Portrait d'un jésuite en anthropologue. Entretiens
Cl. Pairault J. BenoistBiografie - reviewer : Paul Lebeau s.j.
Un moment à la fois éclairant et subtil du dialogue est celui où Cl. Pairault évoque sa différence par rapport à son confrère Éric de Rosny (La nuit, les yeux ouverts), en soulignant que leurs approches respectives s'inscrivent dans une même spiritualité jésuite: «Sa perspective diffère de celle qui a été la mienne jusqu'à présent. Elle est peut-être religieusement plus manifeste… Je pense que c'est assez normal dans la spiritualité jésuite: prendre les réalités telles qu'elles sont, donner grande attention aux cultures et aux sociétés, afin de proposer une parole significative, c'est-à-dire une réponse pertinente aux questions qui s'y formulent». Il reste que si Cl.P. n'a jamais été un «convertisseur», ni dans son travail de terrain, ni dans ses diverses fonctions académiques, il demeure incontestablement un homme de foi. On ne s'étonnera donc pas de trouver dans ce témoignage des réflexions d'une incontestable pertinence théologique. C'est à ce titre que nous voudrions en signaler ici quelques exemples.
En ce qui concerne la foi: «Je suis fort intéressé à connaître l'homme, car apprendre à connaître l'homme, créé image de Dieu, m'oblige à faire connaissance de Dieu, c'est à dire à croire davantage en lui… Je me refuse à isoler cette foi (= confiance, fidélité) de la connaissance» (p. 14). Ou encore: «dans mon travail d'anthropologue, je suis devenu capable d'athéisme méthodologique, pour reprendre une formule utilisée par P. Berger, dans la mesure où ma foi s'approfondissait. Ce n'était pas, pour moi, me transformer en renégat, mais l'approfondissement d'une foi qui désire s'exprimer, en se rendant toujours mieux compte qu'aucune expression de la foi n'épuise la foi, et que ses expressions sont multiples» (p. 75). Ou encore: «Quand on discute des questions de foi, il arrive toujours un moment où l'on dit: « Là, j'ai fait un choix ». On ne peut pas garder le vieux raisonnement de: « Je vais vous démontrer, etc ». En fait d'assentiment, il n'y a pas de « preuve de l'existence de Dieu », mais l'« épreuve » de Dieu, oui» (p. 15).
Du point de vue ecclésiologique: «Par déception ou lassitude, de nombreuses personnes s'écartent de l'Église parce qu'elles n'y trouvent pas la satisfaction attendue d'elle et de son autorité. C'est à tort pourtant qu'elles espéraient d'elle leur salut, au lieu d'admettre que le salut provient seulement de ce pour quoi (de Celui par qui) cette institution avec ses lois existe». Et de citer cette parole d'un personnage féminin de Claudel, dans La Ville (seconde version): «Je suis la promesse qui ne peut être tenue, et ma grâce consiste en cela même». «L'institution-Église est une promesse qui ne peut être tenue, mais ce n'est pas pour cela qu'elle doit disparaître. Il serait tout à fait vain de supposer que le non-institué lui est préférable. Il s'instituerait à nouveau autrement» (p. 180).
Terminons, puisqu'il faut bien se limiter, en évoquant une autre «question disputée» d'aujourd'hui: «Le sens et la valeur du célibat sont étroitement liés à la manière dont une portée existentielle, et non pas seulement organique, est reconnue au sexe… Le célibat volontaire d'un chrétien ou d'une chrétienne prend son sens si, bien loin d'équivaloir au refus d'un(e) partenaire redouté(e), il affirme la réalité d'un libre partenariat corporel avec Dieu, c'est-à-dire une communion réelle dans sa « présence d'absence »». On l'aura compris: ce livre-dialogue est au coeur de notre actualité. - P. Lebeau, S.J.