Ce livre, luxueusement édité, présente en couverture le visage de
la déesse repris au tableau de Botticelli La naissance de Vénus
(Florence, Uffizi): tout un programme! Mythe de la Femme, ou femme
sortant de sa coquille pour conquérir sa liberté? Quoi qu'il en
soit, l'A. philosophe et sociologue de formation, affiche sa
complaisance pour la mythologie qu'elle étudie depuis quinze ans.
Elle applique ses connaissances à la figure de Jésus telle que les
«évangiles officiels» la transmettent dans la tradition chrétienne,
et la confronte aux «évangiles apocryphes», ceux qu'on appelle
«gnostiques», d'un ton forcément différent. D'emblée, elle dénonce
le christianisme comme «religion de mâles» et elle caricature le
«Dieu biblique» comme le «super mâle bafoué qui cherche à châtier
sa femelle légère et oublieuse» (p.23), et qui «démonise le
féminin»; l'image revient, dit-elle, avec les trois «mâles de la
Trinité» proclamés par l'Église. Après cet exorde, commence le
roman de Jésus, car l'A. est aussi romancière! En bref, l'astucieux
scénario se déroule ainsi. Dans la mythologie ancienne, la première
divinité est évidemment féminine, puisque nous naissons tous d'une
mère. Or la religion de la déesse-mère a été vite supplantée au
Proche-Orient par les religions patriarcales: revanche des mâles
frustrés! Une innovation est née en Israël: l'apparition du premier
dieu célibataire et misogyne. Ainsi est venue au jour une religion
machiste, construite sur une Loi excluant la femme. Lorsque vient
l'Enseigneur Jésus, qui se dit «Fils de l'Esprit», il renverse
cette «religion du Père» et prend position contre la Loi
antiféministe d'Israël. Il se fait «l'ami des femmes» et séduit
Marie Madeleine - soeur de Marthe et de Lazare (sic), - la Fidèle
ou l'Éveillée, qui boit sa doctrine à longs traits et devient son
amante. En fait, c'est elle «la disciple que Jésus aimait», dont
parle saint Jean. Devant la place qu'elle prend dans le cercle des
disciples, Pierre devient jaloux de cette femme. Après la mort de
Jésus, il va établir une religion antiféministe, avec l'aide de
Paul le judaïsant, celle de l'Église chrétienne, qui renia les
directives et le comportement de Jésus. Ainsi les évangiles
«officiels» ont été falsifiés pour effacer toute connivence de
Jésus avec les femmes. L'évangile authentique a été heureusement
sauvegardé par les écrits déclarés «apocryphes» par l'Église lors
de l'élaboration de son «canon des Écritures»: des manuscrits
coptes gnostiques trouvés en Haute-Égypte à Nag Hammadi en 1945:
évangiles de Philippe, de Thomas, de Marie-Madeleine, etc. Ils nous
transmettent «l'authentique figure» de Jésus, mais seuls les
initiés ont accès à cette «connaissance» secrète que l'Église
officielle a occultée pendant 1800 ans. Et voilà que l'A. restitue
la vérité et remet la Femme sur le piédestal dont elle n'aurait
jamais dû descendre; nous assistons à la vraie «naissance de
Vénus».
Il faut à l'A. 437 pages pour tenter de nous convaincre de cette
bonne nouvelle qu'elle annonce aux femmes. À vrai dire, elle a fait
un énorme travail de relecture des textes du N.T. pour les
infléchir à son interprétation, tandis qu'elle choisissait de
l'A.T. des textes violents ou «antiféministes», pour montrer le
bien-fondé de sa thèse, en taisant ceux qui mettent en évidence le
coeur maternel de Yhwh, ses attentions féminines pour ses enfants
bien-aimés et sa tendresse pour Israël, qui est présentée comme une
épouse infidèle, mais sauvée et restaurée.
Bref, du gnosticisme sorti du frigidaire accommodé à la sauce
féministe «3e millénaire»! Le plus consternant, c'est le sérieux
avec lequel l'A. croit au scénario qu'elle imagine. Sur le plan du
roman, la prestation manifeste un talent certain, mais pour ceux
qui désirent mieux connaître Jésus, c'est une entreprise perverse.
Dommage d'en faire un succès de librairie, car pareil essai rend
peu service à Jésus … et aux femmes, tout en faisant croire à une
imposture de l'Église longue de deux millénaires! Quand on
travaille dans le mythe et le roman, on n'est pas à quelques
incohérences historiques près! Notons encore qu'on dit un
logion et des
pour parler des «dits» de Jésus (c'est du grec!). Et louons l'A.
pour son imagination et pour son style séduisant, mais non pour sa
rigueur «scientifique»! - J. Radermakers, S.J.