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Lettre d’accompagnement de l’encyclique Ecclesia de Eucharistia1

Godfried Danneels (Card.)

Cher collaborateur, chère collaboratrice,

Une nouvelle encyclique n’est pas chose extraordinaire : le pape Jean-Paul II en a écrit treize avant celle-ci, Ecclesia de Eucharistia (L’Église vit de l’eucharistie). Pourtant cette quatorzième de la série a quelque chose de tout spécial. Ce qui explique la lettre de présentation qui l’accompagne.

Oui, cette encyclique a quelque chose de spécial. Pas seulement du fait qu’elle coïncide avec le jubilé d’argent de son auteur — d’où la présence de nombreux accents personnels —, mais davantage encore en raison du sujet lui-même. L’eucharistie est en effet le noyau de notre foi, le cœur de notre liturgie, la source dont nous vivons.

L’eucharistie est si riche, comporte tant de facettes qu’aucune époque — avec sa propre sensibilité culturelle — n’est à même de la saisir d’un coup dans sa pleine ampleur, dans toute sa richesse. Chaque époque a en effet son angle visuel à partir duquel elle considère ce ‘mystère de notre foi’. Et cet angle visuel est limité, soulignant fortement certaines choses, en laissant d’autres plus ou moins dans l’ombre. Il en est de l’eucharistie comme d’une statue dans un musée : il faut en faire tout le tour pour l’avoir vue, adopter successivement tous les points de vue. Et c’est précisément ce que fait le pape dans cette encyclique : il nous invite à faire le tour du mystère de l’eucharistie, à tout regarder.

Il y a surtout deux points de vue d’où l’on peut regarder l’eucharistie. On trouve le premier principalement dans le Concile de Trente, l’autre davantage dans Vatican II. Et puis il y a encore la préférence personnelle de chacun d’entre nous : nous avons souvent un petit angle personnel d’où nous aimons regarder. Le pape s’en tient surtout aux deux points de vue principaux. Mais il laisse paraître aussi quelque chose de ses sentiments personnels.

Il importe, dit le pape, de faire tout le tour de la statue. Si l’on adopte le point de vue du Concile de Trente, on voit surtout la pleine et réelle présence du Corps et du Sang du Christ et le rôle indispensable du prêtre ; on voit l’eucharistie non seulement comme un repas, mais aussi comme le vrai sacrifice de soi que Jésus offre à son Père, et nous avec Lui et en Lui ; on y entend aussi l’invitation expresse d’adorer l’eucharistie en dehors de la célébration. Ce sont là des richesses que nous avons parfois tendance à oublier de nos jours. Trente est surtout captivé par le sacrifice du Christ à l’autel.

Mais il y a également Vatican II. Vatican II est plus proche de nous : il cadre mieux avec notre sensibilité. L’eucharistie comme repas de fête, réunion de frères et de sœurs, célébration commune du prêtre et de la communauté, source d’engagement éthique et social, lieu de joyeuse créativité, expression enfin de la communauté ecclésiale locale à laquelle nous appartenons. Vatican II est donc captivé surtout par les gens autour de l’autel, par la communauté ecclésiale.

Et le pape de dire : fais le tour complet et regarde de tous les côtés. Ne reste pas cloué à un endroit. Car on peut exagérer dans la manière de voir selon Trente, par exemple en détachant trop l’adoration eucharistique de la célébration même. Mais le regard ‘Vatican II’ peut également devenir unilatéral. Ainsi l’on peut mettre un tel accent sur le lien entre la célébration et la communauté locale qu’on en oublie que la célébration eucharistique appartient à l’Église universelle, qu’elle n’est pas la propriété de telle paroisse uniquement. De plus cette ‘communio’ doit être perceptible dans la fidélité aux règles liturgiques, à l’organisation ecclésiale de la célébration : on ne peut pas faire indifféremment ce qui semble convenir le mieux à tel moment, en tel endroit. Une communauté qui adopte une attitude trop indépendante et fait ce qu’elle veut, est une pierre qui se détache de l’astre étincelant : durant un instant elle peut encore jeter un vif éclat, mais bientôt elle ne sera plus qu’un caillou mort qui se désagrégera dans l’atmosphère, une météorite qui tombe. On n’en retrouve plus rien.

On a dit de tout à propos de cette encyclique. On a parlé de pas en arrière, d’une chance perdue ; d’autres y voient, avec des accents de triomphe, un doigt levé à l’intention de la sensibilité moderne, voire même de Vatican II. La seule vérité est la suivante : le pape nous invite à faire tout le tour de la statue, de ne nous arrêter exclusivement à aucun point de vue. L’eucharistie est trop riche pour cela, et le pape trop intelligent.

C’est pourquoi : prends et lis attentivement. Évite tant la sous-exposition que la surexposition des aspects. Cela aussi est une partie de notre réponse à la parole : ‘Faites ceci en mémoire de Moi’.

Notes de bas de page

  • 1 Cette lettre accompagnait l’envoi par M. le Cardinal Danneels à tous ses collaborateurs (prêtres, agents pastoraux, etc.), de l’encyclique sur l’Eucharistie. Elle servira de transition entre l’article précédent sur Pacem in terris et l’article suivant de J. Rigal sur Ecclesia de Eucharistia. Cette double mise en perspective stimulera, nous l’espérons, la réflexion des lecteurs.

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