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Les femmes sont-elles à l’image de Dieu de la même manière que les hommes ?

Sondages dans les énoncés de quelques pères grecs*

H.-M. Legrand op
The Greek Fathers, immersed in their culture, share Saint Paul’s androcentrism : Man has not been created for woman, but woman for man (I. Cor. 11,9). None of them challenges such a social hierarchy. Except for Basil and Gregory of Nazianzus, they all bring forth arguments tending to prove that woman has not been created in God’s image, in the way man has been. It is good for us to reflect on this cultural conditioning of christianity, at a time when androcentrism has lost its plausibility in the West under the combined influence of medical science and paid wages to professional women on their own right, which then finds expression in contemporary legislation.

Se demander si, selon les Pères, les femmes sont à l’image de Dieu au même titre que les hommes — comme on le fait ici —, aurait été perçu, il y a un demi-siècle, comme une curiosité d’érudit, n’affectant la réflexion théologique que fort marginalement. Les temps ont bien changé : pour nos sensibilités actuelles, la valorisation théologique des genres n’est plus une question mineure. L’effondrement de l’androcentrisme dans les sociétés occidentales a été si rapide et si profond qu’il devient impossible de traiter de cette valorisation avec pertinence, sans l’historiciser, de manière résolue.

L’androcentrisme des sociétés traditionnelles

Toutes les sociétés antérieures à la nôtre ont vécu sur une évidence anthropologique communément partagée par tous leurs membres, hommes et femmes, gens ordinaires ou personnes cultivées, évidence que l’on peut caractériser par le concept d’androcentrisme, terme forgé par Kari Elizabeth Børresen1. Ce mot désigne à la fois un système de représentations sociales et de valeurs, qui traduisent une expérience générale selon laquelle les femmes sont, à bien des égards, beaucoup plus dépendantes des hommes que les hommes ne sont dépendants des femmes. Ce qui se vérifie encore aujourd’hui dans l’ensemble des sociétés non occidentales qui nous sont chronologiquement contemporaines, et pas seulement dans les cultures influencées par l’Islam, pour qui il s’agit là d’une loi divine2. Le bouddhisme, autre grande religion, véhicule lui aussi une anthropologie très éloignée de l’égalitarisme3.

La gêne que certains courants féministes n’ont pas manqué d’éprouver devant un constat si universel les a poussés à y chercher des exceptions. On a cru les trouver dans les sociétés matrilinéaires qui, à l’époque préhistorique, auraient prétendument été majoritaires, au moins avant l’âge du bronze, mais cela s’est révélé être un roman historique élaboré par Bachofen4. On a voulu croire aussi que les sociétés matrilinéaires d’Afrique subsaharienne et de quelques autres régions du monde représentaient une exception ; mais à tort, car même dans les sociétés matrilinéaires, la figure d’autorité n’est pas la mère, mais ordinairement l’oncle maternel.

L’universalité de l’androcentrisme ne signifie pourtant nullement que l’humanité des femmes soit en quelque manière déficiente ou que les femmes soient moins dignes de respect que les hommes. Bien qu’il implique une hiérarchie de qualités psychologiques entre les hommes et les femmes, l’androcentrisme n’est pas, en lui-même, une catégorie morale ; il traduit une hiérarchie, perçue par tous comme naturelle, entre l’homme et la femme ; dans cette hiérarchie asymétrique, l’homme masculin occupe une position supérieure, tant au plan social qu’au plan symbolique.

Le dépassement progressif de l’androcentisme en Occident

Cette évidence commune n’a commencé à être érodée que dans la seule société occidentale ; non pas du fait d’une quelconque supériorité morale de cette dernière, mais essentiellement sous l’influence de deux facteurs objectifs, c’est-à-dire non idéologiques : les progrès de la médecine et le travail salarié des femmes dans les sociétés post-industrielles. Ainsi se mettra en place, peu à peu, l’évolution vers une égalité complète, désormais effectivement acquise au moins dans le domaine juridique dans tout l’Occident.

Les progrès de la médecine, en diminuant drastiquement la mortalité infantile, et d’abord celle des femmes en couches — tragique aspect de la condition humaine —, ont libéré les femmes de la sujétion millénaire à la reproduction du groupe humain5 : il suffit désormais d’avoir deux enfants pour être sûr de les voir arriver à l’âge adulte. À cette libération biologique, vient s’ajouter, pour la première fois dans l’histoire, la liberté personnelle pour les femmes de procréer, grâce à la mise au point, toujours par la médecine, d’une contraception efficace. Ainsi depuis un demi-siècle, la femme européenne a trente-deux ans, en moyenne, quand elle met à l’école le dernier des deux enfants qu’elle aura, également en moyenne. De plus, après les avoir libérées des servitudes liées autrefois à la maternité, la médecine permet également aux femmes du monde occidental d’espérer une longévité sans précédent : la moitié d’entre elles dépassera les quatre-vingt-deux ans. Aussi est-il compréhensible qu’elles veuillent travailler, surtout dans le cadre du salariat des sociétés post-industrielles.

Sauf dans les classes sociales très privilégiées, le travail a toujours caractérisé la condition féminine, et doublement, devrait-on ajouter, car à son travail non rétribué de paysanne ou de commerçante, la femme devait encore ajouter, même dans une famille étendue, le soin de son ménage et de ses nombreux enfants. Le salariat des ouvrières de l’ère industrielle ne contribua pas à leur émancipation. En revanche, les sociétés post-industrielles vont leur être favorables. D’une part, ces sociétés ont rendu le muscle masculin pratiquement inutile, comme on peut le repérer symboliquement au fait que les dernières mines de fer et de charbon ont été fermées en Occident, malgré les protestations des mineurs. D’autre part, de ce fait, le marché du travail salarié s’est ouvert aux femmes, pratiquement sans limites. En conséquence, malgré les disparités de rémunération persistantes, la plupart des femmes accèdent à l’indépendance financière au sein de leur ménage. De plus quand mari et femme travaillent hors du foyer, le partage des tâches ménagères et éducatives s’impose de lui-même, instaurant ainsi le partenariat jusque dans leur vie privée, et pas seulement dans leur vie sociale.

On notera toutefois que ce partenariat n’est pas, en lui-même, l’indice d’un progrès moral ou d’un plus grand bonheur, car il s’accompagne à l’évidence d’une plus grande fragilité des unions, de l’augmentation inquiétante du non mariage6, d’une crise démographique, tous phénomènes qui paraissent malheureusement plus structurels que conjoncturels. Depuis la seconde moitié du siècle dernier, cette situation culturelle et morale de l’Occident a incontestablement conditionné la sensibilité des fidèles, puis le discours des Églises chrétiennes dans cette région du monde.

Une approche théologique de l’androcentrisme requiert le détour par l’histoire

Cette trop longue introduction, historicisant volontairement notre sujet pour échapper à tout faux idéalisme, nous a paru théologiquement nécessaire pour aborder avec justesse les textes des Pères grecs qui traitent de la femme en tant qu’image de Dieu, à cause de la grande distance historique et culturelle qui nous sépare de leur mentalité. Sans cette mise à distance préalable, toute comparaison (même implicite) qui s’instaurerait entre ces textes et notre actualité risquerait d’être soit franchement apologétique, soit inconsciemment accusatrice, et de renforcer, dans l’opinion publique d’aujourd’hui, le grief, sans grand fondement historique, qui crédite le christianisme d’être consubstantiellement misogyne.

Nous devons constater, en effet, que les Pères grecs, qui retiendront surtout notre attention, réputés pourtant plus favorables aux femmes que les Pères latins7, se demandent très sérieusement et consciencieusement si les femmes sont à l’image de Dieu tout comme les hommes. Et ce n’est pas par un oui, franc et massif, qu’ils acquiescent à cette idée, quand ils commentent la Genèse et les textes de Paul qui abordent ce sujet.

Image de Dieu, hiérarchie créationnelle et chute

La question de l’image de Dieu chez les Pères, comme c’est normal, est historiquement déjà prédéterminée par l’interprétation rabbinique de la Genèse. Pour une large part, cette interprétation mettait en relation l’image de Dieu de Gn 1,26-27, avec le fait pour Adam d’avoir été créé le premier8. Une telle interprétation était induite également par la traduction de la Septante qui dit d’Ève qu’elle est une aide/auxiliaire (autôi boèthon kat’ auton ; Gn 2,18) faite pour Adam qui lui préexiste, ce qui influencera inévitablement la manière de penser de l’ensemble des Pères9.

Cette ligne d’interprétation rabbinique a prédisposé Paul à écrire que la femme n’avait pas été créée à l’image de Dieu, mais à l’image de l’homme. Il associe, en effet, de façon on ne peut plus explicite, la hiérarchie créationnelle et le fait pour l’homme masculin d’être image de Dieu : « L’homme est l’image de la gloire de Dieu. Mais la femme est la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme. Et l’homme n’a pas été créé pour la femme mais la femme pour l’homme » (1 Co 11,7-9). À la hiérarchie créationnelle viendra s’ajouter l’interprétation de la chute : la responsabilité d’Ève à cette occasion aggravera sa subordination à Adam, selon les termes mêmes de la Genèse.

Cette perspective est reprise par l’auteur de l’Épître à Timothée ; après le rappel de la hiérarchie créationnelle, il ajoute que seule Ève fut séduite : « C’est Adam en effet qui fut formé le premier. Ève ensuite. Ce n’est pas Adam qui fut séduit, mais c’est la femme qui séduite, tomba dans la transgression »10. Et l’on sait comment Tertullien a orchestré la séduction de la seule Ève en lui attribuant d’avoir détruit l’image de Dieu en l’homme, dans l’ouverture bien connue de la Toilette des femmes :

Tu enfantes dans les douleurs et les angoisses, femme ; tu subis l’attirance de ton mari (ad virum tuum conversio tua) et il est ton maître. Ignores-tu qu’Ève c’est toi ? […] C’est toi la porte du diable […] C’est toi la première qui as déserté la loi divine ; c’est toi qui as circonvenu celui auquel le diable n’a pu s’attaquer ; c’est toi qui es venue à bout si aisément de l’homme, l’image de ton Dieu ».

(imaginem Dei, hominem)11

La sujétion redoublée d’Ève à Adam aboutit chez beaucoup de Pères grecs à refuser que la femme puisse être image de Dieu au même titre que l’homme. Cela se vérifie notamment chez les Pères antiochiens qui situent l’image de Dieu dans la domination d’Adam sur toutes les créatures ; parce qu’assujettie à son mari, la femme ne saurait constituer une telle image à titre égal avec lui.

Cependant, et ce constat est capital, les Pères grecs sont loin d’être unanimes à situer l’image de Dieu dans la seigneurie de l’homme sur toutes les autres créatures. Même sans une familiarité très approfondie avec leurs textes, on s’aperçoit qu’ils font des réponses très diverses à la question de savoir en quoi consiste cette image.

Où se situe l’image de Dieu dans l’être humain et en quoi consiste-t-elle ? Les réponses des Pères grecs ne peuvent être ramenées à l’unité

Quand les Pères grecs, ou latins d’ailleurs, se demandent ce que signifie pour l’être humain d’être image de Dieu, leur réponse est déterminée en amont par la « faculté » en laquelle ils croient pouvoir localiser cette image12. En établir une typologie précise dépasserait le cadre du présent exposé. Selon la perspective que nous privilégions ici, on signalera que, pour Irénée de Lyon, c’est l’homme tout entier, en tant que tel, qui est image de Dieu13. Irénée ne semble pas avoir envisagé la question en rapport avec la femme. De plus, après lui on n’en restera pas à cette simplicité, comme on le voit pour les grandes écoles exégétiques : à Antioche on situera l’image de Dieu dans la domination sur la nature, comme on l’a déjà signalé (cf. infra I) ; à Alexandrie, ce sera dans l’âme (cf. infra II) ; pour leur part, les Cappadociens situeront cette image dans les vertus (cf. infra III). Ne poursuivant pas un but de stricte érudition, on s’en tiendra à cette typologie certainement trop sommaire14, l’enquête se terminant avec Épiphane de Salamine (cf. infra IV) qui rejette toute recherche de « localisation », comme dangereuse.

Pour notre propos, il sera intéressant de vérifier si ces variations dans la localisation de l’image de Dieu aboutissent à des conclusions convergentes ou divergentes s’agissant de sa réalisation dans les femmes. Si ces variations n’avaient finalement que peu d’effets, on vérifierait que la théologie des Pères grecs n’a pas été en mesure d’échapper à la surdétermination de la question de l’image de Dieu par la perspective androcentrique, alors qu’on aimerait croire le contraire, car la prégnance de l’androcentrisme se vérifie chez eux, comme dans toutes les cultures traditionnelles, ainsi qu’on l’a déjà souligné.

Par là même, cette brève contribution pourrait, à son registre, nourrir le dossier de la relation entre l’Évangile et les modèles sociaux. Question toujours actuelle, y compris dans nos Églises. Des responsables religieux dénoncent quelquefois vite, comme sécularisation, les difficultés que la vie chrétienne éprouve à s’inculturer en Occident, alors qu’on peut aussi se demander si le phénomène, certes réel, ainsi décrit, ne résulte pas, en certains cas précis, d’une sacralisation indue de modèles sociaux, hérités de l’histoire plus que de la Tradition15.

Mais laissons ce questionnement, que l’on pourrait trouver trop général, pour nous livrer à une simple lecture de textes, sur le mode anthologique, en suivant le plan annoncé.

I Pour la tradition antiochienne, l’image de Dieu en l’homme se trouve dans la domination accordée à Adam sur la création. La femme réalise moins ce profil, surtout depuis la chute

La tradition exégétique antiochienne est restée tout du long cohérente dans ses options. On lira ses principaux représentants, en ce qui concerne notre thème, selon leur ordre chronologique.

Eusèbe d’Émèse (300-359)

La matrice exégétique antiochienne concernant l’image de Dieu16 paraît remonter à Eusèbe d’Emèse. Si son œuvre grecque a été largement perdue, on en conserve une partie significative en latin, éditée par le louvaniste E.M. Buytaert17. Eusèbe semble être le premier témoin de la localisation de l’image de Dieu en l’homme comme étant sa domination sur l’ensemble des créatures :

« Selon son image » ne signifie rien d’autre que l’homme […] est fait roi de tout ce qui est sur la terre, et, Dieu dominant tout ce qu’il a fait au ciel et sur terre, l’homme dominera sur tout ce qu’il a reçu18.

À Antioche on restera désormais fidèle à cette compréhension de l’image ; mais on doit noter qu’Eusèbe lui-même ne se prononcera pas sur la possibilité ou l’impossibilité pour la femme d’être image de Dieu. Ce pas sera franchi, en un sens négatif, par Diodore de Tarse.

Diodore de Tarse († avant 394)

Diodore sera amené à interpréter la présence de l’image de Dieu en la femme de façon minorante à cause de ce que Paul enseigne dans sa Ière Épître aux Corinthiens déjà citée. Il le dit explicitement :

Certains ont pensé que l’homme est image de Dieu dans l’invisibilité de son âme, ne comprenant pas que tant l’ange que le démon sont invisibles, eux aussi. À ces gens on doit concéder que le masculin et le féminin, avec leur âme et leur corps, participent de la même nature. Mais pourquoi donc, si l’âme est l’image de Dieu, Paul désigne-t-il l’homme comme l’image de Dieu mais non pas la femme ? Il dit, en effet, « l’homme ne doit pas se couvrir la tête car il est l’image et la gloire de Dieu, mais la femme est la gloire de l’homme ».

(1 Co 11,7)

Quand donc celui qui ne doit pas se couvrir la tête est image de Dieu, il est clair que celle qui a la tête couverte n’est pas image de Dieu, même si elle participe de la même âme. Comment donc l’être humain est-il image de Dieu ? Dans le fait d’exercer le pouvoir, l’autorité. La voix même de Dieu en témoigne, quand elle dit : « Faisons un être humain à notre image et ressemblance » et quand elle ajoute, « qu’il commande aux poissons de la mer et aux volatiles du ciel et aux bestiaux de la terre », etc. De même que Dieu règne sur tout ce que l’univers contient, de même l’homme règne sur tout ce que la terre contient. Mais est-ce que la femme ne domine pas, elle aussi, sur tout ce qui vient d’être dit ? Non, car elle a pour tête l’homme (anèr), lui qui domine sur tous les autres ; en revanche l’homme n’est pas subordonné à la femme. C’est pour cela qu’à bon droit le bienheureux Paul ne désigne que l’homme comme « image et gloire de Dieu », disant de la femme qu’elle est seulement la « gloire de l’homme »19.

La clarté avec laquelle ce texte refuse que la femme puisse être image de Dieu rend tout commentaire superflu. En revanche, on ne doit pas passer à côté d’une de ses remarques, d’importance capitale : dans le moment même où il refuse que la femme soit l’image de Dieu, Diodore affirme qu’elle participe de la même âme que l’homme. Ainsi, ni la hiérarchie créationnelle ni la privation de l’image de Dieu n’oblitèrent le fait que la femme participe à une nature qui lui serait absolument commune avec l’homme. À Antioche, nous semble-t-il, cette perception ne sera, peut-être, mise en péril que par le seul saint Jean Chrysostome.

Jean Chrysostome (344-354/407)

Il convient de le citer un peu longuement, tant il expose clairement la position antiochienne qu’il semble synthétiser :

Que dit l’Écriture ? « Vous dominerez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux des cieux et sur tout ce qui rampe sur la terre ». Dieu utilise le terme image en le comprenant comme domination, et non de quelque autre manière. Car Dieu a créé l’homme comme dominant sur tout ce que la terre contient ; rien ne le surpasse, mais tout est soumis à son autorité […] S’ils pensaient (les adversaires) que le terme image devrait être compris ici en un sens concret (morphè), nous leur opposerions ceci : dans ce cas, il ne faudrait pas nommer image seulement l’homme (anthrôpos) ; mais la femme aussi, bien sûr, devrait être appelée image, car tous deux ont la même forme (morphè). Mais ceci ne serait pas raisonnable [ou : serait sans fondement : ouk an ekhoi touto logon]. Écoute, en effet, ce que dit Paul : « L’homme ne doit pas se couvrir la tête, car il est l’image et la gloire de Dieu ; quant à la femme, elle est la gloire de l’homme ». Lui domine ; elle, en revanche, est assujettie, comme Dieu le lui a dit au commencement : « Tu seras attirée par ton mari et lui te dominera » (Gn 3,16). Puisque selon la parole primordiale (ton tès archès logon), l’homme (anthrôpos) participe à l’image et non à la forme (morphè), l’homme exerce une domination universelle alors que la femme est assujettie, c’est pour cette raison que Paul déclare que l’homme (anèr) est icône et gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l’homme. S’il avait eu la forme (morphè) en vue, il n’aurait pas fait une telle distinction car l’homme et la femme relèvent d’un même moule (tupos)20.

Pour saint Jean Chrysostome, non seulement la femme n’est pas image de Dieu au même titre que l’homme car elle ne peut être képhalè, elle ne peut exercer l’autorité. Mais bien qu’elle relève d’un même moule (tupos) et d’une même forme (morphè), sa nature (phusis) est différente de celle de l’homme, ce qui constitue l’une des raisons de son inaptitude à la prêtrise21. Est-il emporté par sa rhétorique ? Quoi qu’il en soit, dans son Traité du Sacerdoce, il semble bien dénier à la femme la même phusis qu’à l’homme :

Quand il s’agit d’être à la tête de l’Église et de se voir confier le soin des âmes, que la femme étant donné sa nature (gunaikeia phusis), et que la plupart des hommes s’effacent devant la grandeur de la réalité […] Autant il y a de différence entre les bêtes brutes et les hommes raisonnables, aussi grande est, je n’exagère pas, la différence entre le berger et ses brebis22.

Chez un autre antiochien, Théodore de Mopsueste, on trouve la même ambivalence que chez Jean Chrysostome.

Théodore de Mopsueste (350-428)

Théodore refuse, lui aussi, que la femme soit image de Dieu. Dans son Commentaire de 1 Co 11,7, on lit : « (Paul) dit que la femme est la gloire (de l’homme) et qu’en fait elle n’est pas image (de Dieu), parce que la gloire renvoie à l’obéissance et l’image à l’autorité ».

D’autre part, dans l’une de ses homélies, il affirme qu’Ève est de la même nature qu’Adam : « Elle possédait une communauté de nature avec Adam, parce que de lui elle avait reçu le principe de son être »23.

Tandis que dans son commentaire du même passage de 1 Co 11,7, il semble suggérer, dans les termes suivants, que la nature de la femme différerait de celle de l’homme :

Ce serait inconvenant selon la piété, selon la nature, selon la création [pour l’homme de se voiler la tête], car il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme24.

En tout état de cause, il ne considère pas que la sexualité et la soumission d’Ève à son mari soient une conséquence de la chute ; aussi à la différence de certains Cappadociens pour qui ce sont là deux conséquences du premier péché, son androcentrisme procède bien plus directement de la volonté de Dieu25.

La tradition antiochienne démontre une réelle continuité, car une génération après Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyr reprendra les positions qu’avait adoptées un siècle plus tôt Diodore de Tarse.

Théodoret de Cyr (393 – vers 466)

Théodoret, tout comme Diodore de Tarse, met un lien étroit entre la Genèse et la position de Paul en 1 Co :

De même que Dieu commande à toutes les réalités (de l’univers), l’homme commande à toutes les réalités terrestres. Mais est-ce que la femme ne les domine pas, elle aussi ? Non, elle a l’homme pour tête, même quand elle domine le reste, alors que l’homme n’est pas soumis à la femme. C’est pourquoi c’est avec justesse (kalôs) que le bienheureux Paul dit que seul l’homme est l’image et la gloire de Dieu (ton andra monon eikona theou), la femme étant la gloire de l’homme26.

Nous laisserons le dernier mot sur la tradition antiochienne à Sévérien de Gabala qui est encore actif au seuil du VIe siècle. La continuité doctrinale dont il fait preuve en récusant que la femme puisse être image de Dieu du fait qu’elle ne peut exercer l’autorité, nous permettra de conclure en ce qui concerne la tradition exégétique et théologique d’Antioche.

Sévérien de Gabala († après 498)

Même si la femme a le corps et l’âme en commun avec l’homme, on ne peut pas la dire image (eikôn ou legetai), seul l’homme est image (monos eikôn ho aner) […] l’homme n’est image de Dieu ni en son corps, ni en son âme, mais selon sa capacité à exercer l’autorité27.

Les formules bien frappées du dernier représentant d’Antioche [la femme « eikôn ou legetai », et « monos eikôn ho anèr »] invalident, sans ambiguïté possible, les affirmations selon lesquelles « les Pères grecs » n’auraient aucune connivence avec l’androcentrisme, car les Pères antiochiens réservent au genre masculin le fait d’être image de Dieu, selon la compréhension qu’ils en ont.

Il n’entre pas directement dans notre propos de tirer des conclusions ecclésiologiques de la théologie antiochienne de la domination masculine. Cette domination entraîne que les femmes ne sauraient enseigner qu’en privé, comme saint Jean Chrysostome l’explicite dans son Commentaire de l’Épître à Tite :

« Qu’elles enseignent bien ». Et pourtant tu interdis aux femmes d’enseigner : pour quelle raison le permets-tu, quand tu as dit plus haut « je ne permets pas à la femme d’enseigner » (1 Tm 2,12) ? Mais écoute ce qui y est ajouté juste après « ni de dominer l’homme ». Aux hommes il a été permis plus haut, en effet, d’enseigner les hommes et les femmes : il permet une parole d’édification aux femmes, mais seulement à la maison ; jamais il ne leur a permis de présider ni de développer un discours. C’est pourquoi, il ajoute « ni de dominer l’homme »28.

On a là une nouvelle manifestation d’un androcentrisme qui peut, rarement, être dissocié de la question de l’image de Dieu. Ainsi, même quand certains Cappadociens, on le verra, reconnaîtront que l’image de Dieu est réalisée aussi dans les femmes, ils resteront prisonniers de l’androcentrisme. Mais auparavant, voyons ce qu’il en est à Alexandrie, autre haut lieu de l’exégèse des Pères grecs.

II Pour la tradition alexandrine, l’image de Dieu réside surtout dans l’âme, ce qui n’assure pas aux femmes d’être à l’image de Dieu sans réserve

L’école exégétique alexandrine situe l’image de Dieu dans l’âme, mais avec quelques nuances entre ses représentants. Il est superflu, pour notre propos, de rappeler les grandes différences d’orientation entre cette école et l’école antiochienne. En revanche, il faut situer la matrice de l’école exégétique alexandrine dans l’ œuvre de Philon le Juif (-13 à +54) en général, et très particulièrement pour ce qui concerne notre sujet. La symbolique que Philon d’Alexandrie met en œuvre dans son commentaire sur la Genèse, au début de l’ère chrétienne, sera adoptée par les exégètes chrétiens de cette ville. S’agissant de la chute, en voici une expression typique dans le De Opificio Mundi :

Le plaisir n’ose pas présenter ses impostures et ses tromperies à l’homme, mais à la femme et par elle à l’homme. C’était bien suivre la nature des choses et aller droit au but. Car chez les humains, l’intellect (nous) joue le rôle de l’homme (masculin) ; la sensation (aisthèsis) joue le rôle de la femme. Le plaisir aborde donc et fréquente en premier lieu les sensations (aisthèseis) ; c’est par elles (les sensations) qu’il abuse l’intellect directeur (le nous hegemôn)29.

Dans sa lecture allégorique de la Genèse, ces catégories servent à décrire l’homme actuel : pour Philon le nous symbolise l’homme et l’aisthèsis la femme, cependant que l’âme irrationnelle de l’homme est sous le signe du féminin30.

Simultanément, la thématique qui nous intéresse sera déterminée à Alexandrie (et bien au-delà) par l’expression « teleios anèr » d’Ep 4,13. Cette expression de la perfection chrétienne, qu’on trouve au masculin dans cette épître, va entrer en connivence avec des qualités psychologiques dites viriles, notamment avec le courage requis dans le martyre, au point de donner naissance au thème de la masculinisation nécessaire de la femme, si elle veut atteindre la perfection spirituelle31.

Dans ce cadre, bien qu’à Alexandrie on situe l’image de Dieu dans l’être humain en son âme, et non dans le fait de dominer la création et d’exercer l’autorité, cette image peut difficilement être gynécomorphe. On exposera ce point de la manière chronologique et anthologique déjà mise en œuvre pour explorer la tradition exégétique d’Antioche et l’on commencera par Clément d’Alexandrie, son premier représentant.

Clément d’Alexandrie (150-214 ?)

Les thématiques que l’on vient de décrire sommairement comme caractéristiques de l’exégèse chrétienne d’Alexandrie sont déjà présentes chez Clément. Dans les Stromates, il décrit la perfection chrétienne sur un mode exclusivement masculin :

« Quand elle est affranchie des sollicitations de la chair », la femme peut réaliser la perfection en cette vie-ci, « car les âmes ne sont ni d’un sexe ni d’un autre, ni masculines ni féminines, lorsqu’elles n’épousent plus et ne sont plus épousées. La femme va même, pour ainsi dire, jusqu’à se changer en homme (métatithetai eis ton andra è gunè), en perdant sa féminité, devenant virile et parfaite (kai andrikè kai teleia genomenè) »32.

On se trouve ici devant un androcentrisme très poussé, puisque la condition même pour accéder à la perfection est pour la femme de renoncer à sa féminité. Dans le Pédagogue, par exemple, Clément souligne également la supériorité de l’homme sur la femme quant à la raison et à la sagesse, confirmant ainsi la hiérarchie masculine :

Dieu a orné l’homme d’une barbe comme les lions et il l’a désigné comme un homme par une poitrine velue : c’est le signe de la force et de l’autorité. […] Tel est le symbole distinctif de l’homme […], le symbole d’une nature supérieure (sumbolon tès kreittonos phuseôs) […] Dans la génération, […] c’est à l’homme qu’a été accordé le rôle actif, et à la femme le rôle passif33.

On le notera avec intérêt, au passage : c’est en dépendance de la manière dont la médecine de son temps se représente la procréation que Clément vérifie que l’homme est à l’image de Dieu. En procréant, l’homme est comme un cultivateur qui ensemence son champ34. Il use de cette image dans le Pédagogue :

De beaucoup supérieur est le cultivateur qui ensemence un champ doué d’une âme … il plante à cause de Dieu, car Il a dit « multipliez-vous », et il faut Lui obéir ; et l’homme est l’image de Dieu par ce fait que, tout homme qu’il est, il collabore à la naissance de l’homme35.

Ainsi l’androcentrisme est si patent chez Clément que, si tout de même la femme était à l’image de Dieu (ce qu’il ne semble pas dire), elle ne le serait pas au même titre que l’homme. Toutefois, c’est Origène qui développera la symbolique philonienne du masculin et du féminin de façon systématique, tout en se démarquant de son anthropologie.

Origène (ca 185-254)

Dans l’Homélie sur la Genèse d’Origène, on reconnaît une réminiscence de Philon : « Notre homme intérieur est constitué d’un esprit et d’une âme. On peut faire de l’esprit le mâle, et de l’âme la femelle »36. Il y adopte aussi la symbolique que le même auteur associe à ces termes. C’est ainsi qu’il écrit : « Mâle véritable est celui qui ignore le péché, lot de la fragilité féminine »37, ou encore « Si notre action est femelle, elle est corporelle ou charnelle […] ce qui est vu par le regard du créateur est mâle et non femelle. Car Dieu ne daigne pas regarder ce qui est féminin, matériel »38.

Au regard de cette imagerie symbolique si franchement androcentrique et si dépréciative du féminin, conduisant à masculiniser la vie spirituelle, dont on pourrait relever encore bien d’autres expressions, de quel poids pèsent les protestations d’égalité entre hommes et femmes qu’on trouve aussi sous sa plume ? Il écrit bien :

L’Écriture ne fait pas de distinction entre les hommes et les femmes selon le sexe […] C’est d’après la différence des cœurs que se répartissent les hommes et les femmes. Combien appartiennent au sexe féminin qui devant Dieu sont des hommes forts, et combien d’hommes doivent être rangés parmi les femmes molles et indolentes39.

En effet, quels effets peut bien produire l’affirmation d’une égalité entre hommes et femmes, quand le raisonnement même qui l’étaie s’appuie sur un vocabulaire dépréciatif du féminin ? Il ne nous paraît pas exagéré de conclure qu’Origène partage, sans distance critique, l’androcentrisme de sa culture40 et, de ce fait, pour lui, la femme ne saurait réaliser l’image de Dieu de la même manière que l’homme41. On peut clore l’anthologie des Alexandrins en lisant Didyme l’Aveugle, leur dernier grand représentant.

Didyme l’Aveugle (313-398)

La position de Didyme l’Aveugle est d’autant plus intéressante qu’il est l’un des tenants les plus fermes de l’égalité de l’image de Dieu en l’homme et la femme, parce qu’il la situe génériquement dans leur âme. Néanmoins, son imagerie de la vie spirituelle reste étroitement dépendante de celle de Philon, comme on le voit dans son Commentaire sur la Genèse :

Il les fit. Selon le sens littéral, on peut dire que nous avons ici la preuve que la femme est consubstantielle à l’homme : tous deux sont rangés sous la même espèce et c’est ce qui a fait dire : « faisons l’homme ». Les mots « mâle et femelle » indiquent au contraire la distinction que Dieu a ménagée entre eux en vue de la descendance ; ils montrent en même temps que la femme est elle aussi, à l’image de Dieu, que tous deux ont les mêmes capacités : celle d’imiter Dieu, de participer au Saint-Esprit et d’acquérir la vertu42.

Cette dernière proposition est la plus claire expression que l’on puisse trouver, chez les Alexandrins, de l’égalité de l’homme et de la femme en tant qu’image de Dieu. Elle est pourtant si isolée qu’elle ne peut passer pour typique de cette école. De même que l’école d’Antioche restait fidèle tout au long de son histoire à localiser l’image de Dieu dans la capacité masculine de domination, celle d’Alexandrie restera fidèle à la symbolique philonienne et origénienne. Paradoxalement, cela vaut aussi pour Didyme lui-même. Il minore cette égalité, immédiatement après l’avoir proclamée, par le commentaire suivant :

Voici le sens anagogique des mots mâle et femelle : l’intelligence capable d’enseigner, de jeter la semence de la Parole dans les âmes susceptibles de la recevoir, doit être mâle. Et tiennent symboliquement la place de la femelle, les âmes qui ne peuvent rien enfanter d’elles-mêmes mais qui reçoivent des autres l’enseignement à la façon d’une semence. Dans l’ordre sensible, c’est Dieu qui fait qu’on est mâle ou femelle mais dans l’ordre spirituel, c’est chacun pour lui-même et par son propre choix qui, ou bien occupe la place du maître, mâle et semeur des biens, ou bien se fait le disciple qui reçoit la semence d’un autre et qui en cela est femelle43.

Toutefois, il dépasse lui-même les pièges de sa rhétorique en notant immédiatement que « toute nature raisonnable est, par rapport au Verbe de Dieu, femelle ». — Après Didyme, c’est à peine si l’on peut mentionner Cyrille d’Alexandrie concernant notre sujet.

Cyrille d’Alexandrie († 444)

C’est en passant que Cyrille exprime l’androcentrisme qu’il partage avec ses contemporains, plus qu’il ne se fait l’écho de la typologie philonienne si présente chez Origène :

La faiblesse intellectuelle des femmes les rend incapables de penser, de quelque façon que ce soit (oudamothen), avec rigueur et sagacité [alors que] la nature (phusis) des hommes est plus encline à l’usage de toutes les formes de la raison, plus prompte à comprendre44.

Bien que la théologie de l’image de Dieu tienne une grande place dans sa théologie, il ne semble pas s’être intéressé à notre question45.

En situant l’image de Dieu dans l’âme, on aurait pu penser que les Alexandrins auraient pu affirmer, plus facilement que les Antiochiens, l’égalité de l’image de Dieu chez la femme et chez l’homme. Il n’en est rien, car ils vivent dans une culture androcentrique identique, dont on pourrait dévoiler encore plus la prégnance en suivant leurs commentaires du teleios anèr (Ep 4,13). On aboutit ainsi dans le domaine spirituel à un résultat assez pénible : ce n’est qu’en renonçant à sa condition sexuée, féminine en l’occurrence, que la chrétienne peut atteindre la perfection à laquelle l’Évangile l’appelle46 !

À la différence des Antiochiens et des Alexandrins, les Cappadociens vont situer l’image de Dieu dans la volonté libre et la vertu : cela va-t-il leur permettre de dépasser l’androcentrisme de leur culture ?

III Pour Macaire et les Cappadociens, l’image de Dieu se trouve dans la volonté libre. Hommes et femmes sont égaux à cet égard, mais cela ne préjuge pas de leur égalité sociale

Les Cappadociens situent l’image de Dieu dans l’être humain dans sa liberté, c’est-à-dire aussi dans ses capacités vertueuses. Macaire, dont on sait qu’il fut connu de Basile et de Grégoire de Nysse47, fut, semble-t-il, le premier, et sans références philosophiques particulières, à situer l’image de Dieu dans la liberté de l’homme.

Macaire (fin du IVe s. et début du Ve s.)

Le ciel, le soleil, la lune et le soleil une fois créés […] ne peuvent rien changer à leur état de nature et ils n’ont aucune volonté. De toi, en revanche, on dit que tu as été créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu » parce que, à la manière dont Dieu se détermine lui-même et agit selon sa volonté […] de cette même manière, toi aussi tu peux te déterminer toi-même, et même décider de te perdre. Car ta nature est modifiable. […] Celui qui le veut, obéit à Dieu, « prend le chemin de la justice » (Mt 21,32 ; 2 P 2,21) et maîtrise la concupiscence. Un tel esprit a grandi dans le combat, avec une forte réflexion il peut résister aux attaques du mal et vaincre les désirs honteux48.

Cette option macarienne, quoi qu’il en soit de la question de son influence, se retrouve chez les Pères de Cappadoce, plus discrète chez Grégoire de Nysse, et plus ferme chez Grégoire de Nazianze et Basile49.

Grégoire de Nysse (335-394)

Pour Grégoire de Nysse, la différenciation sexuelle est un des effets de la chute. Pour cette raison, il traite de l’image de Dieu en relation à l’homme « universel » : toute l’humanité est créée en fonction du Christ ; ceci le dispense de poser la question de l’image de Dieu dans la femme en tant que telle. Il la résoudrait positivement selon le texte qui suit :

Quand l’Écriture dit : « Dieu créa l’homme », par l’indétermination de cette formule, elle désigne toute l’humanité. En effet, dans cette création Adam n’est pas nommé, comme l’histoire le fait dans la suite : le nom donné à l’homme créé « un tel » ou « un tel », mais celui de l’homme universel. Donc par la désignation universelle de la nature, nous sommes amenés à supposer quelque chose comme ceci : par la prescience et par la puissance divine, c’est toute l’humanité qui, dans cette première institution, est embrassée50.

Toutefois, Grégoire de Nysse n’échappe pas pour autant à l’androcentrisme, comme on le voit à la manière dont il commence la Vie de sainte Macrine : « Une femme faisait l’objet de notre récit, si toutefois on peut l’appeler une femme, car je ne sais s’il convient de désigner, en termes de nature, celle qui s’est élevée au dessus de la nature »51. On voit ainsi que Grégoire de Nysse participe d’une mentalité, dont on a déjà vu combien elle était répandue.

Grégoire de Nazianze (330-390)

Ce Cappadocien a la formulation la plus nette sur l’égalité de l’homme et de la femme devant Dieu et la plus nette reconnaissance de cette dernière comme image de Dieu :

Un unique créateur de l’homme et de la femme ; une unique poussière qu’ils sont tous les deux ; une image unique, une loi unique, une mort unique, une résurrection unique.

Mais, il convient pourtant de constater que ce qui est vrai devant Dieu, ne l’est pas pour autant au plan social. Tout de suite après avoir dit cela, il réclame la chasteté de la part de l’époux :

Comment réclames-tu donc la chasteté sans l’apporter ? [ce qui ne l’empêche pas d’avoir une rigueur non symétrique contre l’épouse :] La femme qui se conduit mal, chassons-la parce qu’elle abâtardit la race52.

Ce même jeu de « deux poids, deux mesures » se retrouve chez Basile.

Basile de Césarée (330-379)

Basile n’a pas le moindre doute sur le fait que la femme soit pleinement image de Dieu. De tous les Pères grecs, il est celui qui plaide le plus clairement et le plus vigoureusement en ce sens. Dans son Homélie sur le martyre de Julitte transparaît son appartenance à une culture androcentrique. Il commence, en effet, par se demander « s’il convient d’appeler femme celle qui a surpassé la faiblesse de la nature féminine par la grandeur de son âme »53. Mais il met dans la bouche de Julitte le discours suivant à l’adresse des femmes qui l’entourent :

« Nous sommes de la même pâte que les hommes. Nous avons été créées à l’image de Dieu comme eux. Le créateur a rendu la femme capable de vertu autant que l’homme. Et quoi ? Ne sommes-nous pas en tout de la même race que les hommes ? Pour créer la femme, on n’a pas pris seulement de la chair mais aussi l’os des os. Aussi quant à la solidité, à la force et à la patience, nous sommes égales aux hommes et ceci nous le devons à notre Maître ». Ayant dit cela, elle s’avança vers le bûcher54.

On le voit, pour Basile, l’image de Dieu réside dans les vertus morales qui peuvent être identiques chez les femmes et les hommes, ce qu’il souligne en s’opposant consciemment au Timée de Platon où ce philosophe considère que la femme est plus faible moralement que l’homme, et que, dans l’échelle de valeurs entre les êtres, elle pourrait se situer à mi-chemin entre la nature humaine et la nature animale55. Basile prend nettement ses distances avec la culture dans laquelle il a été formé, comme il le montre dans son commentaire du Ps. 1 :

« Heureux l’homme qui ne suit pas le conseil des impies » […] Pourquoi le psaume proclame-t-il comme bienheureux l’homme seulement ? Aurait-il donc exclu les femmes de cette béatitude ? En aucune façon ! Il n’y a qu’une vertu pour l’homme et la femme, car la création de l’un et de l’autre a même dignité. Et, de ce fait, identique sera le salaire de l’un et de l’autre. Écoute la Genèse : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il les créa. Homme et femme, il les créa ». Chez ceux qui ont une seule et même nature, les actions sont identiques, et pour ceux chez qui les œuvres sont identiques, le salaire sera identique. Pourquoi donc l’homme est-il mentionné et la femme passée sous silence ? La nature des deux étant une et unique, le psalmiste a estimé qu’il suffisait de désigner le tout par la partie qui prédomine56.

Toutefois, il convient de noter que chez Basile — et Grégoire de Nazianze —, le fait pour la femme d’être considérée comme image de Dieu, n’en fait pas pour autant socialement ou religieusement l’égale de son mari, ni de l’homme en général.

Dans l’Éloge que Basile prononce pour sa sœur Gorgone, on voit qu’elle doit respecter les contraintes sociales de l’obéissance à son mari et du silence dans l’assemblée chrétienne57. De même, s’il déplore le traitement différent du mari et de la femme en cas d’adultère58, il prescrit néanmoins : « La femme recevra l’homme qui revient d’une fornication, tandis que l’homme renverra de sa maison la femme souillée »59.

Les Cappadociens nous auront appris que la femme peut être la pleine image de Dieu selon la « localisation » de cette image, mais même dans ce cas elle n’est pas encore affranchie de l’androcentrisme. Le dernier Père grec qu’on se propose de lire, Épiphane de Salamine, nous apprendra que s’interdire de localiser l’image n’empêche toujours pas la femme de demeurer socialement dépendante des hommes.

IV Pour Épiphane de Salamine (315-403), et de rares autres, on ne doit pas essayer d’identifier le support de l’image de Dieu dans l’être humain

Dans notre rapide esquisse, nous n’avons pas pu proposer une typologie exhaustive, redisons-le, des localisations de l’image de Dieu en l’être humain, selon les Pères grecs. Cette localisation a dû être une question assez disputée chez les Pères du désert, pour que l’on ait attribué à Abba Sopatros les interdits suivants :

Ne laisse pas entrer de femme dans ta cellule et ne lis pas d’apocryphes. Ne te mets pas à réfléchir à l’image de Dieu en l’homme. Ce n’est pas qu’il s’agisse là d’une hérésie, mais c’est (aller au devant de) l’ignorance et de l’esprit de querelle […] car aucune créature n’est en mesure d’y comprendre quelque chose60.

Pour Épiphane de Salamine, c’est tout simplement une fausse question où ne s’embarquent que « les stupides et les ignorants ». Dans sa réfutation de la secte des Audianes, qui voudrait situer l’image dans le corps humain, il écrit :

Nous ne devons jamais vouloir déterminer ou constater en quelle partie de l’homme l’image de Dieu se situe, mais nous devons simplement confesser que l’image de Dieu se trouve en l’homme, pour ne pas rejeter la grâce de Dieu et nous retrouver incroyants61.

Avec grande sagesse, celui qui fut un infatigable chasseur d’hérésies, conclura :

Il est certain que tous les hommes sont créés à l’image de Dieu ; mais où se situe cette image ? Nous ne devons pas le chercher de façon trop pressante et précise. Nous ne pensons pas que le corps soit à l’image de Dieu, ni l’âme, ni l’esprit, ni qu’elle réside dans la vertu. Car beaucoup de choses nous empêchent, à chaque fois, de penser cela. Mais nous ne disons pas plus que le corps ou l’âme ne serait pas à l’image de Dieu […] L’image de Dieu réside en l’homme ; comment ? Dieu seul le sait62.

Ceci n’empêche en rien qu’Épiphane arguera de « l’âme basse » des femmes pour les exclure de l’ordination63 !

Conclusion

De ce simple survol, sur le mode anthologique, on ne peut pas tirer beaucoup de conclusions « définitives ». Toutefois, s’agissant du questionnement qui nous a retenus tout du long, relatif à l’identique réalisation de l’image de Dieu dans les femmes et les hommes, plusieurs réponses se sont dégagées qu’on se risque à résumer.

1) L’affirmation selon laquelle les femmes sont images de Dieu de la même manière que les hommes, apparaît presque isolée chez les Pères grecs. On ne l’envisage pas dans la tradition antiochienne. Dans la tradition alexandrine, Didyme l’Aveugle est seul à la prôner. Chez les Cappadociens, Basile et Grégoire de Nazianze la soutiennent en toute clarté.

2) La position la plus commune, qui refuse que la femme soit image de Dieu ou le soit de la même manière que l’homme, n’implique pas chez ces Pères que les femmes et les hommes ne participent pas à la même nature humaine. Pour mettre cela en doute, il faudrait une étude sémantique approfondie de l’usage du terme phusis, quand Jean Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie affirment qu’elle diffère chez les hommes et chez les femmes. Car l’attitude globale des Pères est une approbation positive du compagnonnage vécu dans le mariage64, nuancée il est vrai, d’une surestimation de la virginité et du veuvage pour les femmes, à qui cet état de vie procure plus de liberté que si elles étaient mariées et surtout une plus grande proximité à leur époux divin.

3) Quand ils affirment, très rarement, que la femme est image de Dieu tout comme l’homme, ils se bornent à énoncer son statut coram Deo, dans le domaine sotériologique et eschatologique, mais n’en déduisent pas son égalité sociale ou ecclésiale avec l’homme. La meilleure réflexion théologique des Pères grecs (ou latins !) ne les a pas conduits à dépasser l’androcentrisme inhérent à leur culture.

4) Vouloir prouver que les Pères ont « tout de même » battu l’androcentrisme en brèche ou, différemment, vouloir les blâmer de ne pas l’avoir vaincu, relève, dans les deux cas, de la même attitude anhistorique65. En fait, les deux Pères cappadociens, qui sont convaincus que la femme est à l’image de Dieu autant que l’homme, n’en tirent pas plus de conséquences sociales et ecclésiales qu’ils n’en tirent s’agissant de leurs esclaves ou de l’esclavage en général ; ce parallélisme s’impose alors même qu’ils proclament avec Paul dans l’épître aux Galates que « (en Christ), il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme »66.

* * *

Au-delà de ces conclusions particulières, une telle référence à l’histoire est-elle en droit d’influer sur la manière de faire de la théologie ? Il est probable qu’elle peut infléchir un peu la manière de faire tant de la théologie pratique que de la théologie fondamentale.

Dans le champ de la théologie pratique, un constat s’impose. Si l’on se fie au phénomène éditorial, il semble qu’un gynécocentrisme se soit substitué à l’androcentrisme dans les préoccupations des théologiens. Cela semble même se vérifier dans les productions les plus scientifiques. Ainsi en 1992, la très érudite Theologische Realenzyklopädie, consacre un peu moins de cinq pages à Mann, alors qu’elle alloue douze fois plus d’espace à Frau (soixante-quatre pages exactement). En 1995, l’Encyclopédie du Protestantisme consacre dix-sept pages à Femme, sans aucun article correspondant Homme, masculin ou virilité67. Serait-il donc vrai, dans les faits, que la femme reste « spéciale » pour la corporation théologique, protestante comme catholique, malgré les convictions inverses, exprimées en théorie ?

Plutôt que d’insister malicieusement sur ce point, on soulignera que nous restons encore dans l’ambivalence. Certes, par son gynécocentrisme, la communauté théologique veut favoriser l’inculturation. Mais en gardant, sur les hommes, un silence conjugué à l’inflation du discours sur les femmes, ne risque-t-on pas de les marginaliser encore plus — surtout quand ils sont laïcs —, dans une Église où les femmes sont traditionnellement surreprésentées ? Plus grave, ce silence ne peut pas favoriser les nouvelles alliances nécessaires entre les hommes et les femmes, car Dieu nous a donné les unes et les uns aux autres, nous qui sommes à son image, même si nous ne savons pas très bien comment. Peut-être faut-il laisser le dernier mot, sur ce point, à ce vieil intégriste d’Épiphane ?

Dans le champ de la théologie fondamentale, ce bref parcours montre combien la réflexion chrétienne peut être conditionnée culturellement. À titre d’exemple, notre introduction a insisté sur le rôle joué par la médecine récente dans la sortie de l’androcentrisme — sortie qui doit peu aux retombées sociales de la théologie —, alors que la médecine antique avait joué en sens inverse68. D’autres facteurs culturels ont renforcé l’inégalité des femmes face aux hommes, dans le domaine liturgique spécialement69. Ces conditionnements historiques rendent théologiquement délicates les argumentations fondées sur la validité permanente des traditions70. Dans notre présent, où la nécessité d’une nouvelle inculturation est ressentie, la sauvegarde des traditions est quelquefois plus un handicap qu’une aide. S’en rendre compte peut dégager le chemin vers la Tradition même de l’Évangile, et nous encourager à changer pour demeurer fidèles à ce même Évangile.

Notes de bas de page

  • * Cet exposé à l’Académie Internationale des Sciences Religieuses, paraîtra également dans ses Actes : L’homme image de Dieu (sous la direction d’O.H. Pesch et J.-M. van Cangh), Paris, Cerf, 2006.

  • 1 On verra son livre pionnier, Subordination et équivalence. Nature de la femme d’après Augustin et Thomas d’Aquin, Oslo-Paris, 1968 (tr. ital., Natura e ruolo della donna in Agostino e Tommaso d’Aquino, Assisi, 1979 ; tr. anglaise, Subordination and Equivalence. The nature and Role of Woman in Augustine and Thomas Aquinas, Washington DC, 11981, et Kampen, 21995.

  • 2 Voir l’article Ma’ra dans l’Encyclopédie de l’Islam. Dans l’ensemble des États du monde arabo-musulman, le statut des femmes est celui d’une perpétuelle minorité juridique. Comme ce statut relève de la révélation selon les théologiens musulmans, ces derniers récusent que la question de l’égalité puisse être posée ; délaissant donc le terrain du droit, un apologète iranien contemporain, S.H. Nasr, recourt ainsi à la poésie : « Au regard de l’Islam, la question de l’égalité des hommes et des femmes est dépourvue de signification. C’est comme si l’on discutait de l’égalité d’une rose et d’un jasmin : chacun a son propre parfum, sa couleur, sa forme et sa beauté propre. L’homme et la femme ne sont pas identiques […] La femme n’est pas l’égale de l’homme. Mais l’homme non plus n’est pas l’égal de la femme […] L’homme possède certains privilèges tels que, sur le plan social, l’autorité et la mobilité, privilèges qui lui imposent certains devoirs importants », dans Id., Islam. Perspectives et réalités, Paris, Buchet-Chastel, 1975, p. 139.

  • 3 Cf. Gollob A., Buddha und die Frauen. Nonnen und Laienfrauen in den Darstellungen der Pali-Literatur, Altenberge, Oros, 1998. Cette anthropologie est originelle et religieusement sanctionnée ; voir Nolot Éd., Règles de discipline des nonnes bouddhistes, coll. Collège de France – Publications de l’Institut de civilisation indienne 60, Paris, De Boccard, 1991, p. 9 : « § 13. Le premier devoir impératif d’une nonne ordonnée depuis cent ans est de se prosterner aux pieds d’un moine ordonné le jour même. C’est, Ananda, le premier devoir impératif des nonnes, que, leur vie durant, elles doivent honorer ».

  • 4 Borgeaud Ph., avec N. Durisch, A. Kolde, Gr. Sommer, La mythologie du matriarcat. L’atelier de Johann Jakob Bachofen, Genève, Droz, 1999. Voir le compte-rendu dans L’Homme 157 (janvier-mars 2001) 248-252.

  • 5 Deux chiffres sont parlants : dans les sociétés traditionnelles, il fallait multiplier les maternités, comme au Sénégal, il y a quarante ans, où la mortalité infantile était de 400 pour mille ; cf. Desgrées du Loû A. et Pison G., « Le rôle des vaccinations dans la baisse de la mortalité des enfants au Sénégal », dans Population 50 (1995) 593. D’autre part aujourd’hui, même aux USA, un accouchement sur 4.000 se termine toujours par la mort de la mère.

  • 6 Quelques chiffres : en France un tiers des mariages finit par un divorce ; à Paris un foyer fiscal sur deux est une personne seule. En France 37% de la population, en âge de l’être, ne sont pas mariés, plus très loin derrière la Suède où la proportion est de 49% !

  • 7 C’est ce que voudraient faire croire certains orthodoxes, comme ceux qui, à la fin des travaux du colloque de Foi et Constitution à Niederaltaïch (1980) sur La communauté des hommes et des femmes dans l’Église, rédigent la déclaration suivante : « Fondée sur l’Écriture, dans la continuité de la Tradition vivante de l’Église, l’anthropologie orthodoxe, selon sa dynamique essentielle n’est pas androcentrique mais théocentrique », ajoutant devoir « insister sur le caractère radicalement apophatique de la théologie (orthodoxe), relativisant toute imagerie masculinisante dans la représentation de Dieu ». Dans « Œcuménisme au féminin », Contacts 112 (1980/4) 341, Él. Behr-Sigel reprend cette apologétique pour opposer la « vision orthodoxe » à « l’anthropologie androcentrique dont, en Occident, saint Augustin, dans le cadre du dualisme néoplatonicien, aurait posé les fondements et qui se retrouverait durcie, dans une perspective aristotélicienne, chez saint Thomas d’Aquin, pour qui l’homme mâle serait l’être humain exemplaire, seul véritablement porteur de l’image divine » (ibid. p. 340). Elle insinue aussi que les Pères latins seraient misogynes : « L’accusation de misogynie portée contre les Pères provient surtout de féministes occidentales qui se réfèrent à la tradition latine, d’Augustin à Thomas d’Aquin et Bonaventure », dans Behr-Sigel Él., L’ordination des femmes dans l’Église orthodoxe, Paris, Cerf, 1998, p. 8.

  • 8 Cf. Jervell J., Imago dei. Gn 1,26 f. im Spätjudentum, in der Gnosis und in den paulinischen Briefen, coll. FRLANT 76, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1960, p. 107-112. On verra également Hultgard A., « God and Image of Woman in Early Jewish Religion », dans Image of God and Gender Models in Judaeo-Christian Tradition, éd. K.E. Børresen, Oslo, Solum Forlag, 1991, p. 35-55.

  • 9 Cf. Fatum L., « Image of God and Glory of Man : Women in the Pauline Congregations », dans Image of God … (cité supra n. 8), p. 56-137. On verra cette étude notamment parce qu’elle est critique, à notre avis à juste titre, de la représentation idyllique et apologétique des relations entre hommes et femmes qu’E. Schüssler-Fiorenza a voulu retrouver dans les toutes premières communautés chrétiennes, dans En mémoire d’Elle, coll. Cogitatio fidei 136, Paris, Cerf, 1986.

  • 10 Cf. 1 Tm 3,12-13.

  • 11 La toilette des femmes 1,1-2 ; SC 173, p. 42-43.

  • 12 Curieusement, Hall D.J., Être image de Dieu, coll. Cogitatio fidei 213, Paris, Cerf, 1998, n’envisage que très latéralement cette question et ne fait que de brèves allusions à ce qui en résulte pour les femmes (p. 125-127, 179 et 248). [Nous n’avons pas eu accès à la contribution de G. Sfameni Gasparro, « La donna nell’esegesi patristica di Gen. 1-3 », dans La donna nel pensiero cristiano antico, éd. U. Mattioli, Genova, 1992, p. 17-50].

  • 13 Adv. Haeres. V, 6, 1 (SC 153, p. 72-73) : « Par les Mains du Père, c’est-à-dire par le Fils et l’Esprit, c’est l’homme et non une partie de l’homme, qui devient à l’image et à la ressemblance de Dieu. Or l’âme et l’Esprit peuvent être une partie de l’homme, mais nullement l’homme : l’homme parfait, c’est le mélange et l’union de l’âme qui a reçu l’Esprit du Père et qui a été mélangée à la chair modelée selon l’Image de Dieu ».

  • 14 Dans la remarquable monographie de M. Parmentier, « Griechische patristische Elemente zu einer theologischen Anthropologie der Frau als Mensch und als Frau in ihrer Differenz zum Mann », dans Internationale kirchliche Zeitschrift 88 (1998) 132-174, qui rassemble les textes essentiels, on trouvera une typologie plus complexe, spécialement aux p. 134-153. Nous reconnaissons notre dette à son égard.

  • 15 On peut penser, p. ex., aux lenteurs réticentes de l’Église catholique à faire place aux chrétiennes dans ses structures de décision, question qu’on ne peut confondre avec celle de leur ordination.

  • 16 Bibliographie récente sur l’ensemble de ce thème : Mc Leod F.G., The Image of God in the Antiochene Tradition, Washington DC, Catholic University Press, 1999 ; Harrison N.V., « Women, Human Identity, and the Image of God : Antiochene Interpretations », dans Journal of Early Christian Studies 9 (2001) 205-249.

  • 17 Eusèbe d’Émèse. Discours conservés en latin : t. I, La collection de Troyes, t. II, La collection de Sirmond, coll. Spicilegium Sacrum Lovaniense, Louvain, 1957.

  • 18 Ibid. t. II, p. 81.

  • 19 PG 33, 1564-1565 et Deconinck J., Essai sur la chaîne de l’Octateuque avec une édition des commentaires de Diodore de Tarse qui s’y trouvent, Paris, 1912, p. 95-96.

  • 20 Hom. in Gn 8, 3-4, PG 53, 73. Le même propos est repris en Hom. in Gn 9, 2, PG 53, 78.

  • 21 Aussi regrettera-t-on que dans sa monographie, destinée à réhabiliter les Antiochiens et citée supra n. 16, N.V. Harrison, « Women, Human Identity … », passe Chrysostome complètement sous silence.

  • 22 Sur le sacerdoce II, 2 (SC 272, p. 104-105).

  • 23 Homélie VI, § 10 ; Les homélies catéchétiques de Théodore de Mopsueste, éd. R. Tonneau, coll. Studi e Testi 145, Vatican, Libr. Ed., 1949, p. 147-149. C’est une allusion à Gn 2.

  • 24 Pauluskommentare aus der griechischen Kirche, éd. K. Staab, Münster, Aschendorff, 1933, p. 187.

  • 25 Voir Harrison N.V., « Women, Human Identity … » (cité supra n. 16), notamment p. 215-216.

  • 26 Qu. 20 in Gn, PG 80, 104 B.

  • 27 Sur 1 Co 11,7, Pauluskommentare aus … (cité supra n. 24), p. 261.

  • 28 In Titum 4, PG 62, 683.

  • 29 De Opificio Mundi 165, coll. Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, Paris, Cerf, 1961s., t. I, p. 253.

  • 30 Cf. sur ces thèmes, Baer R.A., Philo’Use of the Categories Male and Female, coll. Arbeiten zur Geschichte des hellenistischen Judentums 3, Leiden, Brill, 1970, spécialement p. 38-44.

  • 31 Pour l’étude du thème, voir K. Vogt, « “Becoming Male” : a Gnostic and Early Christian Metaphor », dans Image of God … (cité supra n. 8), p. 188-207.

  • 32 Stromates VI, 12, 100, 3 (SC 446, p. 260-263). [Nous avons un peu modifié la traduction]. On a voulu voir ici une influence gnostique : Clément a probablement connu les Extraits de Théodote (voir SC 23), mais l’influence de la finale de l’Évangile copte de Thomas (cf. Aland K., Synopsis quattuor evangeliorum, p. 530) nous paraît à exclure car Jésus s’y sent obligé de faire de Marie un mâle, pour qu’elle soit sauvée. La référence androcentrique à Ep 4,13 est plus vraisemblable et suffit.

  • 33 Pédagogue III, 18,1, 19, 1 -2 (SC 158, p. 44-47).

  • 34 Le Coran use de cette même image : « Vos femmes sont pour vous un champ de labour : allez à votre champ comme vous le voudrez » (Sourate 2, verset 223).

  • 35 Pédagogue II, X, 83 (SC 108, p. 164-165).

  • 36 Homélie sur la Genèse 1,15 (SC 7, p. 85).

  • 37 Homélie sur le Lévitique 1,1 (SC 286, p. 75) ; même idée dans Homélie sur les Nombres 1,1.

  • 38 Sur l’Exode, PG 12, 296-297.

  • 39 Homélie sur Josué (SC 71, p. 267).

  • 40 Il justifie même par l’Écriture une certaine morgue masculine : « Puisque les femmes sont invitées à se faire instruire chez elles par leurs maris et que leur rôle est plutôt un rôle d’élèves que d’enseignantes, je ne tire aucun secours de qui ne peut m’enseigner et chez qui je ne trouve rien à imiter ni à retenir », Homélie sur Josué 3, 1 (SC 71, p. 128-129).

  • 41 La lecture attentive de la thèse d’H. Crouzel, Théologie de l’image de Dieu chez Origène, coll. Théologie 34, Paris, Aubier, 1956, montre qu’il y a moins d’un demi-siècle, il ne se pose jamais cette question ; signe évident, s’il en était besoin, de l’historicité de la théologie, comme on le soulignait en introduction.

  • 42 Sur la Genèse 62 (SC 233, p. 158, p. 12s.).

  • 43 Ibid., p. 158-161.

  • 44 In Johannis Evangelium 2, 4, 16 (PG 73, 301).

  • 45 Les croisements que nous avons tenté d’établir entre femina et imago, à partir des indices, très sommaires, il est vrai, de la PG, ont été infructueux.

  • 46 On cite souvent, en ce sens, l’exclamation mise dans la bouche de la martyre Félicité : « et exspoliata et facta sum masculus », dans Passion de Félicité et Perpétue, SC 417, p. 136-138. À l’étude de K. Vogt, « “Becoming Male” … » (cité supra n. 31) et en plus bref, Id., « “Devenir mâle”. Aspect d’une anthropologie chrétienne primitive », dans Concilium 202 (1985) 95-117, ajouter Aspegren K., The Male Woman. A Feminine Ideal in the Early Church, coll. Acta Universitatis Upsaliensis – Women in Religion 4, Stockholm, Almqvist & Wiksell Intern., 1990.

  • 47 Cf. « Pseudo-Macaire (Syméon) », dans Dictionnaire de Spiritualité, t. X, p. 25-26.

  • 48 Hom. 15, 23 (Berlin, Dörries, 1964, p. 141 ; PG 34, 592 AB).

  • 49 On trouvera une introduction à ces trois auteurs et à leur milieu, non sans une légère tonalité apologétique, chez Harrison V.E.F, « Male and Female in Cappadocian Theology », dans The Journal of Theological Studies 41 (1990) 441-471. [Malgré des prénoms différents, cet A. est aussi celle de la monographie citée supra note 16].

  • 50 La création de l’homme, 185 b (SC 6, p. 159-160).

  • 51 Vie de sainte Macrine 1 (SC 178, p. 140).

  • 52 Discours 37,6 (SC 318, p. 284-285).

  • 53 Homélie sur le martyre de Julitte, PG 37, 237 B.

  • 54 PG 37, 240-241.

  • 55 Timée, n. 42, collections des Universités de France, p. 158 : « La nature humaine serait double et des deux sexes, le plus vigoureux serait celui qui plus tard recevrait le nom de mâle […] Celui qui aurait bien vécu […] s’en irait dans la demeure de l’astre auquel il est affecté et y aurait une vie heureuse et semblable à celle de cet astre. Au contraire, s’il devait manquer ce but, il se métamorphoserait, prenant, lors d’une seconde naissance, la nature d’une femme. Et, à travers ses métamorphoses, s’il persistait dans sa malice, suivant la manière dont il aurait péché, il serait, toujours à la ressemblance de son vice, transformé en un animal ».

  • 56 Hom. 1, 3 in Ps. 1 (PG 29, 216 D – 217 A). Même ferme doctrine dans sa Xe Homélie 18 : (SC 160, p. 212-215). Si elle n’est pas de lui, elle est du moins cappadocienne : « Pour que personne, par ignorance, ne prenne l’expression “homme” pour le seul sexe masculin, l’Écriture a ajouté : “Homme et femme il les créa”. La femme aussi possède, comme le mari, le privilège d’avoir été créée à l’image de Dieu. Également honorables sont leurs deux natures, égales leurs vertus, égale leur récompense et semblable leur condamnation […] Puisque assurément l’image de Dieu comporte le même honneur, qu’également honorables soient chez tous deux la vertu et la manifestation des bonnes œuvres ».

  • 57 PG 35, 790-813.

  • 58 Saint Basile, canon 9 (Joannou, 108s.) : « La décision du Seigneur prise telle qu’elle est, s’applique également aux hommes et aux femmes : qu’il n’est pas permis d’interrompre la vie de mariage, sauf pour raison d’adultère. Selon la coutume il n’en est pas ainsi, car à propos des femmes nous trouvons des précisions très strictes […] “qui garde une épouse adultère est insensé et impie” tandis que la coutume fait une obligation aux femmes de garder leurs maris, même s’ils sont adultères […] celle qui abandonne son mari, devient adultère, si elle s’unit à un autre homme, mais l’homme abandonné est excusé et sa nouvelle épouse ne sera point condamnée ».

  • 59 Canon 21 (Joannou 124).

  • 60 Apoph. Patrum, PG 65, 413 (SC 474, 265) [notre traduction].

  • 61 Haer. 70, 2, 2 (GCS Epiphanius III, 234, 15 sv. ; PG 42, 341 BC)

  • 62 Ancoratus 55, 6-9 (GCS I, 64, 18s. ; PG 43, 113 C).

  • 63 Cf. Panarion, 79.1 (PG 42, 740) : « les femmes sont instables, inclinées à l’erreur, et ont l’âme basse ».

  • 64 L’étude de Harrison N.V., « Women, Human Identity … » (cité supra n. 16), montre précisément que les antiochiens, qui dénient à la femme d’être image de Dieu, sont, en même temps, étrangers à toute misogynie.

  • 65 Signalons que, dans leur redécouverte de l’Évangile, les grands Réformateurs ne se sont pas plus détachés de l’androcentrisme. Luther, dans son Commentaire sur la Genèse, écrit que la femme diffère de l’homme autant que la lune du soleil : « De même que le soleil est bien plus extraordinaire que la lune (encore que la lune soit déjà un corps assez extraordinaire), ainsi bien que la femme soit une très belle créature de Dieu, elle n’égale pourtant pas l’homme en gloire, en dignité » (WA 42, 51, 2). Quant à Calvin, il écrit par exemple : « La femme est née pour obéir. C’est pourquoi tous les sages ont toujours refusé le gouvernement des femmes comme étant monstrueux » (Comm. in Tit, 2, 11, C.O. 52, 276). Imaginer qu’il puisse en être autrement reviendrait à se choquer qu’au temps de Louis XIV on n’ait trouvé aucun catholique ou réformé pour militer en faveur de la démocratie chrétienne …

  • 66 Seul Grégoire de Nysse condamne l’esclavage au nom de sa conception de l’homme, image de Dieu (Hom. IV, 1 sur l’Ecclésiaste, SC 416, p. 224-233), mais il n’en tire aucune conséquence pratique. En revanche, Basile et Grégoire de Nazianze ne font preuve d’aucune compassion particulière pour les esclaves, condamnent sévèrement leur fuite, défendent les droits des maîtres en leur recommandant l’humanité. Par testament, Grégoire lui-même récompense les esclaves qui l’ont bien servi. Sur tout cela, voir la remarquable étude de R. Klein, Die Haltung der kappadokischen Bischöfe Basilius von Caesarea, Gregor von Nazianz und Gregor von Nyssa zur Sklaverei, coll. Forschungen zur antiken Sklaverei 32, Stuttgart, Steiner, 2000.

  • 67 On peut cependant signaler quelques lignes fortes au bref article Paternité (P. Gisel).

  • 68 C’est ce qu’affirme P. Laurence, « La faiblesse féminine chez les Pères de l’Église », dans Les Pères de l’Église face à la science médicale de leur temps, éd. V. Boudon-Millot et B. Pouderon, Paris, Beauchesne, 2005, p. 374 : « Une tradition, qui concerne aussi bien l’Occident que l’Orient, a cherché à réduire l’existence — ou plutôt l’essence féminine à sa dimension physique, en inscrivant sa prétendue faiblesse dans sa physiologie (du moins celle qu’on lui prêtait), et en inféodant à ce postulat ce qui devait être sa subordination sociale et culturelle. Dans ce phénomène de hiérarchisation, la médecine a joué un rôle fondamental, puisqu’elle a voulu fournir une caution scientifique à une opinion qui était loin de l’être, et qui devait perdurer ».

  • 69 Sur les règles de pureté rituelle que le droit canon oriental a imposé des origines à nos jours aux femmes, on verra l’étude très informée de E.M. Synek, « Zur Rezeption altestamentlicher Reinheitsvorschriften ins orthodoxe Kirchenrecht », dans Kanon 16 (2000) 25-70.

  • 70 P. ex., la non-ordination des chrétiennes est certes un fait historique solidement établi, mais est-ce une tradition au sens théologique ? On verra notre réflexion sur ce point : « Traditio perpetuo servata ? », dans Rituels. Mélanges offerts au Père Gy, éd. P. de Clerck et Ér. Palazzo, Paris, Cerf, 1990, p. 393-416. Jamais dans le passé, on ne s’est posé la question dans les termes d’aujourd’hui. L’éclaircissement du card. Ratzinger, pour qui l’enseignement de Jean-Paul II à ce sujet était « un acte du magistère pontifical ordinaire, en soi non infaillible », n’aura évidemment pas échappé au théologien attentif (cf. Doc. Cath. 2128 [92, 1995] 1081 ; non publié aux AAS).

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