Opera latina XXI, 92-96, éd. F. Domínguez Reboiras

Raimundus Lullus
Storia del pensiero - reviewer : Bernard Pottier s.j.
Pere Villalba Varneda a travaillé plus de dix ans à l'édition critique de cette oeuvre, Arbor Scientiae, une des plus importantes du Doctor illuminatus, rédigée à Rome en 1295-1296. Il poursuit ainsi l'édition critique complète, entreprise il y a plus de quarante ans, par Fr. Stegmüller. L'éditeur a séjourné fréquemment à l'Institut Raimundus-Lullus de l'Université de Fribourg-en-Brisgau, qui a fêté son 40e anniversaire en 1997. Cette oeuvre comprend seize livres, dont le dernier (De Arbore quaestionali) est entièrement consacré à des centaines de questions portant sur les livres précédents. L'éditeur y met constamment en évidence la subtilité des subdivisions et les renvois entrecroisés, ce qui constitue une des nouveautés proposées par ce travail.
De nombreuses illustrations agrémentent cet ouvrage. Elles sont de trois types: reproduction de manuscrits anciens, superbes illustrations en couleur par des artistes catalans contemporains inspirés par la pensée lullienne, enfin quinze résumés, figurés sur un arbre, de tous les éléments considérés dans chacun des livres, et réalisés par l'éditeur.
Chacun des 15 livres est en effet divisé en sept, chaque subdivision reprenant la description d'un arbre: racines, tronc, branches, ramures, feuilles, fleurs, fruits. Voici les thèmes traités, évoqués clairement par chacun des titres: vol. 1: De Arbore elementali, vegetali, sensuali, imaginali, humanali, morali, imperiali; vol. 2: De Arbore apostolicali, caelestiali, angelicali, aeviternali, maternali, Iesu Christi, divinali, exemplificali. Villalba nous rédige une introduction de 188 pages en latin. Il y rappelle que Lulle, créateur de la langue catalane, écrivit pourtant cet ouvrage dans la langue de Virgile (p. 52*). Il nous fait part aussi de réflexions plus spéculatives en établissant les rapports avec des esprits apparentés à celui de Raymond Lulle, p. ex., Roger Bacon, Giordano Bruno, Descartes, Leibniz, Comte, etc. (p. 72s*). Pour le Majorquain, en effet, il est essentiellement question de «comprendre pour croire» (p. 101*), et donc pour être sauvé. L'acte de penser, et d'entrer en dialogue avec l'intelligence de l'interlocuteur, est un moyen et non une fin. À partir de la p. 111*, l'éditeur présente un à un les livres qui composent l'Arbor Scientiae, et en donne un bref résumé. En fin d'introduction, trente pages sont consacrées à présenter une tradition très minutieuse du texte de Lulle (l'éditeur établit un précieux stemma des mss à la p. 167*).
Quant au fil du texte, nous ne le détaillerons pas ici. Partant du plus simple, à savoir les quatre éléments, l'A. va «remonter» patiemment jusqu'à son point culminant, à savoir la suprême perfection qu'est Dieu. Il est à noter que l'ordre impérial, dans son organisation et sa cohérence, sa bonté et sa sagesse, fait suite à l'Arbor moralis, étant ainsi une étape essentielle de la présentation de l'ordre divin. Lulle est d'ailleurs le promoteur d'une philosophie sociale assez imagée. Les grands de ce monde sont comme des branches maîtresses sur lesquelles se greffe tout le peuple. À travers ces personnes s'écoule une sève, bonne ou mauvaise, qui nourrit les particuliers d'honneur ou d'opprobre. Les deux personnes les plus centrales de la société sont, pour Lulle, l'empereur et le pape. L'Arbor apostolicalis, pour sa part, pourrait être étudié en tant qu'il (re)présente l'organisation ecclésiale de ce temps, quelques années avant la première année sainte promulguée par Boniface VIII en 1300.
L'Arbor maternalis étonnera par sa brièveté; pourtant, dans ses ramures que sont les advocationes de Marie, à savoir misericordia, spes, pietas, advocatio, humilitas et virginitas, il est révélateur d'une articulation entre piété et réflexion théologique. En p. 579, la peinture de Joan Torras Viver unit de manière saisissante la chute et la rédemption.
Merci à l'éditeur d'avoir articulé ainsi l'édition rigoureuse d'une oeuvre majeure du Moyen Âge avec des «traductions» modernes et artistiques, qui elles aussi peuvent être des éléments d'un dialogue entre la proposition chrétienne et les chercheurs de sens d'aujourd'hui, quel que puisse être le canal qui les rejoigne.
Le volume XXI poursuit pour sa part la série des Opera latina, publiées en 1993 (cf. NRT 116 [1994] 765), sous la responsabilité du même éditeur. Nous sont ici proposées: Op. 92: Liber de Est Dei; Op. 93: Liber de cognitione Dei; Op. 94: Liber de homine; Op. 95: Liber de Deo; Op. 96: Aplicatio Artis generalis, oeuvres de Lulle composées à Majorque en 1300. À propos de l'Aplicatio Artis generalis, le lecteur ne trouvera ici qu'une brève note sur cette oeuvre, conservée uniquement en catalan.
Lulle continue à porter le projet d'une pensée missionnaire, voulant entrer en dialogue avec les confins du monde connu; il tient cependant pour interlocuteurs privilégiés ceux de son aire méditerranéenne, les Juifs et les Musulmans, et cherche à leur prouver de manière philosophique l'éminence de la proposition chrétienne. Vision dynamique de Dieu, néologismes, articulation d'une réflexion humaine avec l'acte de foi. Après une introduction générale, en espagnol, qui dresse l'inventaire minutieux des mss qui concernent les livres présentés, Fernando Domínguez Reboiras présente chacun des ouvrages édités. Avec précision, il resitue tel élément (le «de Est» de Lulle, plutôt que «de esse», souligne l'opération par rapport à l'être) dans la globalité de la pensée de notre auteur. Mentionnons l'introduction au livre 94, particulièrement dense, qui détaille à souhait l'anthropologie lullienne.
Le lecteur moderne dispose ici de deux outils de choix pour mieux saisir la pertinence de la pensée du Majorquain. Le second ouvrage, plus sobre que la présentation de l'Arbor Scientiae, est également bienvenu et précieux, car il offre au public cultivé des ouvrages moins amples, mais tout aussi importants pour pénétrer la cohérence de pensée du Doctor illuminatus. - B. Pottier, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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