Yves de Montcheuil (1900-1944). Précurseur en théologie

Bernard Sesboüé s.j.
Teologia - reviewer : Hubert Jacobs
«Yves de Montcheuil n'a pas eu le temps de composer son évangile». Au jésuite, assassiné par les nazis, le Père B.S. consacre un ouvrage magistral, à la fois biographie, itinéraire spirituel et intellectuel. Le destin d'Y. de M. fut bref. Nous n'avons de lui qu'une poignée de textes, sans aucune oeuvre majeure. Sa mort tragique fut en accord avec sa théologie. De son vivant, son influence fut exceptionnelle. Mais il y a plus.
Sa pensée a anticipé sur le renouveau théologique du XXe siècle. Il a annoncé les grandes orientations qui furent celles de Vatican II. Au dire du P. d'Ouince, que cite B.S., il fut «l'un des théologiens les plus lucides de notre temps». Il rencontra bien des traverses dans sa recherche doctrinale, mais sa liberté demeura aussi grande que son obéissance était exacte. «Le recul du temps lui donne fondamentalement raison dans les choix de sa pensée». Aujourd'hui ignoré, voire oublié, il s'imposait qu'un théologien de la classe du P. Sesboüé repartît à sa rencontre pour nous restituer un homme de premier plan aussi bien en philosophie religieuse, où Blondel l'avait particulièrement marqué, que dans les grands domaines de la théologie et de l'expérience spirituelle. Après avoir retracé les étapes de la vie du Père et ses amitiés, l'A. s'attache à examiner sa double filiation augustinienne et blondélienne. Il étudie ensuite ses vues sur le Christ, sur l'Eucharistie et sur l'Église. Un dernier chapitre présente «le maître spirituel entré en résistance spirituelle». On trouve en annexes des textes et des inédits du Père de Montcheuil, ainsi qu'une bibliographie.
Les pages consacrées à l'Eucharistie dans la pensée du Père de Montcheuil nous ont paru d'une rare richesse. Avec maîtrise et clarté, l'A. montre comment le Père situe l'Eucharistie dans l'économie divine et ecclésiale des sacrements. Les suspicions dont il fut l'objet fondent comme neige au soleil. Le P.S. explique comment le P. de Montcheuil reprit à son compte la doctrine augustinienne du sacrifice dont la théologie n'aurait jamais dû s'écarter. Le sacrifice est sacramentel et le sacrement est sacrificiel. La messe est le sacrement du sacrifice de la Croix. Sa raison d'être sacramentelle est de nous unir au sacrifice du Christ.
On connaît les soupçons dont Y. de M. a également été l'objet à propos de la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. L'A. montre au contraire toute l'orthodoxie de la pensée d'Y. de Montcheuil. Le corps eucharistique du Christ est son corps glorieux, grâce auquel son corps historique peut devenir présent d'une manière qui n'est pas matérielle. Y. de M. a enseigné sans ambiguïté la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Il reconnaissait la pleine légitimité du terme «transubstantiation» mais, au plan théologique, il avait le souci constant d'inscrire cette présence dans le mouvement du sacrifice du Christ et de son don aux hommes.
Il entendait la comprendre de manière spirituelle, montrant toujours l'unité du sacrifice et du sacramentel. En revenant au concept traditionnel de présence sacramentelle, le P. de M. écartait l'opposition inadéquate entre présence historique et présence symbolique. Jamais il n'a contesté la présence réelle mais bien la technicité des théories scolastiques qui essayaient d'en rendre compte. Il voulait revenir «au mystère proprement eucharistique qui porte l'initiative du Christ venant se rendre présent aux hommes». Certes, le P. de Montcheuil n'était guère pédagogue dans ses écrits qui allaient tellement à l'encontre de la scolastique de son temps. Il se montrait aussi souvent péremptoire dans ses affirmations. Mais même s'il était visé par Humani generis, il ne méritait nullement les reproches que certains pensaient devoir lui faire. En effet, toute son interprétation consistait à dire que «le signe est la réalité même».
On ne dira pas assez la richesse et la valeur de cet ouvrage où le P. Sesboüé restitue dans toute son émouvante lumière ce jésuite qui, contrairement à Henri de Lubac, n'a fait l'objet d'aucune réhabilitation. Puisse cette étude exemplaire hâter une démarche qui honorerait nos «théologiens officiels». - H. Jacobs sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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