L'invention de l'antisémitisme racial. L'implication des catholiques français et belges (1850-2000)

G. Jucquois P. Sauvage
Storia - reviewer : Bernard Joassart s.j.
Cet ouvrage ne laissera pas indifférent. Par son objet, «grave» entre tous, qui ne peut que remuer la conscience de toute l'humanité comme de chaque homme: rien n'est plus comme avant la Shoah qui a toutes les apparences du paroxysme dans l'horreur. Objet «grave» aussi parce que, à moins d'en rester à la description des faits, l'historien est amené à comprendre et que, dans le cas concret, tôt ou tard, les données théologiques le rattrapent inévitablement. L'ouvrage ne laissera pas non plus indifférent par sa structure qui n'est pas exactement rectiligne ou, peut-être plus précisément, par son contenu que n'indique pas tout à fait le titre.
La première partie retrace l'histoire de l'antisémitisme en France et en Belgique. Il convient ici de signaler le chapitre consacré à cette dernière car il s'agit d'une réalité bien moins connue que celle de la France. Si l'attitude belge fut moins agressive que celle de ses voisins du sud (sans doute à cause d'un nombre et d'une proportion moindres de Juifs dans le royaume), elle ne fut pas pour autant parfaitement accueillante, mais plutôt faite d'une prudence non exempte d'ambiguïté. Encore faut-il ajouter qu'une ville comme Anvers manifesta une très nette hostilité.
La deuxième partie est fort originale. Elle consiste en une enquête, très minutieuse, à travers des récits de pèlerins ayant séjourné en Terre Sainte, destinés à informer le grand public sur les réalités locales, voire être des guides pour quiconque se proposait de se rendre dans la région. L'analyse de ces ouvrages révèle combien l'univers juif était mal vu par les auteurs; ces productions distillaient des idées qui ne pouvaient que susciter des sentiments hostiles. Cas typique longuement exploré ici: Au pays du Christ, édité pour la première fois en 1895, par Maurice Landrieux qui deviendra évêque de Dijon en 1916. On trouvera le relevé des récits examinés dans les deux premières annexes, classés par ordre chronologique puis alphabétique des auteurs.
Avec la troisième partie, le sujet s'élargit considérablement. Les A. se penchent sur les différentes prises de positions de l'Église catholique (française et universelle) face à l'antisémitisme depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Pour le dire assez prosaïquement, c'est ici que les choses se compliquent. Trahit-on la pensée des A. en la résumant comme suit? Depuis la fin de la guerre, l'Église catholique a pris une conscience croissante de ses fautes - sa faute? - à l'égard du monde juif, qui ont eu leur part dans le surgissement de la folie meurtrière nazie; cette Église entend assumer cette faute et combattre toute forme d'antisémitisme; toutefois, ses textes sur le sujet et ses demandes de pardon restent «maladroits» (à défaut d'un autre terme) - sauf la demande de pardon de l'Église de France en 1997 estimée la plus adéquate par les A. -, et demeurent en-deçà des exigences d'une authentique demande de pardon, notamment parce qu'elle ne s'adresse pas au peuple juif lui-même, mais uniquement à Dieu. L'Église se trouve prise par sa propre théologie, qui la reconnaît sainte bien que composée de pécheurs, tandis qu'elle parvient difficilement à admettre que, même parmi ses plus hauts responsables, d'aucuns faillirent à leur mission.
On le devine aisément: le sujet est complexe; l'exposé est critique, et chaque proposition pourrait donner lieu à de longues discussions. Les A. font souvent sentir les «silences», les «absences». Il n'empêche. Ce livre fait partie du dossier des relations entre catholicisme et judaïsme, et il est à lire car, même s'il n'est pas une synthèse sur le sujet et même si certains points pourront étonner, nombre de ses analyses seront certainement à même d'aider la conscience catholique à considérer le peuple juif selon l'Évangile.
Un regret pratique: l'absence d'un index onomastique.
J'ajoute une remarque qui n'entre pas directement dans le cadre de la présentation de l'ouvrage de G.J. et P.S., mais qui le concerne d'assez près. Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que toute approche de l'attitude de l'Église à l'égard du judaïsme depuis le second conflit mondial, se fait sur fond de l'attitude de Pie XII. Entre autres, les A. s'appuient sur le livre récent de John Cornwell, Le Pape et Hitler. L'histoire secrète de Pie XII, paru aux éd. Albin Michel en 1999, et cité à plusieurs reprises, notamment à la p. 431, note 52, où il est dit qu'il s'agit d'une «étude fouillée et très documentée». J'ai pris la peine de lire intégralement le livre de J. Cornwell. Il n'est pas possible d'entrer dans tous les détails, encore qu'on se demande parfois où l'auteur s'est informé (dire que Léon XIII, en tant que nonce, a sillonné l'Europe entière, laisse ébahi!). Mais que les choses soient bien claires: l'ouvrage, qui certes exploite des sources peu ou pas connues, n'est pas la biographie annoncée par l'auteur mais uniquement un réquisitoire à propos d'un aspect du pontificat de Pie XII. Ce que ce pape fut et fit, est trop complexe pour se cantonner à ce genre littéraire. - B. Joassart, S. J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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