Fürst s'intéresse à trois domaines où la correspondance entre
Augustin et Jérôme révèle des divergences d'opinion et des
désaccords. Le premier est leur appréciation de l'épisode
d'Antioche (Gal 2, 11-12), où Paul reproche à Pierre son changement
d'attitude envers les chrétiens d'origine païenne. Un désaccord
entre Apôtres soulevait pour les chrétiens des premiers siècles un
grave problème. Origène proposa d'y voir une simulatio utilis
(utile artifice) , une sorte de pseudo-dispute destinée à faire
comprendre aux chrétiens de cette ville l'attitude correcte qui
s'imposait. Jérôme partageait plutôt cette opinion, rejetée par
Augustin. Celui-ci n'admettait pas ce mendacium officiosum
(mensonge destiné à rendre service): même pour une bonne cause, on
ne peut mentir. Il faudra la controverse pélagienne pour que Jérôme
reconnaisse, comme Augustin, la distinction entre sainteté
personnelle du ministre et légitimité de sa charge apostolique. La
seconde brouille fut provoquée par les remarques d'Augustin sur les
corrections apportées par Jérôme aux traductions latines, assez
défectueuses, des textes bibliques. Le travail demandé à Jérôme
aboutira à la Vulgate, non sans soulever de nombreuses réactions
dans l'Église latine. Les critiques d'Augustin furent très mal
prises par Jérôme, qui y vit des attaques personnelles et rompit
l'échange de lettres. Un troisième épisode ramena une
réconciliation «boiteuse» de l'avis de F. Il s'agit de la
controverse pélagienne et de son antécédent, la question de
l'origine des âmes humaines. Origène avait émis l'hypothèse d'une
création simultanée de toutes les âmes qui tombèrent dans des corps
à cause d'une faute. Pour expliquer autrement l'existence du péché
originel, Augustin envisagea plutôt une transmission de l'âme par
les parents au moment de la conception (traducianisme), d'où la
nécessité du baptême des enfants dès leur naissance. L'austère
moine Pélage rejetait ce point car, pour lui, l'homme est capable
par sa seule volonté d'éviter tout péché. Ce n'est donc qu'en cas
de faute personnelle qu'il a besoin du baptême. Il en concluait
que, s'il péchait, un pasteur perdait de ce fait tout droit à sa
charge. Son erreur se répandit en Occident, puis en Orient.
Augustin, champion de l'orthodoxie, recourut entre autres à Jérôme
pour le seconder dans la lutte. S'il obtint cette aide, ce fut plus
contre l'erreur qu'en vertu d'un accord de fond.
Dans sa conclusion, F. montre que l'échec des efforts découle
d'attitudes fondamentales des deux protagonistes face au désaccord
et à la critique. Jérôme se révèle incapable de distinguer dans une
discussion entre les faits et les personnes. Pour lui, un désaccord
dans les idées entraîne automatiquement un conflit entre les
personnes. Le comportement d'Augustin est tout autre: une
différence d'opinion n'implique pas nécessairement une rupture
entre les personnes. Conformément à la très haute opinion de
l'Antiquité sur l'amitié, une caritas maior (charité plus
grande) peut donner une valeur positive au dialogue critique et
permettre aux deux partenaires de progresser ensemble vers plus
d'entente et une meilleure saisie de la vérité.
Il est à peine besoin de souligner l'importance de cette remarque
qui reste fondamentale pour tout échange fructueux. On saura gré à
F. pour son travail, solide et remarquablement documenté. Il
éclaire des problèmes essentiels et toujours actuels. Une
bibliographie détaillée et plusieurs index - textes étudiés,
références scripturaires, noms propres, matières - facilitent les
recherches. - L. Renwart, S.J.