Hippolyte Delehaye. Hagiographie critique et modernisme (2 vol.), préf. R. Aubert

Bernard Joassart s.j.
Storia - reviewer : Pierre Sauvage s.j.
Voici un livre insolite dans les nombreuses publications des Bollandistes. En présentant l'oeuvre critique du Père Hippolyte Delehaye (1859-1941), l'auteur, qui fait partie de cette société savante, aborde un moment déterminant dans l'histoire récente des Bollandistes du point de vue de la méthode. «Manifeste de l'hagiographie critique», Les légendes hagiographiques, parues en 1905, c'est-à-dire en pleine crise moderniste, ont suscité de vives réactions de la part des autorités romaines, à tel point qu'elles ont échappé de peu à la mise à l'index. Par cette étude, l'A. invite ses lecteurs à une passionnante traversée d'une période tourmentée mais féconde où il met en lumière d'une part les avancées de la méthode historique dans le domaine sensible de l'hagiographie et d'autre part les peurs, les résistances, les prudences tant des autorités de l'Église que celles de la Compagnie de Jésus. À cet égard, l'ouvrage fait office de pierre de touche de ce climat de suspicion à l'égard des intellectuels qui régnait à cette époque dans le monde catholique. Aujourd'hui encore, la défiance n'est pas complètement disparue: pour preuve, le refus poli de la Congrégation de la doctrine de la foi de donner accès au dossier du Père Delehaye.
Si le choix du sujet est judicieux, la manière de l'exposer est claire et convaincante. Afin de saisir toute la portée de l'oeuvre théorique du Père Delehaye, l'A. prend la peine de replacer le savant jésuite dans son milieu et de suivre patiemment la genèse de sa réflexion sur la méthode. Avec un sens critique avéré doublé d'une large érudition, il parvient à reconstituer le réseau des relations intellectuelles nouées par le Père Delehaye avec ses collègues jésuites, bollandistes ou non, ainsi qu'avec des savants de l'époque. Ainsi l'A. retrace non seulement une tranche de l'histoire de la société des Bollandistes mais présente également un panorama du monde intellectuel de l'époque qui est préoccupé par les questions de méthode historique. En appui de ce beau travail de synthèse, B.J. publie un précieux volume documentaire composé entre autres d'un ensemble de plus trois cent documents d'archives, pour la plupart inédits. Ce dossier est composé surtout de lettres et de documents appartenant aux différents fonds d'archives utilisés ainsi que d'extraits des diaires des Bollandistes. À lui seul, l'index onomastique placé à la fin de ce volume documentaire révèle l'étendue de l'enquête menée par l'auteur pour l'ensemble de son travail.
Même s'il traite d'un sujet de méthode, une matière par nature assez aride, l'ouvrage se lit très agréablement: l'écriture est alerte; le plan adopté tient le lecteur en haleine dans un débat intellectuel qui ne manque pas de rebondissements. On est comme plongé dans une enquête policière. On aurait toutefois préféré que le contenu des Légendes hagiographiques qui constitue le pivot du livre soit expliqué plus tôt. Par ailleurs, on peut souligner que ce chapitre qui leur est consacré est une magistrale leçon de critique historique.
Pour terminer, un souhait. Que cette nouvelle veine continue d'être exploitée avec la même rigueur et le même talent. De telles études contribueront à mettre en lumière non seulement l'apport spécifique des Bollandistes dans ce domaine, mais également celui des savants catholiques durant la douloureuse crise moderniste. - P. Sauvage, S.J.

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