Doctrines catholiques sur le peuple juif après Vatican ii

Gavin D'Costa
Teologia - reviewer : Didier Luciani

Cette traduction d’un livre anglais de D’Costa est une heureuse initiative pour deux raisons au moins. D’une part, l’ouvrage approfondit les réflexions précédentes de l’A. dans Vatican ii : Catholic Doctrines on Jews and Muslims (2014). D’autre part, il aborde un point aussi essentiel que redoutable : « Une seule question se trouve au centre de ce livre. Si l’Église catholique enseigne que l’alliance conclue par Dieu avec son peuple, les Juifs, est irrévocable, qu’est-ce que cela signifie pour la théologie catholique concernant le peuple juif ? » (p. 15). Bien que l’expression « les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » soit on ne peut plus biblique (Rm 11,29) et n’exprime rien d’autre que la fidélité de Dieu, Vatican ii qui a, sans conteste, marqué un tournant dans les relations entre l’Église catholique et le peuple juif, n’en a pas tiré immédiatement toutes les conséquences. Il fallait tout d’abord se débarrasser des oripeaux d’un antijudaïsme chrétien vieux d’au moins seize siècles. Il fallait ensuite trancher la question de savoir si les propos pauliniens concernaient uniquement le peuple de la Bible ou valaient encore pour le judaïsme postérieur, jusqu’aujourd’hui. Sur ce point, les propos du Concile ne sont pas si clairs que cela. C’est ce lent déploiement, du sens des Écritures sur un demi-siècle – entre NA (1965) et le document anniversaire de la Commission pour les relations religieuses avec le Judaïsme (« Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables », 2015) que l’A. analyse de façon très argumentée. Si cette explicitation du donné scripturaire acte le fait que la Tradition est vivante, ils engendrent aussi – comme dans toute l’histoire du dogme – de nouvelles questions. Comment, en effet, qualifier la nouvelle relation entre catholiques et juifs, à partir du moment où le judaïsme n’est plus disqualifié, mais est reconnu dans sa valeur intrinsèque comme une réalité pérenne et donnée par Dieu ? Le substitutionnisme longtemps dominateur devant être abandonné, faut-il concevoir deux voies de salut indépendantes ou miser sur la notion malléable et équivoque d’« accomplissement » ? Et cette dernière ne serait-elle pas, finalement, qu’une forme déguisée ou modérée du substitutionnisme antécédent ? De façon plus précise, trois difficultés majeures surgissent : 1) Quelle place et quelle fonction accorder aux rites religieux juifs, longtemps considérés comme « morts et mortifères » ? ; 2) Comment comprendre, dans le contexte de l’existence de l’État d’Israël, les promesses liées à la terre ? ; 3) Que devient la mission longtemps encouragée à l’égard des juifs en vertu du caractère universel du salut apporté par le Christ ? De façon méthodique, et après avoir présenté les différents documents magistériels sur lesquels se base l’étude, selon leur degré d’autorité respectif (chap. 1), chacune de ces questions est abordée dans une section propre : chap. 2 : « La “loi rituelle” Morte ou mortifère, ou vivante et vivifiante ? » ; chap. 3 et 4 : « L’Église et la terre promise biblique » et « L’Église et le sionisme minimaliste catholique ? » ; chap. 5 : « Mission catholique auprès du peuple juif ? ». L’approche de l’A. se caractérise par un grand souci de souligner la cohérence et la continuité de l’enseignement doctrinal du magistère, honorant ainsi un type d’herméneutique très spécifique des documents ecclésiaux, qui présuppose que la Tradition se développe toujours par étapes, de manière linéaire et harmonieuse. Or l’exercice s’avère particulièrement délicat pour NA 4 qui représente plutôt un changement, une rupture, voire une révolution par rapport à l’enseignement antérieur. Quoi qu’il en soit, le livre de D’Costa pose des questions essentielles et cherche à rendre compte tout à la fois de la cohérence et du développement de l’enseignement magistériel à l’égard du peuple juif. Comme l’A. le reconnaît dans sa conclusion, ce n’est qu’un point d’étape aboutissant à des « résultats modestes », lesquels sont soutenus par des « arguments fragiles » (p. 302). Mais, en même temps, au regard du passé, ce sont des pas de géant sur une trajectoire qui ne peut s’affranchir d’une inévitable dimension eschatologique. — D.L.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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