La corporéité de la grâce. Écrits sur la doctrine sacramentaire
Karl Rahner s.j. (dir.) Michel Fédou s.j.Storia del pensiero - reviewer : André Haquin
L’œuvre de K. Rahner s.j. (1904-1984), un des théologiens majeurs du xxe siècle, est considérable. Le dogmaticien a abordé tous les grands sujets de la théologie, non seulement fondamentale mais spéciale, notamment la théologie des sacrements. Le titre de l’édition allemande Leiblichkeit der Gnade (La corporéité de la grâce) du 18e volume de ses opera omnia ne pouvait être mieux choisi. Les sacrements sont en effet des événements de grâce ou de salut qui s’inscrivent dans l’histoire des hommes, dans la chair du monde. Mais, avant tout, le sacrement est lié à l’Incarnation du Christ (Verbum caro factum est) et au mystère de l’Église, Corps du Christ.
K. Rahner a été à l’écoute de ses contemporains et des évolutions de la pastorale, par exemple la question de l’opportunité des Messes télévisées dans les années 1950-1960 (p. 751-766). Cela ne fait plus débat aujourd’hui, vu les services que rend la télévision pour les malades retenus chez eux. À l’époque, orthodoxes et catholiques se demandaient si la messe n’allait pas devenir une sorte de « spectacle » livré au tout-venant, sans préparation particulière, d’où sa banalisation inévitable. La réflexion du théologien alerte sur les enjeux ; elle a pu aider à une mise en œuvre responsable. Il est question aussi de la Multiplication des messes en rapport avec l’unique sacrifice du Christ, sujet débattu entre protestants et catholiques. Ici encore, la réponse prend la forme d’un ressourcement en tradition ; elle « donne à penser » (P. Ricœur).
L’œcuménisme est un des soucis majeurs du théologien. Comment comprendre de manière non simpliste la thèse de l’institution des sacrements par le Christ et aussi de leur efficacité, sans entendre les requêtes légitimes du monde protestant ? La théologie occidentale des années 1930-1950 a redécouvert la richesse de l’ecclésiologie, notamment grâce aux P. Congar et de Lubac. Le renouveau biblique et patristique n’y est pas étranger. L’étude Église et Sacrements (1960) a apporté une contribution précieuse, ancrée dans le thomisme et à l’écoute des redécouvertes récentes. Le rapport Christ-Église-Sacrement a donné lieu à des travaux féconds au point qu’on a compris que le Christ est le « sacrement primordial » et l’Église le « sacrement fondamental ». Vatican ii (LG 1) introduit le chapitre consacré au mystère de l’Église par ces mots : « Le Christ est la lumière des peuples (…). L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain (…) ». L’allergie des protestants à parler de l’Église comme sacrement tenait à la crainte qu’on ne fasse de l’Église la « médiatrice » du salut, alors que le Christ est l’« unique médiateur ». Les réflexions de Rahner sur Parole et Sacrement (p. 663-704) sont également significatives. On était alors dans une sorte de dualisme pratique, l’identité catholique étant liée avant tout aux sacrements, alors que les lectures bibliques étaient parfois perçues comme une « avant-messe ». Du côté protestant, le Sola scriptura privilégiait la Parole de Dieu et la prédication. Grâce au dialogue et à la recherche (Dei Verbum), les catholiques ont compris que la sacramentalité concernait l’entièreté du rite eucharistique, Parole et Repas.
Le fort volume consacré à la théologie sacramentaire de Rahner comporte une triple introduction de l’éditeur, le P. Michel Fédou : une Préface qui situe l’œuvre de Rahner dans son époque et rappelle l’utilité de sa pensée pour aujourd’hui, une note technique sur l’Édition allemande des œuvres de Rahner et une autre sur l’Édition française. Ces informations, utiles pour les théologiens et les historiens, bibliographes et bibliothécaires, montrent que la pensée de l’A. a évolué et s’est précisée au fil du temps, d’où les rééditions et les éditions amplifiées, sans compter les traductions.
Venons-en au contenu du volume qui comporte trois parties. D’abord les « Monographies » parmi lesquelles Église et Sacrements, un ouvrage remarqué qui invitait les enseignants à ne pas se limiter à une christologie des sacrements ; Les nombreuses messes et l’unique sacrifice ; enfin, Le don septiforme, une présentation simple et vivante de chaque sacrement. Je signale le beau titre de la partie réservée au baptême des tout-petits, « Dieu aime cet enfant » (p. 271). Ensuite, les « Essais », notamment Piété personnelle et piété sacramentelle ; Pour la théologie du symbole, qui invite à redécouvrir la dimension de signe ou de symbole et ouvre à une phénoménologie des sacrements (E. Schillebeeckx) ; Réflexions sur la participation personnelle à la célébration sacramentelle ; Qu’est-ce qu’un sacrement ? Il est aussi question des problèmes concernant la Concélébration, la Présence du Christ à l’eucharistie, l’Action de grâce après la messe, la Visite au saint sacrement et le Mariage comme sacrement. Une dernière partie intitulée « Textes complémentaires » traite notamment du Sacrifice de la messe et de l’ascèse des jeunes, du Dimanche et de l’obligation dominicale, du Mariage comme sacrement (interview), du Pain et du vin chez les esquimaux (matières eucharistiques) et d’un cours sur l’Extrême-Onction, selon le vocabulaire utilisé avant Vatican ii. Si l’on voulait être complet, il faudrait aussi mentionner le Traité fondamental de la foi (1983), non inclus dans ce volume, dont une partie est consacrée aux sacrements.
Les enseignants en théologie sacramentaire des années 1970-1980 et au-delà sont très reconnaissants à K. Rahner pour l’aide qu’il leur a apportée, par son discernement et sa profondeur. — A. Haquin