Les Exercices ignatiens libèrent-ils du labyrinthe de la postmodernité ? Le point de vue d’un accompagnateur spirituel, préf. C. Theobald

René Lafontaine s.j.
Spiritualità - reviewer : André Haquin

Spécialiste en théologie dogmatique et praticien des Exercices spirituels, le P. René Lafontaine, qui a dirigé l’I.É.T. à Bruxelles (1938-2019) est l’auteur de deux ouvrages liant théologie et spiritualité, L’originalité des Exercices d’Ignace de Loyola (2016) et Martin Luther et Ignace de Loyola (2017). Il était à même de s’interroger sur les conditions de possibilité, pour la génération postmoderne, de suivre les Exercices. Il reprend à Denis Villepelet, philosophe à l’ICP (Paris), l’image du labyrinthe (Le labyrinthe de la postmodernité, Paris, Salvator, 2016), qui semble enfermer beaucoup de nos contemporains, au point d’être insensibles à la dimension symbolique de l’existence et sourds à l’événement d’une possible rencontre avec un Dieu qui appelle. En fait, le livre aborde une double question : De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la postmodernité ? Celle-ci rend-elle impraticable toute démarche religieuse et singulièrement la pratique des Exercices ? L’A. aborde même une troisième problématique en remontant aux sources de l’athéisme européen, c’est-à-dire à L. Feuerbach, A. Comte, F. Nietzsche, S. Freud, C.G. Jung et J. Lacan. Il n’est guère possible de rendre compte de cette section, particulièrement synthétique (p. 11-73).

La deuxième partie (p. 50-73) aborde la modernité à partir de Denis Villepelet, qui s’inspire de Paul Ricœur. Elle se caractérise par un nouveau rapport au temps, marqué par l’« excès du présent » qui occupe tout le champ, à l’espace « délocalisé » et « mathématisé », aux jeux de langage où le symbole ne trouve plus sa place, au sociétal en raison de la dissémination du social et de la mutation de la famille, et enfin au religieux qui se voit débouté au profit de l’immanence et de la résurgence multiforme du sacré. La modernité a partie liée avec la mondialisation – sortir du conformisme et passer les frontières – elle accorde une confiance inconditionnelle à la raison universelle et expérimentale, « elle ouvre l’espoir d’une amélioration qualitative » grâce à la « vérification d’un progrès quantitativement mesurable » (p. 53). De la sorte, les conditions sont réunies pour que le citoyen de la postmodernité se trouve enfermé dans un « avenir sans visage », symbolisé par le labyrinthe qui ne possède aucune indication, ni de centre, ni d’entrée, ni de sortie.

Les trois parties suivantes sont consacrées aux Exercices. D’abord à la première Semaine ignatienne, avec cette question essentielle : « Est-elle capable de libérer le retraitant du “labyrinthe de la modernité” » ? La pédagogie ignatienne offre diverses ressources, d’ordre mystique et moral – l’examen de conscience –, ainsi que les premières règles de discernement et les types de consolations et de désolations spirituelles. Elle constitue un véritable défi pour le retraitant atypique. Elle peut être plus ou moins efficace selon sa personnalité, son expérience de vie et ses attentes.

La 2e semaine est notamment consacrée au regard sur l’Incarnation et la Nativité, par l’application des cinq sens, sans oublier la contemplation des deux étendards, et l’écoute de deux discours, celui de Satan et celui du Christ, ou encore la présentation des deux cités, Babylone et Jérusalem. L’homme postmoderne se laissera-t-il toucher par celui qui l’appelle et peut seul lui donner la consolation, à condition d’opérer le discernement nécessaire ? Le retraitant est à la croisée des chemins : va-t-il répondre à l’appel du Roi éternel, du Seigneur de l’Univers ?

La dernière partie est consacrée à la 3e et à la 4e semaine. Il est question de méditer la Cène, l’Agonie, la Mort du Sauveur et les douleurs de Marie, sa mère. Ensuite, c’est la face lumineuse du mystère pascal qui apparaît, la descente aux enfers puis les treize apparitions du Ressuscité et l’Ascension. Tout cela débouche sur la contemplation du crucifié-ressuscité et la question de la foi en sa divinité. Les deux dernières semaines font mémoire des bienfaits de Dieu, depuis la Création jusqu’à la Pâque. Elles dévoilent le désir de Dieu, en quête de l’homme. Ce désir va-t-il éveiller en l’homme le désir de la rencontre avec Dieu, par une décision libre et émerveillée ? Cet homme suivra-t-il le disciple Jean devant le tombeau vide : « Il vit et il crut » et Thomas l’incrédule qui confesse sa foi, sans avoir touché les plaies du Seigneur : « Mon Seigneur et mon Dieu » ? La scène des deux étendards s’éclaire à partir de l’Apocalypse, cette vaste fresque de la dramatique du salut. L’histoire humaine restera jusqu’à la fin des temps partagée entre ceux qui imitent l’attitude des disciples et ceux qui ne le pourront ou ne le voudront pas. Jésus n’avait-t-il pas prophétisé : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier » (Jn 15,18) ? — A.H.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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