L'homme et son angoisse. La théologie morale de «Gaudium et spes»

Ph. Bordeyne
Morale e diritto - reviewer : Hubert Thomas
En accueillant dans la collection Cogitatio fidei la thèse de doctorat remaniée de Philippe Bordeyne, ses responsables ont voulu honorer un texte de grande qualité.Dans son étude de Gaudium et spes (GS), P.B. relève un beau défi. N'a-t-on pas déjà beaucoup commenté et beaucoup écrit sur cette constitution de Vatican II? Par ailleurs, ne sommes-nous pas déjà loin du concile et, certains diront, n'est-il pas «dépassé»? Pourtant, l'A., par son étude fouillée, réalise non seulement une relecture originale mais aussi renouvelante de ce document conciliaire.
Son hypothèse, qu'il fonde progressivement, est que la préoccupation pour l'angoisse humaine constitue une clé herméneutique pour une intelligence profonde de GS. La première partie de l'ouvrage se propose de dégager la sémantique de l'angoisse. Sur le terrain du texte de GS, on fait l'inventaire des occurrences des termes angor et anxietas ainsi que des termes qui leur sont corrélés. Ceci permet comme une mise au clair d'une «géographie de l'angoisse». Le deuxième chapitre, adoptant un point de vue généalogique, fait voir comment l'angoisse peut être regardée comme un véritable «moteur de recherche» pour la compréhension de la genèse même du texte en sa version définitive, au travers des vicissitudes de sa rédaction.
Avec le troisième chapitre, l'A. montre comment le thème de l'angoisse organise le discours et sa cohérence d'ensemble. La constitution GS n'est évidemment pas une phénoménologie de l'angoisse ou une déclinaison des angoisses des hommes de notre temps. L'angoisse y fait l'objet d'une conceptualisation théologique par le biais de l'espérance chrétienne. Il ne s'agit pas pour autant d'un discours apologétique et l'A. montre, avec pertinence, que cette conceptualisation révèle une anthropologie qui, tout en faisant droit à l'expérience commune de l'ambivalence, ne se dérobe pas à la proposition du sens et du salut chrétiens. Dans son dernier chapitre, P.B. s'attache à démontrer comment le texte de GS a de quoi donner encore à penser. Il le fait en déployant les ressources que les trois grandes vertus sont à même de produire dans la vie morale. Ce sont les ressources sociales de l'espérance, les ressources personnelles de la foi vécue et les ressources de l'amour à l'interface du personnel et du collectif. Sur tout ceci, on ne quitte pas l'axe de l'angoisse mais celle-ci est invitée à s'ouvrir sous l'impulsion et la dynamique pascale des trois vertus
En centrant ainsi son travail sur l'angoisse, l'A. a réalisé une interprétation des plus fécondes de GS. Les conclusions de sont ouvrage s'ouvrent en effet sur la mise en relief d'un véritable renouvellement de la théologie morale. Articulée sur l'inquiétude humaine, elle se défait d'une perspective par trop juridique et normative; elle peut dépasser l'opposition morale-foi via le prisme de l'expérience chrétienne; elle se donne de quoi sortir d'un discours formulé pour les seuls croyants. Synthèse mûrie et originale, le travail de P.B. n'est pas destiné qu'aux interprètes des textes de Vatican II, il offre une réflexion solide aux théologiens et aux pasteurs.
Si le concept d'angoisse est de nature à renouveler l'approche de la théologie morale, on peut toutefois se demander dans quels contextes il est opératoire comme tel. Car l'angoisse a aussi son versant pathologique qui n'est pas négligeable, avec ce que cela implique quant au jugement de la conscience. Pour un usage pertinent, il conviendrait dès lors de réaliser les distinctions indispensables. - H. Thomas osb

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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