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De la facticité à la métaphysique : Heidegger a-t-il bien lu Augustin ?

Yves Meessen
In his cursus Augustinus und der Neuplatonismus (1921), Heidegger alleges that the reason why Augustine abandons the experience of facticial life is that he has opted for the conceptual apparatus of neoplatonism. The systematic resumption of the Heideggerian analysis shows that Augustine does not leave aside the facticity of life. This facticity reveals a metaphysics which is not based on comprehension but on conversion... a conversion which is the indispensable way towards the vision of God. It initiates a dialogal connection which is specific to faith and which invites us to lay the question of the being on new bases.

Dans son cours Augustinus und der Neuplatonismus donné à Fribourg-en-Brisgau au semestre d’été 19211, Martin Heidegger procède à la « destruction » d’Augustin2. Cette destruction est fondée sur le fait qu’Augustin délaisse l’expérience facticielle de la vie. Bien qu’il la perçoive, il opte pour l’appareil conceptuel du néo-platonisme3.

Percevoir cet enjeu nécessite de revenir préalablement au cours d’introduction à la phénoménologie de la religion (Einleitung in die Phänomenologie der Religion) donné à Fribourg le semestre d’hiver précédent (1920-1921)4. La facticité de la vie y est décrite par Heidegger comme l’expérience chrétienne primitive en attente du retour du Christ, dont saint Paul parle aux chapitres 4 et 5 de la première lettre aux Thessaloniciens5. Dans cette attente, la vie du chrétien consiste à se tenir prêt à chaque instant car « le jour du Seigneur viendra comme un voleur » (1 Th 5,2). Vivre dans l’espérance de la parousia fait de chaque instant un moment crucial, un kairos. Ce mode de vie, où la fin dernière de l’histoire est imminente, se traduit par une inquiétude salutaire. Il s’agit de vivre sans cesse en alerte lorsque les autres s’endorment paisiblement dans une sécurité illusoire (1 Th 5,3)6. Non seulement il faut renoncer à toute connaissance du moment du retour mais aussi à tout contenu objectif lié à cette venue du Christ. En cela, Heidegger se réfère à la seconde lettre aux Corinthiens où Paul renonce à se glorifier à partir des « visions et révélations du Seigneur » pour se glorifier plutôt dans les faiblesses et les angoisses (2 Co 12,1-10)7. Être sans cesse soumis aux tribulations (thlipsis) est la condition où le chrétien expérimente la puissance du Christ. « Paix et sécurité » sont antinomiques avec la facticité de la vie8.

Pour décrire la manière dont Augustin se situe par rapport à la facticité de la vie, Heidegger procède à une interprétation phénoménologique de l’ensemble du livre X des Confessions. Le jeune professeur de Fribourg relève que, pour Augustin, la recherche de Dieu se mue aussitôt en recherche de la vie bienheureuse9. Cette recherche ne correspond pas à un « contenu » (Gehalt) déterminé mais à la manière dont elle s’accomplit : « comment fais-je donc pour te chercher ? »10. Cependant, cette question est rapidement délaissée pour une autre : « où demeures-tu ? »11. On passe ainsi de la modalité du quomodo (wie ?) à la modalité du ubi (wo ?)12. Dans ce passage, la caractéristique propre à l’expérience de la vie facticielle est abandonnée. En effet, comme l’explique Heidegger, la réponse à la question wo appelle à situer Dieu dans un lieu spécifique et, de la sorte, à le positionner comme objet du « voir » (Sehen). De plus, cette conception objective de Dieu est rapprochée de la dialectique uti/frui13, qui s’établit sur la distinction néo-platonicienne entre le visible et l’invisible. Les choses visibles sont à utiliser (uti) en vue de l’unique et souverain bien, invisible, dont on peut seul jouir (frui)14. Heidegger rejette ce système de hiérarchisation des valeurs où les biens sont comparés à Dieu comme summum bonum. Jouir de la contemplation de Dieu (fruitio dei) revient à renoncer à l’inquiétude qui caractérise l’expérience de vie du croyant. De là à suggérer qu’Augustin s’établit dans le quiétisme, il n’y qu’un pas15.

Cette destruction d’Augustin est un des premiers jalons de la vaste entreprise de dénonciation de la métaphysique occidentale à laquelle Heidegger donnera le nom d’« onto-théologie »16. La critique principale de Heidegger porte sur le « dimorphisme »17 de cette métaphysique qui « représente d’une double manière l’étantité de l’étant : d’abord la totalité de l’étant comme tel, au sens de ses traits les plus généraux (on katholou koinon) mais en même temps, la totalité de l’étant comme tel au sens de l’étant le plus haut et, partant, divin (on katholou, akrotaton, theion) »18. Cette métaphysique fait donc se conjoindre deux pensées de l’unité, l’une se rapportant à l’être comme le fond de tous les étants (ontologie), l’autre se rapportant à Dieu, l’Étant suprême, comme la raison de la totalité (théologie)19. Dans cette onto-théo-logie, la différence entre l’être et l’étant reste « impensée »20 puisque l’être et l’étant sont séparés en deux régions distinctes, l’être se situant « derrière » l’étant. Or, comme cette « différence » est l’objet propre de la phénoménologie, il est clair que la métaphysique laisse la question fondamentale de l’être dans l’oubli.

La « scission » (chôrismos) de l’être et de l’étant en deux régions, l’ici-bas et l’au-delà21, dans laquelle la facticité de la vie est abandonnée, va de pair avec une identification du « penser » et du « voir ». Heidegger dégage cette « remarquable primauté du ‘voir’ », telle qu’il la qualifie dans Sein und Zeit22, à partir des descriptions phénoménologiques d’Augustin concernant la concupiscence des yeux, la curiositas23. En effet, Augustin n’hésite pas à déclarer que le terme « voir » est utilisé pour tous les autres sens lorsqu’il est appliqué à « connaître »24. Mais cette constatation permet-elle de conclure aussitôt à l’élaboration d’une métaphysique du « voir » adéquate à un « être-constamment-sous-les-yeux »25 ? Augustin est-il vraiment le précurseur de la théologie médiévale, et ensuite de la philosophie de Hegel, Schelling et Nietzsche, comme le présente Heidegger ?

Étant donné l’enjeu de cette question, il ne nous semble pas inopportun de revenir sur l’interprétation heideggérienne du livre X des Confessions. Cette interprétation propose certains raccourcis qui laissent dans l’ombre des axes essentiels de la pensée d’Augustin. Parmi ces axes, nous reviendrons sur les plus déterminants. Primo, Augustin développe une dialectique de la foi et de la vision basée sur la dissemblance ontologique (I,1) qui n’abroge pas la facticité de la vie (I,2). Secundo, la métaphysique d’Augustin n’est pas « dimorphe » (II,1). Le rapport de l’être au temps se base sur l’articulation entre la stabilité et l’éparpillement qui s’explicite dans la dialectique intentio-distentio (II,2). Tertio, alors que chez Heidegger le Sichselbsthaben est la possibilité pour que la vie de l’homme advienne à elle-même (III,1), il n’en va pas de même pour Augustin qui envisage l’accomplissement humain sous le rapport convocatio-invocatio (III, 2).

I Dynamique facticielle : entre foi et vision

Pour analyser la facticité de la vie chez Augustin, il est indispensable de revenir à l’expérience de sa conversion, là où il décrit sa rencontre avec l’Ego sum qui sum. Cette expérience, qui se situe juste au centre des Confessions, au livre VII26, est la clef de lecture de l’ensemble de l’ouvrage. En proposant une interprétation du livre X sans référence à cet événement décisif, Heidegger se tient à l’écart du point de repère fondamental pour décrire l’expérience de la vie présente d’Augustin.

1 Regio dissimilitudinis

Arrivé sur le sol romain, le jeune rhéteur africain cherchait à découvrir la vérité selon le critère d’évidence des stoïciens, c’est-à-dire comme « sept et trois font dix »27. Cependant, son passage du doute à la certitude ne s’est pas fait selon ce critère d’appréhension compréhensive. En effet, Augustin n’a pas vu l’être mais il a éprouvé la distance qui le séparait de la vision de l’être : « Quand pour la première fois je t’ai connu, tu m’as soulevé pour me faire voir qu’il y avait pour moi l’Être à voir et que je n’étais pas encore être à le voir »28. La distance qui sépare Augustin de l’esse s’exprime par la terminologie de la dissemblance (regio dissimilitudinis)29. Il s’agit là d’une transposition du principe néo-platonicien selon lequel seul le semblable peut connaître le semblable30. Augustin se permet cet emprunt par rapprochement avec l’Écriture où il est affirmé : « Ce que nous serons n’est pas encore apparu ; nous savons que lorsque cela apparaîtra nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3,2)31. Les deux seules références de ce verset johannique dans les Confessions se trouvent au livre XIII : « Quelle lumière que celle de la vision ! lorsque ‘nous le verrons comme il est’, et que seront passées les larmes devenues mon pain, le jour et la nuit, pendant que l’on me dit chaque jour : Où est ton Dieu ? »32 et : « Mais quand cela sera apparu, ‘nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons comme il est’. Le voir comme il est, Seigneur, c’est notre lot à tous, qui n’est pas encore à nous »33.

La tonalité qui domine le passage d’où est tirée la première citation de l’épître johannique est celle de l’espérance, dans une expérience où s’entremêlent à la fois le désir et les larmes. L’espérance est basée sur la dynamique de la foi qui est appelée à la vision34 : « Et pourtant jusqu’ici nous sommes par la foi, pas encore par la vision (2 Co 5,7). ‘Car nous avons été sauvés en espérance. Mais l’espérance qui est vision n’est plus espérance’ (Rm 8,24) »35. Espérer est une tension qui ne peut se vivre qu’à condition de ne pas voir encore ce qu’on espère. Cette tension se base sur la foi. Augustin décrit donc une facticité de la vie qui s’organise autour de cette tension dialectique entre foi et vision. Elle s’exprime par une humeur fondamentale, osons dire une Stimmung : le gémissement, qui va du soupir au cri. L’ami de l’époux soupire36 parce qu’il doit traverser sans cesse des épreuves, verser des larmes, avant d’arriver à la « vision » (species). Plus que soupirer, l’âme gémit comme le cerf altéré du psaume 41. Ce gémissement se transforme en un cri abyssal, ontologique : abyssus abyssum invocat (Ps 41,8). Ce cri, cette invocation, est la réponse à la « voix » (voce) de Dieu qui appelle l’homme hors de l’abîme, du non-être, du rien, vers la plénitude ontologique. Dans cette tension du non-être à l’être, qui est sa facticité, la créature vit dans les larmes en s’entendant questionner : « où est ton Dieu ? »37. La question se pose bien selon la modalité du ubi et non du quomodo, mais y at-il pour autant abandon de la facticité ? Il faut d’abord constater que le croyant reprend la question à son propre compte38. Une fois posée, la question persiste. Le croyant reste un ‘questionnant’. Et dans la réponse, ce n’est pas le sens de la vue qui est déterminant, ce sens de la certitude39, mais étonnamment, le sens le plus subtil et le plus évanescent, l’odorat : « voici où tu es ! Je respire un peu en toi, quand je répands sur moi mon âme dans un cri d’allégresse et de confession où résonnent des airs de fête célébrée »40. Pour l’homme de foi, Dieu est à peine aussi perceptible qu’un parfum humé quand il le confesse et le célèbre. La seconde occurrence de 1 Jn 3,2 reprend l’expérience sensitive de l’odorat (post odorem) en mettant l’accent sur le « pas encore » de la vision41. Dans ce « pas encore », l’allégresse retombe vite car la tristesse reprend l’âme qui « sent qu’elle est encore abîme »42. Dans cette tristesse, l’âme s’accroche à la parole du psaume qui lui dit : « Pourquoi es-tu triste, mon âme, et pourquoi me troubles-tu ? Espère dans le Seigneur » (Ps 41,6)43. Espérer et persévérer (spera et persevera) dans la foi en la parole est le lot du croyant. En s’ouvrant à cette parole qui lui vient d’un autre que lui-même, le croyant s’ouvre simultanément à tous les croyants qui font la même démarche. Il devient pèlerin parmi les « pèlerins d’ici-bas » afin de devenir « fils de la lumière »44.

2 « Molestia » et facticité

Les croyants se trouvent situés dans une dynamique temporelle. Ils ne sont plus « fils de la nuit » et, s’ils sont devenus « fils du jour », c’est seulement en espérance. Dans la condition présente, tant que dure le combat entre la lumière et les ténèbres, réside une incertitude (incerto) quant à l’issue heureuse de l’existence. Pourquoi cette incertitude ? Parce que les hommes n’arrivent pas à se réjouir complètement de la vérité, et donc ne veulent pas vraiment la vie bienheureuse. Cette condition écartelée, que Heidegger épingle comme une description de la « facticité de la vie »45, est décrite au chapitre 23 du livre X des Confessions. Les hommes « aiment la vérité quand elle brille, ils la haïssent quand elle accuse »46. De ce fait, la vérité leur reste cachée alors qu’ils sont dévoilés devant elle47. L’homme n’obtiendra le bonheur que « lorsque, tout embarras cessant, celle-là même par qui tout est vrai, la seule vérité, fera sa joie »48.

Pour Heidegger, la molestia, c’est-à-dire la peine, le malaise ou le tourment (Beschwernis), caractérise la recherche de la beata vita49. Mais cette recherche se trouve en rupture avec la philosophie grecque50. De ce fait, privilégiant cette philosophie où l’homme se place face à l’être comme objet, Augustin ne maintiendrait pas cette dynamique de la molestia. Pour valider cette analyse, il faudrait montrer que la molestia n’a plus d’effet sur Augustin dès lors qu’il a fait la rencontre de l’Ego sum qui sum. Or, notre référence à son expérience fondamentale prouve le contraire. La molestia, ainsi que l’incertitude et l’inquiétude, font partie intégrante de l’expérience du croyant. La deuxième occurrence de la molestia au livre X vient corroborer cette interprétation51. Reprenant les paroles de Job, Augustin s’exclame : « N’est-elle pas une épreuve (tentatio) la vie humaine sur la terre ? (Jb 7,1). Qui veut vouloir les tracas (molestias) et les difficultés ? »52. Cette question exclamative est l’introduction à la description phénoménologique de toutes les tentations auxquelles est soumis le croyant dans sa vie présente. Augustin reste en lutte avec lui-même au point qu’il ne sait où se trouve la victoire : « Il y a lutte entre mes joies dignes de larmes et les tristesses dignes de joie ; de quel côté se tient la victoire, je ne sais. Il y a lutte entre mes tristesses mauvaises et les bonnes joies ; et de quel côté se tient la victoire, je ne sais »53.

La question de Job revient régulièrement chez Augustin54. Dans une homélie sur l’Évangile de Jean, elle débouche directement sur la dialectique foi/vision : « … dans la foi, l’espérance et la charité pendant leur pèlerinage en ce siècle et, au milieu des tentations (tentationibus) pénibles et dangereuses de celui-ci […] marcheraient vers la vision de Dieu, en suivant le chemin que le Christ est devenu pour eux »55. La condition actuelle des croyants, au milieu des tentations, est conçue comme un pèlerinage vers un but : la vision de Dieu. Dès à présent, l’Église « connaît deux vies […] : l’une est dans la foi, l’autre dans la vision ; l’une est dans le temps du pèlerinage, l’autre dans l’éternité de la demeure ; l’une dans le labeur, l’autre dans le repos ; l’une est dans le chemin, l’autre est dans la patrie… »56. La dialectique foi/vision est loin d’être accidentelle car elle s’enracine dans la dialectique via/patria qui est le « principe de cohérence » de la pensée augustinienne57.

Dénier à l’expérience d’Augustin sa dynamique facticielle, c’est ne pas avoir reconnu l’extase temporelle corrélative à la dialectique foi/vision. L’exégèse de Jn 8,12 (« celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie ») montre bien que la vie du croyant est tendue entre un « présent » et un « futur »58. Alors que le présent est caractérisé par le mélange entre lumière et ténèbres, le futur est la promesse d’habiter dans une pleine lumière. Comme le dit un psaume qu’Augustin aime citer : « dans ta lumière, nous verrons la lumière » (Ps 35,10)59.

II Métaphysique de la conversion

De même que chez Heidegger, l’analyse existentiale du Dasein dévoile une ontologie, l’analyse descriptive d’Augustin laisse transpirer une métaphysique. Si l’on doit employer le mot ‘métaphysique’ chez Augustin, il ne peut s’agir que d’une « métaphysique de la conversion »60. Car, justement, parler de conversion, c’est aussitôt envisager la vie facticielle, une vie où la créature reste inquiète tant qu’elle n’a pas atteint la vision de l’être où se situe son repos : inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te61. Dans cette tension inquiète, l’installation devant un « être-constamment-sous-les-yeux » est directement proscrite.

1 « Esse » se dit de Dieu seul

Dans l’expérience décrite par Augustin, le « voir » (Sehen) ne s’impose pas au détriment de l’« écouter » (Hören) que Heidegger valorise comme fondement de la parole62. Augustin ne voit pas l’Ego sum qui sum, il l’entend : « Tu as crié de loin : ‘Mais si ! Je suis, moi, Celui qui suis’. Et, j’ai entendu (audivi), comme on entend (auditur) dans le cœur »63. C’est l’audition qui détermine la vision de l’existence de la vérité à partir des choses créées et non l’inverse : « j’aurais plus facilement douté de ma vie que de l’existence de la vérité, qui, ‘à travers le créé’, se fait voir ‘à l’intelligence’ »64. Augustin propose une exégèse spécifique de Rm 1,19-20, centrée sur la dépendance ontologique des créatures par rapport au Créateur : « Et j’ai regardé tout le reste des choses au-dessous de toi, et j’ai vu qu’on ne peut dire, ni absolument qu’elles sont, ni absolument qu’elles ne sont pas : elles sont à vrai dire, puisqu’elles sont par toi ; cependant elles ne sont pas parce qu’elles ne sont pas ce que tu es. Car ce qui est vraiment, c’est ce qui demeure immuablement »65. Dans son remarquable essai sur « l’ontologie théologale » de saint Augustin, Dominique Dubarle commente ce passage en soulignant la proximité de ce discours avec les « classiques considérations platoniciennes et néo-platoniciennes »66. Renvoyant aux Ennéades I 8, il propose ainsi de distinguer « l’être qui est véritablement, et qui n’est en rien mêlé de non-être » et « l’être changeant, sorte de mixte d’être et de non-être »67. Cette distinction serait une « première approche de l’ontologie de la créature » telle qu’on la trouve relayée chez saint Thomas par la distinction entre l’esse commune, qui désigne l’être des choses, et l’esse divinum, « qui n’est rien qu’être », c’est-à-dire dont l’essence est d’exister68. Pour D. Dubarle, l’ipsum esse d’Augustin serait une étape vers l’ipsum esse per se subsistens de Thomas d’Aquin, qui met avant tout l’accent sur l’actualité de l’être (actus essendi)69. Augustin n’a pourtant pas encore distingué le vocabulaire de l’esse et de l’essentia70.

Une telle solution, pour convaincante qu’elle soit face à la notion d’« onto-théologie » au sens kantien71, tombe à nouveau sous la critique heideggérienne du dimorphisme et de la causalité. Pour faire face à cette critique, il convient plutôt de rappeler que chez Augustin, Dieu seul est appelé « être » tandis que les créatures « sont » et « ne sont pas »72. Les créatures ne sont jamais appelées « étants »73. Pas plus que la diffraction par les catégories de l’ipsum esse en étants, on ne trouve la distinction entre l’esse divinum et de l’esse commune, telle qu’on la trouvera dans l’analogia entis. Tout au plus, trouve-t-on chez Augustin l’expression « les autres que l’on nomme essences ou substances »74. Cette expression est employée pour désigner ce qui peut changer par comparaison avec la « seule substance — ou essence — immuable »75, c’est-à-dire Dieu. D’où l’affirmation décisive d’Augustin : « Par là, il n’y a que ce qui ne change pas, mais surtout ne peut pas changer, pour mériter sans réserve et à la lettre le nom d’être »76.

2 Intentio-distentio

Si l’immutabilité est la première notion de l’être chez Augustin, et non la causalité77, c’est avant tout parce qu’il est impressionné par le caractère éphémère de l’existence. Selon son expression, les hommes se meuvent dans « une vie mourante ou une mort vivante »78. Cette caducité et cette inconstance de tout ce qui vit, expérimentées dès sa jeunesse, ont poussé Augustin à chercher une vie où règnent la paix définitive, la « stabilité »79. Sans la stabilitas, la créature n’est pas encore vraiment, elle est seulement dans une tension vers l’être. La question du rapport entre le temps et l’éternité, débattue au livre XI des Confessions, célèbre pour son retentissement phénoménologique80, trouve naturellement place dans ce rapport du stable et de l’instable : « qui le retiendra pour qu’il prenne tant soit peu de stabilité, pour qu’il arrive à saisir tant soit peu la splendeur de l’éternité toujours stable, à la comparer aux temps qui ne sont jamais stables ? »81.

Après un long questionnement, Augustin aboutit à la conclusion que l’homme mesure le temps par l’activité de la mémoire82. Par un triple effort de mémoire (expectatio, attentio, memoria)83, l’esprit humain arrive à surmonter la distension temporelle (distensio)84 sur une courte période, par exemple la durée d’un poème ou d’un chant85. Augustin élargit alors cette explication de la réalité du chant à la vie entière de l’homme et ensuite à tous les hommes à travers les siècles86. Mais ce saut quantitatif est également accompagné d’un saut qualitatif. Par lui-même, l’homme n’est pas capable de surmonter la distensio de sa vie : « je me suis éparpillé dans les temps dont j’ignore l’ordonnance et les variations tumultueuses mettent en lambeaux mes pensées »87. Si un homme seul éprouve tant de difficulté à s’unifier, le rassemblement de tous les hommes dans l’unité est une tâche bien plus impossible encore à vue humaine. Il faut donc que l’unité des hommes, en eux-mêmes et entre eux, leur soit accordée par un autre. D’où la nécessité du « Médiateur entre toi, qui es un, et nous qui vivons multiples dans le multiple, à travers le multiple »88. Cependant, si le Médiateur est nécessaire, l’homme n’en demeure pas moins le libre collaborateur du « rassemblement dans l’Un » puisque, à l’instar de Paul qui a été saisi par Dieu (Ph 3,12-14), il poursuit son chemin « dans un effort non pas de distension mais d’intention »89. En fait, ici, l’effort ne consiste plus à surmonter le temps en colligeant le passé et le futur dans la mémoire mais bien à se détourner des choses transitoires pour se tourner vers la voix qui l’appelle en haut, c’est-à-dire au-dessus de tout ce qui passe.

Lorsqu’en 1924, dans la conférence Der Begriff der Zeit90, Heidegger se pose la question « qu’est-ce que le temps ? », il s’engage d’abord vers la réponse aristotélicienne, selon la conception spatiale liée au mouvement91. Mais c’est le livre XI des Confessions, au chapitre 27, qui lui permet de thématiser le rapport de la temporalité et du Dasein. La critique de Heidegger à l’endroit d’Augustin se situe dans le prolongement du cours de 1921. Bien qu’il perçoive l’intimité du temps à l’existence humaine92, Augustin abandonne son questionnement en ramenant cette intimité à la mesure du « je », et donc à l’intentionnalité : « c’est elle (l’impression que les choses en passant font dans l’esprit) que je mesure quand je mesure les temps »93. Comme le montre Philippe Capelle, Heidegger reprend la dialectique intentio-distensio mais en opérant un déplacement94. Alors que chez Augustin, l’intentio désigne la tension vers Dieu en qui l’homme trouve son accomplissement, Heidegger y lit l’« anticipation » (Vorlaufen) de l’extrême possibilité du Dasein : son « être-pour-la-mort ». Cette lecture est due à la confusion entre les notions de distensio et d’aversio, distinctes chez Augustin95. Dans cette confusion se perçoit l’influence de la lecture luthérienne qui solidarise la finitude humaine et la condition pécheresse96.

Pour Heidegger, la distensio correspond à la temporalisation de l’être qui doit être surmontée par une présence totale du temps à l’être. Cette « co-appartenance » (Zusammengehörigkeit)97 de l’être et du temps ne laisse aucune place à l’altérité au cœur de l’être, et donc aucune place à la conversio. Or, pour Augustin, l’échange de parole et d’écoute entre le Créateur et la créature est décisif au point qu’il suscite une métaphysique distincte de la métaphysique grecque.

III Vers quelle possibilité ?

Dans le dernier paragraphe (§ 17) du cours Augustinus und der Neuplatonismus, la question qui intéresse Heidegger chez Augustin est : Was bin ich ? Quaestio mihi factus sum ?98. Cette interpellation de l’homme à lui-même traduit un gauchissement de la question existentielle qu’Augustin adresse à Dieu : « Mais toi, Seigneur mon Dieu, entends, regarde, vois, aie pitié, guéris-moi, toi sous les yeux de qui je suis devenu pour moi-même un problème ! Et voilà bien mon mal ! »99. Augustin n’est devenu une quaestio pour lui-même que sous le regard de Dieu. Le problème qui se pose au nouveau converti n’est pas d’abord la compréhension de soi mais la tentation par laquelle il risque de se détourner de Dieu. À elle seule, cette différence dans la manière de poser la question est capitale. Heidegger n’est pas le même questionnant qu’Augustin.

1 « Sichselbsthaben » (se-posséder-soi-même)

Le thème dominant de la fin du cours de Heidegger sur Augustin est le Sichselbsthaben. Il développe la « possibilité » (Möglichkeit) pour que la vie de l’homme vienne à elle-même100. On trouve déjà là l’articulation entre Faktizität et Möglichkeit telle qu’elle sera développée dans Sein und Zeit101. L’existence de l’homme, le fait qu’il soit , est la seule possibilité pour que l’être advienne à sa propre compréhension (Vernehmen)102. « Pris » avant de « prendre » ou de « com-prendre » — telle est sa facticité —, l’homme n’a pas d’autre possibilité que le Sich-Haben103. Dans cette conception où Sein et Sich-Haben se retrouvent conjugués, la place de l’altérité se trouve évincée au profit du « Même » (Das Selbst). Le questionnement de Heidegger, Was bin ich ?, est significatif de cette installation dans le Même104.

Il est vrai que, suite à sa Kehre, Heidegger s’orientera vers « la revendication de l’être » (Anspruch des Seins)105. Mais il en ira ainsi parce que l’entreprise du Dasein de comprendre l’être est vouée à l’échec. Dans cette tentative, le Dasein ne peut que se briser sur l’être106. De ce fait, la seule issue sera que l’être comprenne lui-même le Dasein107. Et corrélativement, que le Dasein se laisse comprendre108. Mais que ce soit l’homme qui comprenne l’être ou que ce soit l’inverse, le résultat est le Sich-Haben où l’un et l’autre sont co-propriés. Cet Ereignis (événement) qui deviendra un terme aussi important que le mot Dasein chez Heidegger109, se trouve aux antipodes de la pensée d’Augustin pour lequel l’homme et Dieu sont appelés à dialoguer. Ce dialogue est la condition sine qua non pour espérer un jour voir Dieu.

2 Vocatio-invocatio

À la question « où es-tu donc ? », question qui fait dire à Heidegger que la facticité de la vie est délaissée, Augustin répond : in te supra me110. Dans cette expression, se situe l’articulation entre immanence et transcendance. En faisant appel à l’altérité (te/me), Augustin maintient la différence entre Créateur et créature (in/supra). La présence de cette véritable altérité se manifeste par l’audition. En effet, à la question : ubi ergo manes ?, Augustin répond deux fois : « nulle part, aucun lieu » (et nusquam locus) et aussi : « partout… et simultanément » (ubique… simulque). Or, ‘quelque chose’ qui est à la fois nulle part et partout n’a pas le caractère objectif que Heidegger attribue au summum bonum111. De plus, Augustin ne parle pas de la vérité comme d’un objet à chercher mais comme d’un sujet à qui il s’adresse. Augustin ne se dit pas : où ai-je trouvé la vérité mais bien : « où t’ai-je trouvé ? » (ubi ergo te inveni ?). Cette dimension dialogale est encore accentuée car la vérité est assimilée à un juge qui siège (praesidens) et qui répond (respondes) aux questions de ceux qui le consultent (consulentibus)112. Pour qualifier la relation du « je » avec ce personnage omni-présent, Augustin recourt aux mêmes verbes qu’il a utilisés pour le « Maître Intérieur »113. C’est ainsi que la « lumière permanente » (lux permanens) n’est pas vue comme une sorte de certitude fixe, mais elle est « consultée » (consulebam)114.

On touche ici au point névralgique de la pensée métaphysique d’Augustin. Cette consultation de l’homme avec celui qui habite in te supra me, est la possibilité qui lui est offerte pour parvenir à son accomplissement ontologique. Du fait qu’il est créé par une convocation, telle est sa facticité, il ne trouvera sa forme définitive que par une invocation : « Maintenant que je t’invoque, ne m’abandonne pas, puisqu’avant que je t’invoque (invocarem) tu as pris les devants et insisté par de fréquents appels de voix (vocibus) de tout genre pour que j’entende de loin et me convertisse et réponde à ton appel de voix vers moi par mon invocation vers toi (vocantem me invocarem te) »115. Le premier appel de voix désigne l’acte de création lui-même : « tu as parlé, et les choses ont été faites, et c’est dans ton Verbe que tu les as faites »116. Pour l’homme familier de la Bible, la création est liée au salut117. De ce fait, l’appel est aussi l’élection du peuple d’Israël, au sein duquel surgira le Christ. Par la venue du Verbe fait chair, la vocation de tout homme reçoit une modalité nouvelle : il s’agit d’entrer en relation avec le Verbe. Or, cette entrée en relation appelle une conversion, laquelle sera davantage une metanoïa qu’une epistrophè118. D’où le rôle déterminant de la dialectique aversio-conversio : « Mais il est bon pour lui (l’esprit créé) d’adhérer toujours à toi, de peur que la lumière qu’il a obtenue en se tournant vers toi, il ne la perde en se détournant de toi (conversione aversione), et ne retombe dans une vie semblable au ténébreux abîme »119.

* * *

Ce petit parcours invite à un constat. La critique de l’ontothéologie n’atteint Augustin que par un gauchissement de sa pensée. La reprise méthodique de l’analyse heideggérienne nous montre qu’Augustin n’abandonne pas la facticité de la vie. Cette facticité révèle une métaphysique qui n’est pas basée sur la compréhension mais sur la conversion, laquelle est le chemin indispensable vers la vision de Dieu. En se manifestant à l’homme, Dieu lui montre qu’il n’est pas encore apte à le voir. Dieu se laisse donc désirer. De ce fait, l’homme se trouve dans une tension inquiète car il ne peut anticiper sur l’issue de sa vie. Dans cette tension, il est invité à se tourner vers Dieu et à entrer en dialogue avec lui. Cette phénoménologie s’exprime dans une métaphysique où la différence ontologique n’est pas pensée comme une disjonction entre « ici-bas » et « là-haut ». La différence s’exprime avant tout par le rapport je-tu, lequel se déploie au cœur même de l’être. Ce rapport dialogal, spécifique à la foi, ne nous invite-t-il à revisiter les « grands genres »120 pour revoir ce qu’il en est du mouvement et du repos, du même et de l’autre, et pour oser nous poser à nouveau la question éminente entre toutes : qu’est-ce que l’être ?

Notes de bas de page

  • 1 Heidegger M., Augustinus und der Neuplatonismus (1921), dans Id., Gesamtausgabe (GA 60), Frankfurt am Main, V. Klostermann, 1995, p. 157-299. Ce cours n’est pas paru en version française. [La rédaction de la NRT s’est chargée de traduire les extraits de GA 60 cités par l’auteur].

  • 2 Au terme Zestörung, qui serait une annihilation pure et simple, Heidegger préfère le terme Destruktion, qui est davantage une mise à découvert des « structures » de la métaphysique. Cf. Grondin J., Introduction à la métaphysique, coll. Paramètres, Montréal, Pr. de l’Université, 2004, p. 300-301.

  • 3 Cf. quelques études sur la question : Pögeller O., Der Denkweg Martin Heideggers, Pfüllingen, Gunther, 1963 ; tr. fr. par M. Simon, La pensée de Martin Heidegger. Un cheminement vers l’être, Paris, Aubier, 1967, p. 47-59 ; de Andia Y., « Réflexion sur les rapports de la philosophie et de la théologie », dans Mélanges de Science Religieuse 32/3 (1975) 133-152, particulièrement p. 144-146 ; Capelle Ph., Philosophie et théologie dans la pensée de Heidegger, coll. Philosophie & Théologie, Paris, Cerf, nouv. éd., 2001, p. 56-58, 184-187.

  • 4 Heidegger M., Einleitung in die Phänomenologie der Religion (1920-21), GA 60, 1-156.

  • 5 GA 60, 98-105.

  • 6 GA 60, 103.

  • 7 GA 60, 100.

  • 8 « Pour la vie chrétienne, il n’y a aucune sécurité : la constante incertitude est aussi la caractéristique des signifiances de fond de la vie facticielle » (GA 60, 105).

  • 9 « Et donc la question comment est-ce que je cherche Dieu devient la question comment est-ce que je cherche la vie éternelle » (GA 60, 193).

  • 10 Quomodo ergo te quaero ; Conf. X, 20, 29 ; BA 14, 192-193. – « Chercher la vie, chercher la vie bienheureuse, et non un contenu ; la recherche elle-même a donc un sens relationnel propre, si bien que l’accomplissement [de cette recherche] est décisif » (GA 60, 193, n. 3).

  • 11 Ubi manes ; Conf. X, 25, 36 ; BA 14, 204-205.

  • 12 « La question est-ce que je trouve Dieu, se transforme en discussion sur les conditions de l’expérience de Dieu et pointe vers le problème : que suis-je moi-même ; si bien qu’à la fin, la même “question” ne consiste qu’en une forme d’accomplissement différente » (GA 60, 204).

  • 13 Cf. « Ergänzungen aus der Nachschrift von Oskar Becker. 2. Uti und frui », GA 60, 271-273.

  • 14 Sur l’utilisation de cette dialectique par Augustin, cf. Bochet I., « Frui – uti », note complémentaire 4, dans Augustin D’Hippone, De doctrina christiana, BA 11/2, 1997, p. 449-463.

  • 15 « Augustin vit et pense selon l’inquiétude qui appartient à la vie effective, mais, dans le quiétisme de la fruitio Dei, qui émane du néoplatonisme, il passe à côté de l’expérience du christianisme et devient infidèle à lui-même » (Pögeller O., Der Denkwerk… [cité supra n. 3], tr. fr., p. 52).

  • 16 Cf. Heidegger M., Identität und Differenz (1957) ; tr. fr. par A. Préau, « Identité et Différence », dans Id., Questions I, Paris, Gallimard, 1968, p. 290 (cité désormais ID). Le concept d’onto-théologie apparaît chez Heidegger dès 1930-31 dans le cours intitulé « Hegels Phänomenologie des Geistes », GA 32, p. 140.

  • 17 Heidegger M., « Einleitung zu Was ist Metaphysik ? » (1938) ; tr. fr. par H. Corbin, « Introduction à Qu’est-ce que la métaphysique ? », dans Id., Questions I, p. 41.

  • 18 Ibid., p. 40.

  • 19 « Le même Logos en tant que rassemblement, est l’Unissant, l’Hen. Toutefois, l’Hen est double : d’un côté, l’Un Unissant au sens de ce qui est partout le premier donc le plus universel et en même temps l’Un Unissant au sens suprême (Zeus) » (Id., Questions I, p. 303-304).

  • 20 Ibid., p. 295.

  • 21 « La cassure, chôrismos, est marquée entre l’étant purement apparent icibas, et l’être réel quelque part là-haut ; c’est dans cet intervalle que s’installera plus tard la doctrine du christianisme, qui en même temps, selon un changement de perspective, interprétera l’inférieur comme le créé, et le supérieur comme le Créateur ; et c’est avec les armes de l’Antiquité ainsi refondues que le christianisme se fera contre celle-ci (conçue comme paganisme), et de cette façon la dissimulera. Nietzsche a donc raison de dire : le christianisme est un platonisme pour le peuple » (Heidegger M., Einführung in die Metaphysik [1935], Tübingen, Niemeyer, 1952, p. 80 ; tr. fr. par G. Kahn, Introduction à la métaphysique, Paris, Gallimard, 1958, p. 117 ; cité désormais EM).

  • 22 Merkwürdigen Vorrang des ‘Sehens’ ; Heidegger M., Sein und Zeit (1927), Halle, Niemeyer, 1941, § 36, p. 171 ; tr. fr. par R. Bœhm et A. De Waelhens, L’Être et le Temps, Paris, Gallimard, 1964, p. 211 (cité désormais SZ).

  • 23 Conf. X, 35, 54 ; BA 14, 238-239.

  • 24 Ad oculos enim proprie videre pertinet. Utimur autem hoc verbo etiam in ceteris sensibus, cum eos ad cognoscendum intendimus ; Conf. X, 35, 54 ; BA 14, 238-239.

  • 25 Pögeller O., Der Denkwerk… (cité supra n. 3), tr. fr., p. 55.

  • 26 Conf. VII, 11, 17 ; BA 13, 618-619.

  • 27 Conf. VI, 4, 6 ; BA 13, 528-529.

  • 28 Ut viderem esse, quod viderem et nondum me esse, qui viderem ; Conf. VII, 10, 16 ; BA 13, 616-617.

  • 29 En empruntant la formule regio dissimilitudinis à Plotin (Enn. I 8, 13, 12) qui la reprend lui-même à Platon (Politique, 273 d), Augustin en renverse la signification. Pour Plotin, elle exprime le contexte de l’âme emprisonnée dans le sensible qui se découvre incapable de revenir à la vue de l’Être divin qu’elle possédait avant de chuter dans un corps. Au contraire, pour Augustin, l’âme saisit l’abîme qui la sépare de Dieu lorsqu’elle commence à entr’apercevoir son existence. Ce faisant, Augustin « propose une véritable définition du rapport creatio-conversio » (Vannier M.-A., Creatio, conversio, formatio chez S. Augustin, coll. Paradosis, Fribourg, éd. Universitaires, 1991, p. 33-34).

  • 30 Tôi homoiôi to homoion ; Enn. VI 9, 11, 31-32.

  • 31 Le Corpus Augustinianum Gissense (CD-ROM, Basel, Schwabe & Co. AG Verlag, cité désormais CAG) recense 87 occurrences de 1 Jn 3,2 dont deux dans les Confessions : XIII, 13, 14 ; 17, 18.

  • 32 Conf. XIII, 13, 14 ; BA 14, 450-451.

  • 33 Conf. XIII, 17, 18 ; BA 14, 458-459.

  • 34 Berrouard M.-Fr., « La dynamique de la foi aimante qui est appelée à la vision », note complémentaire 19, dans Augustin D’Hippone, Homélies sur l’Évangile de saint Jean, BA 73B, 454-459.

  • 35 Conf. XIII, 13, 14 ; BA 14, 446-449.

  • 36 Suspirat sponsi amicus ; Conf. XIII, 13, 14 ; BA 14, 448-449.

  • 37 Conf. XIII, 13, 14 ; BA 14, 450-451.

  • 38 Deus meus ubi es ? ; Conf. XIII, 14, 15 ; BA 14, 450-451.

  • 39 « Veritas : 1. Certitude (Sicherung), solidité ; 2. Validité durable en soi, absolue, directement un être ; les deux n’ont pas besoin d’aller de pair ; 3. Priorité de la fondation » (GA 60, 235).

  • 40 Respiro in te paululum ; Conf. XIII, 14, 15 ; BA 14, 450-451.

  • 41 Nondum ; Conf. XIII, 17, 18 ; BA 14, 458-459.

  • 42 Sentit adhuc se esse abyssum ; Conf. XIII, 17, 18 ; BA 14, 458-459.

  • 43 Conf. XIII, 17, 18 ; BA 14, 458-459.

  • 44 Conf. XIII, 14, 15 ; BA 14, 452-453.

  • 45 Fakticität des Lebens ; GA 60, 197-201.

  • 46 Amant eam lucentem, oderunt eam redarguentem ; Conf. X, 23, 34 ; BA 14, 202-203.

  • 47 Dans le jeu manifestation/voilement, se retrouve une dynamique semblable à l’alètheia heideggérienne. Cf. Capelle Ph., Philosophie et théologie… (cité supra n. 3), p. 184-185.

  • 48 Si nulla interpellante molestia de ipsa ; Conf. X, 23, 34 ; BA 14, 204-205.

  • 49 « La vie bienheureuse proprement dite, celui-là donc la possède, qui, tout embarras cessant, sans tourment, sans rien qui le retienne, sans aucune particularisation fausse, confortable et masquée, aime la vérité seule, par qui tout est vrai » (GA 60, 201).

  • 50 « La vie bienheureuse est joie, plus précisément joie de la vérité, entendue comme rapportée existentiellement à la vie bienheureuse. (Mais sur le chemin de la vérité, irruption en même temps de la philosophie grecque) » (GA 60, 201).

  • 51 Les Confessions comptent 11 occurrences du terme molestia dont 4 au livre X : 23, 34 ; 28, 39 ; 31, 44 ; 35, 55 (vérification par CAG).

  • 52 Conf. X, 28, 39 ; BA 14, 210-211.

  • 53 Conf. X, 28, 39 ; BA 14, 208-211.

  • 54 Le corpus augustinien compte 27 occurrences explicites de Jb 7,1 (vérification par CAG).

  • 55 In Io eu. tract. 124, 5, BA 75, 447.

  • 56 In Io eu. tract. 124, 5 ; BA 75, 452-453.

  • 57 Madec G., « Christus, scientia et sapientia nostra. Le principe de cohérence de la doctrine augustinienne », dans Recherches augustiniennes, t. X, 1975, p. 77-89.

  • 58 « Il a employé le présent pour ce que nous devons faire, mais il s’est servi d’un verbe au futur pour exprimer sa promesse à ceux qui feraient : ‘celui qui me suit aura’ (Jn 8,12). Il suit maintenant, il aura plus tard ; il ‘suit’ maintenant dans la foi, plus tard il ‘aura’ par la vision » (In Io eu. tr. 34, 7 ; BA 73A, 130-131. Nous soulignons).

  • 59 Le corpus augustinien compte 54 occurrences explicites du Ps 35,10 (vérification par CAG).

  • 60 « Si l’on n’envisage pas l’Immuable dans la perspective d’une métaphysique de la conversion, on tronque la définition augustinienne de Dieu-Être, car il n’est atteint qu’au terme d’un retour qui transforme l’âme à sa ressemblance, en vertu du principe selon lequel le semblable n’est connu que par le semblable » (Zum Brunn E., « L’exégèse augustinienne de ‘Ego sum qui sum’ et la ‘métaphysique de l’Exode’ », dans Dieu et l’Être. Exégèses d’Exode 3,14 et de Coran 20,11-24, Paris, Études augustiniennes, 1978, p. 141-164 ; ici, p. 146).

  • 61 Conf. I, 1 ; BA 13, 272-273.

  • 62 « L’ouïr est constitutif du discours (…) L’ouïr constitue même l’ouverture primordiale et authentique de l’être-là à l’égard de son savoir-être inaliénable ; celui-ci est ouïr de la voix amie, que tout être-là porte en lui-même » (SZ § 34, 163 ; tr. fr. p. 202).

  • 63 Conf. VII, 11, 17 ; BA 13, 618-619. Nous soulignons.

  • 64 Conf. VII, 11, 17 ; BA 13, 618-619.

  • 65 Quod incommutabiliter manet ; Conf. VII, 11, 17 ; BA 13, 618-619.

  • 66 Dubarle D., « Essai sur l’ontologie théologale de saint Augustin », dans Recherches augustiniennes, t. XVI, Paris, 1981, p. 197-288 ; ici, p. 211.

  • 67 Ibid. p. 211.

  • 68 Ibid. p. 246.

  • 69 Thomas d’Aquin, Summa theologica Ia q. 3, a. 4.

  • 70 « L’esse et l’essentia sont, l’un comme l’autre, la chose même en son être concret, conjoignant les deux signifiances, mais l’esse mettant en avant plutôt la signification de l’avoir lieu, l’essentia plutôt celle de la richesse de la consistance de la chose selon sa nature propre » (Dubarle D., « Essai… » [cité supra n. 66], p. 236).

  • 71 Cf. Kant Imm., Kritik der Reinen Vernunft, éd. Académie de Berlin, III, 420, l. 28 ; tr. A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, PUF, 1950, p. 447. Par ce terme, Kant désigne les formes de « théologie naturelle ontologisante » se rapprochant du « panthéisme ontologique » où l’être et Dieu sont assimilés dans une identification réciproque. Relevant une « méprise onto-théologique » qui est « la méconnaissance de la différence qu’il y a entre l’estin de la compréhension parménidienne et l’Est de la perception théologale augustinienne » (Dubarle D., « Essai… » [cité supra n. 66], p. 246), l’auteur démontre que l’estin parménidien englobe la totalité de l’être (compréhension ontique) tandis que l’Est augustinien est une nomination réservée à Dieu qui se distingue de l’être rencontré dans l’ensemble des créatures (différence ontique).

  • 72 Conf. VII, 11, 17 ; BA 13, 618-619.

  • 73 Vérification par CAG pour le terme ens, entis.

  • 74 Aliae quae dicuntur essentiae sive substantiae ; De Trin. V, 2, 3 ; BA 15, 428-429.

  • 75 Incommutabilis substantia vel essentia. Augustin préfère le terme essentia pour désigner Dieu que le terme sub-stantia car ce dernier connote une notion de sujet (sub-jecto) qui se tient sous ses attributs. Cf. De Trin. VII, 5, 10. Sur ce sujet, cf. Courtine J.-Fr., article « Essence », dans Vocabulaire européen des philosophies, sous la dir. de B. Cassin, Paris, Seuil/Le Robert, 2004, p. 400-414 ; ici, p. 411-413.

  • 76 De Trin. V, 2, 3 ; BA 15, 428-429.

  • 77 Non seulement la notion de causa sui est totalement absente du corpus augustinien (vérification par CAG) mais en plus Augustin adopte explicitement le principe inverse : « Rien n’existe qui s’engendre soi-même » (De Trin. I, 1, 1 ; BA 15, 88-89). L’importance de cette question appelle un développement qui pourrait faire l’objet d’une étude ultérieure.

  • 78 Vitam mortalem an mortem vitalem ; Conf. I, 6, 7 ; BA 13, 284-285.

  • 79 Conf. II, 10, 18 ; BA 13, 360-361.

  • 80 Cf. Husserl E., Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins (1905) ; tr. fr. par H. Dussort, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, coll. Epiméthée, Paris, PUF, 1964 ; Heidegger M., Der Begriff der Zeit, Tübingen, M. Niemeyer, 1989 ; tr. fr. par M. Haar, « Le concept du temps », dans Cahier de l’Herne. Martin Heidegger, 1983 ; Ricœur P., Temps et récit, t. 1, Paris, Seuil, 1983, p. 19-53.

  • 81 Conf. XI, 11, 13 ; BA 14, 292-293. Nous soulignons.

  • 82 Conf. XI, 27, 36 ; BA 14, 332-333.

  • 83 Cette analyse des trois moments de la conscience donnera lieu aux recherches husserliennes sur la protention et la rétention. Cf. Husserl E., Leçons pour une phénoménologie… (cité supra n. 80), trad. fr., p. 41-43.

  • 84 En lui donnant un sens nouveau, Augustin emprunte ce terme à Plotin pour lequel le temps n’est autre qu’un déploiement de l’activité de l’âme : « Ainsi, la distension de la vie de l’âme occupe du temps (diastasis oun zôès chronon eiche) » (Enn. III 7, 11, 41).

  • 85 Conf. XI, 28, 37-38 ; BA 14, 334-337.

  • 86 Conf. XI, 28, 38 ; BA 14, 336-337.

  • 87 Conf. XI, 29, 39 ; BA 14, 338-339.

  • 88 Conf. XI, 29, 39 ; BA 14, 338-339.

  • 89 « Mais puisque ta miséricorde est meilleure que les vies, voici que ma vie est une distension, et que ta droite m’a recueilli dans mon Seigneur, le Fils de l’homme, Médiateur entre toi, qui es un, et nous qui vivons multiples dans le multiple, à travers le multiple, afin que par Lui, je saisisse le prix, Lui en qui j’ai déjà été saisi, et que, abandonnant les jours du vieil homme, je me rassemble en suivant l’Un. Ainsi, oubliant le passé, tourné non pas vers les choses futures et transitoires mais vers celles qui sont en avant et vers lesquelles je suis non pas distendu mais tendu, je poursuis, dans un effort non pas de distension mais d’intention (non secundum distensionem, sed secundum intentionem), mon chemin vers la palme à laquelle je suis appelé là-haut pour y entendre la voix de la louange (ad palmam supernae vocationis, ubi audiam vocem laudis) et contempler tes délices, qui ne viennent ni ne passent » (Conf. XI, 29, 39 ; BA 14, 338-339. Nous soulignons).

  • 90 Cf. note 80.

  • 91 Aristote, Physique IV, II, 219a, cité dans Heidegger M., Der Begriff der Zeit (cf. supra n. 80), p. 8 ; tr. fr., p. 28.

  • 92 In te, anime meus, tempora metior ; Conf. XI, 27, 36 ; BA 14, 332-333, cité dans Heidegger M., Der Begriff der Zeit (cf. supra n. 80), p. 11 ; tr. fr., p. 29.

  • 93 Conf. XI, 27, 36 ; BA 14, 332-333, cité dans Heidegger M., Der Begriff der Zeit (cf. supra n. 80), p. 11.

  • 94 Cf. Capelle Ph., Philosophie… (cité supra n. 3), p. 208-210.

  • 95 Sur le rapprochement de la dialectique aversio-conversio avec la dialectique distensio-intentio, cf. Vannier M.-A., Creatio… (cité supra n. 29), p. 140-141. Sur le plan de l’analyse intentio-distensio, « l’interprétation de P. Ricœur dans Temps et récit, t. 1, Paris, Seuil, 1983, p. 34-53, pose question, dans la mesure où il parle de la distensio de l’âme pour caractériser son intentio. Cf. Madec G., Compte-rendu de l’ouvrage de P. Ricœur, dans REAug XXX (1984), p. 373-374 » (Ibid., p. 142, n. 85).

  • 96 Cf. Capelle, Philosophie… (cité supra n. 3), p. 210.

  • 97 Le verbe « Hören » signifie « entendre ». Le terme « Zusammengehörigkeit » désigne la « co-appartenance » de l’être et de la pensée dans le dict de Parménide. Cette « identité » dans l’appréhension passe par « la co-appartenance de l’homme et de l’être ». Cf. ID, dans Questions I, p. 257-276.

  • 98 Conf. X, 33, 50 ; BA 14, 232-233 ; cité dans GA 60, 246.

  • 99 In cuius oculis mihi quaestio factus sum ; Conf. X, 33, 50 ; BA 14, 232-233.

  • 100 « Plus la vie vient à elle-même » (GA 60, 242).

  • 101 Cf. SZ § 31, p. 143-148 ; tr. fr., p. 178-184. Sur cette articulation « facticité-possibilité » qui se dit dans la terminologie du « projet-jeté », cf. Pögeller O., Der Denkwerk… (cité supra n. 3), p. 74-77.

  • 102 En interprétant le dict parménidien du Fragm. 5 (SZ § 36, p. 171 ; tr. fr. p. 210), Heidegger déplace la notion de « compréhension » (Verstehen) vers la notion d’« appréhension » (Vernehmen). Cf. EM, p. 111 ; tr. fr., p. 153.

  • 103 Cette notion du Sich-Haben continuera à être explorée par Heidegger, précisément lorsqu’il aura à définir ce qu’il faut entendre par « l’être de l’étant » (das Sein des Seienden) : « le se-posséder (das Sich-Haben) dans lequel le stable se tient » (EM, p. 46 ; tr. fr., p. 70).

  • 104 « Le primat de l’ontologie heideggérienne […] la primauté du Même », Lévinas Emm., Totalité et Infini, La Haye, Martinus Nijhoff, 21965, p. 15-16.

  • 105 Cf. Marion J.-L., Réduction et Donation. Recherches sur Husserl, Heidegger et la phénoménologie, Paris, PUF, 1989, p. 272-280.

  • 106 « L’être-Là n’a pas cette possibilité comme une issue vide, il est cette possibilité, en tant qu’il est ; car, en tant qu’être-Là, il faut bien que, dans tout faire-violence, il se brise sur l’être » (EM, p. 135 ; tr. fr., p. 191).

  • 107 « L’appréhension n’est pas un mode de comportement que l’homme possède comme une propriété, mais inversement : l’appréhension est l’événement qui possède l’homme » (EM, p. 108 ; tr. fr., p. 154).

  • 108 Cf. mon article « Un monde sépare tout cela d’Héraclite », dans RSR 93/3 (2005) 331-353 ; ici p. 342-343.

  • 109 Cf. Caron M., Introduction à Heidegger, Paris, Ellipses, 2005, p. 45.

  • 110 Conf. X, 26, 37 ; BA 14, 206-207, cité dans GA 60, 203. Cf. G. Madec, « In te supra me. Le sujet dans les Confessions de saint Augustin », dans Revue de l’Institut catholique de Paris 28/4 (1988), p. 45-63.

  • 111 GA 60, 203.

  • 112 Conf. X, 26, 37 ; BA 14, 206-209.

  • 113 « Maintenant, pour toutes les choses que nous comprenons, ce n’est pas une parole résonnant au dehors que nous consultons (consulimus) à leur sujet, mais c’est la vérité qui gouverne (praesidentem) l’esprit lui-même au-dedans, les mots peut-être nous avertissant de le faire » (De magistro XI, 38 ; BA 6, 102-103).

  • 114 Conf. X, 40, 65 ; BA 14, 258-259. – Cf. Ricœur P., « Le sujet convoqué. À l’école des récits de vocation prophétique », dans Revue de l’Institut Catholique de Paris 28/4 (1988), p. 90-93.

  • 115 Conf. XIII, 1, 1 ; BA 14, 424-425.

  • 116 Conf. XI, 5, 7 ; BA 14, 282-283.

  • 117 Cf. Vannier M.-A., Creatio… (cité supra n. 29), p. 7-11.

  • 118 Cf. Hadot P., « Epistrophè et metanoïa dans l’histoire de la philosophie », Actes du XIe Congrès international de philosophie, Louvain (1953), vol. XII, p. 32 ; Vannier M.-A., Creatio… (cité supra n. 29), p. 11.

  • 119 Conf. XIII, 2, 3 ; BA 14, 428-429.

  • 120 Sophiste, 254 d – 257 e.

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