Alerte et provocant, l’ouvrage de Paula Fredriksen, prof. émérite d’Écriture à l’Univ. de Boston et membre de la Fac. des sciences humaines de l’Univ. hébraïque de Jérusalem, bouscule quelques idées reçues suscitant, par là-même, de nouvelles pistes de recherche. En seulement 5 chap. et moins de 200 p. (hors notes), l’A. dessine un portrait historique de Paul rafraîchi, « au-delà des voiles dont ont pu le recouvrir les traditions ecclésiales postérieures » (p. 173). Elle commence par replacer les lettres dans leur double contexte génératif : scripturaire (chap. 1) et social (chap. 2), situant ainsi l’apôtre théologiquement au sein d’un monde juif en pleine effervescence apocalyptique et socialement dans un monde structuré par les différences ethniques, lesquelles comportent inséparablement une dimension religieuse. Cela étant posé, et de manière aussi paradoxale qui soit, ce qui permet de rendre compte du déploiement du mouvement de Jésus est la certitude, partagée par sa première génération, d’en être la seule et la dernière. Pour l’A., en effet, la conviction d’être à la dernière heure de l’histoire, autrement dit celle de l’imminence du Royaume de Dieu, façonne tout ce que Paul a dit et fait et rend compte de l’essentiel des traits qui caractérisent sa mission et sa pensée : l’annonce de l’Évangile aux Nations avec les persécutions d’abord infligées puis subies (chap. 3), ses prises de position à l’égard de la circoncision et de la Loi (chap. 4), sa foi en la messianité de Jésus, fils de David, et sa compréhension du plan de salut tel qu’il l’expose en Rm 1-11 (chap. 5).

Explicitons. La foi en la résurrection de Jésus bouleverse un schéma eschatologique traditionnel qui faisait coïncider la résurrection de tous les morts avec la venue du Royaume et la fin des temps. Elle y introduit deux moments : d’abord, la résurrection de Jésus, manifestée à quelques-uns, confirma sa prédication de l’imminence du Royaume et l’accrédita comme Messie ; ensuite, sa manifestation glorieuse coïncidera avec la fin de l’histoire et la réunion de tous, Juifs et Nations, dans une même adoration du Dieu unique d’Israël. Entre temps, les bénéficiaires des apparitions du Ressuscité s’empressent d’annoncer cet évangile à tout Israël, notamment à ceux de la diaspora. Or, et, insiste l’A., contre toute attente, voilà que ce message est accueilli favorablement par les craignant-Dieu qui fréquentaient les synagogues de l’Empire. Ces craignant-Dieu, c’est une autre thèse de l’ouvrage, étaient des païens qui s’intéressaient au Dieu d’Israël, suivaient certaines pratiques du judaïsme, tout en conservant leur identité ethnique, ce qui comportait nécessairement le culte à leurs divinités (celles qu’ils avaient, pour ainsi dire, « dans leur sang »). La conversion des craignant-Dieu fut comprise par les premiers apôtres comme une confirmation de l’imminence du Royaume. Dès lors, ces « païens-en-Christ » devaient être considérés comme des « païens eschatologiques » avant l’heure. Or, d’après certaines annonces prophétiques de la fin des temps, les Nations ne deviennent pas Israël mais se joignent à Israël dans la louange du Dieu unique, vivant et vrai. Dès lors, rien d’autre ne devait leur être imposé sinon une adhésion totale au Dieu d’Israël (refus des idoles). À sa manière, Paul demande à ses convertis de « judaïser » (sic), non pas dans le sens d’être circoncis (ce serait vouloir recevoir l’identité ethnique d’Israël) mais dans le refus du culte des autres dieux et des comportements qui leur étaient associés. Dans ce contexte, l’origine des persécutions est à chercher avant tout dans cette situation d’ambiguïté socio-religieuse où des anciens païens, sans manifestement devenir des Juifs, cessaient cependant d’honorer leurs dieux, provoquant la colère de ces derniers et, par suite, l’animosité des gardiens de l’ordre des cités. En bref, c’est en œuvrant, par sa prédication et par ses lettres, à détourner les païens de leurs dieux vers le sien, que Paul travailla également, sous le couvert de promesses bibliques, à la rédemption de son propre peuple (p. 166) (cf. Rm 9-11).

Il y aurait beaucoup à commenter de cette vigoureuse reconstitution historique. Contentons-nous de remarquer que l’imminence de la fin préserve de devoir trop s’intéresser à l’interaction des Juifs et des païens réunis par leur foi en Christ, ni à celle avec les autres, Juifs ou païens, non touchés par la Bonne Nouvelle. Pour l’A. d’ailleurs, les lettres de Paul sont exclusivement adressées à des gens issus des Nations. Cette prise de position générale est difficilement tenable p. ex. pour Galates où, en Ga 3–4, le jeu des pronoms « nous » et « vous » montre que Paul a véritablement à cœur de construire un « nous » ecclésial, qui ne soit pas une pure construction « théorique » (à la manière des « païens-eschatologiques », sic), mais bien une réalité historique et sociale. — S. Dehorter

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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