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La « Méditation sur le thème du don désintéressé » de Jean-Paul II. Une présentation

Pascal Ide
On 8th February 1994, John Paul II wrote what he called a “Meditation on the Theme of the ‘disinterested gift’”. Published in Polish, translated for the first time into French in 2012 (cf. NRT 134 [2012] 188-200), and appearing only in 2006 in the AAS, this text is practically unknown. The article shows its importance : the meditation weaves together, with a rare density, a number of ideas which are dear to the Polish pope. Above all it takes these ideas in a synthetic manner starting from a theme which, like a rhapsody, goes through the whole text : “God has given you to me”. The other person only appears to me fully as a gift if I discern within that person the Donor who makes of him or her a gift to me. Starting from this central intuition there is drawn a whole anthropology and ethics of gift.

1 Importance

Le 8 février 1994, Jean-Paul II a rédigé ce qu’il apelle une « Méditation sur le thème du ‘don désintéressé’ »1

Le texte ici présenté mérite d’être connu — plus encore, médité et étudié — pour au moins trois raisons.

La première, la plus décisive, est l’importance même de ce texte. Pour qui est quelque peu familier de la pensée du défunt pape, il apparaîtra rapidement à la lecture que la Méditation recueille, avec une rare densité, nombre de thèmes qui lui sont chers : le don en anthropologie, l’amour humain, la pudeur, la communion des personnes, la différence homme-femme, Dieu comme médiateur de la relation entre les hommes, la théologie du corps, etc. Le lecteur y retrouvera aussi des références clés, comme les deux premiers chapitres de la Genèse ou le passage de Gaudium et spes qui, avec le n. 22, est le texte conciliaire que Jean-Paul II cite le plus souvent2. Plus encore, ces thèmes ne sont pas seulement regroupés mais noués à partir d’une intuition inédite singulièrement puissante – que nous analyserons en contrebas. Il ne s’agit donc pas d’une reprise, par exemple, d’une des thématiques nodales du premier cycle des catéchèses sur le corps3 — l’homme de l’innocence originelle accède au bonheur et à la connaissance de Dieu à travers la relation sponsale avec celle qui lui est donnée —, mais d’une synthèse nouvelle, profondément originale, où convergent et sont ressaisis les trois concepts centraux du don, de la communion des personnes et de la relation homme-femme. Enfin, et ce n’est là qu’un indice, ce texte est suffisamment capital pour avoir été jugé digne de figurer dans les Acta Apostolicæ Sedis (AAS) — ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui furent prononcés par le pape polonais, ainsi que l’atteste la grande différence de volume entre les tomes des Insegnamenti di Giovanni Paolo II et ceux des AAS. L’importance de cette Méditation permet, par voie de conséquence, de découvrir l’influence décisive qu’a exercée sur Karol Wojtyla un poète polonais, très réputé dans son pays, mais encore peu connu en France, Cyprian Kamil Norwid, cité pas moins de cinq fois. Notre auteur l’a lu dès le lycée, a appris par cœur un certain nombre de ses œuvres et, par exemple, récité sur scène son grand poème mystique et philosophique Promethidion lors d’un concours de déclamation, en 1936, alors qu’il n’avait que seize ans ; comme pape, il s’y réfère à plusieurs occasions4 et plusieurs des thèmes nodaux qu’il a développés ont bénéficié en profondeur de son influence5, ainsi qu’il l’a lui-même confessé avec gratitude6.

Une deuxième raison est plus extrinsèque. Cette Méditation est presque inconnue, non seulement du public français7, mais aussi des concitoyens de Jean-Paul II, et même d’un certain nombre de spécialistes de sa pensée, à Rome et en Pologne. Cela tient d’abord à ce qu’elle n’a jamais été prononcée en public — de fait, en 1994, le futur Bienheureux ne s’est pas rendu sur sa terre natale. Ensuite, elle ne fut publiée que tardivement, en 2006, dans le Bulletin officiel du Vatican, les AAS8. Enfin, elle a été rédigée et est publiée en polonais et, jusqu’à plus ample informé, ce texte n’est disponible que dans une seule langue étrangère, l’italien, en un livre dont rien, hormis un second sous-titre, ne laisse présumer qu’il traite du don chez Jean-Paul II9.

La dernière raison est plus accidentelle, sinon anecdotique, mais n’en est pas moins suggestive : les interrogations que pose la Méditation. Toutes partent d’un fait troublant : le délai — pas moins de douze ans — entre la date (au moins finale) de rédaction (1994) et celle de sa publication qui, de surcroît, est post mortem (2006). Ce hiatus conduit à poser un certain nombre de questions qui, en l’absence d’une histoire du texte, ne peuvent aujourd’hui que susciter des hypothèses interprétatives. Pourquoi Jean-Paul II, dont on sait la liberté d’initiative, n’a-t-il pas fait publier la Méditation de son vivant ? Le texte aurait-il suscité une polémique sur sa possible publicité ?10 Certaines personnes de l’entourage auraient-elles résisté à cette parution ? Si tel est le cas, pourquoi cette Méditation paraît-elle alors que le pape ne peut plus l’exiger ? Qui a décidé de sa publication dans les AAS ? Quel statut accorder à ce texte ? Estil l’ébauche d’un livre, à l’instar de Mémoire et identité, mais d’un livre qui n’aurait jamais vu le jour, ou bien constitue-t-il un texte à part entière ?11 Dans quel genre littéraire classer un texte qui s’auto-définit Méditation, mais introduit des développements quasi-dramaturgiques ou plutôt rhapsodiques, interpelle, voire exhorte le lecteur, et parfois argumente ?

2 Thème central

Jean-Paul II a réussi le coup de génie de concentrer l’intuition qui anime (au sens le plus rigoureux du terme : vivifie et unifie) toute sa Méditation en une simple phrase. Cette simple phrase est aussi une phrase simple, et c’est là un autre aspect saisissant de son intuition clé. Elle ouvre toute la Méditation : « Dieu t’a donné à moi » est, littéralement, citée cinq fois (deux dans le premier paragraphe, deux dans le deuxième et une dans le quatrième), mais est ubiquitaire. Plus que le titre qui ne recouvre que partiellement le contenu du texte, elle l’exprime et l’informe à chaque pas. Point de départ autant que point de convergence de la Méditation, elle éclaire le tout comme elle est éclairée par le tout.

Commentons brièvement le contenu de cette phrase — que nous appelerons bientôt : loi —, en vue de montrer qu’elle est prégnante non seulement de toute la Méditation, non seulement d’une pensée sur la relation (1-3) et le don (4-8), mais d’une anthropologie inséparable d’une éthique, voire d’une cosmologie (9-13). Afin de montrer que les différents points ne sont pas juxtaposés, mais articulés, je relancerai chacun d’eux par une question, voire une objection.

1. Le noyau de la formule est la relation intersubjective. Elle traite du centre de la vie humaine qu’est la relation de l’homme à l’autre homme.

Mais cette expérience, universelle autant que quotidienne, est-elle rendue dans un langage lui-même familier ?

2. Jean-Paul II formule la relation interpersonnelle de manière concrète à partir de la terminologie personnaliste du « je » et du « tu »12. Loin de la rhétorique abstraite et distanciée de l’altérité, ou de l’emploi de tout autre substantif plus hospitalier comme prochain13, il convoque la proximité accueillante et chaleureuse des pronoms heureusement qualifiés de personnels. En incarnant cette formule au riche contenu conceptuel et à la profuse portée philosophico-théologique, non seulement le pape fait référence à et fait mémoire de l’expérience décisive qui est celle que lui a transmise son directeur spirituel et qui est à son tour devenue centrale dans sa propre vie pastorale, mais il synthétise — il symbolise — deux registres habituellement séparés : celui du concept abstrait, et celui du langage concret, devenant ainsi audible par tout lecteur.

Mais comment s’opère le lien entre le « je » et le « tu » ? Leur mise en présence suffit-elle pour que soit pleinement honorée l’inter-personnalité ?

3. La relation à l’autre n’est pas à deux termes comme on l’envisage presque toujours — toi et moi —, mais à trois termes — dans l’ordre du texte : Dieu, toi, moi. Autrement dit, seul Dieu permet de penser adéquatement — et de vivre pleinement — la relation à l’autre homme14. La triangulation initiale constitutive de toute relation n’ajoute donc pas un anonyme « il » à la relation « je-tu », mais un sujet éminemment personnel, le Sujet par excellence, qui appelle la nomination : « Dieu ».

L’introduction de ce troisième terme n’est-elle toutefois pas artificielle ? En quoi est-elle nécessaire et intrinsèque à la relation interpersonnelle des sujets humains ? Dans les points 4 à 8 réside sans doute le nœud, l’apport le plus innovant et le plus fécond, de Jean-Paul II. Voire, par certains côtés, tout se concentre dans le point suivant, à partir duquel s’enclenche l’entièreté de la dynamique du don.

4. Cette relation entre les trois termes est conçue à partir du don (« Dieu t’a donné à moi ») : l’autre homme m’est donné, tu m’es donné, tu es un don pour moi. L’autre n’apparaît adéquatement pour ce qu’il est que si je discerne en lui un don — et nous verrons plus bas combien ce don est aisément oublié, voire falsifié. Or, et ici gît la réponse à l’objection posée dans le troisième point, cette prise de conscience du don de l’autre n’est possible que si Dieu me donne autrui. En effet, le don est une relation qui joint trois termes : le récepteur, le donateur et le don (au sens de cadeau). Mais, dans la rencontre bipolaire, le « je » tient la place du récepteur et le « tu » celle du don. Il manque donc le donateur qui, pour une personne, ne peut être que Dieu (origine de tout homme). Ainsi, l’autre ne m’est donné que s’il est un don, c’est-à-dire si ce don fait signe vers un Donateur effectif. Par conséquent, la relation de don se dédouble : le don immanent de la personne d’autrui ; le don transcendant de Dieu. Le « tu » acquiert sa pleine stature ontologique et sa pleine dignité éthique si j’y discerne la main « dative » du « Tu » divin. Autrement dit, une relation interpersonnelle ne s’accomplit horizontalement que si elle croise la donation verticale descendante de Dieu.

Mais référer le don qu’est l’autre à son origine absolue ne risque-t-il pas de désincarner la relation ? Aime-t-on les personnes seulement parce qu’elles sont un don de Dieu ?

5. Tout « don parfait vient du Père des lumières » (Jc 1,17). Mais la perfection de ce don suppose qu’il soit reçu non seulement de l’origine créatrice, non seulement par le bénéficiaire qui est le « je », mais aussi dans le don créé lui-même qui est le « tu » — autrement dit suppose les trois pôles de la donation. Or, le « tu » est aimable à raison de sa beauté, de la beauté immanente déposée dans l’homme. Celle-ci, loin de se réduire à la seule beauté physique, est pour l’artiste polonais, la synthèse de toutes les qualités de l’aimé, voire son apparition : « la beauté est la forme de l’amour », écrit Norwid dans Promethidion cité par le pape (IV, §1). Dans la beauté de l’être aimé — singulièrement la femme — s’attarde sa divine Origine. Voilà pourquoi Jean-Paul II souligne longuement et à plusieurs reprises la beauté du don qu’est l’autre (cf. III, mais aussi V).

6. Le don que Dieu me fait de toi n’est pourtant pas un point d’arrivée, mais un point de départ. « Dieu t’a donné à moi » pour que, à mon tour, je me donne à toi. En effet, le don appelle une réponse. Or, celle-ci ne peut être moindre que le don en retour, et un don aussi gratuit que la réception l’a été. Nous retrouvons le titre qui concentre le concept central de tout le texte : le don désintéressé15. Il se dessine ainsi une dynamique du don où le moment du donum suipsius présuppose, pour la créature, un moment de datum : la réception de l’autre précède la donation à l’autre16.

Mais doit-on en demeurer à cette cascade de dons ? La précédence du don divin transcendant (Dieu qui te donne à moi), voue-t-elle l’homme à vivre aussi une relation asymétrique (je me donne à toi), sans la joie non seulement de la réponse en retour (tu te donnes à moi), mais de la réciprocité unifiante et unifiée des dons ?

7. Le don est pour la communion. De même que la réception précède le don de soi, celui-ci ouvre à la communion qui est l’échange des dons. Toute la Méditation développe cette relation qui commence par un côte à côte (« avec ») et finit par le cœur à cœur de la communio personarum — ce concept central de l’anthropologie du pape polonais. Précisément, cette communion prend d’abord la forme d’une garde (cf. II) qui, progressivement, conduit à une réciprocité d’amour (cf. IV et V). Enfin, dans une anthropologie théologique, tout ce qui est déposé en l’homme participe de Dieu ; or, le « Dieu Créateur de l’homme […] est le Dieu de la communion » (II, 4) ; analogiquement à la vie trinitaire, le don intersubjectif trouve son achèvement dans une circumincession créée.

Nous avons dit que la formule « Dieu t’a donné à moi » ébauche une dynamique du don ; or, notamment dans le texte conciliaire, celle-ci se développe en trois temps17, soulignés par un triple « seipsus » : la réception, l’appropriation (du don reçu), la donation18. Le moment intermédiaire, celui de l’intériorisation n’est-il pas absent ? Entre réception et donation, la subjectivité humaine ne risque-telle pas de se trouver au mieux réduite à être une courroie de transmission ou un canal, au pire à être instrumentalisée ?

8. Un point d’importance qui pourrait passer inaperçu offre la solution : le don divin est conjugué au passé (« Dieu t’a donné à moi »). Or, la référence au passé requiert un acte de la mémoire qui, par exemple dans l’anthropologie d’un saint Jean de la Croix19, est la puissance la plus profonde, celle par laquelle nous sommes configurés au Père. De plus, cette mémoire renvoie non pas à un commencement mais à une origine qui dure. Le décalage chronologique entre le moment passé du don et sa prise de conscience présente signale le hiatus ontologique entre l’Origine datrice et son appropriation par le sujet humain — donc le deuxième moment de la rythmique ternaire du don20. Ainsi, le premier lien entre l’amont et l’aval du don est l’intériorisation-appropriation par la mémoire21. « Crains seulement une chose : de ne pas t’approprier ce don » (V, §3).

Cette grande loi du don formulée par Jean-Paul II ne pèche-telle pas par abstraction ? Tout d’abord, il paraît ne pas mentionner un troisième terme (si l’on considère que le « je » et le « tu » font un par leur communion dans la même humanité), à côté de l’homme et de Dieu, à savoir le monde ?

9. Il ne suffit pas de répondre que, à maintes reprises, la Méditation mentionne le monde. D’abord, conformément au récit de Genèse 1, Jean-Paul II valorise la continuité entre le don du cosmos et celui de la personne. En effet, « Dieu […] donna toute la richesse du monde créé à l’homme » (I, §3). La Méditation emploie donc une formule presque identique à celle qui désigne le don de l’autre homme — l’usage des pronoms personnels et surtout la réciprocité en moins. Ensuite, la donation désintéressée passe toujours par des dons qui sont souvent les biens de la création. Par conséquent, loin d’être exclu, le cosmos révèle et effectue le don interpersonnel. Voilà pourquoi les « paroles » de la formule « contenaient une vérité profonde sur Dieu, sur l’homme, sur le monde » (I, §1).

L’énoncé « Dieu t’a donné à moi » ne souffre-t-il pas d’un autre manque : l’anhistoricité ?

10. Il ne suffit pas de répondre à nouveau qu’elle est conjuguée au passé. En fait, dans la phrase « Dieu t’a donné à moi », se lit en filigrane la toute première rencontre entre deux êtres humains, celle que décrit Genèse 2 : loin de se dérouler entre nos seuls premiers parents, cette mise en présence s’opère à l’initiative et par la médiation de Dieu. Et la scène prélapsaire, pour être anté-historique, constitue un « seuil » sur lequel « l’homme trébuche » (IV, §1) : la « beauté originaire » demeure comme une « nostalgie » (III, §7) dans la condition déchue et est « de nouveau donnée » par le Christ à l’homme racheté (IV, §4) ; or, l’homme pécheur et rédimé est l’homme de l’histoire que développe la quatrième partie.

Enfin, cette dynamique ternaire du don ne fait-elle pas l’impasse sur une dernière et décisive incarnation — après celle de la nature (ou du monde) et de l’histoire —, la différence des sexes ?

11. Repartons de l’écho de Genèse 2 qui se fait entendre dans le phrase « Dieu t’a donné à moi ». Le récit génésiaque raconte la réalisation fontale et exemplaire de la loi du don ; or, les deux personnes mises en présence sont un homme et une femme, le premier homme et la première femme. Aussi la cinquième partie, tout à la fois suaviter et fortiter, applique-t-elle la vérité « Dieu t’a donné à moi » à la relation entre l’homme et la femme. Si, après la chute, la principale tentation est de mésuser de ce don en faisant de l’autre un « objet d’utilisation » (IV, §3), il existe une tentation symétrique, stérilisante22, de méconnaître le don illuminant23 qu’est la « valeur irrépétable » du tu — singulièrement, pour l’homme (masculin), du « génie féminin » (V, §2-3). De même que Karol Wojtyla a retourné l’interprétation classique de la chasteté en incluant l’élément négatif de modération au sein de l’élément positif d’intégration dans l’amour24, de même Jean-Paul II retourne ici la crainte qu’a l’homme (vir) de « reconnaître » et « jouir » du don de la femme dans la crainte opposée de ne pas « reconnaître » et « jouir » du don — quand il est authentiquement don : « Pour tout le temps qu’elle demeure pour toi le don de Dieu même, tu peux jouir avec assurance de tout ce que ce don est » ; « fais tout afin de reconnaître le don qu’elle est pour toi » (V, §3).

Toutefois, les multiples références à Dieu et à la Bible ne pourraient-elles faire regretter que cette Méditation de riche portée humaine soit réservée au seul croyant ?

12. Certes, l’anthropologie formulée dans cette loi majeure est intégralement théologique : non pas seulement parce qu’elle parle d’un Dieu créateur, donc donateur, donc aimant, mais, peut-être plus encore, car elle est grosse de tout l’enseignement de Genèse 2, tel que Jean-Paul II l’a analysé d’une manière radicalement nouvelle dans le long commentaire du premier cycle de catéchèses sur la théologie du corps25. De fait, la Méditation ne manque jamais l’occasion de montrer avec une rare rigueur et vigueur que tout ce que l’homme vit dans sa libre intériorité, le don de soi et la communion, est une participation de Dieu en sa vie intérieure, de don et de communion26. Pour autant, ce propos n’est pas inintelligible à la seule lumière de la raison. Un passage de la première partie l’évoque pour ce bien qu’est la création27 ; comment cela ne se vérifierait-il encore davantage pour le don par excellence qu’est l’autre homme, que tu es ? De fait, en montrant que l’amour est une réponse non pas seulement au don de Dieu, mais à la beauté de l’autre, notre auteur honore l’expérience vive partagée par tout homme. La vérité de ce texte s’élève donc sur la double aile de la raison et de la foi.

13. Je suis conscient que l’exégèse proposée de cette phrase de sagesse n’a fait qu’en effleurer la richesse inépuisable. Insérant le texte dans son contexte et approfondissant le statut de l’acte de parole, évoquons, afin d’en poursuivre l’exploration, trois prolongements possibles : en enchâssant la proposition dans une question, Jean-Paul II intègre le lecteur en l’interpellant, voire en l’exhortant ; en en révélant, dans le paragraphe suivant, l’origine, c’est-à-dire en confessant humblement que, tel l’Apôtre, il nous transmet ce qu’il a lui-même reçu et expérimenté, il transforme l’énoncé en acte de gratitude, redoublant et révélant la reconnaissance implicite que contient la confession du don ; en enrichissant l’énoncé chaleureux en témoignage de vie, il incite chacun à éprouver pour soi-même cette vérité, c’est-à-dire à le conjuguer non plus à la troisième personne, mais à la première : « Dieu t’a donné à moi ». La gratitude est le second lien — peut-être encore plus décisif que l’appropriation — qui noue en gerbe les trois moments du don.

3 Organisation

Nous venons de voir que la totalité de la Méditation est contenue in nuce dans sa thèse initiale (« Dieu t’a donné à moi »). Explicitée notamment dans le quatrième point, le « triangle du don » regroupe non pas les trois termes usuellement distingués (donateur, donataire ou récepteur, don-cadeau), ni les trois actes obligatoires développés par Mauss (donner, recevoir, rendre), ni ce que j’appelle les trois moments de la dynamique du don (recevoir, s’approprier, donner), mais les trois « sujets » convoqués par toute conception adéquate ou intégrale28 du don (Dieu, tu, je) : l’autre ne m’apparaît pour ce qu’il est, un don, que si je reconnais qu’il est donné par le Donateur (transcendant).

Les cinq parties de la méditation, d’inégales longueurs (par exemple, la troisième est presque deux fois plus longue que la quatrième), développent les virtualités de cette loi du don. Le plan linéaire qui va être maintenant proposé est trompeur ou plutôt approximatif, tant la pensée de Jean-Paul II est, à l’instar de celle de bien des auteurs slaves, circulaire ou plutôt hélicoïdale, anticipant les développements et, inversement, retournant régulièrement aux premières intuitions qui sont constamment enrichies. Les thèmes des différentes parties se recouvrent donc toujours partiellement.

La première partie, après avoir introduit le thème général : « Dieu t’a donné à moi », l’applique à la création, « qui est une grande et continue donation à l’homme des biens du cosmos » (I, §3) — non sans évoquer au sommet le don réciproque de l’homme et de la femme. Même si la Méditation reviendra souvent sur le monde, son propos sera désormais centré sur la relation entre le « toi » et le « moi », donc sur la relation interpersonnelle.

La deuxième partie montre que le don que Dieu fait du « tu » au « je », de l’homme à l’autre homme, conduit à la communion entre les personnes, singulièrement entre l’homme et la femme. Cette communion se concrétise dans la « garde », qui trouve sa « première forme » (II, §3) dans la maternité, et que le reste de la Méditation ne cessera d’approfondir.

La troisième partie explicite la cause immanente du don : la beauté de la personne, particulièrement de la femme. En effet, la relation par excellence où l’un est donné à l’autre est l’amour et l’amour nuptial. Or, l’homme éprouve de l’amour pour la femme parce qu’il se complaît en sa beauté. Cette beauté humaine qui synthétise « la beauté de toute la création » (III, §2), « deviendra le contenu de la création humaine, de la création artistique » (III, §4), révèle son « point culminant » dans « la beauté absolue » du Christ ressuscité, « préannoncée sur le Mont Thabor » (III, §5).

Jusqu’à maintenant, nous avons contemplé la loi de vie « Dieu t’a donné à moi », telle que Dieu l’a voulue à l’origine et telle que l’homme l’a vécue dans l’état d’innocence originelle. Mais ce n’est plus notre condition historique. La quatrième partie décline ce que devient cette vérité dans l’état de nature déchue — au don désintéressé à l’autre homme se substitue l’utilisation de l’autre —, puis rachetée par le Christ crucifié et ressuscité qui « crée un nouvel ordre de relations interpersonnelles » (IV, §5) : notamment en rappelant à l’homme qu’il est « le gardien de la sacralité de son corps » (IV, §6), celui de la femme.

La cinquième partie, enfin, considère l’incarnation particulière de la parole « Dieu t’a donné à moi » dans le cadre de la relation entre l’homme et la femme. À tout homme (masculin), quel que soit son état de vie, Dieu donne Marie, et la femme en sa beauté spirituelle, afin qu’il en soit le « gardien » (V, §4). Ici, comme dans la première partie, Jean-Paul II retrouve le ton de la confidence et de l’expérience personnelle, qui débouchent sur une parénèse. Si la partie précédente dénonçait l’utilisation de l’autre, la dernière déplore l’attitude opposée qui méconnaît le don de la femme que Dieu confie à l’homme.

Si l’on prend en compte ce que dit la troisième partie sur le Christ ressuscité, donc glorieux, ainsi que sur le mariage, et la cinquième partie sur la vie consacrée, nous retrouvons en cette Méditation, presque bijectivement, l’ordre suivi par les six ou sept cycles de catéchèses sur la théologie du corps29. Cette surprenante confirmation atteste l’importance centrale de cette Méditation rédigée dix ans après ce qui demeure, selon certains, le « chef d’œuvre [masterwork]30 » de Jean-Paul II.

* * *

Concluons en revenant brièvement sur la phrase « Dieu t’a donné à moi ». L’étrange destinée de ce texte à l’édition improbable, surtout son caractère synthétique autant qu’innovateur, sa densité exceptionnelle, non moins que sa simplicité sapientielle, m’incitent à lire dans cette formule — et dans la Méditation qui la déploie — un testament autant intellectuel que spirituel de Jean-Paul II. S’enracinant dans une expérience décisive remontant au début de son sacerdoce, mûrie et approfondie toute sa vie, réfléchie et enrichie par une Méditation philosophique, théologique et poétique, la phrase « Dieu t’a donné à moi » transmet un dit de sagesse qui a la simplicité illuminante des vérités définitives et la puissance transformante (perlocutoire) des incitations béatifiques. Ne révélerait-elle pas le secret vivifiant la dynamique du don ?

Notes de bas de page

  • 1 Cf. Jean-Paul II, « Medytacja na temai ‘bezinteresownego daru’ », Acta Apostolicæ Sedis, XCVIII (2006), tome II, p. 628-638. Dans les renvois qui seront faits à ce texte par la suite, un chiffre romain en indiquera la section concernée et le chiffre arabe qui suit le paragraphe visé. Ce texte est traduit dans l’article précédent de la revue (p. 188-200).

  • 2 Cf. P. Ide, « Une théologie du don. Les occurrences de Gaudium et spes, n. 24, §3 chez Jean-Paul II », Anthropotes, 17/1 (2001), p. 151-180 et 17/2 (2001), p. 129-163.

  • 3 Ce premier cycle couvre les 23 premières audiences du mercredi, consacrées à la théologie du corps, du 5 septembre 1979 au 2 avril 1980. Il est édité en français dans Jean-Paul II, À l’image de Dieu homme et femme. Une lecture de Genèse 1-3, Paris, Cerf, 1981. Les 129 catéchèses ont été republiées en un seul volume : Homme et femme Il les créa. Une spiritualité du corps, Paris, Cerf, 2004, 2010.

  • 4 Jean-Paul II le cite par exemple à deux reprises lors de son premier voyage en Pologne : Discours dans la cathédrale de Varsovie, du 2 juin 1979, n. 2, et Homélie lors de la messe pour les ouvriers à Jasna Gora, du 6 juin 1979, n. 3 (Insegnamenti di Giovanni Paolo II. 1979, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 1979, vol. II, respectivement p. 1377 et 1467). Ces deux citations, dénuées de référence (en opposition, par exemple, à l’homélie lors de la célébration de la parole avec le monde de la culture et de l’art, du 13 juin 1987 [Varsovie], n. 5), signalent que le pape cite de mémoire, d’abondance du c œur. Pour les autres occurrences, il suffit de regarder l’Index nominum des Insegnamenti.

  • 5 Cf. K. Braun, « La part de Norwid dans la ‘totalité’ de Jean-Paul II », trad. Cl.-H. du Bord et Chr. Jezewski, Liberté Politique, n. 30 (2005), p. 151-162. L’article montre, entre autres, l’influence décisive du poète et de l’homme sur la conception que son concitoyen devenu pape a proposée du travail, de l’art, de la souffrance, de l’héroïsme, de la Pologne, du rôle de l’Église dans l’humanité.

  • 6 Cf. surtout le texte important de Jean-Paul II, Audience aux représentants de l’Institut du Patrimoine national polonais à l’occasion du 180e anniversaire de la naissance du poète Cyprian Kamil Norwid, du 1er juillet 2001, où il dit avoir voulu « honnêtement payer ma dette personnelle envers ce poète avec qui je suis uni par un lien spirituel intime qui date de mes années de lycée ».

  • 7 La seule mention que j’ai relevée est celle opérée par Fr.-M. Léthel dans son livre La Lumière du Christ dans le c œur de l’Église. Jean-Paul II et la théologie des saints. Retraite de Carême avec Benoît XVI (13-19 mars 2011), coll. Studium Notre-Dame de Vie, Saint-Maur, Parole et Silence, 2011, p. 46, 51 et 52.

  • 8 Rappelons que la date du volume est contemporaine des documents qui y sont publiés. Les AAS sont donc toujours édités avec un retard — oscillant entre dix-huit mois et deux ans. Surtout, et c’est la conséquence qui nous intéresse : le volume 2006 contient donc les textes de Benoît XVI. Qui chercherait dans ce volume un texte de Jean-Paul II, décédé le 2 avril 2005 — a fortiori un texte qui porte la date du 8 février 1994 ? Une autre raison qui rendra la Méditation difficilement trouvable vient de ce qu’elle est placée (il est vrai avec quelques lettres apostoliques dont la première date de 2001) tout au terme des interventions de son successeur, juste avant la rubrique « Actes des différents Dicastères ».

  • 9 Traduction italienne par M. Leonardi, Come Gesù. L’amicizia e il dono del celibato apostolico. Con una meditazione di Giovanni Paolo II, Milano, Ares, 2011, p. 293-309. Bref commentaire p. 285-291, qui ne dit rien sur l’histoire du texte. Je remercie vivement le père L. Touze de m’avoir fait connaître ce texte, ainsi que les références faites par l’ouvrage du père Léthel.

  • 10 Les assertions audacieuses de la dernière partie — sur la place de la médiation féminine (et pas seulement mariale) dans la vie de l’homme (masculin), quel que soit son état de vie — étaieraient cette hypothèse.

  • 11 La critique interne du texte permet en tout cas d’écarter une hypothèse : il ne s’agit pas de notes éparses et inachevées qui ont été rassemblées post mortem.

  • 12 Il suffit de rappeler ici l’ouvrage programmatique M. Buber, Je et Tu, dans La vie en dialogue, trad. J. Loewenson-Lavi, coll. Philosophie de l’esprit, Paris, Aubier, 1959. Le penseur juif intègre d’ailleurs aussi la présence (sans confusion) de Dieu à la relation intersubjective « Je-Tu » (comme d’ailleurs à la relation « Je-Cela » : « La relation absolue enferme dans sa réalité toutes les relations relatives parce qu’elle n’est plus comme celles-ci fragmentaire mais totale, étant leur accomplissement à toutes et leur fusion dans l’unité » (Ibid., p. 63).

  • 13 Une fois, Jean-Paul II traduit la formule en termes plus abstraits : « Dieu donne à l’homme un autre homme » (IV, §3).

  • 14 On pourrait dire que Dieu est la médiation obligée entre toi et moi, même si le terme « médiation » n’apparaît pas dans le texte, à condition que ce vinculum substantiale conserve sa primauté d’origine (et d’achèvement), donc ne se réduise pas à être un intermédiaire : Alpha et Oméga, sa position n’est médiane et unifiante que parce qu’elle est d’abord extrême.

  • 15 On s’étonnera que le terme « sponsal » (qui est plus large que conjugal), cher à Jean-Paul II et déjà à Karol Wojtyla (cf. Amour et responsabilité. Étude de morale sexuelle, trad. Th. Sas revue par M.-A. Bouchaud-Kalinowska, Paris, Éd. du dialogue, Stock, 1978, notamment p. 86-91), n’apparaisse pas dans le texte. Mais d’autres thèmes centraux comme l’approche phénoménologique sont aussi absents. En fait, si le mot n’est pas là, la réalité, à savoir le « don désintéressé », est présente, voire omniprésente.

  • 16 Il s’esquisse, plus implicitement, une articulation entre deux approches de l’amour : l’attirance pour le bien de la personne qui apparaît dans sa beauté et la réponse qu’est le don.

  • 17 Cf. P. Ide, « Une théologie du don », art. cité ; sur l’application de cette dynamique ternaire au corps, cf. Id., « Don et théologie du corps dans les catéchèses de Jean-Paul II sur l’amour dans le plan divin », dans Jean-Paul II face à la question de l’homme, Actes du 6e Colloque International de la Fondation Guilé, octobre 2003, Y. Semen (éd.), Zurich, Guilé Foundation Press, 2004, p. 159-209.

  • 18 « L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver lui-même que par le don sincère de lui-même [Hominem, qui in terris sola creatura est quam Deus propter seipsam voluerit, plene seipsum invenire non posse nisi per sincerum sui ipsius donum] » (Concile Œcuménique Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 24, §3. C’est moi qui souligne).

  • 19 Cette référence n’est jamais loin, même si elle est souvent implicite sous la plume du tertiaire carmélitain qui a consacré sa thèse à la foi chez Jean de la Croix. À propos de l’influence du Docteur mystique sur la pensée du pape, cf. John Paul II, Man and Woman He Created Them. A Theology of the Body, trad. et éd. M. Waldstein, Boston MA, Pauline Books & Media, 2006, p. 23-34. Références bibliographiques in situ.

  • 20 Sur cette loi de retardement, cf. l’important texte de J.H. Newman, « Christ manifested in remembrance », Sermon prêché le 7 mai 1837, à St Mary’s, C.C.S.A.N. p. 61 : n. 755, dans Parochial & Plain Sermons, volume 4, Londres, Longmans, Green & Co, 1909, p. 253-266 (texte accessible sur : http://www.newmanreader.org/works/parochial/volume4/sermon17.html) : Sermons Paroissiaux. 4. Le Paradoxe Chrétien, P. Authier (éd.), Paris, Cerf, 1996, trad. M.-B. Duvignau et P. Poque, p. 224-233. Je remercie le père Martin Charcosset de cette lumineuse référence.

  • 21 « Seulement cet homme qui se possède lui-même peut devenir don désintéressé pour les autres » (II, §2). L’expression « se possède » est un développement du « se trouve » de Gaudium et spes, n. 24 : cf., par exemple, la lettre encyclique de Jean-Paul II, Splendor Veritatis, sur quelques questions de l’enseignement moral de l’Église, du 6 août 1993, n. 86.

  • 22 J’emploie à dessein cet adjectif car on pourrait s’étonner que, comme le thème de la sponsalité, celui, si central pour Jean-Paul II, de la famille n’apparaisse pas au terme de cette Méditation. D’abord, la procréation, « la continuation du genre humain », fut évoquée plus haut (III, §3). Et ici, le pape part et parle ici de sa propre expérience ; de plus, il souhaite s’adresser aussi aux personnes consacrées.

  • 23 « Arrive le temps de sa reconnaissance — par certains aspects, de son illumination » (V, §2).

  • 24 Cf. K. Wojtyla, Amour et responsabilité … (cité supra n. 16), p. 133-161, en particulier p. 155-161.

  • 25 Je le synthétise très brièvement en P. Ide, « La théologie du corps de Jean-Paul II. Un enjeu philosophico-théologique inaperçu », dans Revue Théologique des Bernardins 3 (2011), p. 89-103.

  • 26 Pour l’intériorité : « C’est de cette manière que Dieu existe dans le mystère ineffable de sa vie intérieure. Depuis le début, l’homme aussi a été appelé à une existence semblable » (II, §2). Pour le don : « Dieu, qui est amour, transmet cette forme d’amour à l’homme — amour de complaisance » (III, §1) et « L’amour de complaisance (amor complacentiae) est, ou de quelque manière peut être, la participation à cette éternelle complaisance que Dieu a dans l’homme qu’il a créé » (V,§3). Pour la communion : « Dieu transmet à l’humanité le mystère de cette communion qui est le contenu de sa vie intérieure » (II, §2). Sur ce dernier point, Jean-Paul II s’inscrit une nouvelle fois dans le sillage de Gaudium et spes, n. 24, §3.

  • 27 « L’humanité connaît toujours plus la richesse du cosmos, nonobstant le fait qu’elle ne reconnaît pas toujours que cette richesse provient des mains du Créateur ; toutefois, à certains moments, les hommes, même non croyants, perçoivent la vérité de la donation créatrice et commencent à prier et confessent que tout cela est le don du Créateur » (I, §3).

  • 28 L’adjectif « intégral » renvoie au concept important de « vision intégrale de l’homme » développé par Paul VI dans son encyclique Humanæ Vitæ (25 juillet 1968, n. 7) et l’adjectif « adéquat » à la notion tout aussi essentielle d’« anthropologie intégrale » employée par Jean-Paul II dans ses catéchèses sur le corps (premier emploi et définition dans l’audience générale du 2 janvier 1980, n. 2, note 1).

  • 29 Sur l’organisation des différents cycles de catéchèses, cf. P. Ide, « Don et théologie du corps … (cité supra n. 18), p. 207-209 ; M. Waldstein, Introduction à John Paul II, Man and Woman He Created Them … (cité supra n. 20), p. 105-124.

  • 30 M. Waldstein, Introduction à John Paul II … (cité supra n. 20), p. 4.

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