Un certain juif Jésus. Les données de l'histoire. II. La parole et les gestes, tr. J.-B. Degorce, Ch. Ehlinger et N. Lucas

John P. Meier
Sacra Scrittura - reviewer : Jean Radermakers s.j.
Nous avons rendu compte du premier volume de la traduction française de Jesus. A Marginal Jew (cf. NRT 127 [2005] 325), que nous avions déjà recensé lors de sa parution en américain et en version italienne (cf. NRT 125 [2003] 123). Les éditeurs du Cerf n'ont pas reculé devant le labeur en publiant coup sur coup les deux volumes suivants de l'ouvrage monumental du grand bibliste d'Outre-Atlantique; nous leur en savons gré. Il devient de plus en plus le livre de référence de nombreux commentateurs et de lecteurs avertis qui désirent «retrouver le portrait authentique du Jésus historique», si tant est que l'on puisse mobiliser l'accord de la majorité des chercheurs sur ce point délicat. Mais l'historien a le devoir de s'attacher à cette tâche, impossible à réaliser pleinement, afin de fournir aux croyants comme aux incroyants une base solide sur laquelle un engagement de foi pourra se greffer. La question du rapport entre exégètes ou théologiens et historiens ou archéologues est de plus en plus débattue actuellement; son importance dans le monde présent où manquent souvent les repères essentiels ne peut être minimisée. Nous osons croire que le quatrième volume de l'ouvrage de l'A. s'attachera à débroussailler ce problème de l'articulation entre l'approche historique et l'interprétation théologique ou la lecture croyante des textes; car nous ne pouvons éluder le rapport entre «histoire» et «historiographie», surtout quand il s'agit de la Parole de Dieu. Déjà en discutant son titre anglais A Marginal Jew, l'A. avait touché un aspect de la question; la traduction française a opté pour un terme plus vague Un certain Juif, exprimant ainsi une différence culturelle non insignifiante. De toute manière, nous avons à intégrer l'histoire dans notre vision de foi, sans réduire notre foi aux données repérables de notre enquête historique, et loin de toute interprétation fondamentaliste.
Après avoir, dans son premier tome, examiné les sources traditionnelles de la vie de Jésus, sans sacrifier à la mode actuelle d'un recours - prétendument équivalent ou même meilleur - aux évangiles «apocryphes» (cf. le Jesus Seminar ou le Da Vinci Code), il en vient à parler, dans le volume qui suit, du comportement de Jésus au long de sa vie publique, avec la parole qu'il adresse à ses contemporains et les gestes qu'il fait en faveur des malades, des possédés, des pécheurs, des éprouvés. En traitant du message de Jésus, il centre son analyse sur «le Royaume de Dieu», c'est-à-dire «la venue de Dieu avec puissance pour exercer sa souveraineté» dans ce monde; les expressions retenues par les évangélistes sont minutieusement examinées, et sa conclusion est claire: pour Jésus, le Royaume est une réalité présente, manifestée en sa personne. À propos des «miracles» ou gestes de puissance de Jésus, l'A. discute la manière dont les anciens et les modernes interprètent ces faits: exorcismes, guérisons, résurrections ou réanimations, mais il refuse l'historicité des «miracles dits de la nature» comme catégorie discutable, ou comme évocations bibliques réinterprétées par Jésus, ou par la première Église. Peut-être pourrait-on nuancer sa conclusion: «À la seule exception du don de la nourriture à la foule, tous ces récits semblent avoir été créés (?) par l'Église primitive pour servir différents objectifs théologiques» (p. 754). Par ailleurs: «Affirmer que Jésus a agi et a été perçu comme un exorciste et un guérisseur au cours de son ministère public a autant de poids historique que presque toute autre affirmation sur le Jésus de l'histoire» (id.). D'abondantes notes, où l'A. discute avec d'autres chercheurs, couvrent la moitié du volume. Les index, heureusement, permettent une consultation facile.
Quant au troisième volume, il analyse les relations de Jésus le Juif avec d'autres Juifs: ceux qui le suivent d'abord, comme les foules, puis ses disciples, avec leurs réactions variées. L'A. s'attarde surtout à nous faire comprendre la nature et la fonction du groupe des Douze, appelés apôtres, puis il examine la personnalité et les comportements de chacun des membres de ce groupe. La formation des communautés ecclésiales au-delà de la mort de Jésus et de la foi en sa résurrection «se situe au-delà des horizons de cette étude» (p. 190), écrit-il. Dans une deuxième partie, les autres portions de la population juive contemporaine sont passées au crible. Nous rencontrons ainsi les pharisiens d'abord, puis les sadducéens et singulièrement le personnage du grand prêtre, et enfin les esséniens et autres groupes concurrents comme les samaritains, les scribes, les hérodiens ou les zélotes. Ce volume se termine par l'esquisse d'un portrait de Jésus dans le cadre du judaïsme galiléen de son époque. Il laisse deviner le propos du quatrième volume, en attente: «l'énigme que représentait Jésus et que lui-même était» (p. 436).
Au nombre des énigmes à soulever, il y a les relations de Jésus à la Torah mosaïque, le sens des paraboles et leur attribution au Maître de Nazareth, les désignations que Jésus reçoit et surtout celle de «Fils de l'homme» qu'il se donne en exclusivité. Il y a enfin la question des raisons qui ont motivé historiquement la mort violente de ce Juif singulier et tout à fait exceptionnel, et en tant que tel: marginal. Comme admet l'A. en finale: «Toute reconstruction du Jésus historique doit se terminer par cette énigme et finalement être jugée suffisante ou insuffisante en fonction de sa capacité à éclairer cette énigme» (p. 437). Mais précisément cette énigme, si elle demeure du domaine de l'histoire, et trouve sans doute un éclairage dans la constitution de la communauté chrétienne, peut-elle être éclairée seulement par l'histoire? N'y a-t-il pas un «saut» à opérer, qui est celui de la théologie? Et qu'est-ce qui peut déterminer ce passage à la lecture croyante des évangiles? Redoutable question qui, nous osons l'espérer, fera sans doute l'objet d'une réflexion sérieuse dans le quatrième volume, car l'élaboration de la théologie des évangélistes et l'origine du christianisme font autant partie de l'histoire que l'attachement des disciples à leur Maître et leur foi en sa résurrection. Nous attendons la joie d'entendre l'A. sur l'éclairage qu'il nous promet et nous le remercions du long travail qu'il nous a fait entreprendre en mettant entre nos mains son oeuvre monumentale et en nos coeurs la force de son interpellation. - J. Radermakers sj

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