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What place do celibates have in our Church? For several years now, long-term singles have made their voices heard more and want it said: it is a happy life!

À propos de

O. Bonnewijn, « J’existe ! » Un autre regard sur les célibataires, Paris, Emmanuel, 2020, 14x19, 150 p., 17,00 €. ISBN 978-2-353-89797-1

Le statut du célibat qui n’est pas vécu dans la consécration est une question délicate aujourd’hui, surtout depuis le milieu du xxe siècle, quand le mariage a été redécouvert comme vocation. Au fond, n’est-on pas encore quelquefois tenté de souscrire à la caricature du vieux garçon et de la vieille fille qui n’ont pas trouvé leur mission ou sont en mal d’engagement dans l’Église ou dans la société1 ? Dans une étude magistrale, Jean-Claude Bologne rappelle cependant que « le célibat, par sa disponibilité permanente, a longtemps été le lieu privilégié où l’amour peut éclore et s’épanouir en toute liberté2. » L’ouvrage présenté ici avance une thèse nouvelle : pour Olivier Bonnewijn, le célibat non-consacré peut être compris comme un état de vie dans l’Église parce qu’il est fondé sur le baptême. Nombre de célibataires chrétiens, non-consacrés, ont fait de leur vie un témoignage – pouvant aller à l’héroïsme – de la présence de Dieu en eux.

Deux présentations de ce livre peuvent éclairer la question et susciter d’autres approfondissements. La première, d’Isabelle Payen de la Garanderie, assume l’analyse de l’A. et, se fondant sur la théologie de l’initiation chrétienne, en montre l’actualité pastorale. L’autre, de Pascal Ide, plus critique, puise aux ressources de la psychologie et de la dogmatique.

Olivier Bonnewijn a accepté de répondre brièvement à cette dernière critique en situant lui-même l’enjeu de son livre.

Alban Massie

NRT

Le célibat, un état de vie ressourcé par le baptême

Quelle place les célibataires tiennent-ils dans notre Église ? Depuis plusieurs années, les célibataires de longue durée y font davantage entendre leur voix et désirent que celle-ci porte : c’est heureux ! Pourtant, ces prises de parole demeurent encore peu suivies d’effet ou de suites pastorales autres que ponctuelles : ainsi, les deux sessions du synode sur la famille n’ont-elles pas porté les fruits escomptés, tout comme Amoris Lætitia ou encore comme la plupart des documents magistériels qui ne leur accordent le plus souvent que quelques lignes. Oubliés, les célibataires ? C’est malheureusement également vrai dans les propositions ecclésiales, où, à l’exception de « Notre-Dame de l’écoute », fondée par l’actuel archevêque de Strasbourg, Mgr Ravel, ils peinent à trouver leur compte une fois qu’ils n’appartiennent plus à la jeunesse puisque nombre des propositions adultes sont destinées aux familles. Pourtant, chrétiens à part entière, il est plus que temps qu’on leur consacre de l’écoute mais aussi du temps et de la réflexion pour éviter qu’ils ne se sentent rejetés par leur Église en raison d’une situation qu’ils n’ont pas recherchée et qui ne les amoindrit pas. C’est la raison pour laquelle le livre d’Olivier Bonnewijn, J’existe – un autre regard sur les célibataires, est si précieux : il offre enfin une véritable réflexion théologique à ce sujet.

1 Pour une conversion du regard

Prêtre belge de la communauté de l’Emmanuel, ancien professeur à l’Institut d’études théologiques, auteur de nombreux ouvrages sur l’éthique et la spiritualité familiale, Olivier Bonnewijn est chanoine de la cathédrale de Malines-Bruxelles. Il a écrit sa thèse sur « la béatitude et les béatitudes » dans la Somme théologique de St Thomas. Ici il commence par choisir un autre terme que « célibat non choisi » qui a une connotation immédiatement plus négative, pour passer à « célibat ouvert » (p. 21), expression qui reflète de manière positive ce que cette condition comporte d’attente, d’incertitude et de questionnement. Ainsi, le célibataire n’est pas défini par ce qu’il n’est pas, ce qui le rendrait inclassable parmi les états de vie, mais bien plutôt par ce qu’il est. De même, la grande force de l’ouvrage n’est pas de partir de pistes pastorales, où le bât blesse actuellement, en se contentant seulement de suggestions sur ce qui pourrait être fait : il s’agit bien plutôt de « penser » vraiment le célibat et les célibataires, en les écoutant en vérité, avec attention mais sans commisération – l’ouvrage comporte de nombreuses citations de témoins célibataires qui donnent d’autant plus de chair au propos – et en remontant aux questions théologiques que pose cette condition incarnée. Ainsi, il s’agit vraiment d’un parcours cherchant à comprendre le « mystère de la vie célibataire » (p. 15) sur différents plans qui se complètent en composant un portrait en mosaïque de celui-ci : historique, anthropologique et métaphysique, sacramentel et spirituel, éthique, psychologique et ecclésiologique.

2 Célibataire, qui es-tu, pour Dieu et pour toi ?

Le célibataire n’est donc pas que le « non-marié », celui qui n’aurait pas pu faire alliance avec autrui. Car c’est faux. Au contraire, la grande intuition de l’ouvrage est bien de venir puiser à la racine de la condition de la personne qui est célibataire : son baptême. L’A. propose ainsi de considérer l’identité baptismale comme une « identité-source », non amoindrie mais bien plénière. Le célibataire peut donc, à l’instar d’une personne mariée, se considérer pleinement élu lui aussi, de par son baptême, choisi par Dieu « dès le sein de sa mère » (Ps. 138), de toute éternité. C’est pour cette raison qu’il « n’est pas vraiment célibataire, mais il est un homme ou une femme d’alliance et de vie. Amoureusement élu, il élabore son identité humaine à l’intérieur de sa condition baptismale » (p. 87). C’est en cela que le célibataire est un être de communion, appelé à une fécondité personnelle qu’il a à discerner. Cette fécondité est réelle, non rêvée, et ne doit pas être considérée comme inconsistante ou éthérée, et, qu’elle apparaisse dans sa vie quotidienne ou qu’elle soit spirituelle, elle est pleine d’une portée eschatologique, dans le Christ. De plus, le cœur du célibataire est créé à l’image du Dieu Trinité et il a à entrer à son tour dans ce jeu de relations comme un être appelé à la communion. La qualité de la relation à soi-même et aux autres est ainsi également à ajuster perpétuellement, dans un don de soi-même là où il est, tout comme pour des personnes mariées, en n’ayant pas peur de se réjouir des fruits qu’il peut déjà en recueillir.

Par cette démarche de ressourcement dans l’ancrage baptismal, Olivier Bonnewijn rejoint en quelque sorte celle d’Anne-Marie Pelletier dans L’Église. Des femmes avec des hommes3 où la théologienne propose elle aussi de repartir du baptême pour lutter contre le cléricalisme : bien plus que de n’y entendre qu’un simple écho ou une mode, ne peut-on y trouver une invitation brûlante à reconsidérer la plénitude du sacrement qui est la porte d’entrée dans la vie chrétienne ? En effet, n’y a-t-il pas une tendance à catégoriser avant tout les personnes et leur fonction par leur état de vie au lieu de partir de la primauté du baptême ? Bien loin de gommer les différences, c’est certainement là, dans cette priorité et cette égale dignité, que l’on peut puiser les propositions les plus novatrices et ne pas hésiter à solliciter des célibataires pour participer à des groupes ou des accompagnements dont on les éloigne seulement par habitude – par exemple, qu’est-ce qui empêcherait un célibataire de faire de la préparation au baptême tout comme un couple ? De même, les penser premièrement comme baptisés permet de sortir d’un regard trop plein de commisération faisant écran à leur réalité, mais bien de les considérer comme tels, comme partie prenante de la vie paroissiale, ce qui n’empêche pas, au contraire, de savoir accueillir et écouter leurs spécificités, rencontrées au gré des cahots de l’existence.

3 La question ouverte de l’état de vie

Dans un dernier temps, l’A. s’ouvre à une proposition audacieuse : celle de considérer le célibat ouvert comme un état de vie. Proposant un point des débats sur la question et utilisant cinq critères définitoires de « l’état de vie », il cherche à évaluer ce qui manquerait pour considérer le célibat ouvert comme tel. Sur ce point, la théologie tout comme la pastorale ont pu avoir des mots durs ou pour le moins maladroits mais il faut bien considérer que la question est ardue et qu’il est difficile de trancher : il est vrai que les questions de la stabilité et de l’engagement dans le temps semblent rester des points d’achoppement. Avec une touche toute pastorale, Olivier Bonnewijn propose pour sa part de réfléchir au moins à une forme d’institutionnalisation ecclésiale du célibat ouvert, permettant une ritualisation mais aussi à un groupe – un ordo ? – de se former pour que la belle richesse des célibataires soit pleinement recueillie dans l’Église.

Voici donc un livre essentiel, tant pour ceux qui sont dans cette situation, afin d’appréhender mieux dans la foi leur propre « mystère », que pour tous les accompagnateurs et tous ceux qui ont charge d’âme, afin que chacun soit mieux ajusté dans ses propos et ses propositions. Quoi qu’il en soit, ce livre résonne comme un véritable appel à moins catégoriser dans notre vie, à moins spécialiser notre vie ecclésiale : car c’est en nous ressourçant à notre baptême que nous formerons davantage, ensemble, le Corps du Christ.

Isabelle Payen de la Garanderie

Fr – 92700 Colombes

« Un autre regard sur les célibataires » à la question

L’essai du père Olivier Bonnewijn (OB) défend une thèse qu’énonce le titre du dernier chapitre : « Un état de vie à part entière ». La préfacière, Claire Lesegretain, ne s’y trompe pas qui affirme sans ambages : « Il est formidablement libérant de lire sous la plume d’un prêtre et théologien que le célibat peut être un “état de vie à part entière”, au même titre que le mariage ou la consécration » (p. 10).

L’intention de l’ouvrage se doit d’être saluée avec joie : reconnaître (aux deux sens du terme) la réalité de la vie du single ; lui donner toute sa place (« à Paris, un logement sur deux est occupé par un célibataire » : p. 34) ; jeter un regard neuf sur le célibat ; davantage, poser un regard positif sur le célibataire.

De nombreuses analyses sont précieuses. Par exemple : l’insistance sur le besoin qu’a le célibataire d’être reconnu dans sa personne, sa mission, son don de soi, etc. ; la distinction des deux formes de solitude et l’enracinement de la communion dans celle-ci (chap. 2) ; le nouveau regard apporté par le christianisme sur l’état de célibataire (p. 32-34, etc.), en l’occurrence à travers le célibat consacré ; la dénonciation forte des jugements blessants contre les célibataires, qu’ils soient psychologiques, moraux ou spirituels (chap. 1, etc.) ; l’amour inconditionnel du Christ pour celui dont « une des souffrances lancinantes (…) réside souvent dans le fait de n’avoir été choisi par personne » (p. 72) ; l’importance d’une « culture de la rencontre et de la tendresse évangéliques » (p. 75) ; la « fécondité multiforme » (p. 76s) ; le déploiement de la dynamique du don qui commence non pas dans la donation, mais dans la réception (chap. 4) ; le cheminement pour grandir dans l’intégration des pulsions (chap. 5) ; etc. Même si l’ouvrage ne se présente pas comme un « manuel pratique » et désire seulement demeurer « aux côtés des célibataires » (p. 15), il propose un certain nombre de discernements et d’orientations salutaires.

On peut prédire sans risque que de nombreuses pages feront du bien à un certain nombre de célibataires. Pour autant promeuvent-elles réellement leur bien ? C’est ce qu’il nous faut maintenant évaluer. Nous nous centrerons sur les arguments avancés en faveur du célibat non-choisi qu’OB désire qualifier d’ouvert, puis sur la thèse elle-même4.

1 L’identité du célibataire est l’identité baptismale

Le premier argument en faveur d’une identité positive du célibat chrétien est développé au terme du chapitre 3. Systématisons le propos. « Le Christ, inaccompli en sa vie charnelle, conduit à leur accomplissement des hommes » et « des femmes » (p. 84). Or, « chaque célibataire chrétien » est « sans conjoint ni descendance ». Il est donc « associé à ce mystère » du Christ et à son accomplissement (p. 85), au point que, « au creux de leur redoutable inaccomplissement, ils deviennent en réalité ‘les plus accomplis des enfants des hommes’ (Sg 9,6) » (p. 86). Prévenant l’objection selon laquelle le célibat consacré s’oppose au célibat ouvert en ce que le premier est voulu et le second subi, OB répond en distinguant deux conceptions de l’alliance avec Dieu : conjugale ou matrimoniale ; et l’autre, non qualifiée, mais qui vaut pour celui qui vit « le célibat non voulu, consenti et peu à peu assumé » (p. 87). Or, cette alliance s’enracine dans le baptême. Dès lors, OB peut introduire sa thèse sur « la gracieuse consistance de l’être-célibataire » (p. 87-88. Les citations qui suivent sont tirées de ce paragraphe) : « l’identité humaine » du célibataire chrétien « est purement et simplement baptismale ». Il en déduit trois affirmations. D’abord, « en toute rigueur d’analyse, il [le célibataire chrétien] n’est pas vraiment célibataire », puisqu’il se définit par l’alliance dans le Christ. Ensuite, « le célibat ouvert trouve ici sa consistance propre et positive » et cesse de se définir négativement « comme une absence de mariage, de consécration ou de sacerdoce » ou comme un être inachevé (« le célibataire chrétien n’est donc ni ‘inaccompli’ (…), ni stérile »). Enfin, comme toute identité chrétienne se fonde sur le baptême, le célibat « se révèle comme “l’identité source” », de sorte que « ce serait aux consacrés, aux clercs et aux mariés de se situer par rapport aux célibataires, et non l’inverse ».

Nous reviendrons plus bas sur cette définition strictement positive du célibat. Notons pour l’instant d’abord que la pointe de l’objection qu’OB anticipe porte sur le caractère voulu ou subi du célibat, et est d’ailleurs énoncée par une célibataire consacrée ; or, la réponse porte sur la différence entre alliance matrimoniale et non-matrimoniale, non pas sur la question de la liberté ; elle n’éclaire donc pas la difficulté. Par ailleurs, le baptême ne définit pas la condition du célibataire, mais du chrétien. C’est ainsi qu’un nouveau-né qui vient d’être baptisé n’est pas, en toute rigueur de terme, un célibataire (cf. plus bas). Si la langue, dans sa sagesse qui est souvent plus grande que la nôtre, a inventé le terme « célibataire », c’est pour désigner un état spécifique apparaissant à un âge de la vie, l’âge adulte, différent de celui général de la commune humanité ici élevée à la grâce baptismale. Enfin, il faut croire que cette approche de l’identité du célibataire par le baptême n’est pas suffisante, puisque, plus loin, OB ajoute, hésitant : « Qu’en est-il du consentement au célibat ouvert ? S’agit-il seulement d’une réponse à la vocation baptismale commune ? Ou bien peut-on parler à son sujet d’une réponse à une vocation plus spécifique ? Pour notre part, nous sommes enclins à penser qu’il s’agit d’un appel dans l’appel, d’une vocation distincte à l’intérieur de la grande vocation baptismale » (p. 154-155).

2 Les cinq critères

Un autre argument en faveur du statut positif du célibat réside dans les cinq composantes par lesquels OB définit l’état de vie (chap. 6) : il qualifie l’être ; il présente une « réelle stabilité » ; il est « un engagement volontaire » ; il est la « réponse à un ‘appel’ du Christ » ; il est institutionnalisé, donc reconnu et repérable socialement (p. 136-137). Or, selon le prêtre bruxellois, ces critères qui valent pour le mariage et la vie consacrée s’appliquent aussi au célibat ouvert.

Il est stimulant et rigoureux qu’OB propose des critères. Toutefois, ils sont imprécis et insuffisants.

1. Le deuxième critère (la stabilité ou la durabilité) est imprécis. Il l’est d’abord en soi : à partir de quelle durée un état est-il stable ? Si on l’appliquait à certaines professions et en croisant ce critère avec les quatre autres, l’on pourrait identifier celles-ci à un état de vie, ce qui ferait éclater la quadripartition proposée par OB (célibat ouvert, mariage, consécration, prêtrise). Ensuite, ce critère est imprécis dans son application au célibat. Qu’en est-il de la consistance psychologique de ce critère ? Quel célibataire ouvert se vit-il comme fixé de manière « stable » et « durable » dans son état ? Dès qu’il voit la personne qui pourrait être la femme ou l’homme de sa vie, il ne se voit plus en rien célibataire.

En fait, le flouté du critère tient à une raison qui, elle, est très précise et semble embarrasser OB : il se refuse (à juste titre) d’identifier la durabilité à l’irréversibilité. Or, primo, ce refus crée une dissymétrie entre les deux autres états de vie qui, eux, sont définitifs ; secundo, cette irréversibilité est le seul critère objectif qui puisse donner une consistance à la stabilité. Bref, le célibat non choisi est par nature un état instable. C’est ce qui en fait la souffrance ; c’est aussi ce qui en fait la chance : il peut constamment basculer vers le mariage.

2. L’on retrouve la même imprécision dans le critère institutionnel. OB propose différents exemples pour le rendre moins abstrait. L’un d’eux, qui donne le titre au paragraphe, est « la pendaison de crémaillère » (p. 156-157). Or, ce qui en est dit, et qui paraît, en effet, très utile, n’est rien d’autre qu’un conseil éthique autant que psychologique : apprendre à vivre de manière autonome dans un « chez-soi bien à soi », avant d’entrer dans une véritable interdépendance. Mais un lieu de vie ne peut constituer un critère institutionnel.

3. Enfin et surtout, ces critères sont insuffisants. Il manque un critère essentiel, qui est d’ordre objectif et inscrit dans la création : l’appel à donner la vie qui, bien évidemment, n’est pas séparable de l’appel à la communion conjugale. Autrement dit, il y a en l’homme une inclination naturelle au mariage5. L’on pourrait même dire que ce critère entre aussi en ligne de compte dans la vocation consacrée, puisque celle-ci suppose un renoncement explicite à cette finalité naturelle. L’argumentation d’OB pèche donc par subjectivisme.

3 La thèse : l’état de vie

Pas plus que les arguments, la thèse ne paraît satisfaisante.

a Célibataire et célibat

L’ouvrage entretient une confusion entre deux réalités ou deux plans de réalités : le célibataire et le célibat, autrement dit la personne et son état de vie. C’est ainsi que dans le paragraphe important des pages 87-88 résumé ci-dessus, OB oscille constamment entre « célibat » et « célibataire ». Or, tout ce qui est dit du célibataire ne peut pas être dit du célibat.

D’une part, le célibataire est une personne qui, comme toute personne, est éminemment positive et infiniment respectable. De ce point de vue, OB fait œuvre pie : il pointe du doigt tous les jugements réducteurs et donc blessants que, trop souvent, personnes mariées ou consacrées portent sur les single – jugements que, malheureusement, certains célibataires intériorisent.

D’autre part et en revanche, le célibat est une réalité et une réalité négative, car privative. L’essai d’OB cherche à lui donner une définition, donc une essence, qui, selon lui, est positive. Mais le terme lui-même a été inventé pour désigner une personne adulte en âge de se marier et qui ne l’est pas. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire d’un nourrisson qu’il est célibataire. En tout cas, l’information ne serait pas pertinente, car elle serait redondante. C’est ce que montrent tous les dictionnaires français qui font autorité6. Ainsi le CNRTL note que l’antonyme de célibataire est « marié ».

b La souffrance objective et subjective du célibat

Il faut dire plus. Si l’état de célibat est une réalité d’essence privative, le célibataire ne peut pas ne pas le vivre comme un manque, donc douloureusement. Et cette souffrance est bien la preuve, la signature affective, que le célibat n’est pas une réalité positive. Nous touchons ici peut-être le point le plus important.

D’abord, la grande majorité des célibataires vit le célibat comme une privation et une souffrance. Ce constat est vrai pour ceux qui ont quarante ans et plus, mais cela est aussi vrai pour ceux qui sont plus jeunes. Il se vérifie pour les femmes d’abord, parce que, souvent, elles sont affectivement plus connectées et biologiquement plus incarnées ; mais il vaut aussi pour les hommes, surtout aujourd’hui où le travail professionnel cesse d’être le tout de leur vie et où ils entrent dans une plus grande intelligence émotionnelle.

L’on objectera qu’un certain nombre de solos ne souffrent pas de leur célibat ni même de la solitude. Et ce qui, autrefois, était surtout vrai des hommes, l’est aujourd’hui des femmes. Je répondrai que cette approche est, derechef, subjectiviste. Que l’on ne souffre pas subjectivement d’un manque ne signifie pas que ce manque n’existe pas objectivement. Ainsi, un célibataire insensible à ces manques objectifs devrait s’interroger sur les mécanismes par lesquels il les occulte. Il en est d’ailleurs de même, mutatis mutandis, du célibataire consacré. Le déni de ces manques, observait Albert Chapelle, peut conduire le prêtre à un véritable activisme compensatoire7. De plus, la tendance spiritualiste conduit à recycler la vie spirituelle pour refouler les béances et anesthésier la souffrance, ainsi que Macha Chmakoff l’a finement montré8.

c Une double rupture

Ainsi, la proposition d’OB introduit une double rupture délétère.

La première est un hiatus entre privation objective et souffrance subjective. Nous venons de le dire : tout en entendant avec compassion les souffrances des célibataires (par exemple, p. 72), OB s’interdit de les comprendre en leur spécificité. C’est parce que le célibat se définit comme une absence de mariage (ou de consécration) qu’il prive la personne célibataire de ces immenses joies que sont la communion conjugale et la procréation – sans rien dire de ce surcroît qu’est le plaisir sexuel dont on sait la place qu’il a pris aujourd’hui. Précisons seulement que ne pas affirmer que le célibat est, de par sa nature, une privation de l’accomplissement de notre destination naturelle au mariage, c’est frustrer le célibataire de la clé expliquant sa souffrance. C’est le conduire à nommer d’autres causes, ce qui peut être culpabilisant, ou à fuir et nier sa souffrance, ce qui est déshumanisant.

La seconde est une coupure entre la nature (la création) et la grâce. En effet, OB ne cesse de revenir à ce qui est son intuition source : le célibataire chrétien se définit à partir du baptême et seulement du baptême (et de la confirmation). Mais c’est oublier, d’abord, que celui-ci est l’origine de la vie chrétienne et non pas son achèvement. Ensuite, que cet accomplissement se fait dans un état de vie, dont deux sont sanctionnés par un sacrement : le mariage et le sacerdoce (qui, pour les latins, implique un renoncement au mariage). Or, des sept sacrements, le mariage est le seul qui soit fondé sur une réalité naturelle ; voilà pourquoi existe un mariage civil. Donc, ne définir le célibataire chrétien qu’à partir du baptême, c’est compter comme peu de chose, en termes techniques, c’est considérer comme accidentel, l’enracinement objectif dans la création. C’est faire de l’appel naturel, donc universel (ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas des exceptions), au mariage, une réalité indifférente, négligeable. En se polarisant sur le seul baptême et en mettant de côté cet appel au mariage qui est, sinon conscient, du moins latent dans le cœur du célibataire, OB propose une vision spiritualiste du célibat et sépare donc indûment et abstraitement la grâce de la nature.

d Deux confirmations

De tout temps, l’apprentissage de la vertu de chasteté a été difficile. Le Catéchisme de l’Église catholique parle d’un « combat pour la pureté9 ». De ce point de vue, la vieille doctrine du mariage comme « remède à la concupiscence » n’est pas obsolète, même si elle doit être revisitée pour ne pas sombrer dans l’utilitarisme (le droit sur le corps de l’autre, etc.) ou le pessimisme. Or, dans le contexte érotisé et permissif d’aujourd’hui, grande est la tentation, notamment pour la jeune génération de célibataires, mais aussi pour les plus anciens, d’abandonner ce combat, parfois héroïque, pour la chasteté. Donc, parler d’une vocation au célibat ouvert, c’est favoriser la tendance actuelle si délétère à l’éclatement des différentes facettes de la sexualité.

Il en est de même pour le don de soi. Il est bien plus aisé de se donner dans le cadre vertueux offert par le mariage ou la vie consacrée que dans la vie de célibataire qui est solitaire. Donc, affirmer que l’appel au don de soi, qui est consubstantiel à l’homme et, plus encore, au chrétien, est autant vécu par le célibataire non-choisi, c’est faire fi de l’incarnation, du milieu concret du mariage qui est par nature porteur de vertu (par exemple, comment élever un enfant sans se donner, un minimum, à lui ?), et donc, à nouveau, faire une proposition abstraite, hors-sol.

e Trois adjectifs discutables

Ajoutons trois mises au point qui sont plus que lexicales.

1. Tout d’abord, OB souligne à l’occasion que l’expression « état de vie » doit être prise en un sens analogique. L’usage de cet adjectif me semble impropre. D’abord, en toute rigueur, un terme analogue se structure à partir d’un premier analogué (analogatum princeps). Or, jamais OB n’en parle. Et on ne voit pas comment, même enraciné dans le baptême (qui, répétons-le, ne fonde pas le célibat comme célibat), ce pourrait être l’état de célibataire, qui est si peu stable et si peu institutionnel. Ensuite, OB applique ses cinq notes distinctives de l’état de vie aux quatre états de vie qu’il souhaite distinguer (mariage, prêtrise, vie religieuse, célibat ouvert). Il y a donc univocité et non pas analogie10.

2. OB répète volontiers que le célibataire est inaccompli, mais que cette caractéristique vaut tout autant pour chaque état de vie. Je répondrai en distinguant deux sortes d’inaccomplissement : objectif et subjectif. Subjectivement, chaque personne vivant un état de vie est toujours en deçà de l’achèvement (l’idéal, la sainteté) de ce à quoi elle est appelée. En revanche, objectivement, celui qui a choisi un état de vie (le mariage ou la virginité, entendue comme consacrée) s’y est engagé, donc a déjà posé un acte irréversible de grande portée et, de plus, n’a pas à attendre un autre état de vie : il est, institutionnellement, publiquement, extérieurement, donc objectivement, constitué dans un état qui est accompli. Il n’en est pas du tout de même du célibat non-choisi. Ainsi, le religieux ou le prêtre est accompli objectivement (au sens dit) et inaccompli subjectivement, mais le célibataire est inaccompli objectivement et subjectivement.

3. Interrogeons enfin le qualificatif d’ouvert. En l’introduisant, OB ne le définit pas. L’on peut supposer que l’ouverture s’identifie à la disponibilité, donc désigne la possibilité de se marier ou non, de se marier avec tel(le) ou tel(le). Or, celui qui est disponible n’est pas fixé (dans le choix d’un état de vie ou dans le choix d’un conjoint) et c’est à raison de cette non-détermination qu’il est ouvert. Le terme apparemment positif d’ouvert recouvre donc une négation qui ne s’avoue pas11.

4 Conclusion

La thèse selon laquelle le célibat dit ouvert serait un état de vie à part entière et donc bénéficierait d’un statut positif, paraît contraire non seulement à l’expérience de la majorité des célibataires, mais à la notion d’état de vie. C’est ce qu’établit un propos éclairant du pape Jean-Paul II qui, malheureusement, n’a pas été repris par OB, alors qu’il jouit d’une véritable autorité magistérielle12 :

Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26) : en l’appelant à l’existence par amour, il l’a appelé en même temps à l’amour.

« Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16) et il vit en lui-même un mystère de communion personnelle d’amour. En créant l’humanité de l’homme et de la femme à son image et en la conservant continuellement dans l’être, Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacité et la responsabilité correspondantes, à l’amour et à la communion. L’amour est donc la vocation fondamentale et innée de tout être humain. (…)

La Révélation chrétienne connaît deux façons spécifiques [proprios modos] d’accomplir [implendi] la vocation à l’amour de la personne humaine, dans son intégrité : le mariage et la virginité. L’une comme l’autre, dans leur forme propre, sont une concrétisation de la vérité la plus profonde de l’homme, de son ‘être à l’image de Dieu13.

Pascal Ide

Fr – 75007 Paris

Réponse d’Olivier Bonnewijn

Dans son compte rendu, Isabelle Payen de la Garanderie a bien mis en lumière le projet de mon essai : « penser vraiment le célibat et les célibataires, en les écoutant en vérité, avec attention mais sans commisération (…) et remonter aux questions théologiques ». En suivant cette méthode inductive, j’ai peu à peu découvert qu’on pouvait parler d’un authentique état de vie à leur sujet, moyennant le respect de certaines conditions. Je ne pense donc pas que le célibat chrétien soit une réalité purement « négative, car privative » comme l’affirme Pascal Ide, une réalité qui serait objectivement caractérisée par un manque de don total de soi à l’autre et à l’Autre.

L’expression « état de vie chrétien » possède une histoire aussi complexe que nuancée qui mériterait d’être davantage explorée et mesurée à l’aune de l’Écriture Sainte et de la récente tradition conciliaire. Elle ne peut pas être figée dans un concept élaboré par tel ou tel auteur, aussi éminent soit-il.

Pour ma part, il m’a semblé que l’usage d’une telle expression pouvait - et même devait - être reconnu aux célibataires selon une dynamique analogique (dans le sens courant du terme). Le célibat chrétien en effet partage avec les autres états de vie plusieurs points communs, parmi lesquels celui de la stabilité, élément plus essentiel au terme « état » (en son sens commun) que celui d’irréversibilité.

Bien entendu, la stabilité des célibataires chrétiens n’est pas la même que celle des non célibataires. Elle est marquée, pour nombre d’entre eux, par le désir de contracter une alliance matrimoniale ou d’entendre un appel à la vie consacrée. Aussi est-elle une stabilité ouverte et disponible à un changement d’état. Mais elle n’en est pas moins réelle et consistante quand elle est vécue par des célibataires baptisés, confirmés, engagés, participant à l’Eucharistie. Elle est intimement constituée par un don total, magnifique et humble, des personnes concernées, hic et nunc, dans les conditions concrètes de leur existence naturelle (cf. mon chapitre 2 sur la solitude d’Adam) « surnaturalisée ».

Je ne partage donc pas la thèse de fond qui sous-tend la critique de Pascal Ide, exprimée dans son ouvrage Célibataires, Osez le mariage ! :

L’homme « se trouve dans le don sincère de lui-même », dit le Concile Vatican ii. Et ce don se concrétise seulement de deux manières (c’est nous qui soulignons) : le mariage et le célibat consacré14.

Bien volontiers, je reconnais que les cinq critères qui dessinent selon moi les contours de l’état de vie célibataire demanderaient à être affinés. Cet essai - j’en suis conscient - a besoin d’être débattu et approfondi à plusieurs niveaux. Et je remercie Pascal Ide d’y contribuer à sa manière. En ce qui me concerne, je suis et demeure convaincu au terme de ma recherche qu’une approche positive du célibat ouvert chrétien est pleinement légitime, nécessaire et fondamentale. Il ne s’agit pas seulement d’une démarche de bienveillance pastorale, mais d’un devoir de justice.

Olivier Bonnewijn

BE - 1190 Bruxelles

Notes de bas de page

  • 1 Sans aller jusqu’à la caricature du Dictionnaire des idées reçues. G. Flaubert (lui-même célibataire endurci) y écrit, à l’entrée « Célibataires » : « Tous égoïstes débauchés. – On devrait les imposer. – Se préparent une triste vieillesse. » (cité par J.-C. Bologne, Histoire du célibat et des célibataires, Paris, Fayard, 2004, p. 276). On lira plutôt les témoignages émouvants rassemblés par C. Lesegretain, Être ou ne pas être célibataire, coll. Enquêtes, Versailles, Saint-Paul, 1998 (recension par A. Mattheuws, NRT 124, 2002, p. 305).

  • 2 J.-C. Bologne, Histoire du célibat et des célibataires (cité n. 1), p. 414.

  • 3 Voir NRT 142 (2020), p. 517 (recension d’A.-M. Petitjean).

  • 4 Nous nous limiterons à deux arguments. Pour une critique plus détaillée, cf. <www.pascalide.fr> : « Un autre regard discutable sur les célibataires ».

  • 5 Cette inclination se fonde sur deux propensions, à l’autre et à la vie, qui elles-mêmes s’enracinent dans notre nature, ainsi que le montre un article justement fameux de St Thomas d’Aquin (Somme de théologie Ia-IIae, q. 94, a. 2).

  • 6 Les définitions sont regroupées ou liées sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) : <http://www.cnrtl.fr/definition/>). Nous y renvoyons pour le détail.

  • 7 Cf. A. Chapelle, Sexualité et sainteté, Bruxelles, Institut d’Études Théologiques, 1977, p. 59-95 ; Id., Pour la vie du monde. Le sacrement de l’ordre, Bruxelles, Institut d’Études Théologiques, 1978, p. 361-370.

  • 8 Cf. M. Chmakoff, Le divan et le divin. Petits écueils ordinaires de la foi, Mulhouse, Salvator, 2009, p. 93-146.

  • 9 Cf. CÉC 2520s.

  • 10 Nous avons donc affaire à la distinction d’un genre en ses espèces et non à la distinction d’un signifiant en ses différentes significations.

  • 11 En termes philosophiques, l’adjectif ouvert dit concrètement ce que l’expression « en puissance » dit abstraitement. Or, la potentialité s’oppose à l’acte qui est l’achèvement. Ainsi, l’état ouvert est un état d’inaccomplissement, donc, à nouveau, un état privatif.

  • 12 OB adopte une attitude réservée et critique à l’égard du Magistère des derniers papes (p. 22-24).

  • 13 Jean-Paul ii, Familiaris consortio 11. Trad. modifiée. Précisons que le mot « virginité » est un raccourci pour virginité consacrée (cf., p. ex., no 16) et n’englobe donc pas le célibat non-choisi.

  • 14 P. Ide, Célibataires, Osez le mariage !, Paris, Saint-Paul, 1999, p. 86.

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