John Rawls: les bases philosophiques du libéralisme politique

A. Kasanda Lumembu
Filosofía - reviewer : Ronan Sharkey
L'oeuvre de feu J. Rawls (1921-2002), philosophe américain de Harvard, domine la philosophie politique occidentale depuis plus de trente ans. Eclectique et influente bien au-delà des confins de la philosophie universitaire (rares aujourd'hui, par exemple, sont les économistes qui ne connaissent pas son premier livre, Théorie de la justice), elle a suscité une colossale bibliographie critique et exégétique dans une multitude de langues. Les pays francophones ont découvert tardivement la pensée de Rawls à l'occasion de la traduction, en 1987, de ce premier ouvrage, puis au travers des parutions, successivement, d'un recueil de ses articles datant des années 1980 (Justice et démocratie, 1993), qui contient des textes modifiant substantiellement sa théorie originale, puis de l'ouvrage qui consacre et achève cette mutation de sa pensée, Libéralisme politique.
Albert Kasanda Lumembu a écrit un livre d'introduction à la pensée de J. Rawls dans lequel il s'efforce de situer le philosophe américain dans le contexte de la pensée politique libérale dans son ensemble, une tradition qui, loin des représentations courantes, remonte à John Locke au XVIIe siècle et se confond avec la modernité politique dans son ensemble (démocratie, état de droit, droits de l'homme, création de la société civile, etc.). Rawls se réclame explicitement de cette tradition (il situe sa version du «contrat social» dans la lignée de Locke, de Rousseau et de Kant), mais ses rapports avec le libéralisme illustrent la complexité et les contradictions qui habitent celui-ci : sensible aux clivages politiques qui traversent l'Amérique des année 1960, Rawls propose d'abord dans Théorie de la justice un dispositif fictif de prise de décision dans l'incertain afin de parvenir à des principes d'organisation sociale d'une parfaite impartialité. On lui reproche alors, non seulement son formalisme (qui doit beaucoup à Kant), mais le fait que sa pensée épouse implicitement l'individualisme bourgeois de la société ambiante, sans réelle distance critique et sans la possibilité d'une reconnaissance ni de la relation complexe et symbiotique entre la personne humaine et ses valeurs, ni de l'enracinement métaphysique de celles-ci. Dans ses écrits tardifs, Rawls continue à défendre la priorité de la liberté dans une société démocratique, qui implique que l'individu doit être considéré, en fin de compte, comme politiquement libre à l'égard de ses valeurs, mais évolue vers une reconnaissance d'un clivage entre pensée politique et pensée métaphysique. Or, le primat accordé par Rawls à la première sur la seconde n'est pas sans difficultés, notamment pour le penseur chrétien, mais aussi plus largement pour la philosophie, car elle aboutit à une pensée politique non philosophique. En dépit d'une clarté structurale et pédagogique admirable, le présent ouvrage ne rend pas réellement compte de ces difficultés, et on peut s'étonner du rapprochement fait par le préfacier - plausible seulement en ce qui concerne sa dimension économique -, entre la pensée de Rawls et la doctrine sociale de l'Eglise. L'A. a écrit un ouvrage bien documenté mais qui passe un peu rapidement sur les critiques (notamment «communautariennes») faites à l'égard de la théorie de J. Rawls. Il servira admirablement de texte introductif, mais aura besoin d'être complété par la riche littérature critique qu'a générée cette oeuvre aussi remarquable que révélatrice des incohérences des sociétés dites «de modernité tardive». - R. Sharkey.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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