Marcion. L'évangile du Dieu étranger, tr. B. Lauret

A. von Harnack
Sacra Scrittura - reviewer : Jean Radermakers s.j.
Qui de nos jours connaît encore Marcion, cet étonnant hérétique du IIe siècle qui, dans ses Antithèses, opposait l'Ancien Testament au Nouveau, c'est-à-dire «le Dieu jaloux et cruel des Juifs» au «Dieu d'amour» de Jésus et que pourfendit Tertullien dans son ouvrage Contre Marcion? Pourtant, il y a aujourd'hui encore beaucoup de «marcionites» qui s'ignorent dans notre Église, qui expurgent la Bible de tout ce qui ne semble pas concorder avec l'image qu'ils se font du Dieu de Jésus.
Or dès 1870, Adolf von Harnack, historien réputé des origines du christianisme, avait été fasciné par ce personnage hors du commun, et il publiait en 1921, puis en seconde édition en 1924 un Marcion qui se trouve ici pour la première fois traduit en français de l'original allemand. Il considérait Marcion comme le fondateur d'une religion claire, purifiée de l'oppositions paulinienne entre loi et évangile; en effet, il annonçait un Dieu étranger, le Rédempteur - distinct du Dieu créateur dont l'oeuvre était un raté magistral - intervenu en Jésus pour sauver le monde et mener les hommes dans son Royaume. Bref, un christianisme absolu, non falsifié, loin des altérations à la fois textuelles et théologiques des judéo-chrétiens. Selon lui, Luc et Paul étaient les authentiques disciples du Christ, proclamant le salut par la foi pour ceux qui n'adhèrent pas au Dieu créateur de l 'Ancien Testament. L'A. estimait qu'il fallait aujourd'hui retirer à la Bible juive son autorité canonique tout en lui concédant une valeur de musée sur le plan de l'histoire, car ce livre demeurait «utile et bon pour le chrétien». Retrouver le Dieu d'amour proclamé par le Christ, tel était l'idéal que v.H. prêtait à Marcion.
En raison de son actualité renouvelée - car beaucoup de chrétiens emboîteraient facilement le pas de l'A. -, il était bon de reparler de cette position. Nous savons gré au traducteur et aux éditions du Cerf de publier cet ouvrage important, augmenté de quatre études contemporaines. La première, de B. Lauret, intitulée «L'idée d'un christianisme pur» (p. 285-376) rappelle l'histoire de la réception de la thèse marcionite et discute l'enjeu du rejet de la canonicité de l'AT comme risque d'antisémitisme théologique. É. Poulat analyse ensuite (p. 377-401) les réactions au livre de Harnack, surtout en France. G. Monnot enquête sur les traces de marcionisme dans l'hérésiographie musulmane (p. 403-417). Enfin, une étude fouillée de M. Tardieu développe l'état de la recherche sur Marcion depuis Harnack; il y ajoute un double répertoire, alphabétique et thématique (p. 419-561). Nous avons là un remarquable instrument de travail pour un approfondissement de l'idée marcionite; ce volume représente une contribution de valeur à la connaissance des divers courants en présence dans les premiers siècles chrétiens. - J. Radermakers, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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