Neuf auteurs se partagent la tâche de démontrer que la philosophie ancienne qui donnait un contenu substantiel à l’éminente dignité de la nature humaine s’est perdue dans les sables mouvants de la Modernité où ce concept est devenu un mot passe-partout susceptible de légitimer toutes les causes désirables. Dans l’État de la question, S. Luquet (Paris) donne d’abord la conception philosophique classique de la dignité humaine, puis S.M. Lanzetta (Lugano) expose sur ce même sujet le point de vue de la théologie catholique tandis que G. Golfin (Paris) développe l’évolution – regrettable à ses yeux – du concept chez les auteurs philosophiques modernes, en particulier Emmanuel Kant. Ensuite, dans Le multiplicateur catholique, J. Kirwan (Palo Alto) et J. Alvear Télles (Santiago du Chili) évoquent, le premier à partir de l’itinéraire sinueux de Jacques Maritain, le second à partir de l’influence du jésuite J. Courtney Murray sur le concile Vatican ii, le rapprochement (regrettable, lui aussi) des positions de l’Église et de la conception moderne dominante. Enfin, dans les Apories d’un concept incertain, D. Castellano (Udine) note les inadéquations de la référence à la dignité dans le discours ecclésial actuel, tandis que N. Hutten (Nantes) opère la même démonstration dans le discours juridique. La conclusion, tirée par les trois directeurs de l’ouvrage, prend acte de la dissolution de la dignité humaine dans les revendications subjectivistes.

Cet ouvrage bien charpenté prend une position nette sur une question fondamentale : lorsque l’Église cherche à rejoindre le monde moderne par la mise en évidence de correspondances entre le message biblique de la Création et du salut de la nature humaine d’une part, les exaltations rationalistes de la personne humaine individuelle d’autre part, elle laisse s’affadir le sel de sa mission, privant ainsi le monde de points de repère éthiques essentiels.

On pourra sans doute donner raison aux auteurs d’attirer l’attention sur les dangers du glissement – largement illustré aujourd’hui p. ex. dans les législations relatives au corps et à la famille – qui fait dégringoler l’objectivité de l’appel au Bien vers la subjectivité idolâtrique de l’autonomie dans la définition de la dignité. Cependant, ne fallait-il pas que l’Église fît entendre au monde, par le biais de l’humanisme intégral et du personnalisme, puis du concile Vatican ii (cf. sa déclaration Dignitatis Humanae), et encore des prises de parole des derniers papes depuis Jean xxiii jusqu’à François, ses convictions quant à la beauté de la liberté, fruit de la confiance que leur fait leur Créateur ? Car nos contemporains, si tentés qu’ils soient de définir leur propre dignité en s’abstenant de la référer à la Bienveillance divine, n’ont tout de même pas eu entièrement tort de chercher dans leur étonnante liberté le point de départ d’un chemin qui les mènerait plus loin. Chemin qui commencerait peut-être pour eux dans la confusion – dignité chrétienne/dignité moderne – comme pour la Samaritaine avec l’eau du puits (Jn 4,15) mais qui, dialogue aidant, les conduirait vers une Eau vive qu’ils ne connaissaient pas. — X. Dijon s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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