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Accompanying pastoral processes to renew ministries. A reflection on the situation in Northern Italy

Giovanni Giuffrida

This article is based on a talk given in November 2022 at the conference «Vocations and ministries in a synodal church» in the diocese of Treviso. The pastoral theology approach highlights certain cultural and ecclesial processes underway in the context of Northern Italy. A reading of these processes, based also on the recent magisterium of Pope Francis, leads us to propose a renewal of ministries in several areas: the Word, accompaniment and animation; hospitality; formation-education.

Introduction : « vers l’implosion1 » ?

Sans qu’il soit nécessaire d’être spécialiste en sciences sociales, nous constatons tous, et pas seulement aujourd’hui, un affaiblissement croissant de nos communautés chrétiennes au cours du changement d’une époque que plusieurs appellent post-séculière (J. Habermas, P. Costa) : affaiblissement de la pratique de la foi, des relations, des moyens économiques, et donc de la capacité de témoignage et d’annonce − qui s’explique aussi par les scandales au sein de l’Église. La raréfaction et la fatigue des prêtres, des consacrés et des baptisés, le vieillissement de ceux qui pratiquent la foi et de ceux qui ne la pratiquent pas (avec la complicité du taux de dénatalité), le risque éventuel de voir les paroisses se réduire de lieux de vie à des guichets de services (à quelques exceptions près), semblent être les éléments d’un processus inexorable en cours depuis des années, que la pandémie de la covid n’a fait que mettre en évidence et peut-être accélérer.

S’il est vrai qu’en Italie, et en Italie du Nord en particulier, la crise est plus tardive que dans les Églises d’Europe septentrionale, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas en train de nous rattraper. Par rapport à d’autres nations, nous pouvons dire que nous sommes encore dans une « précarité relative » (c’est-à-dire pas encore « absolue ») en ce qui concerne la présence du clergé2 et c’est peut-être pour cette même raison que nous avons encore quelques moyens de chercher à accueillir le processus italien d’« exculturation » du christianisme (cf. D. Hervieu-Léger et C. Theobald), qu’on peut aussi désigner comme la sortie de la religion de la culture, du tissu social de l’Occident.

En Italie, le sociologue L. Diotallevi3 parle de la crise du christianisme en tant que religion confessionnelle, avec pour conséquence qu’il est désormais une « religion de faible intensité », c’est-à-dire, en simplifiant, une religion qui occupe l’espace en tant que « dévotion » personnelle et privée sans interférer avec le reste de la vie publique, un christianisme qui satisfait un certain besoin religieux, mais qui ne perturbe pas la vie.

Parce qu’ils sont attachés à des personnes en chair et en os et liés à des communautés précaires, les services pastoraux existants et les ministères (institués) traversent également une crise inéluctable par rapport à leur prolifération enthousiaste de la période post-conciliaire. Le curé et les paroisses, par exemple, se trouvent dans la difficulté toujours plus grande, exacerbée par la pandémie, de trouver des « agents pastoraux », notamment parce que ceux-ci n’ont ni l’énergie ni le temps nécessaire pour se consacrer à la paroisse après avoir exercé leur « ministère » de laïcs − dont « le caractère séculier est le caractère propre et particulier » (LG 31) − dans leur famille, au travail, etc.

L’accélération des changements qui affectent les formes classiques de la foi chrétienne en Italie depuis soixante-dix ans, c’est-à-dire les formes de « catholicisme populaire » constitutivement liées au réseau paroissial (capillarité de la présence sur le territoire ; enracinement et solidité des liens ; primauté du dimanche ; diffusion dans le peuple ; « pour tous »4), nous questionne comme un défi : où va l’Église italienne − et celle des Trois-Vénéties − ? Que devient-elle ? Vers où l’Esprit la conduit-il ? Personne ne peut lire dans une boule de cristal, ni ceux qui font des prévisions trop optimistes sans tenir compte des signes évidents d’affaissement des formes de notre être chrétien et de l’Église – qui sont bien repérés par les sciences empiriques –, ni ceux qui sont catastrophistes et parlent d’une façon trop superficielle d’implosion pastorale.

On a tendance à oublier le point de vue théologique qui nous dit qu’il n’y a pas de problème de « disponibilité future pour l’Église »5 : elle existe et existera parce qu’elle est animée par l’Esprit du Ressuscité et par le fait (également observable empiriquement)6 que la foi n’a pas disparu, même si elle n’a pas d’appartenance précise, qu’elle est très diversifiée et qu’elle se caractérise par une recherche de spiritualité qui peine à se condenser dans des expériences religieuses précises.

Il s’agit plutôt d’imaginer la forme que prendra l’Église dans le futur, en prêtant une attention particulière à la nouveauté qui naît aujourd’hui dans le cours de ce que nous appelons un temps de transition, comme des pousses de l’avenir.

I Possibilités de « transformation missionnaire »

Dès Evangelii gaudium, le pape et son magistère ont mis en garde contre la tentation de l’« acédie pastorale » (EG 82) qui nous déprime et nous enferme lorsque nous continuons à défendre ce qui existe − « on a toujours fait comme ça » − et que nous nous préoccupons trop de soutenir la structure organisationnelle de nos communautés au détriment d’autres actions pastorales capables de générer et de régénérer la foi et le tissu relationnel. Même les « collaborations pastorales7 » ou « unités pastorales », créées pour « actualiser » et relancer la figure territoriale d’une Église qui veut raviver son témoignage, risquent de voir leur rôle réduit à la gestion de la crise organisationnelle, perdant ainsi leur signification, et de devenir des instruments de nature fonctionnelle et cléricale (et, peut-être pour cette raison, perçues comme des fardeaux supplémentaires à porter). Le pape a également indiqué que nous pouvons au contraire lire et habiter les processus en cours comme le défi et l’occasion propice pour réaliser une transformation missionnaire de l’Église, en élargissant l’horizon et en nous demandant : quelle transformation est demandée à l’Église aujourd’hui, à son témoignage et à son action pastorale, à ses ministères et à ses services, afin d’être plus missionnaire ? En d’autres termes, comment l’Évangile de Dieu peut-il être accueilli par les hommes et les femmes d’aujourd’hui ? Dans quel sens l’Esprit invite-t-il l’Église à transformer sa manière traditionnelle de croire et de vivre afin de favoriser cette rencontre toujours renouvelée entre Dieu et chaque homme et femme de notre temps ?

Cela a une incidence immédiate sur notre question. Il ne s’agit plus de penser ni d’organiser les communautés en fonction du nombre de prêtres ou de laïcs disponibles, mais de reconnaître et de penser les ministères et les services nécessaires (y compris celui du prêtre) pour que chaque communauté sur un territoire donné soit préparée à sa mission (c’est-à-dire au ministère de l’Église, cf. A. Borras).

Pour nous, en Italie et spécialement dans les Trois-Vénéties, il s’agit de rechercher, de reconnaître et d’accompagner l’expérience et le témoignage chrétiens dans les lieux anciens et nouveaux où ils prennent forme − osons dire s’incarnent − aujourd’hui. Il s’agit de découvrir et d’accompagner les nouvelles manières d’engendrer la foi chrétienne dans la vie des personnes (on pense à « l’universel concret »)8, dans leur chair et dans leurs relations9, « pour que la foi du Christ et la vie de l’Église ne soient pas des éléments étrangers à la société dans laquelle elles vivent, mais commencent à la pénétrer et à la transformer » (Ad gentes 21). Le deuxième choix du chemin synodal de Trévise est allé dans ce sens10. Même si cela se décline sur le plan moral comme cohérence entre foi et comportement, le choix de « développer les “styles de vie” évangéliques » signale « le besoin de témoins authentiques et crédibles de l’Évangile dans les situations concrètes de la vie ».

En effet, les défis de l’Église occidentale, selon A. Toniolo11, ne sont pas d’abord d’ordre moral (l’absence de comportements chrétiens), mais d’ordre culturel, parce qu’ils concernent la perception du lien entre le monde de la foi et le monde de la vie, et pastoral, parce qu’ils se réfèrent à la crise des pratiques ou des structures pastorales capables de favoriser ce lien. C’est la possibilité même que la foi chrétienne soit perçue comme un don et un « ingrédient » indispensable à l’humanité du xxie siècle qui est en jeu. En d’autres termes, il s’agit ici de respecter cette caractéristique typiquement italienne du « catholicisme populaire », non pas dans le sens d’une reproduction des formes du passé, mais d’une redécouverte des ingrédients qui peuvent donner un avenir à cette forme et à sa capacité de rendre raison de la foi chrétienne dans l’histoire12. Un catholicisme populaire qui ne sera plus celui « de tous », mais qui reste néanmoins « pour tous » dans la mesure où il permet de retrouver le caractère génératif de chaque communauté (cf. « l’Église en sortie »).

Si tel est le déclin italien de l’esprit missionnaire, nous pouvons alors nous demander comment repenser et accompagner les processus d’une ministérialité renouvelée.

II Ministérialité et témoignage

Selon C. Theobald, il n’y a pas d’annonce de l’Évangile sans l’Église, mais l’Église est constituée de « présences » et de « passeurs » de l’Évangile qui, par et dans leur « manière (chrétienne) d’habiter le monde » (cf. M. Merlau-Ponty), se réfèrent au Seigneur. C’est une Église de pères, de mères, d’éducateurs, de travailleurs qui « rendent possible l’accès à la foi en Lui, rôle qui diminue progressivement pour laisser apparaître chez ceux qui le suivent, la même relation que celle qu’il vit avec son Père13 ». C’est précisément de cette manière que l’annonce devient crédible et capable de manifester Jésus à l’humanité parce que, à travers eux, Il prend corps au milieu d’elle et peut ainsi éveiller l’Évangile dans la conscience et la vie de l’autre (cf. le résumé des sessions synodales de Trévise). Il est donc nécessaire que les figures ministérielles, anciennes et nouvelles, s’engagent « à construire des liens et des pratiques d’incarnation, de transfiguration, d’alliance dans la vie quotidienne, afin de dépasser la logique cléricale de la fonctionnarisation, clairement présente dans nos mondes14 ».

C’est pourquoi il faut sauvegarder le « principe sacramentel », c’est-à-dire la reconnaissance des liens indissolubles entre le visible et l’invisible, l’extérieur et l’intérieur, l’institutionnel et le spirituel de l’Église (cf. LG 8). Ce principe nous oblige à résister aux logiques « fonctionnalo-cléricales », efficientes et commerciales (peu de prêtres, peu de ressources, peu de pratiquants… quelles opérations et quels ministères pour éviter la faillite, pour rendre des services efficaces…). Il s’agit d’apprendre à tous les membres de l’Église à se reconnaître, non comme les employés d’une administration, mais comme ceux qui participent d’un même corps vivant, non comme des professionnels, mais des témoins du Ressuscité. On assiste parfois à une métamorphose du corps ecclésial, que l’on peut caractériser à la suite de L. Bressan comme le passage « de la mère aimante à l’organisation professionnelle15 ». Si la figure du « témoin » est remplacée par celle du « professionnel » (peut-être même rémunéré comme c’est déjà le cas en Europe du Nord), la conséquence logique sera une extinction progressive des actes symboliques et transcendants qui transfigurent en surgissant du sein de relations anthropologiques fondamentales. Ces actions symboliques laisseront la place à de simples actes professionnels visant à atteindre un objectif spécifique et élitiste, au lieu du bien gratuit de tous (ce qu’implique un « catholicisme populaire »). Par ailleurs, il est vrai que tout ministère, précisément parce qu’il n’est pas fonctionnel ni limité dans le temps, exige un investissement dans la vie du ministre qui doit être rendu possible par des conditions d’exercice réalistes (comme c’est déjà le cas pour le ministère ordonné).

La logique du témoignage, avec son orientation symbolique, me semble avoir favorisé aussi l’institution récente du ministère du catéchiste (cf. Antiquum ministerium en 2021). C’est une logique qui traverse les documents ecclésiaux sur les ministères depuis le Concile, de Ministeria quaedam (Paul vi, 1972) à aujourd’hui. Il ne s’agit pas de multiplier les fonctions, mais de régénérer la vie du corps, en maintenant une tension nécessaire entre les fonctions et la vie : la vie se nourrit des fonctions, mais leur configuration instituée n’épuise pas la vie même du corps16. C’est pourquoi ce ne sont pas tous les catéchistes qui seront institués ministres, mais seulement quelques-uns, et non pas dans le but d’acquérir un pouvoir et un honneur qui supplanteraient les autres (ni partition ni substitution), mais pour que, par leur témoignage et leur présence attentive, ils puissent aussi augmenter la signification du ministère déjà exercé de facto par beaucoup d’autres (cf. AM 7).

III Ministérialité et vocation

Le thème du témoignage rappelle celui de la vocation sur lequel, au cours des dix ou quinze dernières années, s’est abattu un silence presque embarrassant, alors que la crise des ministères et le manque de conscience de la part des laïcs qu’ils sont des « sujets ecclésiaux » est manifestement aussi une crise des vocations, à mon avis, qui n’a pas été causée seulement par une conjoncture défavorable (la sécularisation), mais aussi par la démission de l’initiative ecclésiale dans ce contexte de crise.

Mais comment un ministère/service naît-il ? G. Zanchi a peut-être raison lorsqu’il affirme que « la rhétorique de la vocation a parfois coupé le souffle à la dynamique de l’appel17 ». En fait, précisément pour ne pas penser dans l’abstrait, nous devons nous rappeler que le sujet de l’appel est l’Église (tête et corps) animée par l’Esprit (et, dans l’Église, les différents sujets) qui obéit aux signes et aux nécessités que l’histoire assigne à l’œuvre de témoignage missionnaire exigée par l’Évangile. Certes, l’appel, dans ses formes toujours particulières et personnelles, n’existe pas sans une « co-spiration » (de l’Esprit Saint) qui habite à la fois dans le cœur de chaque croyant, dans l’histoire de l’Église et dans toute l’Église actuelle (cf. LG 4).

Dans la période postconciliaire, de nombreuses tâches, rôles, services,

que seule une certaine prudence technique pourrait refuser d’appeler en quelque sorte des ministères, ont surgi spontanément, sur simples demandes des curés et à travers des figures d’identification (les passeurs). (…) Écoutant simplement certains besoins auxquels correspondait leur propre charisme, des hommes et des femmes se sont mis à la disposition des communautés parce que de nouvelles situations exigeaient la mise en œuvre d’un service correspondant. Mais il ne s’agit pas d’une réponse purement fonctionnelle. Il s’agit plutôt de l’éveil (et de la reconnaissance) d’un charisme18.

Ce mouvement a conduit à l’entrée de croyants non ordonnés dans les processus d’une vie ecclésiale concrète et ordinaire, ce qui a permis de dépasser la représentation − encore persistante − de la vie ecclésiale basée sur le binôme clergé-laïcs. Cette représentation, en plus d’exclure la vie consacrée, peut être comprise et vécue comme une relation de sujétion des membres passifs (les laïcs) envers des membres actifs (prêtres ou d’autres ministres institués), en alimentant le cléricalisme (même chez les laïcs). Au contraire la vie et le service pastoral des baptisés ont non seulement offert un nouveau visage aux paroisses, mais ont également contribué à façonner la foi et le témoignage personnels dans les contextes de la vie quotidienne.

La reconnaissance des charismes et des services qui leur correspondent, nous le savons, se fait souvent aujourd’hui de manière hâtive et sans un véritable discernement communautaire. Cependant, la dynamique vocationnelle propre à la foi doit être reprise dans une culture où se manifeste une anthropologie du « projet de vie », que l’individu construit pour lui-même et qui finit par renforcer sa solitude et par consacrer un « moi » recroquevillé sur lui-même. L’anthropologie dans le milieu vocationnel19 en revanche, nous fait découvrir que le « moi », en réalité, est déjà le fruit de l’accueil, du don ; le « moi » est grâce aux autres, il vient d’autre chose, il est reçu d’autre chose, il est en dette, il se trouve en répondant, en se perdant, par le don et non par la conquête. Dans la recherche de son bonheur, la personne trouve un sens à se laisser atteindre, à être aimée et appelée, à répondre à une « vocation » qui précède son « projet », à s’exclamer « Me voici » avant de dire « je ». C’est la redécouverte, à partir de nos communautés, de ce que Christoph Theobald appelle la « vocation humaine » − « Tu peux… être unique… et mettre en jeu ton existence unique pour l’autre dans tous tes choix » – sur laquelle se greffe toute « vocation chrétienne20 », qui n’est rien d’autre que la manière « filiale » de vivre notre être d’homme et de femme. Dans la mesure où c’est la relation aux autres qui nous constitue et que c’est grâce à une communauté vivante que nous sommes initiés à la foi et à l’écoute de la parole de Dieu, la situation de cette communauté et sa culture vocationnelle sont absolument déterminantes pour nous permettre d’accéder à notre identité croyante qui place chacun avec son don particulier au service de la construction de l’Église et de sa mission. Dans ce sens, il y a peut-être un besoin d’un ministère particulier que nous pourrions appeler « animateur des vocations » (différent de celui que nous avons compris jusqu’à présent en tant que lié au séminaire).

IV Ministérialité et discernement

Dans les textes bibliques les plus importants sur les ministères et les charismes (1 Co 12-14 ; Eph 4 ; Rom 12), on peut distinguer, explique C. Theobald21, entre un « principe de fixation institutionnelle » (la disposition divine) et un « principe d’ouverture » ou même d’expansion (cf. Lc 10 et Ac 6), entre des dons liés à la réalité essentielle et constitutive de l’Église et des dons liés aux différents moments historiques vers une multiplicité ouverte, toujours tributaire de ce que l’Esprit donne effectivement dans l’histoire des personnes et des communautés (cf. LG 4 sur les dons hiérarchiques et charismatiques). La finalité de ces dons, bien qu’ils soient différents, est la même : la construction du corps infiniment mobile du Christ par les chrétiens au service de sa présence et de sa mission d’une manière toujours plus purifiée au sein de la société. Il ne s’agit donc pas de faire de la communauté chrétienne une organisation administrative efficace sur un territoire, mais de la rendre capable de s’ouvrir et d’accompagner le plus possible les événements spirituels qui s’y déroulent.

Le catholicisme, qui surgit dans la trame du tissu social et culturel en pleine transformation, sera le fruit non seulement de notre engagement et de nos actions, mais aussi de notre capacité de contemplation et de communion, appelant à l’unité les nombreux dons qui sont dispersés un peu partout et qui risquent autrement de se disperser. Cela peut se faire dans un climat d’écoute et d’évaluation commune, qui demande aussi une compétence de discernement, comme la voie synodale a tenté de nous l’offrir. Il sera important qu’un sentiment missionnaire commun et une vision partagée naissent progressivement au sein de chaque communauté. Cela ne peut être favorisé que par une écoute sérieuse de tous, une écoute « stéréophonique » de la voix de Dieu : écoute de Dieu dans les voix humaines et dans les « signes des temps » (cf. GS 4 et 11) ; écoute de Dieu qui parle à travers la Bible ; écoute de la voix de l’Esprit dans notre conscience (intériorité-prière-appel).

Conclusion : domaines possibles de la ministérialité aujourd’hui

Pour disposer la communauté à la mission, nous pouvons imaginer le ministère irremplaçable de la présidence confié au prêtre : doit-il nécessairement continuer à coïncider avec le ministère du « gouvernement » ? Cette présidence sera partagée avec un presbyterium en communion avec l’évêque. Le prêtre exercera son autorité en termes relationnels pour permettre à chacun de devenir libre et mûr dans la foi et dans sa vocation/ministère. Il rendra possible la concertation et la synodalité entre tous. Il saura faire entendre la voix évangélique quand elle n’est pas comprise par tel ou tel groupe ou communauté, tout en acceptant de l’entendre à son tour de la bouche de telle ou telle personne (non pas des « prêtres-pivots », mais des « prêtres-passeurs », cf. C. Theobald).

Celui qui, dans l’Église, a la charge de présider, ne doit pas « éteindre l’Esprit, mais tout examiner pour retenir ce qui est bon » (1 Th 5,12.19-21 ; cf. LG 12). Le ministère de la présidence, si on le pense à l’intérieur de la mission de l’Église et de son « soin pastoral » et non à partir de la sacra potestas du ministre ordonné22, tout en demeurant, au sens strict, le propre de l’évêque et du prêtre, ne signifie pas qu’il ne s’exerce pas en fait, dans une certaine mesure, dans la coresponsabilité et la coopération surtout de certaines figures, masculines et féminines, déjà ou « quasi-ministérielles » (diacres permanents, Action catholique, cf. AA 20 ; coopérateurs pastoraux diocésains…) qui ont parfois aussi le charisme d’aider les autres à travailler ensemble.

Je voudrais tenter d’apporter un éclairage supplémentaire sur les perspectives de la ministérialité ecclésiale mises en évidence par A. Toniolo23.

Outre les « Conseils paroissiaux de pastorale » et les « Conseils pour les affaires économiques », émerge aujourd’hui la possibilité de différentes formes ministérielles de gouvernement : on trouve les « équipes d’animation pastorale24 » (elles participent à l’exercice de la charge pastorale du curé surtout quand les petites paroisses ont été supprimées canoniquement), les animateurs de communauté, les référents pastoraux, les responsables d’« Oratoires »25, le coordinateur des catéchistes, etc. Ces formes visent moins à organiser qu’à servir la cohésion d’une communauté : celle-ci, à travers les liens, les activités et les engagements des fidèles, habite chrétiennement un lieu pour y faire émerger l’Église (on passe de la logique de circonscription à celle de l’inscription du fait chrétien dans un territoire par les personnes et leurs relations, cf. A. Borras).

1 Ministères de la Parole, de l’accompagnement et de l’animation

Après l’ouverture du ministère institué du lectorat (mais aussi du ministère des catéchistes) aux laïcs qui ne sont pas seulement des hommes (cf. Spiritus Domini, 2021), pourquoi ne pas promouvoir un ministère de la Parole, de l’accompagnement spirituel, de l’animation de groupes bibliques (par exemple le programme « Gospel in the homes »), etc. N’oublions pas que l’écoute de la Parole de Dieu dans la célébration (et ailleurs) est le préalable à tout discernement relatif à l’action pastorale et aux dimensions de la présidence et de la gouvernance. Par ailleurs, l’Écriture sainte peut rassembler les « sympathisants26 » et les non-chrétiens sans faire jouer d’emblée le critère distinctif de la pratique religieuse : le partage permet à chacun de reconnaître la pluralité des figures bibliques et de s’y identifier puisque leur accomplissement est le Christ qui ouvre à chacun la possibilité d’y accéder en transformant sa « foi élémentaire » en une « foi christique » (cf. C. Theobald).

2 Ministères de l’hospitalité

Il me semble aussi y avoir place pour un ministère de l’hospitalité, à partir de la valorisation du diaconat permanent et du ministère des époux chrétiens, dans les domaines traditionnels de la charité et de la célébration de l’Eucharistie − on se souvient du service de l’hospitalité qu’a exercé l’Église au moment de la récente pandémie. Ce ministère vise cependant à ouvrir la communauté et à élargir sa capacité d’accueil et, plus encore, à renforcer son intérêt pour l’environnement et le territoire dans lequel elle s’insère.

La mission, c’est prendre en compte ceux qui vivent à côté de nous (compassion, proximité, implication) et aller chercher l’autre non pas seulement et principalement pour lui donner quelque chose, mais parce que nous avons besoin de lui et que nous le mettons en situation de nous accueillir à son tour. L’hospitalité a aussi comme caractéristique un intérêt gratuit pour la « foi » de l’autre, qui peut ouvrir un espace dans lequel il peut découvrir le Christ (« partout où Dieu ouvre la porte de la parole pour proclamer le mystère du Christ », AG 13 avec Col 4,13). Christoph Theobald27 propose deux nouveaux ministères, capables de traduire concrètement l’ouverture hospitalière et la conversion missionnaire de l’Église : celui du « sourcier » et celui du « visiteur ». D’une certaine manière, on peut reconnaître dans ces figures les traits de certains de nos « ministres extraordinaires de la communion » qui, je crois, pourraient maintenant aussi être nommés « acolytes ».

Le « sourcier » est celui qui dialogue, en gagnant spontanément leur confiance, avec ceux qui sont sur le seuil ou en dehors, mais qui ont une question spirituelle, qui cherchent un sens aux situations humaines (par exemple, la naissance et la mort) car celles-ci favorisent l’ouverture à l’Évangile de Dieu. Le « visiteur » est celui qui sort de l’enceinte ecclésiale et rencontre l’humanité sur les lieux de vie : il visite les nouvelles familles (ce fut le premier choix de notre chemin synodal : « Prendre soin de l’insertion et de l’accueil des nouveaux couples et des nouvelles familles ») ; il dialogue avec les institutions publiques, les écoles, les hôpitaux, les maisons de retraite, etc. Le pape François rappelle dans l’encyclique Fratelli tutti que « dans certains quartiers populaires, l’esprit de “voisinage” est encore vivant, où chacun se sent spontanément le devoir d’accompagner et d’aider son prochain » (FT 152). C’est aussi une manière de penser l’inversion du mouvement centripète (« Venez à nous ») vers le mouvement centrifuge (cf. EG 20-24) d’une Église en sortie (« Nous venons à vous »). On peut imaginer des visites de paroissiens frappant à la porte des nouveaux arrivants avec l’aide des chrétiens résidant déjà dans un quartier, et participant dans ce quartier à des moments associatifs ou festifs déjà organisés.

3 Ministères de la formation-éducation

Enfin, le champ ministériel de la formation-éducation réapparaît, en particulier pour les nouvelles générations d’enfants et de jeunes, qui ont besoin de la famille comme premier lieu de vie. Outre les nombreuses figures déjà présentes dans nos communautés, et d’abord les catéchistes et les religieuses, je rappelle que l’Action catholique − encore bien active aujourd’hui en Italie − est placée par le concile Vatican ii (cf. Ad gentes 15) parmi les ministères dans l’Église et qu’une de ses spécificités est justement la formation, des enfants aux adultes, dans tous les milieux de vie, y compris en politique.

Mais il y a aussi des figures qui pourraient devenir ministérielles, comme les professeurs de religion, non seulement parce qu’ils rencontrent beaucoup de jeunes dans les écoles, mais aussi parce que leur ministère comporte déjà un parcours de formation académique qualifiante (les Instituts supérieurs de sciences religieuses28) et que leur rémunération n’est pas à la charge de la communauté ecclésiale. Ajoutons pour terminer qu’une formation adéquate pour ces formes de ministérialité devra toujours tenir compte d’au moins deux niveaux différents : la formation de base et populaire (dans le vicariat, la collaboration pastorale, l’action catholique, etc.) pour tous les chrétiens soutenus par les bureaux diocésains et l’École de formation théologique29, et la formation spécifique pour ceux qui reçoivent un mandat ou un véritable ministère ecclésial (écoles théologiques de différents niveaux).

Notes de bas de page

  • 1 Cf. D. Hervieu-Léger, J.-L. Schlegel, Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme, Paris, Seuil, 2022.

  • 2 Cf. A. Borras, Quando manca il prete. Aspetti teologici, canonici e pastorali, Bologna, EDB, 2018.

  • 3 L. Diotallevi, Fine corsa. La crisi del Cristianesimo come religione confessionale, EDB, Bologna, 2017.

  • 4 P. Carrara, Forma ecclesiae. Per un cattolicesimo di popolo oggi: “per tutti” anche se non “di tutti”, Milano, Glossa, 2017.

  • 5 L. Bressan, « Una Chiesa alla ricerca del suo futuro. Parrocchia e cattolicesimo popolare nell’Italia che cambia », Rivista del clero italiano (2019/3), p. 166-182, ici p. 167.

  • 6 Cf. F. Garelli, Gente di poca fede. Il sentimento religioso nell’Italia incerta di Dio, Bologna, Il Mulino, 2020.

  • 7 Cette formule (utilisée dans certains diocèses, dont celui de Trévise) vise à s’éloigner du modèle de l’union de plusieurs paroisses entre elles avec la suppression ultérieure de chaque entité (les « unités pastorales » au sens strict). Elle prévoit plutôt une coordination étroite entre les paroisses, qui conservent intacte néanmoins leur figure institutionnelle. Au contraire de la suppression, l’objectif est de renforcer chaque paroisse, surtout les plus petites, en mettant en commun, dans une attitude de don mutuel, la richesse des personnes, des traditions, de la spiritualité et des structures qu’elles possèdent en relation avec leur mission sur le territoire qu’elles habitent (cf. Orientamenti e norme per le Collaborazioni pastorali nella Diocesi di Treviso, Treviso, S. Liberale, 2016).

  • 8 Cf. C. Giaccardi, M. Magatti, La scommessa cattolica, C’è ancora un nesso tra il destino delle nostre società e le vicende del Cristianesimo, Bologna, Il Mulino, 2019, p. 142.

  • 9 Cf. L. Bressan, « La fatica di discernere oggi nella pastorale », Rivista del Clero Italiano (2021), p. 7-22.

  • 10 Le chemin synodal de Trévise ne fut pas un véritable « synode diocésain » centralisé, mais un processus qui impliquait toutes les réalités ecclésiales (avec des assemblées locales et diocésaines) dans un « discernement » orienté vers l’identification de certaines priorités pastorales. À la suite de sa visite pastorale dans le diocèse de 2012 à 2016, Mgr Gianfranco Agostino Gardin ouvrit ce chemin synodal en publiant une lettre pastorale intitulée « Disciples de Jésus pour un nouveau style d’Église » en 2017. Le processus dura environ deux ans et fut rythmé par la triade voir-juger-agir : il a permis l’identification et la mise en œuvre initiale de quatre choix pastoraux. Le choix le plus décisif concernait la valorisation des Conseils paroissiaux de pastorale en tant que chargés de la promotion et de l’animation des communautés passant ainsi de l’« auto-préservation » à la « sortie » (cf. Evangelii gaudium 27). Les autres choix furent : l’attention à l’accueil des nouveaux couples et familles qui entrent dans la communauté chrétienne ; le développement de styles de vie plus évangéliques ; le soin pour la conversion solidaire dans l’attention envers les plus pauvres (cf. G.A. Gardin, Lettre pastorale Per una Chiesa in cammino, Treviso, S. Liberale, 2018).

  • 11 A. Toniolo, Cristianesimo e mondialità. Verso nuove inculturazioni, Assisi, Cittadella, 2020.

  • 12 L. Bressan, Una Chiesa alla ricerca del suo futuro (cité n. 5), p. 176.

  • 13 C. Theobald, « È proprio oggi il “momento favorevole”. Per una lettura teologica del tempo presente », Rivista del Clero Italiano 5 (2006), p. 356-372, ici p. 370.

  • 14 L. Bressan, Una Chiesa alla ricerca del suo futuro (cité n. 5), p. 180.

  • 15 Ibid., p. 177.

  • 16 Cf. Arcidiocesi di Milano, A nostro agio nella storia. Provocazioni del nostro tempo e dimensione liturgica, Milano, Centro ambrosiano, 2022 ; P. Carrara, « Provocazioni ministeriali, Né spartizioni né supplenza », Teologia (2/2021), p. 147-156.

  • 17 G. Zanchi, L’arte di accendere la luce. Ripensare la Chiesa pensando al mondo, Milano, Vita e Pensiero, 2015, p. 125.

  • 18 G. Zanchi, « Costruire comunità per rendere visibile il Vangelo. Il compito pastorale dopo la fine della cristianità », La Rivista del Clero Italiano 7/8 (2016), p. 495-520, ici p. 518-519.

  • 19 Cf. S. Currò, Il senso umano del credere. Pastorale dei giovani e sfida antropologica, Torino, ELLEDICI, 2011.

  • 20 Cf. C. Theobald, Vous avez dit vocation ?, Paris, Bayard, 2010.

  • 21 Cf. C. Theobald, Urgences pastorales du moment présent. Comprendre, partager, réformer, Montrouge, Bayard, 2017.

  • 22 Cf. A. Borras, « Sacra potestas per tutti? », Il Regno. Attualità 20 (2022), p. 669-676 ; Id., « La sacra potestas, la seule voie pour la participation des laïcs au gouvernement de l’Église ? », NRT 144 (2022), p. 612-628.

  • 23 A. Toniolo, A. Stecanella (éd.), Le parrocchie del futuro, Nuove presenze di Chiesa, Brescia, Queriniana, 2022.

  • 24 Cf. L. Tonello, Il « gruppo ministeriale » parrocchiale, Padova, EMP-FTT, 2008.

  • 25 Les Oratoires paroissiaux sont nés des intuitions respectives de st Philippe Néri (1515-1595) et de st Jean Bosco (1815-1888) : ils se sont développés surtout dans le nord de l’Italie en tant qu’espaces de soin éducatif et pastoral pour les jeunes. En Italie, ils sont appelés aussi « Centri giovanili » (Centre Jeunesse) ou « Patronati » (Patronages). Ils demeurent des lieux de rencontre et de relation pour les adolescents et les jeunes, surtout dans le loisir, même pour ceux et celles qui ne se sentent pas appartenir à la paroisse et qui n’ont pas un parcours de foi bien défini. Pour cette raison les activités et les parcours éducatifs des Oratoires sont différenciés, confiés à de jeunes agents pastoraux, hommes et femmes, cherchant à favoriser la croissance des jeunes et leur rencontre avec Jésus Christ et avec la communauté chrétienne.

  • 26 Terme canonique qui désigne celui qui a un penchant pour la foi même s’il ne croit pas pleinement (cf. Rituel pour l’initiation chrétienne des adultes 12).

  • 27 C. Theobald, Urgences pastorales du moment présent, cité n. 21, p. 317-321.

  • 28 En Italie, les Instituts supérieurs de sciences religieuses offrent une formation théologique et culturelle au niveau académique : le parcours pour la formation professionnelle des professeurs de religion catholique (baccalauréat et maîtrise en sciences religieuses) ; le Master pour les enseignants et enseignantes en école maternelle et en primaire.

  • 29 Cette école est ouverte à ceux et celles qui désirent faire mûrir une plus grande conscience au sujet de la foi, dans un horizon spirituel et pastoral et non académique. Elle attire en particulier l’attention sur la culture actuelle dans laquelle on vit. Pour cette raison, cette école veut être accessible à tout le monde.

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