Heidegger et l'exacerbation du centre. Aux fondements de l'authenticité nazie?
R. DenuitLe résultat de l'enquête est saisissant (et plus radicalement inquiétant que le livre de Farias d'il y a quelques années) quand il fait entendre que la mesure de Heidegger «se révèle précisément dans et autour de la chose politique et de la vérité, de la πολιτεια et de l'άληθεια» (p. 325). La période nazie a été celle du messianisme d'une nation qui se croyait chargée du salut de tout, et qui pour cela se pensait au 'centre' universel. Hölderlin, le poète inspirateur de Heidegger, porte sans doute une lourde responsabilité sur ce point. Le désastre que fut la guerre 40-45, ainsi que l'effacement de cette idéologie que Heidegger semble n'avoir jamais acceptée jusqu'au bout, pourraient éventuellement soutenir l'idée que «la philosophie de Heidegger n'était justement pas nazie; [l'analyse] pourrait peut-être montrer comment sa propre pensée le conduit comme malgré lui (ou elle) vers un lieu imprévu et peut-être impensé, qui serait l'exact opposé du fondement du nazisme» (p. 50).
La thèse de l'A. est fine et forte. La dilution progressive de l'Être dans le rien, le «déval vers l'après de la philosophie» (p. 337) dirait-on dans le vocabulaire de Vezin, traduirait la prise de conscience, au fil des années, du destin de la prétention nationale allemande; la technique est critiquée parce qu'elle universalise l'essence de l'homme qui n'aurait précisément jamais dû quitter sa terre 'natale', l'Allemagne; l'écroulement de «l'État de l'être» dans l'universalité du monde manifeste donc la fin définitive de l'Allemagne et de la philosophie. Le déclin de l'être est celui de l'Allemagne, ou inversement. Voilà un livre fortement documenté et salutaire, qui renvoie les métaphysiciens à la question du 'centre' de leurs méditations. Y manque un index des noms. - P. Gilbert sj