Les eaux de mon puits. Réflexions sur des expériences de liberté, préf. A. Gesché

I. Gebara
Teologia - reviewer : Albert Kasanda Lumembu
Ivone Gebara (G) aborde sa réflexion à partir d'une perspective particulière, c.-à-d. sa propre vie, sa trajectoire personnelle en tant que femme, religieuse et intellectuelle, née et vivant dans le Tiers Monde, notamment au Brésil.
La notion de liberté est son fil conducteur, le prisme au travers duquel elle relit sa vie. Elle se penche sur elle-même, sur ses rêves d'enfant et ses aspirations d'adulte, sur ses doutes et ses désenchantements. La vie quotidienne a ici valeur d'espace de révélation des multiples mélodies de la liberté. Celle-ci est décrite comme «un certain pouvoir d'agir avec autonomie, une certaine capacité de se réaliser comme personne à travers les événements du monde» (p. 57). Elle est une expérience collective et individuelle. C'est sous le mode individuel que l'A. en cherche les articulations tout le long de sa vie (p. 197). Elle la cerne tantôt comme volonté de s'affranchir de la loi familiale, particulièrement de l'emprise maternelle (p. 61-71), tantôt comme une certaine indépendance acquise par rapport aux personnes et aux choses par le biais du savoir (p. 88) ou comme un écho plus ou moins lointain de l'histoire de l'esclavage ayant marqué le Brésil (p. 115).
La liberté est, pour G, une sorte d'obsession permanente qui se découvre, dans sa vie professionnelle, par le souci d'aider les autres à penser leurs croyances, à se libérer des fausses idées (p. 100-108) et à lutter pour un monde plus juste. Le combat de l'A. pour la théologie de la libération d'abord et ensuite pour le féminisme, prend ici son sens. Son esprit critique l'aide à dépasser la cécité de la théologie de la libération quant au devenir des femmes dans l'Église et la société au profit du féminisme (p. 179-196). Aussi déclare t-elle: «la liberté commença, pour moi, à avoir des contours plus précis: elle n'était plus seulement la conquête d'un choix de vie personnelle, l'idéal d'un vivre ensemble jamais atteint, l'avènement d'une société sans classe où enfin le bonheur social serait atteint, elle n'était pas seulement un idéal pour le futur, il y avait des tâches précises à vivre dans le présent. Il fallait commencer par reconnaître le caractère idéologique et sexiste de l'anthropologie qui a façonné nos relations humaines, tout en étant convaincue de notre égalité humaine comme valeur à atteindre malgré l'inégalité sociale» (p. 189).
Afin d'éviter tout amalgame, l'A. précise: «le féminisme s'élabore en moi comme une nouvelle façon de comprendre la vie et les relations humaines» (p. 179). Plus encore: «il ne s'agit pas d'un féminisme monolithique, d'une doctrine bien structurée, avec des limites très précises, mais d'un éveil éthique particulier contre des formes de complicité avec des actions d'injustice et d'exclusion. Je vis en moi ces formes d'exclusion ou cette façon de considérer les femmes comme des êtres qu'on peut utiliser et après laisser tomber. Alors, créer des relations avec d'autres, sans se laisser écraser par eux et sans les écraser, voilà les traits de cette éthique. Cette éthique n'est pas spontanée, il faut l'apprendre personnellement et collectivement, l'expérimenter comme si notre vie quotidienne devenait un laboratoire ou une école pour apprendre à vivre autrement» (p. 195).
G n'oublie pas sa condition de religieuse catholique. Celle-ci est l'un des éléments qui configure sa vie et son sens de liberté. Toutefois, ses idées sur Dieu ne sont pas d'une limpidité cristalline. Elles sont marquées par l'obscurité, le doute, la distance et la solitude (p. 221). Selon l'A., «le concept de Dieu, comme le concept de liberté, est un concept qui contient plusieurs réalités inépuisables, qui s'ajuste à différentes idéologies. Mais plus que pour le concept de liberté, poursuit-elle, il y a dans mon expérience du concept de Dieu comme un « vide », comme un grand abîme historique, surtout au niveau de l'expérience historique concrète. On sait ce que Dieu n'est pas, mais il est difficile de préciser ce qu'il est» (p. 228). Face à cette difficulté, G préfère parler de nous, c.-à-d. des hommes et des femmes en quête d'un sens pouvant remplir nos vies. Dieu est objet de silence: «le silence semble ce qu'il y a de plus juste par rapport à ce mystère majeur» (p. 227).
Pris au départ comme un espace adéquat pour la réalisation de la liberté, la communauté religieuse - avec elle l'Église - s'est avérée au long des années comme un lieu de censure et d'inexorable répression pour ceux qui ne suivent pas le «droit chemin» ou plutôt pensent autrement. G en a fait l'expérience à ses dépens, entre autres choses, à l'occasion de la fermeture de l'Institut de Théologie de Recife ou de son exil en Belgique en 1995-1996 (p. 204-218). Elle ne cache pas son désenchantement à ce propos, tant l'abîme entre ses idéaux de jeunesse, son militantisme et sa réalité de sexagénaire est incommensurable.
Ce livre n'a rien d'exhibitionniste. Ivone Gebara nous invite, au travers d'une rigoureuse introspection, à refaire notre propre chemin intérieur, à en repérer les balises et les temps forts, les avancées et les reculs. Cela pour être pleinement nous-mêmes, penser autrement les relations humaines et vivre autrement la merveille que c'est d'être un être humain (p. 321). - A. Kasanda Lumembu.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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