’a dit, du cadre canonique. La dernière intervention, signée de J.-M. Sauvé, revient sur l’écoute des victimes et l’apprentissage qu’elles offrent, tels que cet angle d’approche s’est petit à petit développé dans le cadre de la CIASE.

La troisième partie, « Le chantier de la prévention » s’interroge à quatre reprises sur ce qu’induit la culture ecclésiale. Il y a d’abord ce mésusage des textes inspirés (A. Pozzo), et plus largement, le défi que les abus sexuels représentent pour la théologie (J. Ehret, j’y reviens plus loin), surtout quand ils procèdent d’excès de pouvoir, sacramentel ou non (M.-J. Thiel, à ne pas manquer). Le chemin synodal allemand et les réactions de l’Église catholique aux abus sexuels en Allemagne et au Luxembourg montrent l’émergence de processus qui doivent encore s’affermir. Une dernière touche vient de la prévention dans le cadre de l’Éducation nationale française.

Il faut hélas noter, même si ce n’est qu’un des nombreux domaines étudiés, qu’une certaine manière de faire la théologie a pu servir à justifier le comportement de ces prêtres et évêques auteurs d’abus – sans compter que la répétition des transgressions de la loi donne aux plus pervers l’illusion d’être au-dessus des limitations de l’insupportable manque (cf. F. Riedlin, p. 75), alors que l’« imposture charismatique » (G. Berceville, p. 130) n’a cessé de mêler « une psychologie de comptoir à la rigidité doctrinaire ». Or, il s’agit, dit J. Ehret, en tant que théologien qui se sait faire partie du système (p. 334), de se rendre compte que ceux qui donnent leur témoignage théologisent : prendre l’expérience comme un locus theologicus devient un choix incontournable. Et puis, la lecture de romans « pourrait aider les théologiens à découvrir des aspects (…) que leur propre représentation de la réalité exclut » (p. 352). Enfin, le journal, troisième genre littéraire, permettrait aussi de renouveler la pensée et le langage : en tenir un pourrait devenir un exercice théologique spécifique (p. 356). On devine que cette manière pour le théologien de relever le défi de théologiser au temps des abus permet de proposer autrement les grands sujets de la tradition chrétienne (l’incarnation, la rédemption…) – une déconstruction des affirmations connues qui n’est pas un exercice de destruction, pour qui doit savoir répondre de Dieu et de l’Église, mais aussi des personnes traumatisées par les représentants de cette institution à laquelle on appartient (p. 357) — N. Hausman s.c.m.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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