Jean Anglès d’Auriac (1902-1954). Genèse d'une pensée

Thierry Anglès d'Auriac
Filosofía - reviewer : Marie-Jeanne Coutagne

Il est toujours surprenant et agréable de découvrir un philosophe méconnu et presqu’oublié, à tort ! C’est le fils de Jean Anglès d’Auriac, qui consacre un livre original à son père mort prématurément. Mais il ne s’agit nullement d’un simple hommage (ce qui serait déjà beaucoup !) : l’A. tient à déployer un portrait philosophique d’un auteur qu’il serait intéressant et même urgent aujourd’hui de reconnaître.

Jean Anglès d’Auriac est un philosophe chrétien, normalien, élève de Jacques Chevalier, ami de Jean Guitton, dont une correspondance importante est intégrée au volume. Reconnu par ses pairs et camarades d’École pour figurer parmi les plus profonds philosophes de sa génération, il reste méconnu car il décède l’année où paraît son unique ouvrage publié. Philosophe spiritualiste, comme en attestent les deux vol. de sa thèse éditée aux PUF l’année même de son décès : T.1. La recherche de la vérité, sa genèse idéale et son fondement et T.2. En quête du meilleur régime de l’esprit. Il semble y avouer sa dette vis à vis de Malebranche, mais en réalité c’est une longue reprise de l’intention cartésienne qui anime ce travail. Descartes fut en effet pour Anglès d’Auriac comme un partenaire obligé de son parcours philosophique.

Les 2 vol. s’intitulent « essai de philosophie générale », c’est-à-dire qu’il y est question de philosophie première, donc de métaphysique. Mais l’œuvre pourtant inachevée d’Anglès d’Auriac, se déploie aussi dans le domaine de la psychologie philosophique et de la caractérologie, inspiré qu’il fut par René Le Senne. Il concevait le parfait exercice de l’esprit comme celui de l’âme et celui du corps : on soupçonne ici l’influence notable de Maine de Biran. Il serait utile de confronter les textes qui nous sont parvenus à ceux, qui lui sont contemporains, de Maurice Merleau-Ponty ou encore d’Emmanuel Mounier qui était un ami proche. Par ailleurs, la méthode rigoureuse qui est la sienne (il était de famille scientifique) l’apparente à certains philosophes analytiques parmi les plus récents.

J. Anglès d’Auriac parlait de son œuvre comme celle de la « bona mens » : il faut cependant regretter que les développements éthiques manquent à cet effort remarquable, même si son intention est bien dans cette direction : « Le vrai ne peut être qu’un moyen au service du Bien (…) que nous n’avons l’obligation de chercher la vérité que parce qu’il nous faut la connaître pour bien agir personnellement et nous donner à nous-mêmes la perfection dont nous sommes capables et dignes d’être dotés. »

Le livre se lit avec plaisir car il évoque quelques souvenirs personnels, donne à lire des correspondances familiales ou amicales, ou encore des discours introuvables de J. Anglès d’Auriac. En brossant un tableau de la vie intellectuelle des années 1920-1950, le travail de Thierry Anglès d’Auriac permet de situer l’œuvre d’un philosophe exigeant, attachant et profond. Sa fragilité assumée à la suite de graves ennuis de santé qui l’emporteront, nous laisse entrevoir une détermination et une force de caractère peu communes, que sa foi chrétienne ne cesse de soutenir et éclairer. À découvrir assurément ! — M.-J. Coutagne

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80